Ali Pacha de Janina

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Ali Pacha
Ali Pacha

Ali Pacha de Janina (1741 ou 1744 - 1822) fut le gouverneur de la région de l'Épire pour le compte de l'Empire ottoman. Il tenta de se rendre indépendant au début du XIXe siècle.

[modifier] Biographie

Il naquit à Tepelen, petite ville du Sud de l'Albanie.

De nombreuses légendes entourent son histoire. Il fut d'ailleurs le premier à les diffuser, voire à les inventer afin d'accroître la terreur qu'il inspirait. Ali Pacha lui-même avait conté ses exploits au Consul de France aux Îles Ioniennes, Julien Bessières. Ses histoires ont été ensuite reprises et amplifiées par Alexandre Dumas pour sa collection de nouvelles Les Crimes célèbres. La fin d'Ali Pacha apparaît aussi de façon romancée dans Le Comte de Monte-Cristo.

Son grand-père Mouktar serait mort, les armes à la main, lors de l'expédition des Turcs contre Corfou en 1716. On sait que la mort de son père, Véli, ruina en grande partie la famille. Ali aurait alors rejoint une bande de brigands qui se réclamaient klephtes. On lui attribue divers exploits jusqu'à son arrestation par le Pacha de Berat. Il réussit cependant à échapper à tout châtiment en entrant au service de celui-ci. Il semblerait que le Pacha de Berat ait refusé d'accepter Ali de Tepelen comme gendre. Celui-ci passa alors au service d'un ennemi du Pacha de Berat, le Pacha de Delvino. Ali épousa une fille de ce dernier. Elle lui donna deux fils qui ont survécu jusqu'à l'âge d'homme : Mouktar et Véli.
Il ne tarda pas à intriguer contre son beau-père et le dénonça auprès de la Porte. Il espérait, après l'exécution de celui-ci, hériter de son pachalik. Ce ne fut pas le cas, mais, vers 1787, Constantinople nomma Ali de Tepelen dervendgi-pacha, ou grand prévôt des routes pour toute la Thessalie. Il eut le droit de lever quatre mille hommes pour lutter contre les bandits albanais ou chrétiens. Ancien bandit lui-même, il en connaissait toutes les habitudes. Ceux qu'il ne fit pas massacrer, il les fit entrer à son service. Le Sultan récompensa une telle réussite et nomma Ali Pacha de Trikala, en Thessalie.

Ali fut alors suffisamment fort pour tourner sans risque ses regards vers le pachalik voisin, celui de Janina dont il ne fit qu'une bouchée. Ce sandjak était dirigé par Mahmoud, un vieux pacha trop faible pour résister à son appétit féroce. La façon dont il s'empara de Janina est une des histoires qu'on lui attribue, ou qu'il s'attribuait. Les bandits qui lui obéissaient lui furent d'une grande aide. Il leur fournit armes et munitions et les lâcha sur les terres de Mahmoud. On n'y parla bientôt plus que de leurs brigandages et des dévastations qu'il occasionnaient. Les impôts ne rentraient plus, quelle que fût la pression exercée par les collecteurs de Mahmoud. Tout avait déjà été pillé par les hommes d'Ali. Le peu qui était soutiré à une population à l'agonie était dérobé sur les chemins empruntés par les collecteurs pour rentrer à Ioannina, ou entre Janina et Istanbul, mais toujours sur le territoire du pachalik non contrôlé par Ali. Le Divan ne pouvait que comparer les situations des deux provinces voisines. D'un côté, un pachalik calme, bien géré et rapportant des sommes considérables, de l'autre, un pachalik en proie à l'agitation et ne produisant plus une piastre. Le Sultan ordonna donc à son vassal Ali d'aller aider son autre vassal Mahmoud. Ali se contenta de faire entrer ses troupes dans Janina. Comme par miracle, les exactions cessèrent. Un ordre d'Ali Pacha avait suffi à faire remonter ses bandits dans leur montagne. Il s'agissait maintenant de convaincre la Porte que la région serait bien mieux gérée si elle était confiée à Ali. Mahmoud lui-même l'aurait suggéré. Ou alors, il ne fut pas très difficile à Ali de convaincre Mahmoud. Ali raconterait que pour donner plus de poids à ses prétentions, il aurait décidé, avec l'accord de Mahmoud qui ne pouvait qu'acquiescer, qu'il fallait consulter la population locale pour savoir si elle voulait être dirigée par l'un ou par l'autre. Ce vote de la population est peut-être une invention qu'Ali Pacha aurait faite pour plaire à M. Bessières. Il espérait une alliance avec Bonaparte au moment où il rencontra le consul français. Il voulut lui faire croire qu'il avait, lui aussi, des idées démocratiques. Ali dit qu'il fit ensuite envoyer le résultat du scrutin à Istanbul et se fit ainsi reconnaître pacha de Jannina. On ne sait pas si un vote a vraiment eu lieu, mais il est certain que s'il a jamais eu lieu, le résultat était favorable à Ali quand il fut envoyé à la Porte. Cette épisode, ou son récit est assez caractéristique des légendes entourant Ali Pacha.

