Messaline

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Messaline et ses enfants, Britannicus et Octavie (Cabinet des Médailles (BNF)
Messaline et ses enfants, Britannicus et Octavie (Cabinet des Médailles (BNF)

Valeria Messalina (25 - 48) fut la troisième épouse de l'empereur romain Claude et donna naissance à Britannicus. Sa conduite scandaleuse et son dévergondage sans borne finirent par provoquer sa perte. Soupçonnée de comploter contre l'empereur, elle fut sommairement exécutée en 48.

Sommaire

[modifier] La fiabilité des sources

La Vie des douze Césars de Suétone et surtout le livre XI des Annales de Tacite sont les principales sources latines couvrant cette période. Écrit plus de soixante ans après les événements, durant une période où les Julio-Claudiens étaient dénigrés, le tableau lacunaire[1] que les deux auteurs dressent des événements est particulièrement sombre et sans concession. Il n'est pas toujours aisé de distinguer la part de la calomnie de celle d'une recherche historique solide. Leur tendance à noircir le tableau et à considérer les acteurs principaux comme des criminels souvent dégénérés, leur partialité et leur manque d'esprit critique, voire leur crédulité[2] sont aujourd'hui dénoncés et on attribue en partie la sévérité de leur jugement à leurs a priori idéologiques, voire leur philosophie politique. Tacite et Suétone exprimeraient ainsi les intérêts politiques de la classe à laquelle ils appartiennent, le Sénat et des chevaliers romains[3].

Les deux historiens étaient certainement influencés par la société dans laquelle ils vivaient et pour laquelle ils écrivaient. Cependant, de par leur fonctions - Suétone était secrétaire impérial d'Hadrien et Tacite a exercé de nombreuses et très hautes responsabilités politiques, avant de devenir un familier de l'empereur Trajan -, tous deux avaient accès à des archives officielles et des documents de première main. Même si les sources sont rarement citées, Tacite affirme à plusieurs reprise que ses affirmations, pour incroyables qu'elles puissent paraître, n'en sont pas moins fondées sur des documents officiels ou des récits de témoins directs[4].

[modifier] Origine

Issue de la haute noblesse de Rome, Valeria Messalina est la fille de Barbatus Messala[5] et de Domitia Lepida[6]. Elle est la petite-fille d’Antonia Major et donc l’arrière-petite-fille de Marc Antoine : elle est aussi la nièce de Gneius Domitius Ahenobarbus, premier époux d’Agrippine la Jeune et père de Néron[7].

[modifier] Vie

Messaline portant Britannicus.
Messaline portant Britannicus.

Née probablement en 25, elle épouse Claude en 38 ou 39[8] et a deux enfants avec le futur empereur : Octavie (née en 40, future épouse de Néron) et Britannicus, qui naît le 12 février 41, à peine trois semaines après l'accès de Claude au principat[9]. En dépit de la réputation sulfureuse de son épouse, la paternité de Claude ne semble jamais avoir été remise en question. Pierre Grimal relève que le début du mariage fut heureux, mais que les choses se gâtèrent au moment de l'élévation de Claude à l'empire[10].

Tyrannique une fois parvenue à la première place, Messaline semble régler sa conduite selon trois axes : son souci dynastique, ses affaires de coeur et son goût pour les richesses. Parmi ses victimes les plus illustres, on compte Julia Livilla, fille de Germanicus, ainsi que la cousine de celle-ci, Julia, fille de Drusus.

[modifier] La putain impériale ?

L'impératrice Messaline est célèbre pour son appétit sexuel hors du commun, voire sa nymphomanie. La tradition antique unanime colporte à son endroit des récits complaisants et sans équivoque : Messaline est ainsi devenue l'image même de la luxure et du scandale. À en croire la saisissante description qu'en donne l'écrivain Juvénal, débauchée, elle n'hésitait pas à se prostituer[11] ouvertement dans les bordels de Subure[12]. Elle avait transformé une partie du palais en lupanar[13].

