Analyse des logiques subjectives

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L'analyse des logiques subjectives est une méthode d’analyse des mots (lexèmes) d’un texte parlé ou écrit (notamment les métaphores), inspirée par la psychanalyse, qui permet, sans recourir au non-verbal (intonations, gestes, mimiques), d’avoir une idée de la personnalité de l’auteur et de ceux qu’il peut espérer persuader ou séduire.

Sommaire

[modifier] Définition et présentation sommaire de l’Analyse des Logiques Subjectives (ALS)

[modifier] Définition rapide de l’Analyse des Logiques Subjectives

L'A.L.S. est une méthode d’analyse des mots (lexèmes) d’un texte parlé ou écrit, inspirée par la psychanalyse, qui permet, sans recourir au non-verbal (intonations, gestes, mimiques), d’avoir une idée de la personnalité de l’auteur et de ceux qu’il peut espérer persuader ou séduire. N’analyser que les mots offre l’avantage de pouvoir utiliser des textes anonymes (publicités, slogans) ou signés (journaux, œuvres littéraires) dont les effets (sympathie, antipathie, indifférence pour l’auteur indépendamment du contenu) se font sentir sur le lecteur même s’il ne connaît pas l’auteur (qui peut être à distance dans le temps et/ou l’espace). Ainsi, commente D. Coste pour Baudelaire (Baudelaire, 1993, pp. 34-35) :

« Quatre lecteurs différents veillent aux portes des Fleurs du mal… Tous ces lecteurs se définissent… par les rapports de similarité ou de dissimilarité qu'ils entretiennent avec le locuteur [Baudelaire] avant de lire. [Par exemple] le lecteur potentiel [le second des quatre], « sobre et naïf homme de bien » est l'exact opposé du locuteur [Baudelaire], jardinier du mal ».

On prend en compte le sens des mots, et ce non pas globalement (contenu, thèmes, notions) mais en le décomposant en atomes de sens le plus élémentaires possible, ce qui permettra de trouver des tendances générales, des invariants subjectifs indépendants du sujet abordé dans le texte considéré.

[modifier] Présentation sommaire de l'A.L.S.

[modifier] Les séries (définition en extension)

Il existe dans une langue comme le français des sous-langues subjectives (les « parlers ») qui, bien que différentes, se comprennent tant bien que mal en se retraduisant l’une dans l’autre. Ces parlers sont des combinaisons de mots simples ou complexes affectés d’une valeur positive ou négative.

  • Les mots simples (« atomes » de sens) sont toujours des adjectifs exprimant des propriétés simples (ouvert/fermé, nouveau/ancien), distribués dans deux listes d’opposés, les séries :
    • La série « A » concerne l’extérieur, le changement, le désordre, la destruction de l’ancien. Elle se compose d’adjectifs simples comme : ouvert, souple, varié, changeant, nouveau, libre…
    • La série « B » concerne au contraire l’intérieur, le non-changement, l’ordre, la conservation. Elle se compose d’adjectifs simples comme : sérieux, ferme, stable, ancien, solide, durable…
  • Les mots complexes (analogues à des « molécules ») sont des adjectifs complexes, des noms, des verbes et des adverbes dont le sens peut se décomposer en atomes A ou B.
  • Quand ils sont de composition à peu près homogène, on les rattache à la série A (ainsi « papillon » : mobile, léger, rapide, désordonné, éphémère, coloré) ou B (« tortue » : lourde, lente, rigide, couverte, durable). C'est une approximation, car au sens strict seuls les adjectifs simples appartiennent aux séries.
  • S’ils sont de composition mixte ou difficiles à analyser, on les dira respectivement « neutres » (noté « 0 ») ou « indécidables » (noté « ? »).
  • La valeur associée à chaque mot est la résonance favorable ou défavorable qu’a ce mot pour celui qui le dit. Elle peut être positive (« + »), négative (« - »), neutre (« 0 ») ou indécidable (« ? »). Elle peut changer chez un locuteur donné selon les moments ou selon les périodes de la vie.