À partir du moment où il gouverna à Janina, Ali de Tepelen devint définitivement Ali Pacha. Son fils aîné, Mouktar, devint Pacha de Trikala. Ali devint alors de plus en plus puissant. Son voisin, le Pacha de Berat, tenta alors de l'affaiblir en suscitant une révolte des Souliotes contre lui. Ali Pacha envoya deux expéditions militaires contre cette confédération armée de tribus albanaises chrétiennes. Toutes les tentatives de pénétrer dans le massif du Souli se soldèrent par des échecs (1792-1793). Il se tourna alors vers Arta qu'il conquit en 1796.
En 1797, Bonaparte s'empara de Venise. Le Traité de Campo-Formio donnait les possessions vénitiennes en Mer Ionienne à la France. Le voisin d'Ali Pacha n'était plus tout à fait le même. Il chercha d'abord à se concilier les bonnes grâces des Français. Mais, en 1798, la campagne d'Égypte tendit les relations franco-turque. Ali Pacha crut pouvoir en profiter. Il s'empara de Prévéza et de diverses places du littoral. Il les perdit lorsque l'Empire Ottoman et la France signèrent la paix. Il ne conserva que quelques-uns de ses prisonniers français qui furent chargés d'organiser ses troupes.

Il repartit en guerre contre les Souliotes qu'il réduisit par la faim (1802). Son prestige s'accrut. Il écrasa ensuite une coalition des beys du sud de l'Albanie (1804). En 1809, toute l'Épire, le Sud de l'Albanie, la moitié méridionale de la Macédoine, la plus grande partie de la Livadie (l'ancienne Phocide), l'Acarnanie, le sandjak de Trikala, et les régions d'Arta et de Prévéza lui obéissaient. Il commençait à avoir des vues sur le Péloponnèse. Son second fils Véli obtint d'ailleurs le pachalik de Morée. Ali Pacha gouvernait alors à près de deux millions de sujets et avait une troupe régulière estimée à dix ou douze mille hommes, sans compter tous les irréguliers, bandits et autres qui lui obéissaient.
Il fut alors très courtisé par les puissances européennes qui voyaient en lui un allié potentiel en cas de tentative de conquête d'un Empire ottoman que tout le monde savait moribond. Napoléon avait nommé François Pouqueville consul general auprès d'Ali Pacha en 1806. Quant aux Britanniques, il envoyèrent le colonel d'artillerie William Martin Leake en tant que conseiller ou instructeur militaire entre 1804 et 1810. Leake était aussi chargé de faire des relevés de toutes les fortifications ottomanes. Pouqueville et Leake ont laissé des descriptions détaillées de la région et du gouvernement d'Ali Pacha. Le plus célèbre récit concernant Ali Pacha reste la lettre que Lord Byron envoya à sa mère le 12 novembre 1809. Il venait d'être reçu avec le plus grand respect et la plus grande déférence possible par le Pacha de Janina, preuve que celui-ci cherchait aussi à se concilier les bonnes grâces de l'Occident. Lord Byron ne tarit pas d'éloges sur Ali Pacha dans cette lettre. Il en donne aussi une description détaillée. Ali Pacha mesurait autour d'un mètre soixante-cinq, était gras, mais pas gros. Il avait le visage rond et les yeux bleus.
De ses relations chaleureuses avec les Britanniques, Ali Pacha ne retira finalement que la possession de Parga. La façon dont il s'empara de la ville fait partie des faits avérés qui donnent corps à toutes les histoires rapportant sa cruauté. On fit l'inventaire de la ville qui fut estimée à £500.000. Ali Pacha négocia et fit descendre la somme à £150.000. Il paya et prit ainsi possession d'une ville sur laquelle il avait toujours eu des vues. Les habitants eurent à choisir entre devenir ses sujets ou quitter la ville. Tout appartenant à Ali Pacha, ceux qui partirent ne purent rien emporter. Les morts ayant été oubliés dans l'inventaire, ils furent déterrés et partirent avec les vivants.

