Carmagnole (danse)

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Pendant la Révolution française, la danse de la Carmagnole, une sorte de ronde, se dansait en même temps qu'elle se chantait. On tournait très lentement pendant le couplet, en frappant fortement du pied la terre ; puis, au refrain, on accélérait le mouvement de ronde aussi vite que possible. On la dansait aussi parfois en chaîne ou encore, les danseurs disposés sur deux files, femmes et hommes alternés dans chaque file, comme une sorte de contredanse vivace avec des figures qui étaient principalement des rondes à quatre ou à huit, et au final il se faisait une seule ronde générale.

On la dansa, hélas, autour des guillotines, mais aussi devant l'Assemblée de la Convention et autour des 60 000 arbres de la Liberté que la République fit planter en France. On la dansa dans les rues jusqu'au Consulat (et encore en 1848 et en 1871).

Dans le Supplément au Dictionnaire de l'Académie, on trouve cette définition: Faire danser la carmagnole à quelqu'un : Au figuré, signifioit, dans les troubles de la révolution, le guillotiner, le mettre à mort par tous les supplices de ce temps. D'ailleurs, durant la Terreur, une pratique populaire courante - une forme d'insulte et de menace - consistait à obliger les ennemis de la Révolution à danser et à chanter une Carmagnole dans la rue. Les journaux comme Le Père Duchêne et La Mère Duchêne incitaient les sans-culottes à ce comportement qui parfois entraîna l'arrestation et la mort des infortunés danseurs.

La forme musicale de cette danse - de nombreux chants traditionnels y correspondaient - tire vraisemblablement son origine du territoire compris entre les vallées qui s'étendent de Gènes à Turin, et particulièrement du val dominé par Carmagnòla, une petite ville du Piémont située à 25 kilomètres de Turin.

Carmagnòla était fief des marquis de Saluces, vassaux du roi de France, jusqu'à la conquête de ce territoire et la prise de la ville par la maison de Savoie (1588). La production la plus importante y était le chanvre et la prospérité de cette culture était telle que le bourg fut pendant des siècles le plus important marché de la péninsule italienne pour cette denrée. Le passage aux mains du duc Charles-Emmanuel Ier de Savoie provoqua l'exil volontaire vers Marseille de beaucoup de fileurs de chanvre du territoire. Outre leur savoir-faire dans la culture, le filage et la transformation du chanvre, ces ouvriers spécialisés emportèrent avec eux leurs us et leurs coutumes, leurs modes et leurs chansons... Les Provençaux prirent l'habitude de nommer « carmagnols » leurs vestes, et carmagnoles les chansons et les danses que les chanvriers piémontais jouaient sur leurs fifres.

Existe-t-il des liens entre la Carmagnola (une danse rarement dansée en Italie de nos jours) et les carmagnoles parisiennes de 1792 ? De quoi parle cette pièce de théâtre intitulée Carmagnole et Guillot-Gorju, tragédie pour rire écrite par Dorvigny, un auteur que nous retrouverons,(où Carmagnole semble être plutôt un personnage, peut-être un de ces personnages, comiques parce que venus de la province, si courants dans le théâtre des XVIIe et XVIIIe siècles) ? La pièce fut jouée avec succès en 1782, 1783, et on la retrouve à l'affiche en novembre 1789 au théâtre de l'Ambigu-Comique. Pourquoi les sans-culottes parisiens adoptèrent-ils le vêtement particulier des chanvriers qui vivaient dans le Sud de la France ? Qui, en août 1792, écrivit un chant anti-royaliste sur des rythmes traditionnels piémontais ? La chanson fut-elle dès l'origine composée d'une seule pièce ou les couplets vinrent-ils s'ajouter les uns aux autres ? À toutes ces questions il est impossible de répondre...

La première Carmagnole révolutionnaire (danse et chant) date certainement des journées où la famille royale fut transférée au Temple et on n'en connaît pas l'auteur. En lisant les couplets on peut se rendre compte qu'un certain nombre d'évènements que le texte de la chanson décrit (les canons des insurgés tournés vers le Palais des Tuileries, le massacre des gardes suisses, etc.) se déroulèrent le 10 août 1792.