Les historiens modernes, comme la britannique Barbara Levick par exemple, tendent toutefois à relativiser l'importance de ce trait de sa personnalité, mais tous admettent la réalité de l'inconduite de l'impératrice. D'aucuns remettent en question l'authenticité de la prostitution de Messaline[14]. L'historienne Catherine Salles relativise, elle aussi, la débauche de Messaline, mais en relevant qu'elle n'était au fond pas si inhabituelle que cela.

« Les débordements des grandes dames, les orgies licencieuses organisées par les matrones issues de la noblesse[15] ne sont pas une pure invention de moralistes scandalisés. Si l'histoire a noirci le personnage de Messaline, le comportement qu'on lui attribue n'est pas sans équivalent dans la société impériale. Après la morosité du règne augustéen, les moeurs se libèrent brutalement pendant les premières années du règne de Tibère[16]. Certaines matrones se font inscrire ouvertement parmi les prostituées recensées par les autorités de police. Cela leur permettra, pensent-elles, d'aimer librement qui elles veulent sans encourir de sanctions. »
    — Catherine Salles, Les Bas-fonds de l'Antiquité, p. 222-223

[modifier] Les intrigues du palais

Pour Pierre Grimal[17], Messaline était au centre d'un conflit d'intérêts sans pitié où chacun jouait sa propre carte. Il avance l'explication suivante : Claude était connu pour son amour des femmes (et des très jeunes filles en particulier). Messaline, femme-enfant (elle a quatorze ou quinze ans au moment de son mariage) exerçait un réel ascendant sur son mari[18]. Elle est donc rapidement devenue un moyen privilégié d'accéder à l'Empereur. Elle se fait alors manipuler par l'affranchi Narcisse avant que dans un ultime retournement, celui-ci ne s'en débarrasse. L'explication cadre assez bien avec un autre reproche fait à Messaline, sa cruauté. Sur son intervention, de nombreux courtisans furent en effet éliminés par la relégation, l'exil ou l'assassinat : parmi ses victimes, on trouve les femmes ou les maîtresses de ses amants, des gens dont elle convoitent les biens, les concurrent potentiels à l'héritage dynastiques, les menaces pour sa propre sécurité... Le récit de Tacite montre clairement que pour arriver à ses fins, l'intrigante avait besoin d'appuis (grassement rétribués), qu'elle obtenait dans des alliances changeantes et sans état d'âme. Un rôle qui tranche sur l'image d'une évaporée débauchée.

Parmi ses victimes les plus connues, le stoïcien Sénèque, qui fut accusé d'adultère avec Julia Livilla, la dernière fille de Germanicus, et relégué en Corse. Quant à Julia Livilla, qui, semble-t-il, tentait de la remplacer dans le lit de Claude, elle fut exilée, puis assassinée sur son ordre. Mais il faut citer aussi Poppaea Sabina et le consul Valerius Asiaticus (amants supposés)[19], Asiaticus Vitellius ou même des chevaliers romains à qui l'on reproche... leurs rêves prémonitoires[20]. Même Agrippine et son fils Néron suscitèrent son inquiétude et furent l'objet de sa jalousie et de ses cabales[21].

Mais Messaline finit par dépasser les bornes.

[modifier] Les secondes noces de l'impératrice

Tacite donne une description détaillée du scandale qui, en été 48, cause la perte de Messaline : son second mariage. Au-delà de l'anecdote, l'historien illustre clairement la brutalité des luttes de pouvoir au début de l'Empire. En effet, Claude se voit révéler sa situation non pas de manière fortuite, mais au terme d'une soigneuse pesée d'intérêts par les protagonistes. L'affaire commença avec une nouvelle aventure amoureuse de Messaline.

