Affaire de la station de métro Charonne

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Inauguration de la place du 8 février 1962, allocution de Bertrand Delanoë, maire de Paris, Paris, France
Inauguration de la place du 8 février 1962, allocution de Bertrand Delanoë, maire de Paris, Paris, France

À l'appel du Parti communiste français et d'autres organisations de gauche, une manifestation est organisée le 8 février 1962, pour dénoncer les agissements de l'OAS ainsi que la guerre d'Algérie. Étant donné le contexte des plus tendus et l'état d'urgence décrété en avril 1961, cette manifestation est interdite. Le préfet donne l'ordre de réprimer cette manifestation. Les manifestants essayant de se réfugier dans la bouche de métro Charonne, qui avait été fermée, huit personnes décèdent étouffées ainsi qu'une neuvième à l'hôpital, des suites de ses blessures.

Sommaire

[modifier] Contexte

Charles de Gaulle est président de la République et Maurice Papon préfet de police, le contexte historique est celui de la guerre d'Algérie, qui dure déjà depuis plusieurs années. Les politiciens de l'époque s'accordent en coulisse sur la nécessité d'accorder à l'Algérie son indépendance. Seule l'OAS y est violemment opposé.

Depuis des mois, les tueurs de l'OAS frappent en toute impunité, multipliant les attentats, entretenant un climat de peur, de violence, espérant enrayer le processus d'indépendance de l'Algérie.

Étant donné le contexte des plus tendus et l'état d'urgence décrété en avril 1961, les manifestations sur la voie publique ont été interdites par arrêté préfectoral.

Le 17 octobre 1961, lors d'une manifestation à l'appel de la fédération de France du FLN, des dizaines d'algériens entre 32 et 325 selon les sources, sont tués à Paris et en banlieue.

Le 7 février 1962, à Paris, en plein après-midi, dix nouvelles charges de plastic secouent la capitale. L'une d'elle blesse grièvement l'écrivain Vladimir Pozner. Un autre, dirigé contre le domicile d'André Malraux, blesse au visage une fillette de 4 ans. Le soir même, une réunion de toutes les organisations [1] syndicales, politiques, étudiantes désireuses de s'opposer à l'OAS, décident d'une manifestation pour le lendemain 8 février 1962, à 18h30, place de la Bastille, dans le but de dénoncer les agissements de l'OAS ainsi que la guerre d'Algérie. Le préfet Maurice Papon donne l'ordre de réprimer cette manifestation, à l'instar de la répression du 17 octobre 1961.

[modifier] Répression

L'un des cortèges, dont la tête se trouvait à la hauteur du 200, boulevard Voltaire, à deux cents mètres au-delà du carrefour Voltaire- Charonne, se dirigeant vers Nation, est chargé par une unité des compagnies spéciales d'intervention de la Préfecture de police au moment où le mot d'ordre de dispersion venait d'être donné et où le cortège commençait à se disperser : « Lorsque les policiers ont chargé, le premier rang des manifestants avait fait demi-tour et regardait en direction de la place Voltaire, car il voulait signifier que la manifestation était terminée et qu'il fallait se disloquer. Ils n'ont donc pu voir arriver les policiers et je les ai vus tomber aussitôt. » [2].

C'est la 31e division, commandée par le commissaire Yser, à qui l'ordre de charger « Dispersez énergiquement »[3] venait d'être donné par la Préfecture . A 19 h 37 [4]. Au même moment, le commissaire Dauvergne, commandant la 61e division, reçoit l'ordre de bloquer le boulevard Voltaire en direction de la place Léon-Blum, de façon à prendre les manifestants en tenaille. Il n'y donc pas d'autres issues possibles pour les manifestants que les petites rues latérales, les portes-cochères des immeubles, où certains parviennent à se réfugier, parfois poursuivis jusqu'au sixième étage par les policiers, ou les bouches du métro Charonne. Une partie des manifestants essaie de se réfugier dans l'une de ces bouches de métro, dont les grilles, selon la version officielle du ministère de l'intérieur, avaient été fermées. En réalité, il est aujourd'hui établi qu'au moment de la charge policière, les grilles de la station de métro étaient ouvertes, que les policiers ont poursuivi les manifestants à l'intérieur des couloirs et sur les quais de la station, comme le prouve le fait que, dans certains cas, les corps aient été évacués par le métro et aient pu être retrouvés dans les stations voisines Rue des Boulets et Voltaire, ce qui explique l'incertitude initiale sur les causes des décès, qui n'ont été établies qu'à l'autopsie.

