Histoire de Gil Blas de Santillane

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Gil Blas de Santillane

Illustration de Gil Blas de Santillane

Auteur Lesage
Genre Roman picaresque
Pays d’origine France France
Lieu de parution Paris
Éditeur Pierre Ribou
Date de parution 1715-1735
Illustration : Les deux écoliers de Salamanque.

L’Histoire de Gil Blas de Santillane est un roman picaresque publié par Lesage de 1715 à 1735. Il est considéré comme le dernier chef-d’œuvre du genre picaresque.

On ne saurait résumer les innombrables aventures de Gil Blas. Né dans la misère d’un écuyer et d’une femme de chambre de Santillane, dans les Asturies, Gil Blas, qui a été éduqué par son oncle chanoine, quitte Oviédo à l’âge de dix-sept ans pour se rendre à l’Université de Salamanque. Cet avenir étudiant est rapidement bouleversé lorsque, à peine en route, le hasard le donne pour compagnon et pour complice forcé à des voleurs de grand chemin et lui fait faire la connaissance désagréable de la justice. La nécessité le fait valet, puis les vicissitudes de la vie le promènent par tous les degrés de la domesticité et le mettent à même d’observer de près toutes les classes de la société, dans l’État et dans l’Église. Il est mêlé à des fripons de tout étage et, par contagion de l’exemple plus que par nature, il pratique lui-même la friponnerie, et avec d’autant moins de scrupule qu’elle s’exerce plus en grand.

Admis une première fois à la cour, favori du roi et secrétaire de son premier ministre, Gil Blas n’a aucun souci de l’intérêt de l’État et de la justice et fait, comme tout le monde autour de lui, et de concert avec le ministre lui-même, un trafic honteux des bienfaits du prince. À la fin, averti par une dernière épreuve dont il est sorti triomphant, comblé d’honneurs et de richesses, il reprend son rang à la cour et remplit auprès d’un autre ministre le même poste sans laisser d’être honnête homme. Puis il se retire dans son château pour jouir d’une fortune et d’une honnêteté si difficilement acquises, au sein de la retraite et des joies de la famille. À côté de lui, le plus fidèle de ses serviteurs, un ancien picaro, c’est-à-dire un fripon comme son maître, et qui s’est converti comme lui en devenant heureux, fait également souche d’honnêtes gens.

La filiation de Gil Blas avec Turcaret, la pièce à succès de 1709, est évidente : Lesage donne, une fois de plus, en spectacle non seulement des valets fripons servant des maîtres voleurs, des femmes de mœurs légères, des maris trompés et contents, mais aussi les pédants gourmés, les poètes ridicules, les faux savants, les médecins d’une ignorance homicide, Chaque classe, chaque profession se résume à des types et chacun de ces types se peint lui-même dans l’action. Le choix des traits est inspiré par un goût parfait et ils sont mis en œuvre avec autant de sobriété que de finesse. Un caractère du récit de Gil Blas est l’accent de vérité qui y règne d’un bout à l’autre. Quelque invraisemblables que soient ses aventures, le héros en parle, non comme d’une fiction, mais comme d’une réalité dont il a joui ou souffert. Il a vécu avec tous ces personnages et fait le lecteur vivre avec eux. Ils ont beau être de leur pays, de leur temps, ils ont, pour toutes les nations, une vie immortelle.

Cette œuvre, à la fois si universelle et si française dans son cadre espagnol, ne fut pas adoptée sans conteste comme une production originale. Lesage avait fait trop d’emprunts jusque-là à l’Espagne pour ne pas être soupçonné d’avoir pris Gil Blas à la même source. Voltaire fut l’un des premiers à l’accuser de plagiat et à signaler comme modèle de Gil Blas un certain roman d’Espinel, Marcos de Obregon, auquel Lesage avait fait, comme à tant d’autres romanciers espagnols, des emprunts de détail qui n’ont jamais diminué le caractère d’originalité d’une grande composition littéraire. La thèse de l’origine espagnole du Gil Blas fut plusieurs fois reprises par eux. Le Père Jose de Isla, en traduisant l’ouvrage de Lesage en espagnol, affirma le restituer à sa patrie et à sa langue. Faute de faits, Llorente invoqua des preuves de sentiment en affirmant que Gil Blas devait être de l’historien Solis, par cette raison qu’à l’époque où il a paru, aucun autre écrivain n’eût été capable d’écrire un pareil ouvrage.

