Diglossie

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Le mot diglossie a d'abord été synonyme de bilinguisme avant d'être utilisé par le linguiste William Marçais en 1930 dans sa Diglossie arabe. Il marque aujourd'hui davantage l'état dans lequel se trouvent deux systèmes linguistiques coexistant sur un territoire donné, et dont l'un occupe, le plus souvent pour des raisons historiques, un statut socio-politique inférieur. La situation diglossique est ainsi généralement une situation conflictuelle.

Ce phénomène social se rencontre lorsque les langues en contact ont des fonctions différentes, par exemple une langue « formelle » et une langue « privée ».

Ce phénomène donne lieu à des situations de tension linguistique généralement caractérisées par l'apparition de variétés « hautes » et « basses » de la langue. Un aspect de la diglossie est la distribution complémentaire où, dans une série des situations, seulement la « haute (H) » est acceptable et dans une autre seulement la « basse (B) ».

Personne dans la société ne doit parler la langue H comme langue maternelle. Il faut apprendre la langue H en pure diglossie selon Charles Ferguson, après avoir appris la langue maternelle, ce qui favorise les classes supérieures. Aussi quand il y a un changement de langues dans une situation diglossique, le changement se fait vers la forme plus basse, parce que les classes inférieures ne connaissent pas la forme supérieure. C'est ici qu'une distinction se fait avec la situation générale des langues avec niveaux dialectaux puisque dans les cas de diglossie il n'y a pas de partie de la communauté linguistique qui utilise régulièrement H dans la conversation ordinaire et, si on l'utilise, cela est considéré comme artificiel ou déloyal envers la communauté.

La diglossie prend probablement corps quand il y a un groupe instruit assez grand dans une autre langue à côté de la langue naturelle de la communauté. Cette langue est d'abord limitée à une petite élite, et un laps de temps est nécessaire pour que l'on passe de H à B. La diglossie typique persiste au moins plusieurs siècles et peut durer plus de mille ans.

Là où le bilinguisme est l'état individuel de l'acteur pouvant mobiliser plusieurs variétés de langage, la diglossie est un phénomène sociétal où plusieurs variétés coexistent. Il peut donc théoriquement exister des situations de diglossie sans bilinguisme et inversement.

Sommaire

[modifier] La diglossie en France

La France a connu et connaît encore de telles situations diglossiques, marquées par l'opposition entre une langue régionale, plus ou moins vivace, et le français comme ce fut le cas il n'y a pas si longtemps entre le français et le Latin vivant qui se disputaient chacune la prééminence.

On la rencontre ainsi en Alsace, au Pays basque, en Bretagne, dans les aires catalane et occitane, en Corse. En Martinique, en Guadeloupe et en Guyane cette situation existe aussi. Dans les Universités de chacune de ces régions, la sociolinguistique a pris pour objet d'analyse le conflit diglossique et ses conséquences. L'apport de ces travaux est capital pour la compréhension d'un phénomène jusqu'à récemment assez peu étudié.

[Ajout d'un autre internaute]Il faut néanmoins être très rigoureux dans la perception du phénomène quand on parle des régions dialectophones de l'aire germanophone en Alsace-Lorraine. Les sensibilités sont à fleur de peau sur ce sujet. Quand on dit la France, il faut d'abord préciser les territoires qui se trouvent actuellement en France. Car la France et surtout ses périodes absolutistes et révolutionnaires sont à l'origine de l'allophonie (intolérance à la langue des autres)sur fond patriotique et identitaire dans des pays où parler une langue n'avait rien à voir avec la nation, la citoyenneté ou l'identité politique. Le duché indépendant de Lorraine rattaché à la France en 1766 est un excellent exemple de diglossie: on pouvait être Lorrain et parler un dialecte allemand. La coexistence des deux langues romane et germanique a conduit les dirigeants et hommes publics de chaque côté de la frontière linguistique à faire traduire les Coutumes, les pièces administratives, y compris les lettres officielles que s'envoyaient les responsables politiques. Pour les affaires judiciaires concernant les deux aires linguistiques, on commençait d'abord par vérifier dans quelle ville aurait lieu la séance: suivant la langue concernée, on choisissait la ville germanophone ou romanophone de chaque côté de la frontière linguistique. Dans l'édit du 26 janvier 1481, le duc de Lorraine, René II, demanda la traduction en français des pièces provenant du bailliage d'Allemagne. Le lecteur français aura remarqué l'appellation déjà utilisée au XVème siècle pour désigner les Lorrains de la partie germanophone: pour les Lorrains romanophones, tous ceux qui parlaient une langue germanique à côté d'eux (Alsace et Lorraine francique) étaient des Allemands (ou Ollemands). Dans les actes officiels, on ne parlait pas des frontières avec l'Alsace, mais "ès frontières d'Allemaigne". Pour les Lorrains romans, l'Allemagne existait bien avant 1871, mais comme tous les sujets du Saint Empire, les Lorrains romans habitués à la diversité linguistique et culturelle sur un même sol voyaient plus dans le terme d'Allemagne l'identification d'une zone où l'on parlait une langue germanique et la culture différente qu'elle véhicule. Car aujourd'hui comme il y a 5 siècles, ne comptez pas sur les Welsches (nom donné par les germanophones aux romanophones) pour savoir si l'allemand qu'ils entendent est de Colmar, Strasbourg, Bitche, Creutzwald ou Sarrebourg! Ils entendaient une intonation très caractéristique. C'était cela la vraie diglossie de l'époque: deux zones de langue différente vivaient côte à côte sans éprouver le besoin d'apprendre la langue de l'autre pour la majorité du peuple. Seuls les personnes aux fonctions publiques ou commerciales impliquant les deux zones linguistiques devaient manipuler peu ou prou la langue étrangère du voisin. C'est la même chose qu'en Suisse aujourd'hui pour simplifier.

