Annibale Bugnini

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Mgr Bugnini.
Mgr Bugnini.

Annibale Bugnini, ecclésiastique catholique, né le 14 juin 1912 à Civitella del Lago en Ombrie (Italie), et décédé le 3 juillet 1982 à Rome. Il est le principal organisateur de la réforme liturgique de 1970, et de la publication du missel romain rénové par Paul VI.

Sommaire

[modifier] Avant le Concile

A 24 ans, en 1936, Annibale Bugnini est ordonné au sein de la Congrégation de la Mission (Pères Lazaristes). Il est nommé en paroisse, charge qu'il va remplir pendant dix ans. En 1946, il commence à intervenir dans le domaine des études liturgiques spécialisées et devient rédacteur en chef de la revue liturgique Ephemerides liturgicae.

En 1948, Pie XII nomme le P. Bugnini Secrétaire de la « Commission pour la Réforme Liturgique ». Cette commission dite commissio piana, instaurée le 28 juin 1948 en marge de la Congrégation des Rites comprenait 8 membres, sous la présidence du cardinal Clemente Micara, puis du cardinal Gaetano Cicognani. L’objectif était de réfléchir à des améliorations possibles en matière liturgique dans l'esprit de l'encyclique Mediator Dei.

Lorsque le pape Pie XII annonce son intention de proclamer le dogme de l’Assomption, Max Thurian (fondateur calviniste de la communauté œcuménique de Taizé) envoit une délégation à Rome pour protester (le 21 novembre 1948). Par une longue étude, le P. Bugnini appuie cette démarche, contredisant en cela explicitement le Pape Benoît XIV qui avait traité la question au XVIIIe siècle, en affirmant qu'« il était imprudent, sinon faux » de dire que l'Assomption de la Vierge avait, de tout temps, été un article de Foi.

Cette intervention mécontenta Pie XII, et il faut l'intervention du Cardinal Agostino Bea, également membre de la commissio piana et surtout confesseur de Pie XII, pour apaiser le différend. Fort de ce soutien le P. Bugnini est nommé consultant à la Sacrée Congrégation des Rites en 1956, et professeur de liturgie à l'Université pontificale du Latran en 1957.

Mgr Arrigo Pintonello, aumônier général de l’armée italienne et germaniste émérite, rapporte [1] que durant cette période (dès 1955), le P. Bugnini lui demandait fréquemment de traduire pour lui des ouvrages allemands protestants traitant de liturgie, manifestement pour inspirer ses propres travaux. Au sein de la commission, le P. Bugnini voit ses schémas de réformes refusés systématiquement par le cardinal Cicognani.

[modifier] Préparation du Concile

En 1960, le P.Bugnini est nommé secrétaire de la « Commission préparatoire du Concile Vatican II pour la Liturgie », à nouveau présidée par le Cardinal Cicognani. Le P. Bugnini, comme secrétaire, prend en main l’élaboration du schéma préparatoire, c’est-à-dire le document qui doit être soumis aux débats des Pères conciliaires. Ce document, surnommé le « schéma Bugnini », est proposé au vote de la commission le 13 janvier 1962, en séance plénière de la Commission préparatoire. Il est largement adopté malgré les réserves réitérées du Cardinal Cicognani, à l’article de la mort (il meurt le 5 février).

Le Cardinal John Heenan, archevêque de Westminster, commente l’adoption de ce schéma dans ses mémoires Une Couronne d’Epines : « Les changements qui ont suivi furent bien plus radicaux que le Pape Jean et les évêques qui avaient adopté le schéma, n’en avaient l’intention. Par son sermon de clôture de la première session, le Pape Jean semblait ne pas se douter de ce que les experts en liturgie avaient prévu de faire »[2]. source polémique[non neutre]

[modifier] Premier exil

Malgré cette victoire du P. Bugnini au sein de la commission liturgique, Jean XXIII prend subitement la décision, quelques semaines plus tard, de le suspendre de ses fonctions de secrétaire de la Commission préparatoire et de lui retirer sa chaire à l’Université du Latran. Dans ses mémoires [3], le P. Bugnini impute au Cardinal Arcadio Larraona cette disgrâce « injuste et basée sur des allégations infondées ». « On m’accusait d’être un iconoclaste », ajoute-t-il.

Les raisons de cette disgrâce n’ont jamais été dévoilées. Le P. Bugnini fut le seul secrétaire d’une Commission préparatoire à ne pas être confirmé en tant que secrétaire de la Commission conciliaire correspondante. Malgré l'intervention du Cardinal Bea auprès de Jean XXIII, comme il l’avait fait auprès de Pie XII, le pape fut inflexible. L’intervention du Cardinal Giacomo Lercaro n’eut pas plus de succès.

