Voyage au bout de la nuit

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Voyage au bout de la nuit
Auteur Louis-Ferdinand Céline
Genre Roman
Pays d’origine France
Éditeur Éditions Denoël
Date de parution 1932
Dessinateur Jacques Tardi
Couverture par Jacques Tardi
Nombre de pages 505 (Version poche) & 379 (Version illustrée)
ISBN 2070213048
Collection Folio (Version poche) & Gallimard (Version illustrée)
Suivi par Mort à crédit


Voyage au bout de la nuit est le premier roman de Céline, publié en 1932. Ce livre manque de très peu le prix Goncourt (de deux voix seulement), mais obtient tout de même le prix Renaudot. Il s'inspire principalement de l'expérience personnelle de Céline au travers de son personnage principal Ferdinand Bardamu : Louis-Ferdinand Destouches a participé à la Première Guerre mondiale en 1914. Celle-ci lui a révélé l'absurdité du monde et sa folie, allant même jusqu'à la qualifier « d'abattoir international en folie ». Il expose ainsi ce qui est pour lui la seule façon raisonnable de résister à une telle folie : la lâcheté. Il est hostile à toute forme d'héroïsme, celui-ci même qui va de pair avec la guerre. Pour lui, la guerre ne fait que présenter le monde sous la forme d'un gant, mais un gant que l'on aurait retourné, et dont on verrait l'intérieur. Ce qui amène à la trame fondamentale du livre : la pourriture et sa mise à évidence.

Sommaire

[modifier] Organisation et particularités de l'œuvre

Ce roman peut être qualifié par quelques adjectifs :

  • Antinationaliste : Le patriotisme est, selon Céline, l'une des nombreuses fausses valeurs dans lesquelles l'homme s'égare. Cette notion est visible notamment dans la partie consacrée à la Première Guerre mondiale, au front, puis à l'arrière, là où Céline s'est fait hospitaliser.
  • Anticolonialiste : Ceci est surtout visible lors du voyage de Bardamu, en Afrique. C'est le deuxième aspect du plan idéologique de cette œuvre, et non pas la moindre. Il qualifie le colonialisme de « mal de la même sorte que la Guerre » ; il en condamne donc le principe, l'exploitation sur place des colons, dresse un portrait extrêmement caricatural des occidentaux là-bas.
  • Anticapitaliste : Ceci se repère naturellement dans la partie consacrée aux États-Unis, lors de son voyage à New York, puis à Detroit, principalement au siège des usines automobiles Ford. Il condamne bien évidemment le taylorisme, ce système qui « broie les individus, les réduit à la misère, et nie même leur humanité ». Le regard qu'il porte sur le capitalisme est étroitement lié à celui qu'il porte au colonialisme.

Ce livre est une source de scandale pour les hommes de son époque, car entièrement écrit en langage parlé, voire en argot. L'idée de Céline étant que la langue classique, la langue académique, celle des dictionnaires, est une langue morte. C'est l'un des tout premiers auteurs à agir de la sorte, avec une certaine violence, et ce, dans la totalité de l'œuvre. Par ailleurs le langage parlé présent dans ce roman côtoie le plus-que-parfait dans une langue extrêmement précise : l'utilisation du langage parlé n'est en rien un relâchement de la langue, mais une apparence de relâchement. Le narrateur est en effet plongé dans le monde qu'il décrit, d'où la symbiose apparente de son style avec celui des personnages, appartenant presque tous aux populations des faubourgs parlant argot. Mais en tant que descripteur de l'absurdité du monde, son langage parlé doit aussi être d'une grande précision. Si l'argot, les dislocations et autres thématisations gagnent une noblesse chez Céline, le plus-que-parfait ou le lexique soutenu (certes, cependant)[1] n'en perdent pas en revanche. Ils se côtoient parfois dans la même phrase.

Ce roman se distingue également par son refus total de l'idéalisme : l'idéal et les sentiments, « ça n'est que du mensonge ». La question de Bardamu, et par là même, celle de Céline, est de découvrir ce qu'il appelle : la vérité. Celle qui est biologique, physiologique : celle qui dit que tous les hommes sont mortels, et que l'avenir les conduit vers la décomposition, l'homme n'est considéré que comme de la « pourriture en suspens ». C'est pourquoi cette œuvre peut apparaître totalement désespérée.