[modifier] La Carmagnole

Version de 1792
Madame Veto avait promis (bis)
De faire égorger tout Paris (bis)
Mais son coup a manqué,
Grâce à nos canonniers.
Refrain 1
Dansons la Carmagnole,
Vive le son, vive le son.
Dansons la Carmagnole,
Vive le son du canon !
Monsieur Veto avait promis (bis)
D’être fidèle à sa patrie (bis)
Mais il y a manqué.
Ne faisons plus quartier.
Refrain
Antoinette avait résolu (bis)
De nous fair’ tomber sur le cul, (bis)
Mais son coup a manqué.
Elle a le nez cassé.
Son mari se croyant vainqueur, (bis)
Connaissait peu notre valeur, (bis)
Va Louis, gros paour,
Du Temple, dans la tour.
Les Suisses avaient tous promis (bis)
Qu’ils feraient feu sur nos amis (bis)
Mais comme ils ont sauté,
Comme ils ont tous dansé.
Refrain 2
Chantons notre victoire,
Vive le son, vive le son.
Chantons notre victoire,
Vive le son du canon !
Quand Antoinette vit la tour (bis)
Elle voulut faire demi-tour. (bis)
Elle avait mal au cœur
De se voir sans honneur.
Lorsque Louis vit fossoyer (bis)
A ceux qu’il voyait travailler (bis)
Il disait que pour peu
Il était dans ce lieu.
Le patriote a pour amis (bis)
Tous les bonnes gens du pays (bis)
Mais ils se soutiendront
Tous au son des canons.
L’aristocrate a pour amis (bis)
Tous les royalist’s à Paris, (bis)
Ils vous les soutiendront
Tout comm’ de vrais poltrons.
La gendarm’rie avait promis (bis)
Qu’elle soutiendrait la patrie, (bis)
Mais ils n’ont pas manqué
Au son du canonnier.
Amis, restons toujours unis, (bis)
Ne craignons pas nos ennemis. (bis)
S’ils vienn’nt nous attaquer,
Nous les ferons sauter.
Oui, je suis sans-culotte, moi, (bis)
En dépit des amis du roi, (bis)
Vive les Marseillais,
Les Bretons et nos lois.
Oui, nous nous souviendrons toujours (bis)
Des sans-culottes des faubourgs. (bis)
A leur santé buvons.
Vivent ces bons lurons.

La Carmagnole obtint dès 1792 un incroyable succès populaire. La chanson et la danse eurent un rôle fortement identitaire, et cette identité "sans-culotte" s'exprima de mille façons à travers la multiplication de son nom sur les objets les plus variés: une des frégates de la Marine française fut - ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de diverses natures - baptisée La Carmagnole. Autre indice certain de sa popularité, dès le mois de novembre 1792 fut jouée à Paris dans l'un des théâtres de Mademoiselle Montansier une pièce en trois actes intitulée La Carmagnole à Chambéry de Louis-François Archambault, dit Dorvigny (1742-1812). Rapidement, après les mouvements populaires de l'été 1792, Paris, la France et les champs de bataille européens retentirent de cette chanson adoptée comme marche par les armées de la République. Dans les musiques de régiment, on orchestrait la chanson nouvelle, sous forme de pas redoublé et les soldats qui la chantèrent à Valmy, à Jemappes et à Varoux au cours de l'automne 1792 se firent appeler les carmagnoles.

L'Italie en retrouva donc bientôt la musique sur de nouveaux rythmes mais les paroles que chantèrent les habitants de la péninsule eurent souvent un caractère anti-jacobin et, par la suite, anti-bonapartiste. Le succès de la carmagnole durera. À Gênes en 1795 le jeune Niccolò Paganini en compose, à treize ans, une version intitulée Variations sur le violon. À Naples, les sujets de la brève République parthénopéenne l'adoptent en 1799 (utilisant, pour en jouer la musique, des instruments napolitains comme tamburello, tricaballacche, scetavaiasse et putipù) mais presque aussitôt ils en changent le texte qui devient un hymne de fidélité aux Bourbons et, avec le retour des français, un chant de lutte contre "les rois français" (Joseph Bonaparte puis Joachim Murat). En France, Bonaparte devenu Premier Consul, la Carmagnole fut interdite en même temps que le Ça ira (1799).

