Allusion

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Voltaire, spécialiste de l’allusion.
Voltaire, spécialiste de l’allusion.

L’allusion est une figure de rhétorique qui consiste à exprimer une idée sans l’articuler en avançant une autre idée à sa place.

L’allusion provoque dans l’esprit un rapprochement rapide entre les personnes, les choses, les époques ou les lieux. Tour à tour au service de la louange et de la satire, l’allusion peut être une flatterie ingénieuse ou un offense perfide ; elle est le plus souvent un agrément littéraire délicat, quelquefois un trait énergique d’éloquence.

Qu’ils soient plaisants ou malveillants, les effets de l’allusion sont empruntés à une foule de sources, à l’histoire, à la mythologie, aux souvenirs littéraires, à des détails de la vie privée. Souvent elle repose sur un jeu de mots tiré soit des noms propres, soit des noms de choses ou sur une équivoque.

L’allusion se retrouve dans tous les genres. Elle prend volontiers pour cadre un madrigal, un bouquet à Chloris, une épigramme. On a beaucoup cité, comme exemple d’allusion flatteuse, le quatrain de Madeleine de Scudéry sur le gout du prince de Condé, prisonnier à Vincennes, pour le jardinage.

En voyant ces œillets qu’un illustre guerrier
Arrose de la main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu’Apollon bâtissait des murailles,
Et ne t’étonne pas que Mars soit jardinier.

Voltaire excellait à mettre des allusions délicates en quelques petits vers. Voici comment il transmet une invitation à dîner chez une dame aimable à l’auteur de l’Art d’aimer :

Au nom du Pinde et de Cythère,
Gentil-Bernard est averti,
Que l’art d’aimer doit samedi
Venir souper chez l’art de plaire.

Le même Voltaire maniait aussi fort bien, en prose comme en vers, l’allusion méchante. Comme on lui demandait comment il avait trouvé une oraison funèbre, il répondit : « Comme l’épée de Charlemagne » et, pour éclaircir l’allusion qui avait le tort d’être obscure, il ajouta : « longue et plate. »

Comme allusion maligne, on peut rappeler le mot de Catherine de Rambouillet au bel esprit Voiture, dont le père était marchand de vin, à propos d’un de ses proverbes : « Celui-là ne vaut rien, percez-nous en d’un autre ».

« De ce train-là, Votre Majesté pourrait arriver pour vêpres en Sicile. »
« De ce train-là, Votre Majesté pourrait arriver pour vêpres en Sicile. »

Un modèle d’allusion historique serait la suivante : Henri IV, luttant de rodomontade avec un ambassadeur espagnol, aurait dit : « S’il me prenait envie de monter à cheval, j’irais avec mon armée déjeuner à Milan, entendre la messe à Rome et dîner à Naples. » L’ambassadeur aurait répondu : « De ce train-là, Votre Majesté pourrait arriver pour vêpres en Sicile. »

Comme exemple d’allusion oratoire, les anciens nous en ont transmis une qui, pour reposer sur un jeu de mots, n’en est pas moins remarquable par la véhémence et l’à-propos. L’orateur Catulus accusait de péculat un Romain qui l’interrompit et, par allusion à la signification de son nom[1], lui cria : « Tu aboies, Catulus ! — Oui, j’aboie, répartit Catulus, mais après les voleurs ! »

On cite ordinairement le genre de la fable, tel que La Fontaine l’a traité comme une mine d’allusions inépuisable : Sire Lion, dame Belette, dom Pourceau, maitre Renard, « gascon, d’autres disent normand », Sa Majesté fourrée le Chat, et tant d’autres personnages du monde des animaux rappelaient par des allusions perpétuelles les acteurs correspondants du monde humain.

La comédie est celui des grands genres littéraires qui se prête le plus volontiers à l’allusion. Lorsque la satire personnelle et directe ne fut plus permise, comme elle l’était au temps d’Aristophane, le poète comique n’eut d’autres moyens d’attaquer les vices ou les travers des individus, qu’en les représentant, sans les nommer, par des traits, sous lesquels chacun les reconnaissait.

Au XVIIe siècle, Molière mettait en scène, dans les Femmes savantes, les pédants de son temps et décochait une foule de méchancetés personnelles contre Ménage, dans la fameuse scène de Vadius et Trissotin. On a prétendu que Tartuffe avait été interdit par le Parlement, après la première représentation, à cause des allusions qu’il contenait contre son président, de Lamoignon. De là le mot adressé, dit-on, par l’auteur au public accouru au théâtre le jour ou l’on devait donner la pièce pour la seconde fois : « M. le président ne veut pas qu’on le joue. » En fait d’allusions. Tartuffe en contenait une célèbre à la louange de Louis XIV et qui fut, bien des fois, accueillie ironiquement par le parterre :

Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude.
Illustration des Fables de La Fontaine.
Illustration des Fables de La Fontaine.

La nature même de l’allusion la rend évasive et la fait quelquefois échapper à l’intention, comme lorsque la censure établie pour les pièces de théâtre faisait une guerre impitoyable aux allusions, en supposant souvent qui n’étaient pas dans la pensée du dramaturge et exigeant de lui des suppressions ou des modifications ridicules tandis qu’elle laissait passer comme inoffensifs des traits que la malice que mettait le public à les relever rendaient très acérés.

Les allusions satiriques fleurissent surtout dans les milieux privés de la liberté de parler et d’écrire. Elles sont l’arme acérée des hommes d’esprit et souvent de courage qui parviennent quand même à exprimer ce qu’il est défendu de dire.

La littérature du premier et du second Empire, en France, a fait usage de l’allusion, dans les journaux et dans le livre, comme du seul moyen laissé à l’opposition pour se faire jour. Quelques-uns des écrivains du monde académique, comme Villemain et plus tard Prévost-Paradol, ont même obtenu, par ce moyen, un succès très désagréable au gouvernement impérial.

L’inconvénient des allusions, surtout dans les polémiques et dans la satire, est de perdre presque tout leur mérite avec le temps. Elles rappellent des actions qui sont oubliées et les plus fines méchancetés perdent leur sens avec la disparition des hommes contre lesquels elles sont dirigées. Les œuvres semées d’allusions qui subsistent sont celles qui portent en elle des qualités indépendantes des circonstances de temps et de personnes, comme les Femmes savantes, qu’on continue de goûter, lors même que les allusions nous en échappent. On a prétendu que les Caractères de La Bruyère contenaient une foule d’allusions ; des érudits en ont souligné tous les détails, signalé des noms propres sous tous les portraits de fantaisie, s’imaginant en posséder la clef. Vraie ou non, l’interprétation des allusions est très secondaire à côté des beautés de langue, des mérites d’observation et de pensée qui font du livre de ce moraliste un tableau vivant de la nature humaine, quels que soient les contemporains inconnus ou oubliés qui en ont fourni les traits. Cette appréciation vaut également pour les Épigrammes de Martial.

[modifier] Notes

  1. Catulus signifie petit chien en latin.

[modifier] Source

  • Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 70-1