[modifier] Aspect unique de l'œuvre

Cet intérêt se manifeste en trois points fondamentaux :

  • C'est un moment unique dans l'histoire de la médecine, notamment par son caractère profondément social et sanitaire.
  • Les évènements sont toujours perçus d'un point de vue médical : la mort rend simplement visible la pourriture qui était latente et cachée jusque-là.
  • Ce roman s'impose comme une « forme de la médecine », l'écrivain se trouve être un chirurgien qui découpe et dissèque l'homme, une personne qui observe « la société humaine » et qui procède à la manière d'un expérimentateur.

[modifier] Rapport entre l'expérience professionnelle de Céline et son œuvre

Il est important de rappeler que ce livre est un roman. Ce n'est pas un témoignage, ni un documentaire, même si celui-ci a une allure autobiographique (rendu apparent par l'utilisation récurrente du je). D'où la célèbre formule de Céline : « Transposer, ou c'est la Mort ». Cependant, Céline s'appuie sur son expérience professionnelle, de médecin, comme chargé de mission auprès de la Société des nations notamment aux États-Unis et en Afrique.

[modifier] Influence de l'expérience médicale de Céline dans le roman

Icône de détail Article détaillé : Louis-Ferdinand Céline.

L'expérience médicale de Céline, se ressent dans plusieurs points, non exhaustifs :

  • Cette expérience commence en 1918, lors d'une mission de propagande pour la protection contre la tuberculose, maladie qu'il rencontrera principalement lors de sa carrière de médecin à Clichy.
  • En 1919, il reprend ses études de médecine pour être officier de santé, il termine en deux ans et demi, des études censées en prendre quatre. Il effectuera son premier stage en gynécologie et obstétrique. Celui-ci occupera une place non négligeable dans le roman.
  • Il fréquente ensuite, en 1923, l'Institut Pasteur (Institut Bioduret, dans le roman) que Céline qualifie de « petite cuisine à microbes », ou encore de « boîte à ordures chaudes ».
  • Céline s'installe finalement à Clichy, en 1927. Il affichera sur sa plaque « Docteur Louis Destouches, médecine générale, maladies des enfants ».
  • Il fera également de nombreuses communications et compte-rendus pour la Société de médecine de Paris, tels que À propos du service sanitaire des usines Ford, ou encore La Santé publique en France.

[modifier] Influence de Semmelweis

Icône de détail Article détaillé : Ignaz Semmelweis.

Ignace Philippe Semmelweis est un médecin hongrois, né en 1817. Jeune médecin, il travaillait dans une maternité dépendante de l'Hospice Général de Vienne, où deux hôpitaux se faisaient concurrence. Les accouchements étaient assurés par les internes (dont Semmelweis faisait partie) d'un côté, et par les sages-femmes, de l'autre. Lorsqu'il commença à pratiquer, Semmelweis se rendit compte que de nombreuses parturientes succombaient de fièvre puerpérale (atteignant parfois le nombre de 40%) lorsque les internes pratiquaient les accouchements. Il eut alors l'idée d'inverser les équipes des deux hôpitaux, afin de déterminer si le lieu d'accouchement était fonction de la mortalité élevée. Son intuition fut juste : Les internes étaient « responsables » des fièvres puerpérales : En effet, ceux-ci allaient disséquer des cadavres (chose indispensable à l'époque pour comprendre et se représenter l'anatomie), et donc avaient sur leurs mains ce que Semmelweis appellera « les particules de la Mort ». Il avait ainsi découvert le principe de la septicémie, et la nécessité de l'asepsie.

Hélas, lorsque le taux de mortalité a été réduit grâce aux pratiques de Semmelweis, les médecins ont prétendu qu'il s'agissait d'un effet du hasard, et sont allés jusqu'à refuser de payer les draps qui auraient pu permettre d'assainir les hôpitaux.

Aussi, Céline va consacrer sa thèse à Semmelweis car il s'identifie à lui, et ce, pour 3 raisons :

  • Semmelweis est un médecin touché par la compassion : il est bouleversé par la souffrance des malades ;
  • L'intuition qu'a eu Semmelweis est une intuition comparable à celle d'un artiste ;
  • La solitude et l'exposition à l'imbécillité du Monde que Semmelweis a dû subir.