[modifier] Les points de vue

Ils s’obtiennent en comparant pour chaque mot pertinent d’un texte sa série et sa valeur. Ils peuvent changer, comme la valeur, selon les instants ou selon les âges de la vie.

Le point de vue « extraverti » (désigné par la lettre E) valorise la série A et dévalorise la série B, ce qui peut se noter :

A + = B — = E
Exemple : je suis quelqu’un d’ouvert, je ne suis pas borné

(Dorénavant, pour faciliter leur repérage, les mots A figureront en italique, et les mots B en gras).

Le point de vue « introverti » (désigné par I) valorise la série B et dévalorise la série A, ce qui peut se noter :

B + = A — = I
Exemple : je suis quelqu’un de sérieux, je ne suis pas un plaisantin.

Le point de vue « extraverti » choisira donc ses mots dans la série A pour présenter ce qu’il aime, et dans la série B pour présenter ce qu’il critique, n’aime pas ou même redoute :

joie : mon cœur déborde (A+)
chagrin : j’ai le cœur lourd, serré (B-).

Le point de vue « introverti » choisira au contraire ses mots dans la série B pour présenter ce qu’il aime, et la série A pour présenter ce qu’il critique, n’aime pas ou même redoute :

joie : mon cœur est comblé (B+)
chagrin : ça me fend le cœur, mon cœur saigne (A-)

Conséquences :

Le « même » mot ou la « même » expression peut être valorisé (+) pour le point de vue « extraverti » et dévalorisé (-) pour le point de vue « introverti », et inversement

s'envoyer en l'air (référence : accident) (A-) / s'envoyer en l'air (réf. : plaisir) (A+)
le Viêt Nam, c'est l'enfer (A-) / Get 27 [boisson], c'est l'enfer (A+)

De fait, il ne s’agit pas du « même » mot ou de la « même » expression, mais bel et bien d’homonymes au sens strict (forme commune, emploi différent) sous l'angle de l'A.L.S.

Pour décrire le même type de plaisir, les locuteurs recourent à des mots de séries opposées :

pour les plaisirs de la table : se remplir la panse, s’en mettre plein la lampe, avoir la peau du ventre bien tendue (B+) / s’exploser le ventre, se faire péter la panse (A+)
pour la drogue, le toxicomane peut dire qu’il se défonce (A+)
ou bien qu’il se fixe, se cale (B+)

De même, pour décrire le même type de désagrément :

être pété (A-) / être bourré (B-) (domaine de référence 
l'ivresse),
être fondu (A-) / être givré (B-) (domaine de référence 
la folie),

C’est donc à tort que certains termes ayant même référence et même valeur (+ ou -) sont donnés par les dictionnaires pour synonymes. En fait ils contiennent des atomes opposés, qui renseignent sur le point de vue subjectif de leur émetteur. Ces couples de pseudosynonymes sont utilisés de façon « partiale » par les locuteurs : interviewés sur leur emploi (en réception) ils les donnent souvent pour intercheangeables, mais dans leur parole effective (en production) ils ne les confondent pas. Il s’agit donc pour l'A.L.S. d’homonymes au sens large (référent commun, emploi différent). Cette notion de point de vue « instantané » (valable pour le seul mot qu'on analyse) peut être étendue à l’échelle d’un texte entier, qui présente en général une dominante « I » ou « E », sauf dans le cas du parler « hésitant » décrit ci-dessous.