Ali Pacha se crut alors assez puissant, et assez soutenu par l'Occident pour tenter d'affirmer son indépendance vis à vis du pouvoir ottoman. Il commit cependant une erreur. Les assassins qu'il avait envoyés contre un de ses ennemis Ismaël Bey, réfugié à Istanbul, échouèrent dans leur tentative. Ils furent arrêtés et reconnurent avoir été envoyés par Ali Pacha. L'un d'entre eux connaissaient les secrets de son maître. Un firman fut envoyé à Ali Pacha le révoquant de ses charges s'il ne venait pas s'expliquer devant le Sultan à Istanbul. Ce voyage ne pouvait avoir qu'une issue pour Ali Pacha : la mort. Il choisit la révolte ouverte. Une partie des bandits à son service étaient des klephtes. C'étaient des patriotes grecs utilisant le brigandage pour lutter pour l'Indépendance grecque, ou des bandits justifiant leurs brigandages par la cause de l'Indépendance grecque. Ali Pacha prit contact avec la Philiki Etairia. Il semblait épouser la cause grecque. Son aide fut décisive au début de la guerre d'indépendance grecque. Il fut mis au courant de tous les projets insurrectionnels et révolutionnaires. Il s'empressa de tout révéler au Sultan afin de rentrer dans ses bonnes grâces. Les Grecs qui avaient d'abord combattu aux côtés de ses troupes l'abandonnèrent alors. Il se retrouva seul face aux soldats ottomans commandés par son ennemi Ismaël Bey, devenu Ismaël Pacha depuis que le Sultan lui avait accordé les terres d'Ali Pacha. Ismaël venait donc conquérir ce qui venait de lui être donné.
Une partie des troupes d'Ali Pacha déserta. Une autre partie passa à Ismaël Pacha, leur commandant Omer Vrioni en tête. Ce qui aurait pu être une campagne difficile se résuma alors au siège de Janina. Bien fortifiée et bien pourvue en stocks alimentaires et en munitions, la ville pouvait tenir longtemps. Ali Pacha résista pendant quelques mois, mais il dut se réfugier dans son palais fortifié sur l'île au milieu du lac de Janina. Il fut alors trahi. Le nouveau commandant des troupes ottomanes, Khursit Pacha, le pacha de Morée depuis la disgrâce du fils Véli Pacha en même temps que la disgrâce du père Ali Pacha, fit croire à un firman de pardon envoyé par le Sultan. Ali Pacha accueillit sans méfiance la délégation chargée de lui apporter le firman. Lorsqu'il comprit la trahison, il se défendit les armes à la main jusqu'à la mort. Sa tête fut ensuite coupée, exposée trois jours à Janina puis envoyée à Istanbul où elle fut à nouveau exposée.