Ce sont ces 3 grandes raisons qui ont poussé Céline à travailler de la sorte, et la formation qu'il s'est donné en écrivant une telle thèse a entraîné à l'intérieur du roman toutes les pages qui sont consacrées à la prévention et à l'hygiène.

[modifier] Influence de Freud

Icône de détail Article détaillé : Freud

La première chose que Céline va retenir de Freud est bien entendu la notion d'inconscient, qu'il fera apparaître à l'intérieur du roman, en particulier quand il écrit « Il y a toujours quelque chose qui échappe, et qu'on ne peut pas identifier », ou encore « On s'ennuie, paraît-il, dans le conscient ».

Mais le texte qui a exercé une grande influence sur la pensée de Céline est un article de Freud, au titre évocateur : « Au-delà du principe de plaisir », et qui porte sur les conséquences psychologiques et psychiatriques de la guerre. Or, Voyage au bout de la nuit commence par deux séquences relatives à la Première Guerre mondiale (Au front, puis en arrière). Freud a mené, dans cette étude, ce qu'il appellera « les névroses de guerre », et il analyse en particulier les rêves qui expliquent ces névroses. Ainsi, Freud va mettre en évidence une idée centrale du roman : « La fin vers où tend toute vie est la Mort ». Ce qu'identifie Freud en réalité dans cette article est ce que l'on appelle « les instincts », ou encore « pulsions de mort », et pour Freud (comme pour Céline), c'est la guerre qui a permis de découvrir cette notion paradoxale, puisque les hommes entretiennent une sorte de fascination dont le point de départ est la découverte de la guerre.

Un problème se pose alors : Qu'est-ce que la fascination de la Mort ?


Attention, ceci fait partie de l'ancien article, les informations présentes ci-dessous seront incluses dans l'article final.

Il est surtout connu pour son écriture « moderne » qui a largement influencé la littérature française contemporaine. Il raconte dans ce roman écrit dans l'entre-deux guerres l'épopée d'un jeune homme plutôt naïf qui s'initie à la vie. Entre l'horreur du front et celle non moindre de l'usine, le jeune homme (auquel s'identifie Céline) va perdre toutes ses illusions.

Le destin de Bardamu est dense. Il a vu la Grande Guerre et l'ineptie meurtrière de ses supérieurs dans les tranchées. C'est la fin de son innocence. C'est le point de départ de sa descente sans retour. Il part ensuite pour l'Afrique où le colonialisme est le purgatoire des Européens sans destinée. Pour Bardamu, c'est même l'Enfer et il s'enfuit vers l'Amérique de Ford, du dieu Dollar et des bordels. Bardamu n'aime pas les États-Unis mais c'est peut-être le seul lieu où il fit la rencontre d'un être, Molly, qu'il aima jusqu'au bout de son voyage sans fond. Mais la vocation de Bardamu, ce n'est pas de travailler avec les machines des usines de Detroit, mais de côtoyer la misère humaine, quotidienne et éternelle. Il retourne donc en France pour terminer ses études en médecine et devenir médecin de pauvres.

En 1932, ce roman, le premier de Céline, provoqua de nombreuses et violentes réactions dans le milieu littéraire. Une bataille rangée entre les partisans de Céline et ses détracteurs s'est menée autour de l'attribution du Prix Goncourt. « Tant de grossièretés et d'obscénités le déparent qu'on ne peut en parler qu'avec précaution » (André Thérive, Le Temps, 24 novembre 1932). Finalement, ce sera Les Loups de Guy Mazeline qui le 7 décembre 1932 obtiendra le Prix Goncourt. Louis-Ferdinand Céline obtiendra quant à lui le Prix Renaudot.

Même si le Goncourt lui échappe, Voyage au bout de la nuit rencontrera un très grand succès en librairie. Des critiques prestigieux, même s'ils s'offusquent du vocabulaire employé par Céline, ne peuvent s'empêcher de reconnaître dans ce roman un caractère exceptionnel. « Cet énorme roman est une œuvre considérable, d'une force et d'une ampleur à laquelle ne nous habituent pas les nains si bien frisés de la littérature bourgeoise » (Paul Nizan, L'Humanité, 9 décembre 1932). Plus de 70 ans après sa publication la force, l'impact et le succès de ce roman ne se démentent pas.

[modifier] Références

  1. Jamais utilisé dans les dialogues entre les personnages, mais uniquement par le narrateur.