Réensauvagement

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

La notion de réensauvagement (de l'anglais rewilding) désigne la réimplantation d'espèces animales (le plus souvent de grande taille) disparues depuis plusieurs siècles ou millénaires dans une région donnée (effectuée ou en projet).

Elle se distingue de la « simple » réintroduction d'espèces car elle vise à recréer un écosystème disparu depuis longtemps (et sur lequel les données scientifiques sont assez fragmentaires malgré les progrès de la paléontologie) ; l'idée directrice est de reconstituer les écosystèmes préhistoriques au moyen de la réimplantation de formes proches (ou réputées comme telles) des espèces éteintes (en termes de phylogénie ou d'exigences écologiques).

Ces projets sont financièrement et techniquement difficiles à réaliser (les grandes espèces ne peuvent être réintroduites que dans des pays où l'espace est suffisant et la pression humaine faible), ils peuvent sembler utopiques ou fantaisistes ; toutefois, certains cas (parfois involontaires) ont démontré qu'une espèce pouvait bien s'adapter à un milieu d'où elle avait disparu depuis des millénaires, qu'elle ait été introduite volontairement ou de manière fortuite (par exemple, les chevaux en Amérique du Nord, disparus au début de l'Holocène mais revenus avec succès depuis le XVIe siècle), de sorte que le projet n'est peut-être pas aussi farfelu qu'il n'y paraît.

Sommaire

[modifier] Génèse

La notion de réensauvagement est apparue à la suite des découvertes paléontologiques, et notamment de la preuve d'une extinction massive de grands animaux au début de l'Holocène (particulièrement forte dans les Amériques et en Australie mais constatée aussi sur les autres continents), qui aurait bouleversé les écosystèmes.

Les hypothèses sont encore incertaines : une chasse excessive, un changement climatique brutal, des maladies, ou peut-être une conjonction de ces trois facteurs auraient pu occasionner cette catastrophe écologique.

Selon certains, ces extinctions seraient suspectées d'avoir réduit la biodiversité végétale et animale tout entière, les grands animaux ayant une influence capitale par leur action sur l'écosystème.

A l'heure où de nombreuses grandes espèces (éléphants, rhinocéros, grands félins...) qui ont survécu jusque-là sont de nouveau menacées d'extinction (notamment en Afrique et en Asie du Sud, où elles avaient longtemps été préservées mais sont désormais en danger du fait de la surpopulation et souvent de l'instabilité politique), l'idée est venue de réintroduire certaines d'entre elles (du moins celles qui parviendraient à s'adapter aux climats, à l'espace et à la nourriture disponible) dans des parties du monde où la présence humaine est restée faible : Ouest américain, Sibérie, Patagonie, Afrique du Sud...

Ce projet a été proposé par le zoologue américain Donlan en 2005, dans la revue Nature.

[modifier] Projets

[modifier] Aux États-Unis

Les États-Unis sont un des pays où l'extinction des grands animaux (mammifères le plus souvent) est la mieux documentée ; aussi n'est-il pas étonnant que c'est dans ce pays que le projet est apparu, et a partiellement été enclenché.

Plusieurs espèces ont de ce fait été réintroduites :

  • le Cheval : la famille des chevaux était d'origine nord-américaine, mais elle s'est éteinte de ce continent alors qu'elle se répandait en Eurasie et en Afrique. En débarquant sur le continent américain, les conquistadors avaient réintroduit, sans le savoir, une espèce sur un continent d'où elle avait été éradiquée depuis des millénaires. Les chevaux échappés des élevages, dits mustangs, sont revenus dans les plaines et déserts du continent ; alors qu'ils sont considérés comme des nuisibles par certains, ils ont acquis une popularité certaine (notamment véhiculée par les westerns), et leur présence est encouragée dans certaines réserves ; la popularisation de l'idée du "réensauvagement" a remis ces animaux au goût du jour ;
  • les Chameaux et Dromadaires : ces animaux sont aussi apparus en Amérique du Nord : ils ont connu le même sort que les chevaux. Ils ont localement été réintroduits, parfois dans ce cadre ;
  • la Tortue du Mexique : elle vivait dans le Sud-Ouest des États-Unis jusqu'à -10 000 ans, elle subsiste dans le centre du Mexique où elle est classée comme espèce vulnérable par l'IUCN (bien que ses effectifs progressent grâce aux mesures de protection). Elle présente la particularité de creuser de grands terriers, qui accueillent une riche faune de mammifères et de reptiles, et a été repérée comme une « espèce-parapluie » par les écologistes. 26 spécimens ont été réintroduits en 2006 dans le ranch que le milliardaire Ted Turner a consacré à la conservation d'espèces menacées, et d'autres réintroductions seraient envisagées. Ces mesures pourraient utilement consolider la population de l'espèce (bien que sa protection au Mexique reste prioritaire).

La réintroduction d'autres espèces (souvent de grands prédateurs) est plus controversée, en raison de la cohabitation avec l'homme, le bétail voire les animaux sauvages déjà existants (bisons, cervidés...). Ont notamment été évoquées les espèces suivantes :

  • l'Eléphant d'Asie ;
  • le Lion d'Afrique ;
  • le Guépard (un félin d'aspect proche existait en Amérique du Nord jusqu'au Pleistocène supérieur ; il aurait évolué de manière convergente avec les guépards d'Afrique et d'Asie sans leur être apparenté, de même que ses proies : le Pronghorn est la « gazelle » de l'Amérique);
  • le Jaguar.