Ce fut, selon sa propre expression[4], le « premier exil » du P. Bugnini. En 1997, un article du cardinal Stickler, impute cette disgrâce au travail « non satisfaisant » du P. Bugnini au sein de la commission[5].

Pendant cet exil, le concile débute, et le schéma sur la liturgie est le premier thème abordé. Le débat a lieu du 22 octobre au 13 novembre 1962. Lors du vote, le 14 novembre, un tel nombre d'amendements est demandé que le pape renvoie le texte à une session suivante.

[modifier] Retour en grâce et « cheville ouvrière » de la réforme liturgique

L'avènement de Paul VI, le 21 juin 1963, est presque aussitôt suivi de la refonte générale de la Curie. Immédiatemment après son élection, l’ancien cardinal Montini, dont les conceptions liturgiques étaient très proches des siennes (déclaration de Mgr Montini pendant les débats conciliaires sur la liturgie, en 1962, désirant que « les cérémonies soient modifiées afin d’être plus compréhensibles et plus utiles pour les hommes de notre temps », et qu’elles soient « une fois encore réduites à une forme plus simple »), rappelle le P. Bugnini et le nomme « théologien personnel du Pape ».

Le 1er octobre 1963, ouvrant la seconde session du Concile, le Pape annonce que la Commission spéciale pour la réforme de la liturgie sera désormais présidée par « le bien aimé et fidèle serviteur de l'Église, Annibale Bugnini »[réf. nécessaire], et esquisse un geste amical en sa direction.

Le 22 novembre 1963, un vote solennel a lieu : la Constitution sur la Liturgie Sacrée Sacrosanctum Concilium, réécrite par la Commission spéciale pour prendre en compte les amendements des Pères, est adoptée par 2147 voix contre 4. Ce texte est sensiblement identique au projet dit « schéma Bugnini ». La constitution est promulguée par Paul VI le 4 décembre.

Le 26 février 1964, Paul VI institue, pour mettre le texte en application, le Consilium pour l'exécution de la réforme liturgique, sous la présidence du cardinal Lercaro. Le P. Bugnini est nommé secrétaire du Consilium. Le consilium est composé de quarante deux membres à voix délibérative et d'environ 70 experts (qui seront jusqu'à 150), dit « consulteurs », dont le rôle est de préparer le travail et de le proposer au vote des membres.

Le rôle du Consilium est fondamental, car la Constitution Liturgique use d’une terminologie très générale et, par endroits, ambiguë. Un partie de la portée du texte réside dans l’interprétation concrète qui en sera donnée. L’archevêque de Westminster ajoute dans ses mémoires[6] que les auteurs du document avaient rédigé des textes capables « tout à la fois d’une interprétation orthodoxe et moderniste ».

Et ce fut, de façon assumée,[7] cette dernière interprétation que le P. Bugnini allait s’attacher à traduire dans le cadre de ses fonctions au Consilium.

Bien qu’alors assez favorable à l’esprit des réformes lancées par le P. Bugnini, le futur Cardinal Ferdinand Antonelli reproche lui-même au P. Bugnini « d'avoir introduit dans le travail du Consilium des gens capables, mais de coloration progressiste théologiquement, sans leur résister parce qu'on ne pouvait pas contrecarrer certaines tendances ». [8] Le P. Bugnini, par sa place, peut effectivement nommer la majorité des consulteurs, qu'il choisit parmi les liturgistes qui ont la même conception de la liturgie que lui. Le Cardinal Antonelli ajoutait: « Il me semble qu'il fut fait beaucoup de concessions, surtout en matière de sacrements, à la mentalité protestante ». Et pour cause : Mgr Bugnini avait aussi obtenu la présence, comme observateurs, de 8 pasteurs protestants aux séances plénières du Consilium (une célèbre photographie les montrant entourant Paul VI fut beaucoup reproduite).

[modifier] La réforme liturgique

Les modifications liturgiques se succèdent au fur et à mesure des travaux du Consilium : mise en place de la messe « face au peuple » comme une norme, relégation du tabernacle, possibilité d'emploi de la langue vernaculaire de plus en plus dominante, suppression des prières individuelles du prêtre, de signes de croix, la possibilité de dire le canon en vernaculaire et l'obligation de le réciter à voix haute, etc. Toutes ces réformes sont approuvées par Paul VI de 1964 à 1967[9].

Le 21 octobre 1967, s'ouvre le synode des évêques ; le père Bugnini, secrétaire du Consilium, vient présenter sa « messe normative, ébauche d'une nouvelle messe ». C’est le P. Bugnini en personne qui la célèbre dans la Chapelle Sixtine. La messe est dite en italien, entièrement à haute voix. Elle comprend un rite d'accueil, une brève cérémonie pénitentielle commune, Gloria, trois lectures, Credo, prière universelle, de brèves prières de « déposition des dons », le Canon, etc.