[modifier] Les parlers

C'est l'extension cette fois à l'échelle d'une vie entière de la notion de point de vue, recoupant la notion empirique de personnalité et la notion psychanalytique d'identification : chacun joue « sa » biographie comme un acteur dit « son » texte, en fait écrit par un autre… (cf. § Genèse des séries et parlers, 3.2.). Les sous-langues subjectives, ou « parlers », recombinent dans le temps (de l’adolescence à la fin de la vie, point expliqué au § Genèse, 3.1) les deux points de vue « I » et « E », ce qui aboutit à :

  1. Un parler « conservateur » (I -> I), correspondant en gros à la personnalité obsessionnelle : « introverti incorruptible », nostalgique du Paradis perdu, qui commence « I » et finit « I ».
  2. Un parler « changement/destruction » (E -> E), correspondant grosso modo à la personnalité hystérique : « extraverti incorrigible », tenté par l'Enfer, qui commence « E » et finit « E ».
  3. Un parler « du progrès » ou « constructeur » (E -> I), sans équivalent séméiologique : « extraverti repenti », transitant par le Purgatoire, qui commence « E » et finit « I ».
  4. Un parler « hésitant » (I ou E, abréviation de l'alternance I -> E -> I -> E etc.), en gros la personnalité phobique : « éternel indécis », oscillant toute sa vie entre « E » et « I ».

[modifier] Les combinaisons de parlers

Il existe un parler « E -> I raté » où le locuteur échoue ou même meurt au moment d'achever le chef-d’œuvre qui rachète son errance antérieure ( « il se tue à la tâche »). Les représentants du parler « hésitant » peuvent « pencher » du côté du parler I -> I ou du parler E -> E : face à une situation angoissante, les premiers (« attentistes ») se tiendront sur leurs gardes, les seconds (« entreprenants ») fonceront quand même, tels des chevaliers « avec peur et reproche » ! Ces dénominations sont empruntées à B. Cathelat (cf. § Validation, 5.2.4.).

L'existence de ces combinaisons montre assez au lecteur suspectant un quelconque schématisme que la liste actuelle des possibilités n’est pas limitative, qu’elle se constitue de façon tâtonnante, sur le terrain, avant de se chercher une explication théorique (elle peut, si besoin est, s’enrichir de nouvelles combinaisons), et que l'adéquation à l’observation est toujours préférée à la combinatoire « aveugle » : à l'expérience, toutes les combinaisons ne se retrouvent pas forcément.

[modifier] Filiations

L’A.L.S. tire son inspiration de certains énoncés radicaux de Jacques Lacan (notamment la théorie des « Quatre Discours ») ; elle les prolonge et les modifie tout en cherchant à les valider par leur mise en relation avec des corpus tirés du discours courant.

Quelle relation entre « nos » parlers et les Quatre Discours de Lacan ?

Ses « mathèmes » (lettres et symboles formalisant l’expérience clinique) décrivent les discours du Maître, de l’Université, de l’Hystérique et de l’Analyste. Mais ils soulèvent certaines critiques : ils n’empêchent pas les interprétations fantaisistes des disciples (or leur but initial était une transmissibilité « intégrale »), et les corrélations avec l'observation clinique sont parfois douteuses (cf. § Applications, 6.1.1).

Refuser ces formules, ambiguës et peut-être prématurées, pour repartir humblement du mot à mot des énoncés, nous a conduit à proposer l’A.L.S. Celle-ci, précisons-le, décrit des parlers ne recoupant qu'en partie les discours de Lacan. Ce « décrochage » n'empêche nullement la compatibilité de l’A.L.S. avec les prémisses lacaniennes, et qu'à nos parlers s'applique par définition ce que Milner dit des quatre discours :

« Plus profondément, on peut souvenir qu'un discours ainsi défini n'est en soi rien d'autre qu'un ensemble de règles de synonymie et de non-synonymie. […] 'dire qu'il y a coupure entre deux discours, c'est seulement dire qu'aucune des propositions de l'un n'est synonyme d'aucune des propositions de l'autre'. […] On en conclura qu'il ne peut y avoir de synonymies — s'il en existe — qu'à l'intérieur d'un même discours et qu'entre discours différents les seules ressemblances possibles relèvent de l'homonymie. » (souligné par nous).