Dans la bouche du métro, la bousculade provoque la chute de plusieurs personnes sur lesquelles les suivants s'entassent, matraqués par les policiers qui projettent sur eux des grilles d'arbres, ainsi que des grilles d'aération du métro descellées à cet effet : « Il convient de faire état ici du fait rapporté par certains témoins entendus à l'enquête qui ont indiqué avoir assisté à des actes de violence commis par quelques membres des forces de l'ordre et qui apparaissent hautement répréhensibles. Il s'agit notamment du jet d'éléments de grilles de fer, qui normalement sont fixées au pourtour des arbres de l'avenue, et de grilles d'aération du métro, qui régulièrement se trouvent au niveau des trottoirs de la chaussée. Ces pièces métalliques sont très pesantes (40 kg pour les premières, 26 kg pour les secondes). Certains témoins ont déclaré avoir vu des agents lancer des grilles sur les manifestants à l'intérieur de la bouche de métro. Ce fait paraît établi, et il est constant que trois de ces grilles au moins ont été retrouvées après la manifestation au bas des escaliers de la bouche de métro et récupérées là par des employés de la station. » [5].

Ainsi, ce sont bien des « grilles » qui sont à l'origine de certains décès, mais c'est par une singulière métonymie qu'on a cru voir dans ces grilles celles de la station de métro. En réalité, la station de métro n'a été fermée qu'à 20 h 15, en raison de la persistance des gaz lacrymogènes consécutive à l'intervention de la police dans la station. Dans l'immédiat, on dénombre huit victimes ; certaines sont mortes étouffées ; dans d'autres cas, le décès semble dû à des fractures du crâne sous l'effet de coups de matraque ; telle sera encore la cause d'un neuvième décès, intervenu, plusieurs mois plus tard, à l'hôpital, des suites de ces blessures. Toutes les victimes étaient syndiquées à la CGT et, à une exception près, membres du Parti communiste :

  • Jean-Pierre Bernard, 30 ans, dessinateur
  • Fanny Dewerpe[6], 31 ans, secrétaire
  • Daniel Féry, 15 ans, apprenti
  • Anne Godeau, 24 ans, employée PTT
  • Édouard Lemarchand, 41 ans, menuisier
  • Suzanne Martorell, 36 ans, employée à l'Humanité
  • Hippolyte Pina, 58 ans, maçon
  • Raymond Wintgens, 44 ans, typographe
  • Maurice Pochard (décédé à l'hôpital), 48 ans

Plusieurs dizaines (centaines ?) de blessés étant par ailleurs dénombrés.

Suite à cette répression meurtrière, le ministre de l'intérieur de l'époque, Roger Frey, accusa « des groupes organisés de véritables émeutiers, armés de manche de pioche, de boulons, de morceaux de grille, de pavés [d'avoir] attaqué le service d'ordre »[7]. Par la suite, l'UNR accusa des éléments de l'OAS de s'être déguisés en policiers pour charger les manifestants[8]. Le livre d'Alain Dewerpe semble établir que l'idée d'une participation de l'OAS est une affabulation formulée par le gouvernement dans le but de se disculper et repose sur un faux fabriqué par lui, qui a été reconnu comme tel devant la Cour de sûreté de l'État,[9]. Enfin, en 1966, une loi d'amnistie fut votée, celle-ci couvrant la manifestation de 1961 et celle de 1962.

Cependant, la répression soulève une vive émotion : des arrêts de travail sont largement suivis le lendemain et le 13 février, toute activité est interrompue en région parisienne et une foule évaluée à plusieurs centaines de milliers de personnes (un million, selon l'Humanité et Libération, 400 000 selon le Times, 300 à 500 000 selon le Monde et Paris-Jour, ce dernier pourtant favorable au gouvernement, 150 000 selon le Figaro, 125 à 150 000 selon la Préfecture), dans une grande et imposante manifestation de la République au cimetière du Père-Lachaise, rend hommage aux victimes et assiste à leurs obsèques.