Avant même la fin de la cérémonie, en signe de protestation, le cardinal Joseph Slipyj, patriarche d'Ukraine, quitte ostensiblement la Chapelle, suivi par plusieurs évêques. « L'expérience n'avait pas réussi », avouera le P. Bugnini[10], « elle produisait même l'effet contraire, pesant sur les votes en un sens négatif ». En effet lors du vote, 105 évêques marquèrent leur insatifaction quand 71 était d'accord.

Paul VI demande alors au Consilium de se remettre au travail pour réaliser une messe plus conforme au désir des Pères, mais qui, insistait le P. Bugnini, devrait néanmoins être « complètement différente de ce qu'elle était auparavant ». À la fin de l’année, le P. Bugnini présente une nouvelle version de missa normativa.

À compter de 1967, le P. Bugnini rencontre moins d'opposition. Par la Constitution apostolique Sacrum Rituum Congregatio du 8 mai 1969, Paul VI met fin à l’existence du Consilium et l’incorpore dans la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin (qui vient de remplacer la Sacrée Congrégation des Rites). Le Père Bugnini est nommé secrétaire de cette Congrégation, et devient ainsi plus influent qu’il ne l’avait jamais été. A la présidence de la Congrégation, le Cardinal Lercaro laisse la place au Cardinal Benno Gut, puis au Cardinal Arturo Tabera-Araoz, puis au Cardinal James Knox. Mais le P. Bugnini, lui, demeure toujours, ce qui lui permet d’assurer la continuité de la réforme.

Au cours de cette année 1969, le P. Bugnini termine son œuvre : il fait approuver ses 3 nouvelles anaphores (3 prières eucharistiques) par Paul VI, puis publie le « rite romain rénové ».

Le 21 octobre, les Cardinaux Ottaviani (préfet du Saint-Office, devenu « Congrégation pour la Doctrine de la Foi » ) et Bacci remettent à Paul VI un « Bref Examen Critique » du Nouvel ordo missae, entendant montrer que celui-ci, « si l'on considère les éléments nouveaux susceptibles d'appréciations fort diverses, qui paraissent sous-tendus ou impliqués, représente un éloignement impressionnant, dans l'ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe. » Paul VI repousse alors au 28 novembre 1971 l'entrée en vigueur « obligatoire » de la nouvelle messe, délai au cours duquel l'article 7 de l'introduction générale au Missel romain, qui posait problème, est revu, et une préface (praemia), rappelant la doctrine sur la messe, est ajoutée. À la suite de quoi les cardinaux Ottaviani et Bacci font état de leur plein accord avec la réforme liturgique.

Le P. Bugnini, de son côté, est nommé en 1972 archevêque titulaire de Diocletiana[11].

C’est alors qu’intervient le coup de théâtre qui fera couler des torrents d’encre. En juillet 1975, au moment même où sa faveur culmine à son zénith, Mgr Bugnini est brutalement démis de ses fonctions par Paul VI. Non seulement il est remercié, mais l’ensemble de sa Congrégation (pour le Culte Divin) est dissoute et fusionnée avec la Congrégation pour les Sacrements.

La stupéfaction est générale, surtout dans les milieux progressistes. Ainsi, le journaliste Desmond O'Grady exprime éloquemment le désarroi des cercles « bugninistes » dans le numéro du 30 août 1975 de la revue «The Tablet» : « L’archevêque Annibale Bugnini, qui, en qualité de Secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin, à présent abolie, fut la figure clé de la réforme liturgique de l’Eglise, n’est pas membre de la nouvelle Congrégation. En dépit de sa longue expérience, il n’a pas non plus été consulté dans la préparation de cette opération. Il a appris sa création, alors qu’il était en vacances à Fiuggi… La manière abrupte avec laquelle tout ceci a été accompli n’augure rien de bon en ce qui concerne la ligne Bugnini d’encouragement à la réforme en collaboration avec les hiérarchies locales…C’est Mgr Bugnini qui avait conçu le travail à accomplir au cours des dix prochaines années concernant principalement l’incorporation des usages locaux dans la liturgie…Il incarnait la continuité de la réforme liturgique post-conciliaire ».

Personne ne comprend, ni cette décision, ni surtout l’absence d’égards manifeste avec lequel elle est signifiée. Mgr Bugnini se retire alors au couvent de San Silvestro. Et six mois plus tard, le 15 janvier 1976, l’Osservatore Romano annonçe laconiquement : « Mgr Bugnini vient d’être nommé pro-Nonce Apostolique en Iran ». Ce fut son second exil inexplicable, après la « répétition » qu’avait constitué le premier, du temps de Jean XXIII. Mais cette fois, il n’y eut pas de retour.