[modifier] Genèse des séries et parlers (Plan à compléter)

Partant du constat qu'il existe des sous-langues différentes, avançons à présent des arguments en faveur de la nature identificatoire et fantasmatique des séries, points de vue et parlers que décrit l'A.L.S.

[modifier] Le terme psychanalytique d'identification

  1. Le premier temps de l'identification
  2. Le deuxième temps
  3. La troisième identification

[modifier] Notre hypothèse

  1. Les adjectifs décrivent l'objet
    1. tel qu'il est jugé par le parent
    2. et tel qu'il devrait être pour rendre possible l' action que le parent veut exercer sur lui
  2. Les verbes décrivent l'attitude du parent
    1. devant l'enfant idéalisé
    2. devant l'enfant non désiré

[modifier] Description approfondie des séries, points de vue et parlers (Plan)

[modifier] Essai de caractérisation linguistique

  1. Les séries d' atomes A et B
  2. Les signifiants complexes ,
  3. Les expressions et locutions figées
  4. Les phrases
  5. Les textes de longueur variable
  6. Les « biographies »

[modifier] Règles et remarques

  1. Toute perception, tout évènement, tout contenu peut être commenté au moins de

deux manières

  1. Règles du « jeu dialogique » : le CONSENSUS, le CONFLIT
  2. Passages d'un point de vue à l'autre : structurels, conjoncturels
  3. Dévalorisation d'un mot « ami » ou valorisation d'un mot « ennemi »
  4. Les « atomes » et molécules » d'une même série sont potentiellement substituables

dans les expressions métaphoriques

[modifier] Validation directe et indirecte, critiques et autocritiques, résultats (Plan)

[modifier] La validation directe de l'A.L.S.

  1. Validation interne des modèles théoriques et des analyses d'experts
  2. Validation externe de ces analyses par la fabrication de simulacres.
  3. Domaine de validité
  4. Résultats : traitement informatique de l'A.L.S.

[modifier] Il existe d'autre part une sorte de « validation indirecte » de l'A.L.S.

  1. Les « mythes » de Lakoff et Johnson
  2. J. Molino
  3. Dans la revue « Intellectica », le linguiste F. Rastier
  4. Le Socio-Styles-Système de B. Cathelat (Cathelat, 1992)
  5. La sémiométrie de Deutsch et Steiner, mise en œuvre par la SOFRES

[modifier] Critiques et autocritiques

  1. Critiques non pertinentes témoignant seulement d'une mauvaise compréhension du modèle
  2. Critiques pertinentes et autocritiques

[modifier] Applications de l'A.L.S.

[modifier] En psychanalyse

L'A.L.S permet une présentation logicisée des descriptions cliniques dans les névroses, et évite ainsi certaines confusions. Par exemple :

  • La notion de parler « I ou E » aide à mieux comprendre pourquoi les phobiques typiques sont à la fois agoraphobes (point de vue I) et claustrophobes (point de vue E).
  • La confusion possible entre discours obsessionnel et discours de l'Université est surmontée grâce à notre terminologie (parler « conservateur » et parler « constructeur »). En effet Lacan tient souvent ces deux désignations pour synonymes. Or la logique du parler « I -> I » (homologue du discours obsessionnel) rend impossible son assimilation au discours universitaire (homologue du parler « E -> I ») : le premier suppose une perfection initiale, une « science infuse », incompatible avec l'acquisition de connaissances nouvelles (l'obsessionnel est « d'une ignorance crasse », et néanmoins pédant) ; le second suppose une perfectibilité secondaire et permet de se « remplir de savoir » pour racheter une jeunesse « folle » et peu studieuse, et acquérir la respectabilité qu'on n'avait pas au départ.