Les historiens, comme les contemporains, se sont interrogés sur la signification que revêtait l'événement dans le processus qui devait conduire à la fin de la guerre d'Algérie. Certains ont voulu y voir un gage donné aux milieux d'extrême-droite, très influents dans l'armée et dans la police et affiment le caractère prémédité de l'événement. Ainsi, Jean Daniel, dans l'Express du 15 février 1962, attribue au gouvernement de l'époque un calcul sordide : « Les 8 morts du 8 février auraient servi, assure-t-on, au gouvernement à démontrer à l'armée et à la droite conservatrice que le rempart contre le communisme était assez solidement maintenu par l'État et que la propagande anticommuniste de l'OAS était pure démagogie. » Et l'historien Alain Dewerpe, de conclure : « L'équation finale se résumerait à ceci : le massacre contre le putsch. » [10]. Il qualifie l'événement de « massacre d'Etat »[11]. Au contraire, l'historien Jean-Paul Brunet conclut, dans un livre paru en 2003[réf. nécessaire], à une erreur individuelle d'appréciation de la part du commissaire Yser, explication qui reprend celle donnée par Maurice Papon à son procès où il évoque les événements comme une "malheureuse bousculade"[12]

[modifier] Mémoire

Plaque commémorative dans le métro Charonne.
Plaque commémorative dans le métro Charonne.

Une plaque commémorative de cet événement, à l'intérieur de la station, est fleurie chaque année lors de la date anniversaire par certains syndicats et partis de gauche.

Les victimes de la manifestation sont enterrées dans le cimetière du Père-Lachaise près du mur des fédérés, dans le secteur ou se trouvent les tombes des dirigeants du Parti communiste français.

Place du 8 février 1962
Place du 8 février 1962

Le 8 février 2007, quarante-cinq ans après les faits, le carrefour à l'intersection de la rue de Charonne et du boulevard Voltaire a été nommé place du 8-Février-1962, par Bertrand Delanoë, maire de Paris.

Renaud, dans sa chanson « Hexagone », rappelle cet événement dont il critique l'oubli.

[modifier] Annexes

[modifier] Bibliographie

  • (fr) Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962, Anthropologie d'un massacre d'État, Gallimard, 2006 (compte-rendu dans Esprit)
  • (en) Jim House and Neil MacMaster, Paris 1961: Algerians, State Terror and Memory, Oxford: Oxford University Press, 2006
  • (fr) Jean-Paul Brunet, Charonne. Lumières sur une tragédie, Paris, Flammarion, 2003

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. les Unions départementales CGT de la Seine et Seine-et-Oise, les organisations parisiennes du PCF, de la CFTC, de la FEN, du SNI de Seine-et-Oise, de l'UNEF, du SGEN, du PSU, la Jeunesse communiste, la Jeunesse socialiste unifiée et le Mouvement de la Paix
  2. (Procès verbal d'audition du témoin Chagnon devant la police judiciaire, 14 mars 1962), Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962, Anthropologie d'un massacre d'État, Gallimard, 2006 p. 712
  3. ibid p. 120
  4. Appel du commissaire Yser consigné sur la feuille de trafic radio de l'état-major de la Préfecture : « action »,Ibid p. 121
  5. Ces lignes sont empruntées à la note de synthèse de l'enquête préliminaire de l'information criminelle, rédigée par le procureur de la République, datée du 27 juin 1962 et adressée au procureur général, Ibid, p. 492 et 823, note 87
  6. Mère d'Alain Dewerpe, historien
  7. allocution radiotélévisée du 9 février 1962
  8. ce qui n'est pas une accusation, mais une constatation, nombreux étant les policiers affiliés à cette organisation.
  9. Ibid p. 326-334, p. 497, p. 508-509, p. 530 (voir sous le nom Curutchet à l'index des noms propres pour avoir toutes les références ; nous ne donnons ici que les principales) ; le même auteur produit des documents qui laissent penser que l'ordre d'attaquer cette manifestation absolument pacifique a été donné par le chef de l'État en conseil des ministres (cf. p. 645-646)
  10. Ibid p.281
  11. Le massacre contre le putsch, entretien avec Alain Dewerpe dans la revue Vacarme, n°40, été 2007
  12. Maurice Papon une carrière française dans Le Monde.