Métaphore

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Du grec μεταφορά, metaphorá, au sens propre, transport, c'est-à-dire une transposition de sens. Le procédé de langage dit métaphore relève de la linguistique et de la rhétorique. Une métaphore est une figure de sens (trope, ou métasémème dans la terminologie du Groupe µ), dans lequel un mot qui a habituellement un sens A est utilisé avec un sens B (autrement dit, c'est la substitution d'un trait sémantique par un autre, le sens A n'étant jamais complètement différent du sens B). Cette substitution se fait sur la base de propriétés communes aux deux termes (la métaphore suppose toujours une comparaison implicite). Mais l'intérêt de la métaphore est d'attribuer au sens B certaines nuances, et pas n'importe lesquelles, qui appartiennent au terme A.

On ne confondra pas la métaphore avec la comparaison, où la manœuvre d'association des concepts est explicite (rusé comme un renard), et laisse intact le contenu de chacun des mots.

Sommaire

[modifier] Tentative de clarification

Il est très difficile de distinguer les procédés dits, selon les auteurs, « métaphore » ou « analogie ». Le présent article traite donc la question à un niveau assez général « emploi d’un mot existant pour désigner quelque chose de nouveau ».

[modifier] Métaphore et principe d’économie

Lucien Jerphagnon, dans son Histoire des grandes philosophies (1980) souligne l’importance du principe d’économie pour les philosophes. L’énonciation la plus simple de ce principe étant «il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité»[1].

André Leroi-Gourhan de son côté observe que lorsqu’un ou des hommes créent une nouvelle « machine » il y a apparition simultanée de mots.

Cette création de nouvelle désignation va se faire selon le principe d’économie : si un mot déjà existant peut « représenter » l’élément nouveau, alors il est employé plutôt que de forger un mot nouveau.

La construction d’un « mot pour dire telle chose nouvelle » se fait de manières différentes selon les situations. Avant de considérer la métaphore, voyons son contexte d’évolution.

[modifier] Les procédés autres que la métaphore (bref rappel)

[modifier] Les procédés premiers

Exemple 1 : zip, clash, fouet, gifle, casse, pluie, griffe, craque, ronron, jappe, langue.

Tout ce qui fait du bruit est désigné par un mot dont le son produit par la bouche est proche de ce qui est désigné : onomatopée.

Exemple 2 : boule

Si une chose ressemble à la forme que prend le visage lors de la prononciation du mot alors le mot est utilisé pour la chose.

[modifier] Le procédé « savant »

Exemple : métaphore, analogie, économie, construction, hippopotame.

Deux mots dits « racines » sont mis côte à côte pour en constituer un troisième.

[modifier] Le procédé anthropomorphe

Exemple : « la tête du clou ».

Le clou est créé, au lieu d’inventer un mot ex nihilo, on compare le clou au corps d’un homme et on dit qu’il a une « tête ».

Le même procédé est utilisé lorsque l’on parle des pieds et des bras du fauteuil, de la bouche d’égout, des yeux du bouillon, du nez de l’avion, de l’épaulement d’un relief, de la jambe de force et de la cheville ouvrière.

[modifier] Le procédé zoomorphe

Exemple 1 : « l’aile de l’avion ».

Le mot utilisé est pris parmi les mots disponibles antérieurement pour désigner une « partie » d’être vivant. Les mots ouïes, écailles, bec, plume, corne, queue, sabot, etc. sont utilisés pour désigner toute une palette de créations humaines.

Exemple 2 : l’espadon

C’est le procédé inverse. Un espadon est d’abord une grande épée – spada – avant de désigner le bec d’un poisson.

[modifier] Dire l’abstrait avec un mot concret

La définition restrictive de la métaphore est « Dire l’abstrait avec un mot concret ».

Exemple : il a balayé les arguments de l’adversaire.

De même que dans les procédés décrits ci-avant, il y a deux termes dans une métaphore.

Il y a le terme qui existe avant. Julian Jaynes propose de désigner ce qualificateur par le terme de « métapheur ». Il correspond plus ou moins bien au degré conçu du Groupe µ.