« Car elle brûlait pour C. Silius, le plus beau des jeunes Romains, d'une ardeur telle qu'elle fit rompre son mariage avec Junia Silana, une femme noble, et voulut avoir son amant pour elle seule. Silius, de son côté était conscient du scandale et du danger ; mais, sachant qu'il périrait à coup sûr s'il refusait, et gardant quelque espoir de tromper l'opinion, considérant, aussi, les avantages considérables de l'aventure, il fermait les yeux sur ce qui se passerait et se consolait en profitant du présent. Et elle, sans se cacher, mais avec une suite nombreuse, venait souvent chez lui, l'accompagnait quand il sortait, lui prodiguait richesses, honneurs ; enfin, comme si les situations eussent été d'ores et déjà inversées, les esclaves, les affranchis, tout ce qui faisait le luxe du prince, tout cela, on le voyait chez l'amant de sa femme.
Cependant Claude, ignorant ce qu'il en était de son mariage [...] »
    — Tacite, Annales, Livre XI, 12-13

Selon l'annaliste, « Lassée d'adultères trop faciles, Messaline se sentait portée vers des plaisirs inconnus »[22]. C'est alors que Silius, jouant le tout pour le tout lui propose de l'épouser, lui assurant qu'il adopterait ses enfants. D'abord réticente, car elle craint d'être ensuite écartée au motif d'adultère, Messaline finit par céder.

« Le mot de mariage, pourtant, éveilla ses désirs, à cause de l'énormité du scandale, qui, lorsque l'on a tout gaspillé est une ultime jouissance. Et sans attendre plus longtemps que le départ de Claude pour Ostie afin d'y offrir un sacrifice, elle célèbre le mariage avec tout le rituel.
[...]
Alors la maison du prince commença de trembler, surtout ceux qui possédaient l'influence et qui avaient peur, au cas où la situation serait renversée ; ne se contentant plus de conversation secrètes, ils se mirent à murmurer ouvertement. »
    — Tacite, Annales, Livre XI, 26 et 28

Juvénal évoque aussi ce mariage et la situation « sans lendemain » du marié dans sa Satire X[23].

La question de savoir si l'empereur était au courant de la transaction est tranchée différemment par les deux sources principales. Selon Suétone, la bêtise de Claude était telle qu'il crut à l'histoire que lui servait sa désormais ex-épouse.

« Mais, ce qui dépassa toute vraisemblance, c'est que, pour les noces de Messaline avec son amant Silius, il signa lui aussi au contrat, car on lui avait fait accroire qu'ils simulaient un mariage dans l'intention d'éloigner et de faire retomber sur un autre un péril dont lui-même était menacé, d'après certains présages. »
    — Suétone, Claude, 29

[modifier] La fin

Tacite rapporte qu'informé par deux de ses maîtresses manipulées par son affranchi Tiberius Claudius Narcissus, Claude découvre enfin son infortune. Narcisse persuade l'empereur des intentions meurtrières de Messaline et Silius[24]. De fait, c'est un véritable complot destiné à le remplacer que Claude met à jour. Les conspirateurs sont immédiatement poursuivis et exécutés. Claude demande alors à écouter sa femme avant de la condamner. Comprenant le danger d'un possible retournement du Prince, Narcisse envoie ses sbires dans les jardins de Lucullus sur Pincius, où s'étaient réfugiées Messaline et sa mère juste réconciliées. La mère presse sa fille de mettre elle-même fin à ses jours. « Mais en ce coeur corrompu par les plaisirs, il ne restait aucune trace d'honneur ; les larmes, les plaintes inutiles se prolongeaient, lorsque la porte est enfoncée sous l'élan des arrivants. » Narcisse fait irruption et accable la malheureuse d'injures. Messaline s'empare alors d'un poignard et tente de se suicider. Elle n'y parvient pas et est froidement exécutée par un soldat ; son corps est abandonné à sa mère.

« On annonça à Claude, tandis qu'il dînait, que Messaline était morte, sans préciser si c'était de sa propre main ou de celle d'un autre. Il ne le demanda pas ; il réclama une coupe et poursuivit le repas comme d'habitude. Même au cours des jours suivants, il ne donna aucun signe de haine, de joie, de colère, de tristesse, bref d'aucune émotion humaine, ni lorsqu'il voyait les accusateurs joyeux, ni quand il voyait ses enfants affligés. Ce qui aida à faire oublier Messaline fut que le sénat décida que l'on ôterait son nom et ses portraits des lieux publics et privés. On décréta pour Narcisse les insignes de questeur, honneur bien mince au prix de son orgueil, alors qu'il s'était élevé au dessus de Pallas et de Calliste. »
    — Tacite, Annales, Livre XI, 38 2-4

Selon Suétone, Claude déclara alors aux prétoriens que « "les mariages lui réussissaient mal, il restait dans le célibat, et consentait, s'il n'y restait pas, à être transpercé de leurs propres mains". Pourtant, il ne put s'empêcher de songer aussitôt à une nouvelle union [...] »[25].