Nous eumes le temps de nous donner quelques coups de poing.
Nous eumes le temps de nous donner quelques coups de poing.

Lesage a procédé dans le roman comme au théâtre, en préludant par des imitations ou des traductions à des œuvres de plus en plus personnelles. Il traduit la continuation de Don Quichotte, il remanie et agrandit le Diable boiteux, comme il avait d’abord traduit et imité des pièces de Rojas et de Calderón puis, dans l’affermissement de son génie, il crée Gil Blas qui, par toutes ses qualités caractéristiques et malgré le « lieu » de la scène et la couleur locale, lui appartient en propre aussi bien que Turcaret. Ainsi derrière le docteur Sangrado[1] dont les principes médicaux se résument à la saignée et à la consommation d’eau chaude, c’est la pratique de la médecine tout entière dont se moque Lesage. Derrière l’archevêque de Grenade qui exige la vérité sur ses écrits mais s’avère incapable de l’entendre, on reconnaît l’homme de lettres à la susceptibilité légendaire. Derrière le duc de Lerme, Premier ministre d’Espagne transparaît le cardinal Dubois ou Mazarin.

« En écrivant Gil Blas, en dotant son œuvre des qualités qui lui assuraient un succès étendu et persistant, Lesage était donc d’une part l’héritier de Mateo Alemán, de Cervantès, d’Espinel, de Quevedo, et à travers eux d’Apulée ; mais, d’autre part, il préservait la souplesse, j’oserai dire la « polyvalence » indispensable à une forme d’art que devaient illustrer le Balzac de la Comédie humaine, le Stendhal de la Chartreuse de Parme, le Thackeray de Vanity Fair, et Zola, et Tolstoï, et maints autres après eux[2]. »

[modifier] Notes

  1. « Saignée » en espagnol.
  2. Jules Romains, « Lesage et le Roman Moderne », The French Review, vol. 21, n°. 2. Dec., 1947, p. 97-99.

[modifier] Adresse au lecteur

D’où êtes-vous ?
D’où êtes-vous ?
Gil Blas au lecteur
Avant que d’entendre l’histoire de ma vie, écoute, ami lecteur, un conte que je vais te faire.
Deux écoliers allaient ensemble de Peñafiel à Salamanque. Se sentant las et altérés, ils s’arrêtèrent au bord d’une fontaine qu’ils rencontrèrent sur leur chemin. Là, tandis qu’ils se délassaient après s’être désaltérés, ils aperçurent par hasard auprès d’eux, sur une pierre à fleur de terre, quelques mots déjà un peu effacés par le temps, et par les pieds des troupeaux qu’on venait abreuver à cette fontaine. Ils jetèrent de l’eau sur la pierre pour la laver, et ils lurent ces paroles castillanes: AQUI ESTA ENCERRADA EL ALMA DEL LICENCIADO PEDRO GARCIAS ; « Ici est enfermée l’âme du licencié Pierre Garcias ».
Le plus jeune de ces écoliers, qui était vif et étourdi, n’eut pas achevé de lire l’inscription, qu’il dit en riant de toute sa force : Rien n’est plus plaisant ! Ici est enfermée l’âme… Une âme enfermée !… Je voudrais savoir quel original a pu faire une si ridicule épitaphe. En achevant ces paroles, il se leva pour s’en aller. Son compagnon, plus judicieux, dit en lui-même : Il y a là-dessous quelque mystère; je veux demeurer ici pour l’éclaircir. Celui-ci laissa donc partir l’autre, et, sans perdre de temps, se mit à creuser avec son couteau tout autour de la pierre. Il fit si bien qu’il l’enleva. Il trouva dessous une bourse de cuir qu’il ouvrit. Il y avait dedans cent ducats, avec une carte sur laquelle étaient écrites ces paroles en latin: Sois mon héritier, toi qui as eu assez d’esprit pour démêler le sens de l’inscription, et fais un meilleur usage que moi de mon argent. L’écolier, ravi de cette découverte, remit la pierre comme elle était auparavant, et reprit le chemin de Salamanque avec l’âme du licencié.
Qui que tu sois, ami lecteur, tu vas ressembler à l’un ou à l’autre de ces deux écoliers. Si tu lis mes aventures sans prendre garde aux instructions morales qu’elles renferment, tu ne retireras aucun fruit de cet Ouvrage ; mais si tu les lis avec attention, tu y trouveras, suivant le précepte d’Horace, l’utile mêlé avec l’agréable.