La validation de l'A.L.S permet par contrecoup de contribuer à la validation « en amont » des thèses générales qu'elle présuppose (Lacan, 1966), notamment :

  • Le sujet de l'inconscient représenté dans le langage, « parfaitement accessible au calcul de la conjecture » et relevant de « l'inscription d'une combinatoire dont l'exhaustion serait possible »,
  • La notion fondamentale que « le désir de l'homme, c'est le désir de l'Autre »,
  • La réversibilité du sujet et de l'objet dans le fantasme.

Les « Séries et parlers » peuvent également et surtout être appliqués aux discours des analystes.

Les analystes étant faits de la même « pâte » que leurs patients, le discours analytique ne saurait consister simplement dans leurs dires, souvent fantasmatiques. Pour le caractériser, il est plus facile de procéder par élimination, de dire ce qu'il n'est pas, à mesure qu'on identifie les différents fantasmes.

  • Sur les buts de la « cure » analytique, il peut exister une complicité inconsciente entre l'analyste et son patient dans un fantasme commun, lorsqu'ils partagent le même parler, ce que l'A.L.S. peut détecter. Or de tels fantasmes retentissent sur la pratique et les effets des analyses, qui dans ce cas, au lieu de renvoyer dos à dos toutes les identifications pour tendre vers le désêtre, la destitution subjective (Lacan), reconduisent l'analysant dans un discours névrotique seulement habillé de jargon psychanalytique.
  • Sur la théorie : la littérature analytique fourmille de conceptualisations suspectes, qui prennent parfois pour alibi la « structure de fiction de la vérité ». L'A.L.S. permet, dans cette jungle de productions « analytiques », de faire un premier tri entre les fausses pistes (banalement fantasmatiques) et les hypothèses potentiellement intéressantes (au sens opératoire de Gardin), qui restent alors à démontrer.

Les mêmes raisons qui nous ont dissuadé de travailler sur le texte des séances (productions verbales marquées par l'inconscient et obtenues par la technique d'association libre) valent pour expliquer pourquoi l'A.L.S. ne peut s'appliquer directement à la « cure » psychanalytique. Ainsi les applications de l' A.L.S., méthode née de thèses psychanalytiques, sont-elles pour la plupart extra-psychanalytiques.

[modifier] Dans les sciences du langage

[modifier] En sémantique

Puisqu'il existe des universaux subjectifs, distincts des universaux cognitifs, découlant de la genèse des identifications, et dépassant le style d'un auteur, les langues ou les époques, l'A.L.S. possède un certain potentiel explicatif, voire prédictif dans la sémantique des figures. On le voit dans des synonymies inexplicables cognitivement. Ainsi l'article MORFLER du Dictionnaire du français non conventionnel (Cellard, 1980) indique :

« (1) recevoir (des coups, une balle) : de la série Morfiler, « manger », par passage métaphorique à « prendre » (cf. déguster). (2) parler, avouer, dénoncer : sens incompréhensible. Il doit s'agir d'une confusion entre Morfler et Moufter (parler) ».

Or on peut, sans invoquer la confusion, décrire grâce aux séries les deux sens de MORFLER : il existe un paradigme « (passer / se mettre) à table », « manger le morceau », attestant que l'argot, langue de rejetés donc « extravertie », désigne souvent la trahison par des termes empruntés à la série adverse, ce qui est le cas de MANGER et de ses synonymes, dont MORF(I)LER.

Autre exemple : la déformation d'expressions figées, souvent attribuée à une méconnaissance de l'étymologie : « faire des coupes claires » devient « faire des coupes sombres ». Certes il y a oubli de l'étymologie, mais cette substitution, non quelconque, peut s'expliquer par une règle d' « accord des séries » : le parler extraverti tend à remplacer clair (A+) par sombre (B-), qui « va mieux » avec couper (B-).

