Rabah

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Rabah (Rabih az-Zubayr ibn Fadl Allah ou Rabih Fadlallah) (vers 1842 - 1900). Seigneur de la guerre au Soudan et trafiquant d'esclaves, il devint sultan du Bornou en Afrique centrale, jusqu'à la conquête du Tchad par les Français.

Sommaire

[modifier] Le lieutenant d'az-Zubayr (1870-1879)

Né à Halfaya al-Muluk (faubourg de Khartoum) vers 1842 dans une famille Hamaj arabo-soudanaise, Rabah servit un temps dans la cavalerie égyptienne irrégulière au cours de la campagne d'Ethiopie, où il fut blessé. Licencié de l'armée dans les années 1860, il devint le principal lieutenant du trafiquant d'esclaves soudanais az-Zubayr Rahma Mansur. Il était réputé pour sa cruauté, car il n'hésitait pas à rouer de coups les esclaves qui refusaient de se soumettre.

Au cours du XIXe siècle la ville de Khartoum était devenue un centre très important du trafic d'esclaves, organisé par des compagnies de « Khartumi » implantant dans le Bahr el-Ghazal des zaribas, ou postes de traite fortifiés et défendus par des soldats-esclaves, les bazingirs. Az-Zubayr Rahma Mansur, seigneur de la guerre marchand d'esclaves, prit le contrôle de ces zaribas et fut nommé en 1872 « pacha », gouverneur du Bahr el-Ghazal, pour le compte du khédive Ismaïl d'Egypte. Rabah, peut-être son parent, était son principal lieutenant.

En 1874 az-Zubayr conquiert le sultanat du Darfour. Parti au Caire en 1876 solliciter du khédive sa confirmation comme gouverneur de sa conquête, il y est retenu prisonnier. Son fils Suleyman se révolte, et Rabah le suit. Le colonel Charles George Gordon (Gordon Pacha, gouverneur général du Soudan anglo-égyptien) nomme Romolo Gessi (Gessi Pacha) gouverneur du Bahr el-Ghazal, et l'envoie mater la rébellion de Suleyman. Battu, ce dernier se rend le 15 juillet 1879, et est exécuté par Gessi. On prétend que Rabah aurait quitté Suleyman la veille de sa reddition, mais au témoignage de Gessi lui-même il s'était replié dès juin, après avoir subi des pertes.

[modifier] Le seigneur de la guerre esclavagiste (1879-1890)

Pour échapper aux Egyptiens, Rabah quitte le Bahr el-Ghazal vers le sud et l'ouest avec 7 à 800 bazingirs dont 400 fusils. Appliquant les méthodes des Khartumi, il se taille dès 1880 un royaume entre les bassins de l'Oubangui et du Nil (pays des Kreich et du Dar Banda, au sud du Ouaddaï, où il fait un véritable désert).

En 1885 il tente de revenir au Soudan à l'invitation du Mahdi Mohammed Ahmed qui avait pris Khartoum aux Égypto-Britanniques. Le Mahdi lui avait envoyé en ambassade Zin el-Abeddin et Jabar, et il les avait suivis jusqu'au Darfour pour rejoindre le Mahdi à Omdurman, mais apprenant qu'on comptait le faire assassiner, il rebroussa chemin.

En 1887 Rabah envahit le Darfour, recrute des bazingirs, s'installe au Dar Kouti, mais échoue contre les troupes du Ouaddaï commandées par l'aguid (représentant du sultan) Salamat Cherif ed-Din). En 1890, il attaque le chef musulman Kobur dans le nord de l'Oubangui-Chari, le dépose et intronise à sa place son neveu Mohammed el-Senoussi, à qui il impose sa suzeraineté. Cette alliance est scellée par le mariage de Khadija, fille de Mohammed el-Senoussi, avec Fadlallah fils de Rabah. Mohammed et Rabah attaqueront ensemble le Dar Runga (théoriquement musulman), les Kreich, les Goula et les Banda Ngao.

[modifier] Premiers affrontements avec la France (1891-1893)

L'alliance de Mohammed el-Senoussi avec Rabah inquiète les puissances coloniales, notamment la France qui souhaite prendre le contrôle de l'Afrique centrale. Mohammed el-Senoussi reste fidèle à Rabah et fait exécuter en 1891 le Français Paul Crampel à Dar Banda. Rabah récupère les armes de cette mission.

Au sud-est du lac Tchad, il attaque ensuite le Baguirmi en 1892, reprochant au Mbang (roi) Gaourang d'avoir accepté le protectorat des infidèles Français. Assiégé pendant 3 à 5 mois dans Manjaffa, Gaourang doit abandonner sa capitale qui est complètement détruite en mars 1893.