A un moment donné, un être humain veut désigner une action ou l’effet abstrait d’une action qui, jusqu’alors, n’avait pas été désigné.

Le principe d’économie est utilisé qui lui fait chercher un mot déjà existant qui représente suffisamment les qualités de la chose à qualifier. Julian Jaynes nomme cet élément à qualifier « métaphrande ». Il correspond plus ou moins bien au degré perçu du Groupe µ.

Dans notre exemple, le métapheur « se servir d’un balai » est utilisé pour désigner le métaphrande «faire que les arguments disparaissent, soient éliminés ».

On voit immédiatement qu’on ne peut pas désigner le métaphrande autrement que par un métapheur (briser, détruire, éliminer, etc. les arguments).

Dans cet exemple, les métapheurs font partie de deux groupes avec des gradients de violence croisants : balayer, briser, détruire, éliminer. On passe de l’activité domestique du nettoyage à l’activité criminelle.

[modifier] Les ensembles cohérents de métapheurs

On observe des ensembles cohérents de métapheurs dans la description d’une théorie scientifique, dans la description d’un système technique abstrait, etc.

Exemple 1 : « réseau » « toile » « net » « web » « Dreamweaver »

Ces métapheurs sont tous dans le même champ d’activité humaine « primitive » du tissage ou du nouage de filets. Les qualités des métaphrandes désignés (les ordinateurs et les câbles qui les relient) sont d’être comme « noués, tissés, tressés ». Grâce à cette guipe physique, les internautes « tissent des liens » économiques, politiques, amoureux, etc.. Comme tout jeu de métapheurs, celui-ci connaît des limites de sa capacité à exprimer ce qui se passe. Il faut donc d’autres métapheurs.

Exemple 2 Pour les francophones en particulier, la toile devient un océan porteur d’internautes qui utilisent un logiciel navigateur. Pour les anglophones, la toile devient une prairie : le logiciel que nous venons d’évoquer est un brouteur (browser).

Exemple 3 : Notre entreprise est une équipe gagnante qui a le vent en poupe pour emporter le challenge. Le nouveau directeur a pris le relais. Il a défini les nouvelles cibles. Les équipes sont dans les starting blocks.

L’auteur nous amène sur le terrain-métapheur sportif pour décrire le métaphrande-entreprise au travail.

Pour Dr. Jacob Bronowski, Mathématicien de haut niveau, les mathématiques représentent la plus colossale métaphore imaginable.

  • "[…] Dr. J. Bronowski among others has pointed out that mathematics, which most of us see as the most factual of all sciences, constitutes the most colossal metaphor imaginable, and must be judged, aesthetically as well as intellectually, in terms of the success of this metaphor.” (Norbert Wiener, “The Human use of Human Beings. Cybernetics and Society”, p. 129, Avon Books, New York, 1971).

[modifier] Rhétorique

La métaphore est une figure de style implicite. Elle a souvent été décrite comme une comparaison sans outil de comparaison. Mais c'est une erreur : alors que la comparaison établit un rapport rationnel entre deux ensembles sémantiques qu'elle laisse intacts, la métaphore induit une correspondance inédite impossible dans la réalité. Ainsi, la métaphore remplace un mot A par un mot (ou une courte expression) B :

  • A et B ont un point commun.
  • mais A n'est pas explicité (A a disparu : il est remplacé par B).
  • le point commun entre A et B n'est pas explicité.
  • il n'y a aucun mot-outil signalant la comparaison.

La métaphore n'est donc pas toujours immédiatement compréhensible : le lecteur doit deviner la relation que l'auteur a établie ; du coup, le lecteur découvre la manière de voir de l'auteur. La métaphore joue avec le langage et c’est grâce à un effort d’interprétation que le lecteur perçoit une ressemblance entre ses deux termes. Par exemple, dans la phrase suivante de Norge : « L’aurore est un cheval (qui s’ébrouant, chasse au loin les corneilles) », l’aurore et le cheval sont respectivement le comparé et le comparant.