Formes potentielles à pouvoir prédictif :

  • Notre « grammaire potentielle » est « amenée à assigner à la langue des limites qui ne sont pas celles de l'attesté, mais celles du “possible à dire”, et à y inclure des emplois qui font l'objet de prédictions ». Lorsqu'un trait élémentaire ou un mot complexe ne sont pas utilisés actuellement par une langue donnée, ils peuvent l'avoir été à une autre époque, ou l'être actuellement dans une autre langue. Par exemple « je suis bleu » ne se dit pas en français, alors que l'anglais dit « I feel blue » (j'ai le cafard) et l'allemand « Ich bin blau » (je suis rond ou bourré), triste et rond appartenant tous deux à la série B.
  • Les années récentes ont vu l'apparition de « s'allumer » et « se déchirer » comme équivalents de « s'éclater », et la liste semble devoir s'étendre encore des verbes de la série A promis à cet usage.

[modifier] En rhétorique et en argumentation

Chacun est fait par son parent l'avocat d'un type d'identification, donc est voué à une sorte de plaidoyer lexical. Entendre « son » parler ou le parler adverse entraîne adhésion ou opposition, consensus ou conflit. Les séries sont donc des réserves d'éléments métaphoriques à valeur argumentative, où l'on puise pour argumenter sans recourir au raisonnement.

Le malentendu étant la chose du monde la mieux partagée, l'A.L.S. a des retombées dans le domaine de la négociation. Elle permet d'expliciter et parfois de résoudre les malentendus générateurs soit de conflits (cf. § Règles du « jeu dialogique », 4.2.2.) soit de faux consensus destinés à se briser.

[modifier] En poésie et littérature

Baudelaire (1993) déclarait (Salon de 1859) :

« Les rhétoriques et les prosodies ne sont pas des tyrannies inventées arbitrairement, mais une collection de règles réclamées par l'organisation même de l'être spirituel ».

Ces règles de l'organisation subjective interviennent et dans la composition et dans la réception du texte littéraire. L'A.L.S. ajoute une dimension aux analyses classiques ou modernes. Indépendamment de la singularité poétique (singularité du poète par sa biographie, singularité du poème par sa place dans l'œuvre et par son caractère unique), elle recherche :

  • le dénominateur commun à l'auteur, à ses continuateurs (d'autres « poètes maudits » par exemple) et à ses lecteurs : qui l'apprécie, qui le rejette, et dans quels termes (les réseaux de complicité). Une étude sur Les Fleurs du Mal de Baudelaire, à paraître, montre la fiabilité de notre approche.
  • la constance ou la variation de son « point de vue » au cours de sa vie. Ainsi Aragon (1977) passe-t-il du point de vue E au point de vue I, comme le montrent les préfaces opposées de 1924 et de 1964 du Libertinage, à la différence de Paul Nizan qui reste dans le parler E ® E.

[modifier] Dans les traductions

On sait tenir compte du niveau de langue des termes à traduire, et rendre selon le cas l'expression originale soit par « perdre la raison », soit par « devenir fou », soit par « péter les plombs ». Mais il est peu probable qu'on distingue, au même niveau de langue, entre « fondu » et « givré » ou entre « y passer » et « y rester » (pseudosynonymes). De ce fait le lecteur sera privé d'une information capitale portant sur la personnalité de l'auteur (autobiographie), ou sur la psychologie du personnage.

[modifier] Dans les sciences humaines en général

Brunetto Latini écrivait au Moyen Âge (Le Livre du Trésor) :

« Tuilles [Marcus Tullius Cicéron] dit que la plus haute science de cités gouverner, c'est rhétorique, c'est-à-dire la science du parler ; car si parlure ne fût, cité ne serait, ni nul établissement de justice ni d'humaine compagnie ».

Lakoff (1985) et Johnson précisent : « Les métaphores peuvent créer des réalités, en particulier des réalités sociales », et J. Molino (1979b) : « La métaphore, au moment où les linguistes en redécouvrent l'importance, apparaît donc comme un instrument stratégique d'analyse de la culture… Mais si la métaphore est nécessaire pour l'interprétation des cultures, ne serait-elle pas en même temps un de ses ingrédients essentiels ? ».