[modifier] La conquête du Bornou (1893)

La même année 1893 Rabah se tourne vers le Bornou du shehu (roi) Hashim ibn Omar. Le Bornou était un empire sahélien remontant au Moyen-Âge, qui disposait de 80 000 soldats, essentiellement des esclaves encadrés par des esclaves, mais était alors en plein déclin.

Sur la route du Bornou, Rabah fait prisonnier le sultan de Karnak Logone, dont la cité ouvre ses portes. Hashim, shehu du Bornou, qui n'était pas un guerrier, envoya 15 000 hommes à la rencontre de Rabah. Ce dernier les mit en déroute en mai ou septembre 1893 à Am Hobbio (au sud de Dikoa) puis à Legaroua avec seulement 2000 cavaliers. Hashim s'enfuit au nord du fleuve Komadougou et tenta peut-être de négocier, mais fut assassiné à l'instigation de son neveu Muhammad ibn Abi Bakr al-Amin (surnommé Kiyari) qui prit le pouvoir et décida de combattre. Il marcha contre Rabah depuis Geidam. Rabah rencontra Kiyari à Gashegar, à deux jours de marche de Kouka (aujourd'hui Kukawa), la capitale. Les Bornouans furent vainqueurs et prirent le camp de Rabah. Ce dernier regroupa ses forces, fit donner 100 coups de fouet à tous ses chefs de bannière, y compris à son propre fils Fadlallah pourtant blessé, à l'exception de Boubakar qui avait été un brave. Puis sa contre-offensive fut victorieuse. Kiyari refusa de fuir, fut pris et décapité. Kouka fut pillée et totalement détruite.

Rabah installa sa capitale à Dikoa, et y construisit son palais qui fit plus tard l'admiration du gouverneur français Émile Gentil.

[modifier] Rabah maître du Bornou (1893-1900)

En 1895 Rabah souhaite moderniser son armée et tente pour cela de s'entendre avec la Royal Niger Company britannique à Yola et Ibi, pour obtenir de la poudre et des munitions, mais sans succès. Il se brouilla avec les Britanniques en 1896 et, l'année suivante, commença même à marcher sur Kano, tandis que son vassal Mohammed al-Sanussi fondait une capitale fortifiée, Ndele, entre le Bahr Aouk et l'Oubangui (capitale qu'il conservera jusqu'en 1911).

Rabah fut shehu du Bornou pendant 7 ans, et fit beaucoup pour renforcer ce vieil empire sclérosé qui vivait jusque là avec les mêmes structures féodales qu'au XVIe siècle. Il laissa en place les sultans vassaux, qu'il mit sous la dépendance de ses lieutenants, arabes soudanais comme lui pour la plupart. Il promulgua un code fondé sur la sharia, rationalisa la perception de l'impôt avec la création d'une caisse publique et d'un budget, imposa au Bornou une sorte de dictature militaire qui suscita l'intérêt des puissances coloniales. Émile Gentil détaillera son œuvre au Bornou avec une certaine compréhension : il s'en inspirera plus tard pour organiser le Tchad colonial. Certains le compareront à Napoléon.

On parle de sa dureté (il aurait fait exécuter une concubine parce qu'elle possédait un talisman pour s'assurer de son amour, ainsi que le marabout qui avait déchiffré le talisman), et de ses soirées passées à écouter Ali, le poète qui chantait ses exploits.

Plus sérieusement, Rabah lançait constamment des raids contre ses voisins pour les razzier et rapporter des esclaves : retour à l'activité traditionnelle des sultans du Bornou, déjà décrite en 1526 par Léon l'Africain. On a pu estimer entre 1500 et 2000 le nombre des esclaves exportés chaque année par son vassal Mohammed el-Senoussi, sans compter les morts, les blessés, et les autres pertes ; les chiffres pour Rabah doivent être beaucoup plus importants. Mais il faut dire que les Baguirmiens de Gaourang en faisaient alors tout autant, au grand scandale de leurs alliés français.

[modifier] La France contre Rabah (1899)

Canon de l'armée de Rabah, Musée National Tchadien, Ndjaména
Canon de l'armée de Rabah, Musée National Tchadien, Ndjaména

En 1899 Rabah dispose de 10 000 hommes, fantassins et cavaliers, avec des fusils (pour la plupart démodés, sauf 400 carabines de précision), plus un grand nombre d'auxiliaires équipés d'armes blanches ou d'arcs. Il a des garnisons à Baggara et Karnak Logone (où il a son bureau de renseignements).