Mgr Bugnini ne fut jamais rappelé de Téhéran. Toutefois, rentré en Italie pour une opération bénigne, il meurt à l'hôpital à Rome le 3 juillet 1982.

[modifier] Liturgiste

Aujourd'hui, les avis concernant l'action de liturgiste d'Annibale Bugnini sont très divers. Si ces compétences de chef d’équipe et d'administrateur sont reconnues par tous, ses réelles compétences en liturgie ont été souvent remises en cause.

C'est ainsi que le R.P. Tommasi[12] explique que le cardinal Antonelli « regretta avoir recommandé Bugnini, pas pour son manque de connaissances mais pour son inaptitude théologique profonde ». Or la liturgie est l'expression de la Foi. Parmi les critiques majeures faites à Annibale Bugnini, sont retenus au passif sa volonté de faciliter à tout prix la compréhension immédiate par la simplification drastique des rites, ses choix « archéologisants » qui «  constituent une rupture radicale avec la tradition manuscrite de l’Eglise, Orient compris »[13] et sa volonté d'« acculturation » de la liturgie qui entraine la perte du sens universel de la liturgie.

Des prélats qui furent proches collaborateurs de Mgr Bugnini en son temps, et qui ont, eux, fait leur chemin depuis, ont une vision beaucoup plus bienveillante.

Ainsi, pour l'un des liturgistes aujourd'hui les plus influent de l'Église, puisque maître des cérémonies pontificales, Piero Marini, Mgr Bugnini, dont il fut le secrétaire à l'époque du Consilium, est l'un des plus éminent liturgiste du XXe siècle. Pour Mgr Martimort, qui fut lui aussi longtemps associé à Mgr Bugnini au sein du Consilium et de la Congrégation pour le Culte Divin, « la réforme liturgique exige aussi notre fidélité à en sauvegarder l'esprit », et il invite à « prier pour celui dont l'idéal a été de servir l'Église. » [14]. Mgr Piero Marini a été remplacé par Mgr Guido Marini à la fonction de maître des cérémonies pontificales en 2007.

[modifier] Annexes

[modifier] Notes et références

  1. Cité par Andrea Tornielli, "In Search of Babel", 30-Days, No. 6, 1992, p. 41.
  2. Crown of Thorns du Card. John Heenan
  3. A. Bugnini La réforme liturgique
  4. A. Bugnini La réforme liturgique
  5. in Die heilige Liturgie, Steyr, Austria, Ennsthaler Verlag, 1997).
  6. Crown of Thorns du Card. John Heenan
  7. Comme l'atteste l'ensemble de l'ouvrage qu'il a consacré à son oeuvre, "La Riforma liturgica", réf. ci-dessous
  8. N. Giampietro, Il card. Antonelli e gli sviluppi della riforma liturgica dal 48 al 70, Studia Anselmiana, Roma pp. 257 ss
  9. Inter oecumenici, 26 septembre 1964 ; Tres abhinc annos, 4 mai 1967
  10. La Réforme Liturgique, pp.
  11. Mgr Bugnigni sur Catholic-Hierarchy
  12. Père Romano Tommasi « Liturgie postconciliaire : faits et contradictions » sur le site de la revue Catholica
  13. Père Romano Tommasi « Liturgie postconciliaire : faits et contradictions » sur le site de la revue Catholica
  14. L'histoire de la réforme liturgique à travers le témoignage de Mgr Bugnini par Mgr Martimort, sur le site Sacrosanctum Concilium

[modifier] Bibliographie

  • Annibale Bugnini, La riforma liturgica (1948-1975). Nuova edizione riveduta e arricchita di note e di supplementi per una lettura analitica. Rome 1997 (BEL.S 30) [1ère éd. en 1983, trad. all. 1988].
  • Nicola Gianpetro, Il cardinale Ferdinando Antonelli, Rome, Studia Anselmiana, 1998.
  • Pierre Jounel & Reiner Kaczynski & Gottardo Pasqualetti. Roma 1982 (eds): Liturgia opera divina e umana. Studi sulla riforma liturgica offerti a S. E. Mons. Annibale Bugnini in occasione del suo 70o compleanno. Roma 1982 (BEL.S 26).
  • Aimé-Georges Martimort, L’histoire de la réforme liturgique à travers le témoignage de Mgr Annibale Bugnini, in : La Maison-Dieu n° 162 (1985) p. 125-155.
  • Pierre-Marie Gy, Trois liturgistes: B. Botte, J. A. Jungmann, A. Bugnini, in: La Liturgie dans l'histoire. Paris 1990 (coll. Liturgie) p. 301-319.

[modifier] Liens