Pour nous, suivant en cela Lacan, la métaphore est constitutive du fantasme, et les institutions (qui reposent sur des dires ou des textes), les réalités sociales et les cultures ne sont que des aspects du texte subjectif ou réalité psychique qui résulte de notre condition d'êtres parlants. Aussi peut-on et doit-on, sous peine d'échec, aborder l'étude de l'« humain » sous l'angle de la parole. L'A.L.S. peut, parmi d'autres méthodes, contribuer à la critique des explications psychologiques, sociologiques, économiques, politiques, philosophiques, ou même pseudo-psychanalytiques du malaise dans la civilisation : apprendre à poser les problèmes correctement, c'est-à-dire dans toute « théorie » rechercher le fantasme, s'impose avant de commencer à chercher des solutions. Car le locuteur que nous décrivons comme le simple porte-parole d'une identification débarrassée de ses singularités n'est plus ni le sujet individuel de la psychologie, ni le sujet collectif de la sociologie : « ça parle », il n'y a pas d'auteur, qu'il soit unique ou multiple, aux parlers et à leurs effets.

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à suivre ...

En attendant, on pourra trouver sur le site de la revue électronique Marges Linguistiques (http://www.marges-linguistiques.com) dans le n° 8, sur le thème Linguistique et psychanalyse, l'article complet sur l'A.L.S d'où est tiré cet extrait. Il est intitulé Linguistique et psychanalyse : pour une approche logiciste, et se trouve à l'adresse ci-dessous :

[modifier] Lien externe

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie :

  • Arrivé (M.). 1994. Langage et psychanalyse, linguistique et inconscient. Paris : P.U.F.
  • Berrendonner (A.), Le Guern (M.) & Puech (G.). 1983. Principes de grammaire polylectale. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.
  • Cathelat (B.) & Cathelat (M.). 1992. Panorama des styles de vie 1960-90. Paris : Les Éditions d’organisation.
  • Danlos (L.). 1981. « La morphosyntaxe des expressions figées ». in : Langages, 63, Septembre.
  • Danlos (L.). 1985. Génération automatique de textes en langue naturelle. Paris : Masson.
  • Dumarsais (C.). 1730. Des tropes ou des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Paris : Broca. Réédition présentée, commentée et annotée par Françoise
  • Douay, F. (1988). Paris : Flammarion.
  • Ducrot (O.). 1984. Les échelles argumentatives. Paris : Les Éditions de Minuit.
  • Dupriez (B.). 1984. Gradus, les procédés littéraires. Paris : 10/18.
  • Gardes-Tamine (J.). 1996. La rhétorique. Paris : Armand Colin.
  • Gardin (J.-C.) & Molino (J.). 1987. La logique du plausible, essais d'épistémologie pratique en sciences humaines. Paris : Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme.
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  • Lakoff, G., Johnson, M. (1985). Les métaphores dans la vie quotidienne. Paris : Les Éditions de Minuit.
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  • Milner (J.-C.). 1995b. L’Œuvre claire. Paris : Seuil.
  • Milner (J.-C.). 2002. Le périple structural, figures et paradigme. Paris : Seuil.
  • Molino (J.). 1979a. « Métaphores, modèles et analogies dans les sciences ». in : Langages, 54.
  • Molino (J.). 1979b. « Anthropologie et métaphore ». in : Langages, 54.
  • Molino (J.), Soublin (F.) & Tamine (J.). 1979. « Présentation : problèmes de la métaphore ». in : Langages, 54.
  • Quéau (Ph.). 1986. Eloge de la simulation. Seyssel : Champ Vallon.
  • Rastier (F.). 1987. Sémantique interprétative. Paris : P.U.F.
  • Ronat (M.). 1974. « Énonciation et « grammaire » de l'inconscient ». in : L'Arc, 58, pp. 73-78.
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