D'autres espèces (le plus souvent menacées d'extinction dans leur patrie d'origine) ont été évoquées, sans susciter autant de controverses que les précédentes (mais leur introduction est très hypothétique pour l'heure) :

Enfin, certaines autres espèces font encore partie de la faune locale, leur statut de conservation est variable selon les espèces et les secteurs géographiques :

Il est étonnant de signaler qu'en-dehors de ces projets, diverses espèces de grands mammifères ont d'ores et déjà été introduits dans de grands domaines du Sud-Ouest des États-Unis, souvent pour satisfaire les intérêts de chasseurs excentriques, disposés à payer de fortes sommes pour tuer des animaux rares et spectaculaires. L'intérêt écologique et génétique de ces animaux, qui vivent désormais librement (bien que sous la menace de fusils) n'a pour l'instant pas réellement été évalué.

[modifier] En Russie

La Sibérie orientale a aussi été évoquée comme terre d'élection pour un tel projet, poussé par le scientifique Sergueï Zimov en Yakoutie.

Plusieurs espèces (appartenant le plus souvent à la faune russe) ont été introduites dans une réserve de 160 kilomètres carrés :

D'autres introductions sont en projet :

La liste semble composite mais certaines espèces ont eu des parents proches vivant dans des climats froids aux temps préhistoriques (comme le Lion). Par ailleurs, les Russes ont une expérience notable en zootechnie, ils avaient réussi l'introduction de nombreux ongulés en semi-liberté dans la réserve d'Askanya Nova au temps de l'Union soviétique.

[modifier] En Europe

L'Europe ne dispose pas d'espaces sauvages de grande taille comme les deux continents précédents, mais quelques réserves sont parcourues par de grands ongulés, cousins d'espèces éteintes : le Mouflon, le Bison d'Europe (qui subsiste à l'état sauvage en Pologne et en ex-URSS), l'Aurochs de Heck, le Tarpan voire le Cheval de Przewalski.

L'on y trouve aussi des races rustiques d'animaux domestiques (bovins, moutons, porcins...) très proches des races élevées depuis le Néolithique.

Mais il ne s'agit pas là de "reconstituer" la faune préhistorique, plutôt de permettre l'entretien de certains écosystèmes à peu de frais et sans contraintes majeures, dans des espaces depuis longtemps modifés par l'homme (dans le cadre des civilisations agro-pastorales traditionnelles) ; toutefois, le cas du Cheval de Przewalski est un peu particulier puisqu'il s'agit d'un essai destiné à acclimater les animaux (élevés en zoo depuis des décennies) à des conditions de vie de type « sauvage » en prévision de leur réintroduction en Mongolie, Sibérie et Chine du Nord (en cours).

[modifier] En Amérique du Sud

Le Brésil et l'Argentine sont de bons candidats potentiels pour accueillir une telle expérience : ils comprennent de vastes plaines, une grande diversité climatique (du climat équatorial au climat subpolaire), et... la faune de grands mammifères sauvages y est étonnamment limitée depuis l'extinction des Megatherium, Glyptodon et autres Smilodon, de telle sorte que plusieurs niches écologiques seraient a priori vacantes.

[modifier] Au Japon

Dans les temps préhistoriques, l'île japonaise d'Hokkaïdo accueillait des tigres, qui ont disparu à la fin de la dernière glaciation (mais ont survécu dans l'Extrême-Orient russe, en Corée et en Chine). La réintroduction du tigre au Japon que certains envisagent s'inscrirait dans cette optique, mais aussi dans une stratégie de préservation du Tigre de Sibérie, animal menacé d'extinction, dans un environnement proche de celui qu'il occupe encore sur le continent.

[modifier] Justifications

Selon leurs promoteurs, les projets de "réensauvagement" auraient plusieurs buts :

  • protéger des animaux souvent menacés dans leurs pays d'origine, par la chasse, la destruction de leur habitat et peut-être par les changements climatiques ;
  • favoriser le développement d'une flore qui prospérait il y a quelques dizaines de milliers d'années, mais qui a régressé depuis, peut-être à la suite de l'extinction des grands animaux qui disséminaient leurs graines ;
  • limiter les feux de forêts, la prolifération d'animaux et de plantes envahissants (car dépourvus de prédateur) voire le réchauffement de l'atmosphère (thèse de Sergueï Zimov[1][2]) ;
  • également, favoriser le développement de régions économiquement déprimées (comme le Midwest américain) à travers l'écotourisme.

[modifier] Controverses

Le projet a été critiqué sur plusieurs aspects :

  • dans la plupart des cas, les espèces proposées pour la réintroduction ne correspondent pas exactement aux espèces éteintes : le "réensauvagement" aboutirait à introduire des espèces composites, qui n'ont jamais vécu ensemble, il ne s'agirait que d'une sorte de zoo excentrique ;
  • les projets de réensauvagement sont basés sur l'introduction de grands animaux : les petites espèces de mammifères, d'oiseaux et de reptiles, les amphibiens, les poissons, sans parler des insectes et autres invertébrés, dont les restes fossiles sont peu connus, et qui ne fascinent pas souvent les foules, ne sont pas ou peu pris en compte ;
  • les animaux introduits pourraient apporter des maladies néfastes pour la faune locale, et causer des déprédations indésirables sur les animaux et les plantes qui n'y seraient pas adaptées ;
  • ils pourraient aussi cohabiter difficilement avec l'homme, ses cultures et son bétail : sans surprise, c'est le cas des espèces carnivores qui est le plus controversé (de même que celui de l'ours et du loup, pourtant bien présents et communs jusqu'à une époque récente) ;
  • les espèces menacées devraient en priorité être protégées dans les pays où elles vivent encore ; réciproquement, la conservation des espèces indigènes (natives) devrait passer avant l'introduction d'animaux d'autres continents.

[modifier] Liens internes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. BBC NEWS | Science/Nature | 'Pleistocene Park' experiment
  2. Pleistocene Park Homepage
Autres langues