En revanche, il ne faut pas dire qu'il y a diglossie en Alsace-Moselle aujourd'hui. Il y a soit bilinguisme, soit monolinguisme avec quelques réflexes dialectophones en compréhension orale pour les plus jeunes. La coexistence des deux langues n'est pas comparable à l'époque où l'Alsace (qui a donné du fil à retordre à Louis XIV dans sa campagne de francisation) était majoritairement germanophone, sans diglossie généralisée, et celle d'aujourd'hui. Ceux qui parlent un des dialectes alsaciens parlent aussi français. Ils ne font pas cohabiter les deux langues, ils les manipulent toutes les deux. On est dans un bilinguisme qu'il conviendrait de définir dans un autre article.

[modifier] La situation en Haïti

Un exemple d'une situation diglossique est celle du Créole haïtien dans sa cohabitation avec le français.Toute la population d'Haïti parle le créole, mais la classe sociale dominante possède souvent une connaissance appropriée de langue française, tandis que la population générale ne parle souvent que le créole. Il ne faut pas confondre le français et le créole haïtien comme étant deux variétés d'une langue, mais bien en tant que deux langues bien distinctes-le créole ayant suivi un processus de relexification avec langue superstrate le français et langue substrate le fongbe (voir Lefebvre, 1998*). Donc, il ne peut pas s'agir de diglossie entre variétés, mais bien d'une diglossie entre deux langues, dont une n'est parlée que par une partie de la population qui jouit du prestige de la pratique d'une des des langues présentes sur le territoire haïtien, dans ce cas le français.

  • Lefebvre, Claire. 1998, Creole Genesis and the Acquisition of Grammar: The Case of Haitian Creole. Cambridge University Press.

[modifier] Cas de la Suisse alémanique

Icône de détail Article détaillé : Suisse allemand.

Les dialectes allemands de Suisse sont largement parlés, quoiqu'on écrive presqu'uniquement en allemand standard.

[modifier] Cas de l'Arabe

La situation est comparable dans les pays du Nord Africain au sujet du rapport entre l'arabe classique et le berbère mis en marge.

Outre ce fait, la juxtaposition de deux variantes d'une même langue (l'arabe) en Afrique du Nord, caractérise parfaitement la diglossie telle qu'elle est définie par Ferguson (1959). La présence de l'arabe dialectal, langue d'usage quotidien, dans le milieu familial aussi bien que dans le milieu public, et l'arabe classique dont l'usage est limité aux médias étatiques et à l'école (car il est la langue d'enseignement), illustre cette situation diglossique.

Ainsi le dialectal qui est même utilisé par la majorité de la population et cela dans divers domaines de leur vie journalière n'a aucun statut officiel. C'est une langue pratiquée par tout le monde et pourtant non reconnue par qui que ce soit. L'arabe classique (littéral, standard) en revanche, bien qu'il soit une langue régide dont les domaines d'usage sont très limités (enseignements primaire et secondaire, les médias) a le statut de langue officielle. Réservé aux situations formelles, il se trouve du coup très privilégié par rapport aux autres langues en présence en Afrique du Nord (l'arabe dialectal et le berbère). Également, le prestige dont jouit l'arabe classique tient du fait qu'il est la langue du coran, c'est-à-dire celle de la révélation.

Aujourd'hui des voix s'élèvent dans les pays du Maghreb (à l'exemple de l'écrivain Kateb Yacine en Algérie) pour revendiquer un statut officiel pour l'arabe dialectal, puisqu'il est la langue vivante par le fait de sa pratique par l'ensemble des habitants de cet espace géographique.

Cela sans omettre de mentionner la lutte acharnée menée pour la revalorisation de tamazight (le berbère), la langue ancestrale parlée par les premiers autochtones du Nord africain. Cependant elle est partiellement reconnue par les pouvoirs en place (au Maroc et en Algérie), car en plus de son introduction dans les médias, elle est également enseignée à l'école.

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