[modifier] Les deux fois deux formes de la métaphore

  • La métaphore in præsentia, ou métaphore annoncée. Elle est caractérisée par le fait que les deux termes sont présents dans l’énoncé ; le comparé et le comparant, sont liés grammaticalement.

Exemple: “Je me suis baigné dans le poème de la mer” (Arthur Rimbaud).

  • La métaphore in absentia ou métaphore directe. Le comparé n'est pas manifesté explicitement dans l'énoncé (et de ce fait le passage d’une réalité à l’autre n’est pas formulé directement).

Exemples : “Et les thermomètres eux-mêmes regagnaient l’ombre en couinant”, "le manteau noir couvert de diamants" ou “des mains frisées couraient de toutes parts sur la neige”.

On peut parler dans ces deux cas de métaphore ponctuelle : l'extension textuelle de cette dernière est celle du mot ou de la locution. La métaphore filée s'oppose à la métaphore ponctuelle en ceci qu'elle développée au long d'un énoncé (syntagme, membre de phrase, voire texte entier) ; c'est donc un enchaînement de métaphores (soit in præsentia soit in absentia) engendrées par une métaphore principale. Exemple : « La mer démontée secouait furieusement les noires collines » ("les noires collines" : les vagues aux couleurs sombres illustre l'aspect noir des collines).

Quand une métaphore passe dans le langage courant, on parle de métaphore figée, qui est une catachrèse. Le mot ou l'expression prend alors un sens nouveau, la métaphore est lexicalisée. Ainsi trouvera-t-on dans le dictionnaire la définition du "pied" d'un meuble ou de l'"aile" d'un avion.

[modifier] La métaphore, loi du langage de l'inconscient

Pour Lacan, le signifiant prime sur le signifié. Ce franchissement de la barre entre signifié et signifiant se ferait pour lui par le jeu des signifiants entre eux, chez chaque individu, avec un glissement incessant du signifié sous le signifiant qui s’effectue en psychanalyse par les formules de la métonymie et de la métaphore, qu’il nomme « lois du langage » de l’inconscient. « La langue latine étant la vieille souche, c’était un de ses rejetons qui devait fleurir en Europe ». Cette métaphore d’Antoine Rivarol introduit la seconde figure de style par laquelle Lacan entend le jeu et la fonction des signifiants : « La formule de la métaphore rend compte de la condensation dans l’inconscient ». Un mot pour un autre, un mot concret pour un mot abstrait, un transfert de sens par substitution analogique, telle est la définition de la métaphore, figure de style plus fréquente et plus apte à la poésie. "La racine du mal, l’arbre de la connaissance, la forêt de symboles, le jardin de la paresse, l’écheveau du temps, l’automne des idées", "les fleurs du Mal" de Baudelaire sont des métaphores. Lacan se démarque de la linguistique saussurienne :« l’inconscient ne connaît que les éléments du signifiant », il « est une chaîne de signifiants qui se répète et insiste ». Lacan relève le mode selon lequel l’inconscient opère, ainsi que Freud l’avait décelé par la production de condensations et de déplacements le long des mots « sans tenir compte du signifié ou des limites acoustiques des syllabes ». Dans Entendre les mots qui disent les maux (2006) le docteur Christian Dufour démontre que la métaphore ne peut s'expliquer que par l'existence d'unités signifiantes inconscientes souvent géométriques, aptes à l'analogie.

[modifier] Notes et références

  1. « Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem », attribué à Guillaume d'Occam (cf. rasoir d'Occam)

[modifier] Voir aussi

[modifier] Exemples

[1] Pour d'autres exemples commentés

[modifier] Articles connexes

wikt:

Voir « métaphore » sur le Wiktionnaire.

[modifier] Liens externes

[modifier] Bibliographie

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  • Kerouac M. 2004. La métaphore thérapeutique, ses contes, ses outils. 4e Édition Éditeur Le Germe - ISBN 2-9805157-1-X
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