C'est peut-être encore l'historien Paul Veyne qui manifestera le plus de compréhension pour Messaline : « [...] cette jeune femme de 24 ans, qu'on dépeint comme une dévergondée, était en réalité une sentimentale, une amoureuse romantique. »[26]. Selon lui, « Messaline est un authentique cas d'amour fou. »[27]

[modifier] Notes

  1. Toute la partie consacrée par Tacite aux début du règne de Claude (livres 7 à 10 des Annales) est perdue et Suétone est peu disert sur Messaline.
  2. Une critique qui vise surtout le polygraphe Suétone
  3. Voir par exemple Caligula l'impudent de Pierre Renucci, Édition Gollion 2002, p. 7 et suivantes.
  4. En particulier Annales, Livre XI, chapitre XXVII, à propos du second mariage de Messaline
  5. Suétone, Vie des douze Césars, Claude 26
  6. Tacite, Annales Livre XI, 37, 3.
  7. L'historien et latiniste Pierre Grimal donne une généalogie assez complète de Messaline dans l'index de Tacite : Oeuvres complètes (p. 1141).
  8. Pierre Grimal donne 39 ou 40 (Tacite p. 1141) et dans L'Amour à Rome, p. 305
  9. Barbara Levick, Claude, p. 79
  10. Pierre Grimal, L'Amour à Rome, p. 305
  11. Sous le nom de Lycisca (un synonyme de lupa, « la louve ») (Juvénal). Lycisca était aussi un nom de chienne (Gaffiot).
  12. Juvénal, Satire VI, vers 114 et suivants. Juvénal la décrit d'ailleurs comme « meretrix augusta » (putain impériale) (VI, 118).
  13. Dion Cassius 60, 18 et 31
  14. Pierre Grimal voit dans la satire de Juvénal un artifice littéraire opposant le palais impérial et les bouges sordides de Rome. Toutefois, il concède que Messaline a certainement utilisé le palais impérial pour des débauches avec des pairs.
  15. Martial, Épigrammes VI, 39
  16. Catherine Salles cite un sénatus-consulte de 19, stipulant (entre autres "déviances") qu'aucune fille libre de moins de 20 ans n'a le droit de se prostituer contre un salaire (op. cit., p 215)
  17. L'Amour à Rome, p. 305
  18. Le caractère influençable de Claude, sous la coupe de ses femmes et des ses affranchis, est attesté par tous les auteurs.
  19. Annales, Livre XI, 6, 1
  20. Annales, Livre XI, 4
  21. Annales, Livre XI, 12
  22. Annales, Livre XI, 26
  23. Juvénal, Satire X, vers 338 et suivant. Juvénal fait encore une brève allusion à l'exécution de Messaline tout à la fin de la Satire XIV.
  24. Dion Cassius
  25. Suétone, Claude, 26.
  26. Paul Veyne, La Société romaine, chapitre "La famille et l'amour sous le Haut-Empire romain", p 98
  27. La Société romaine, p 99

[modifier] Bibliographie

[modifier] Sources antiques

[modifier] Études historiques modernes

  • Pierre Grimal, L'Amour à Rome, Petite Bibliothèque Payot, 1995 ;
  • Barbara Levick, Claude, Infolio, Golion, 2002 ;
  • Catherine Salles, Les Bas-fonds de l'Antiquité, Petite Bibliothèque Payot 1995.
  • Paul Veyne, La Société romaine, Points Histoire, Éditions du Seuil, 1991

[modifier] Oeuvres artistiques

[modifier] Articles connexes

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