En 1899 Rabah reçut à Dikoa l'explorateur-marchand français Ferdinand de Béhagle. Les pourparlers dégénérèrent, et Béhagle fut mis aux fers. Le 17 juillet 1899, le lieutenant Bretonnet qui avait été envoyé par la France contre lui fut tué avec la plupart de ses hommes sur le rocher de Togbao, au bord du Chari. Rabah lui prit trois canons (qui seront repris à Kousséri) et ordonna à son fils Fadlallah, resté à Dikoa, de faire pendre Béhagle.

Rabah fut attaqué une première fois à Kouno à la fin de l'année par la colonne Gentil, remontant du Gabon, appuyée par le vapeur Léon Blot. Pour les Français qui furent repoussés avec des pertes, ce fut un échec, qui ne les empêcha pas de poursuivre, de prendre Kousséri et de faire leur jonction avec les colonnes Lamy (venue d'Algérie) et Joalland-Meynier (venue du Niger après bien des péripéties). Le commandant Lamy prit le commandement de l'ensemble.

[modifier] La bataille de Kousséri (22 avril 1900)

La bataille eut lieu le 22 avril 1900. L'armée française du commandant Lamy comprenait plus de 700 hommes depuis l'arrivée de la colonne Gentil ; leurs alliés baguirmiens compaient au total 600 fusils et 200 cavaliers. Le tata (camp retranché) de Rabah (un carré de 800 m de côté adossé au Chari) était à 6 km en aval de Kousséri, en face du site actuel de Ndjamena. Il fallait ménager les susceptibilités et respecter le partage colonial décidé au Traité de Berlin de 1885 : le camp de Rabah étant en territoire « allemand », Lamy s'adressa à Omar Sanda, héritier légitime du shehu Hashim de Bornou. Ce dernier donna officiellement à Gaourang de Baguirmi et à ses "alliés" toute licence pour chasser Rabah et le rétablir sur le trône.

Sortant de Kousséri les Français formèrent 3 colonnes. A droite, Capitaine Joalland (Mission Afrique Centrale) : 174 fusils, 1 canon de 80 ; au centre (Mission Gentil), Capitaine Robillot : 340 fusils, 2 canons de 80 ; à gauche (Mission Saharienne), Commandant Reibell : 274 fusils, 1 canon de 42.

Lamy attaqua le camp de Rabah sur 3 côtés, ne laissant libre que la berge du Chari. Après deux heures de fusillade et de cannonade on chargea, le tata fut enlevé et évacué par ses défenseurs en fuite. Rabah passa alors à la contre-attaque qui fut dévastatrice : Lamy fut mortellement touché par une balle, avec le capitaine de Cointet. Mais les Sénégalais arrêtèrent Rabah qui, blessé, s'enfuit, tandis que les fuyards qui tentaient de franchir le fleuve étaient fusillés dans le Chari.

Au cours de la poursuite Rabah fut reconnu par un tirailleur de la Mission Afrique Centrale, ancien déserteur de sa propre armée, qui l'acheva d'une balle dans la tête. Apprenant qu'il y avait une prime pour Rabah, il retourna sur le terrain et rapporta sa tête et sa main droite. Rabah fut unanimement identifié. Les Baguirmiens s'acharneront sur ses restes.

Les pertes humaines s'élevèrent à 28 morts et 75 blessés du côté français ; 1000 à 1500 morts et plus de 3000 blessés du côté de Rabah, dont des femmes et des enfants qui accompagnaient l'armée.

Tête de Rabah, trophée d'un tirailleur de la Mission d'Afrique Centrale, au soir du 22 avril 1900. Dessin de Jules Lavée, 1901, d'après photo.
Tête de Rabah, trophée d'un tirailleur de la Mission d'Afrique Centrale, au soir du 22 avril 1900. Dessin de Jules Lavée, 1901, d'après photo.

[modifier] La chute de l'empire de Rabah (1900-1911)

Devant l'avance française, Fadlallah, fils de Rabah, qui était à Karnak Logone, a fui vers Dikoa puis évacué sa capitale que les Français occupèrent. Malgré l'explosion de la poudrière dans le palais de Rabah, ils se lancèrent à la poursuite de Fadlallah qui fut rejoint à Déguemba et dut fuir encore vers les monts Mandara. Il sera tué le 3 août 1901, au cours d'un engagement avec le capitaine Dangeville à Gujba au Nigéria. Mohammed al-Sanussi, quant à lui, sera assassiné à l'instigation des Français en 1911.

[modifier] Ouvrages anciens sur Rabah

Gaston Dujarric, La vie du sultan Rabah, Paris (J. André) 1902

Von Oppenheim, Rabeh und das Tsadseegebiet, Berlin 1902

A. Babikir, L'Empire du Rabih, Paris 1954.

Mission Joalland-Meynier / Octave Meynier - Paris, édition de l'empire français: 1947 (Collection Les grandes missions coloniales) sur la bataille de Kousséri

Autres langues