[modifier] Années de publications

  • Histoire de Gil Blas de Santillane, Livres I-VI (1715)
  • Histoire de Gil Blas de Santillane, Livres VII-IX (1724)
  • Histoire de Gil Blas de Santillane, Livres X-XII (1735)

[modifier] Bibliographie

[modifier] Références

  • Eugène Baret, Mémoire sur l’originalité du Gil Blas de Le Sage, Paris, Imprimerie impériale, 1864.
  • Cécile Cavillac, « La Dialectique du service dans l’Histoire de Gil Blas de Santillane  », Revue d’Histoire Littéraire de la France, juil-août 1989, n° 89 (4), p. 643-60.
  • Cécile Cavillac, L’Espagne dans la trilogie picaresque de Lesage. Emprunts littéraires, empreinte culturelle, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2004. ISBN 9782867813344.
  • Charles Dédéyan, Lesage et Gil Blas, Paris, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1965.
  • Béatrice Didier, D’une Gaîté ingénieuse : l’Histoire de Gil Blas roman de Lesage, Louvain ; Dudley, MA : Peeters, 2004. ISBN 9782877237758.
  • Charles Frédéric Franceson, Essai sur la question de l’originalité de Gil Blas ; ou, Nouvelles observations critiques sur ce roman, Leipsic, F. Fleischer, 1857.
  • Philippe Garnier, Retours et répétitions dans l’Histoire de Gil Blas de Santillane d’Alain-René Lesage, Paris, L’Harmattan, 2002. ISBN 2747532569.
  • Juan Antonio Llorente, Observations critiques sur le roman de Gil Blas de Santillane , Paris, Moreau, 1822.
  • Frédéric Mancier, Le Modèle aristocratique français et espagnol dans l’œuvre romanesque de Lesage : l’histoire de Gil Blas de Santillane , un cas exemplaire, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2001. ISBN 8882292185.
  • Heinz Klüppelholz, La Technique des emprunts dans Gil Blas de Lesage, Frankfurt am Main ; Bern : Lang, 1981. ISBN 3820468854.
  • Hubert de Phalèse, Les Bons Contes et les bons mots de Gil Blas, Saint-Genouph, Nizet, 2002. ISBN 2707812714.
  • Jules Romains, « Lesage et le Roman Moderne », The French Review, vol. 21, n°. 2. Dec., 1947, p. 97-99.
  • Christine Silanes, Gil Blas de Santillane en Espagne. Les signes de l’adhésion espagnole à une espagnolade, Thèse de doctorat de l’Université de Paris IV: Paris-Sorbonne, 1998.
  • Jacques Wagner, Lectures du Gil Blas de Lesage, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2003. ISBN 2845162146.
  • Jacques Berchtold, « Le Bestiaire de Lesage: L’Exemple du Gil Blas et du Guzman d’Alfarache », p. 67-88.
  • Marc-André Bernier, « La Séduction dans l’Histoire de Gil Blas de Santillane  », p. 163-76.
  • François Bessire, « Les Références à l’Antiquité et à la Bible dans le premier Gil Blas », p. 99-109.
  • Pierre Brunel, « L’Histoire de Gil Blas de Santillane  : Ibérie contre Hibernie », p. 25-33.
  • Françoise Gevrey, « L’Histoire de Gil Blas de Santillane est-elle un roman d’aventures ? », p. 37-66.
  • Gérard Luciani, « Un Écho de Gil Blas à Venise au XVIIIe siècle », p. 191-202.
  • Alain Niderst, « Le Christianisme de Gil Blas », p. 133-41.
  • Jean-Noël Pascal, « Gil Blas, un roman de dramaturge : Thèmes, procédés, scénarios », p. 111-30.
  • Catherine Volpilhac-Auger, « Voyage au pays des noms : fonctions et modalités de la nomination dans Gil Blas de Santillane  », p. 89-98.
  • Jacques Wagner, Lesage, écrivain (1695-1735), Amsterdam ; Atlanta, Rodopi, 1997. ISBN 9042001968.

[modifier] Sources

  • Saint-Marc Girardin, « Notice sur Le Sage », Histoire de Gil Blas de Santillane, Paris Charpentier, 1861, p. V-XX
  • Jean-François de La Harpe, Cours de littérature ancienne et moderne, Paris, F. Didot, 1840, p. 489-90
  • Jules Romains, « Lesage et le Roman Moderne », The French Review, vol. 21, n°. 2. Dec., 1947, p. 97-99
  • Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 1235-7