Mais le peuple ne l'oublie pas... et ce sont les adaptations continuelles de son texte aux évènements politiques et sociaux de l'histoire qui lui donnent son véritable caractère d'œuvre populaire capable de refléter les émotions et les espérances collectives: dans les temps de colère populaire ou de crise, il y eut toujours un sans-culotte pour y ajouter un couplet...

Entre 1792 et la mort de Robespierre naissent déjà des versions nouvelles et lorsque les frères Robespierre montent sur l'échafaud une intense réaction se manifeste contre la politique jacobine et aussitôt on entend les couplets de la Carmagnole de Fouquier-Tinville :

Fouquier-Tinville avait promis
De guillotiner tout Paris.
Mais il en a menti,
Car il est raccourci.
Vive la guillotine !
Pour ces bourreaux
Vils fléaux!
Sans acte d'accusation,
Avec précipitation,
Il fit verser le sang
De plus d'un innocent.
Vive la guillotine!
Pour ces bourreaux
Vils fléaux ! (etc.)

Une Carmagnole frondeuse contre la Sainte-Alliance fut chantée en 1814 lors de l'entrée des troupes austro-russes à Paris (mais on en chanta aussi une anti-napoléonienne à la même époque). On en connaît aussi des versions qui datent des mouvements révolutionnaires de 1830, de 1848, des luttes démocratiques (de 1863 à 1869) sous le Second Empire, de la Commune de Paris, de mouvements sociaux en France de 1895 (en Italie lorsque en 1898 éclatent les émeutes populaires de Milan férocement réprimées par le général Fiorenzo Bava Beccaris (Fossano, 1831 – Roma, 1924), des émeutes à l'armée de 1917, de la Révolution russe, de Mai 68, et jusqu'aux manifestations d'aujourd'hui sur la place de la Bastille. Quelles que furent les paroles, on la dansa sur les barricades de 1830 et de 1848, lors des grèves de la fin du siècle, et on la dansait encore en 1936 aux jours du Front populaire...

Le nom de carmagnoles fut donné à certaines proclamations révolutionnaires (comme celle de Barère à l'armée de la République sous les murs de Toulon). Cela devint un genre littéraire propre à la révolution française, reconnu dans les discours rhétoriques et enflammés, surtout dans ceux de Bertrand Barère (1755-1841). Au moment le plus intense de la fabrication des mythes républicains, ce genre se décline en deux variétés: la Carmagnole épique à buts propagandistes (les batailles de la Républiques sont toujours des victoires même quand elles sont perdues) et la Carmagnole meurtrière (appels à l'extermination totale de l'ennemi, projets de destruction des villes insuffisamment révolutionnaires, etc.).

Le nom de Carmagnole, depuis 1792, fut aussi souvent donné à des journaux révolutionnaires, comme le journal La Carmagnole, organe des enfants de Paris créé en février 1848, qui se recommandait de cette devise : "Ah! ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates au ridicule!"

Un très grand nombre d'œuvres littéraires (p. ex. Quatrevingt-treize de Victor Hugo, Les dieux ont soif d'Anatole France), théâtrales (p.ex. Dialogues des carmélites de Georges Bernanos publié en 1948) et lyriques (p. ex. Andrea Chénier de Umberto Giordano, et les mêmes Dialogues des carmélites sur une adaptation en livret de Emmet Lavery, mis en musique par Francis Poulenc) ont utilisé les sans-culottes et leur Carmagnole ; parfois - rarement - dans un esprit anti-révolutionnaire, comme dans cette rare Carmagnole, ou les français sont des farceurs de Jaime Theaulon de Lambert de Forges (pièce de théâtre en un acte qui s'inspire d'un épisode des guerres d'Italie, représentée pour la première fois, sur le Théâtre des Variétés à Paris le 31 décembre 1836).

En littérature étrangère on peut citer parmi tant d'autres œuvres Tale of Two Cities (Le conte de deux cités) de Charles Dickens, The Scarlet Pimpernel (Le mouron rouge) de la baronne Orczy et The Song at the Scaffold (La dernière à l’échafaud) un roman écrit en 1931 par Gertrude von LeFort dont Georges Bernanos s'inspira pour écrire ses Dialogues....

[modifier] Liens externes

[modifier] Source

Jean-Pierre Thomas, Bertrand Barère, la voix de la Révolution, éd. Desjonquères, 1989. (ISBN 2-904227-36-9)