Roman picaresque

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Le roman picaresqueLa Vie de Lazarillo de Tormes (1554)
Le roman picaresque
La Vie de Lazarillo de Tormes (1554)

Le roman picaresque, genre né en Espagne au XVIe siècle et qui a connu sa plus florissante époque dans ce pays, relate sur le mode autobiographique l’histoire de héros miséreux, telle que celle d’enfants orphelins, d’« irréguliers » vivant en marge de la société et à ses dépens ; gens des basses classes, ordinairement, ou déclassés, filous de toute espèce, voyous des rues, bandits de grand chemin, bohémiens, voleurs, capitaines de compagnie, courtisanes, étudiants. Au cours d’aventures souvent extravagantes supposées plus pittoresques et surtout plus variées que celles des honnêtes gens, qui sont autant de prétextes à présenter des tableaux de la vie vulgaire et des scènes de mœurs, le héros entre en contact avec toutes les couches sociales de la société.

[modifier] Origines

Le roman picaresque se rattache directement à des modèles beaucoup plus anciens. Dans l’Antiquité gréco-latine, le roman avait déjà les mêmes caractères. L’Âne d’or d’Apulée, qui en est l’exemple le plus célèbre, est fait lui aussi d’une extrême variété d’épisodes, souvent reliés entre eux par des liens légers ou arbitraires. Le personnage principal traverse une série d’aventures, qu’aucune existence humaine n’aurait pu connaître dans la réalité ; et il s’y ajoute encore plus d’un récit gratuitement introduit par un personnage épisodique. L’œuvre d’Apulée continuait, elle-même, la tradition des « fables milésiennes », fables qu’elle se contentait parfois de recoudre entre elles de même que les grands poèmes homériques semblent bien avoir recousu entre eux des chants épiques de l’âge antérieur. Ce genre d’œuvres trouvaient leur raison d’être profonde et durable, dans un effort de l’art littéraire pour s’égaler à la diversité de la vie, diversité qu’aucun des autres genres n’était à même d’embrasser.

[modifier] Esthétique

Le roman picaresque est généralement porté par une vision critique des mœurs de l’époque. Mais les éléments sociaux ou moraux sont bientôt doublés par l’élément esthétique du roman picaresque dont la structure très libre, pour lors même qu’elle n’est pas complètement absente, permet à l’auteur d’introduire à chaque instant de nouveaux épisodes, sans les faire sortir de ce qui précède. Ce manque de logique et de nécessité interne dans le développement finit par distinguer le roman picaresque.

À la différence des autres genres littéraires comme la tragédie, la comédie, le discours ou l’histoire qui s’astreignaient tous à des lois précises de développement, de construction, et parfois même n’hésitaient pas à faire violence à la réalité pour la soumettre à l’harmonie de l’art, le roman fonctionnait sans règles. Toute peinture de la société, pour être un peu vaste et foisonnante, devait échapper aux règles habituelles, et trop étroites, de la composition afin de pouvoir représenter l’infinie diversité de la vie et du monde social. Le roman picaresque a su contourner l’écueil qui menaçait le roman psychologique dont les personnages peu nombreux, l’action simple et rectiligne, le milieu uniforme ou à peine caractérisé, les réalités quotidiennes estompées, sinon pudiquement oubliées risquait de l’appauvrir en en faisant un double, ou un substitut, de la tragédie.

[modifier] Caractéristiques

Six caractéristiques constitutives distinguent le roman picaresque :

  1. Le protagoniste est un pícaro de rang social très bas ou qui descend de parents sans honneur ou ouvertement marginaux ou délinquants. Le profil d’antihéros du pícaro constitue un contrepoint à l’idéal chevaleresque. Vivant en marge des codes d’honneur propres aux classes dominantes de la société de son époque, son plus grand bien est sa liberté. Aspirant également à améliorer sa condition sociale, le pícaro a recours à la ruse et à des procédés illégitimes comme la tromperie et l’escroquerie, mais sa mauvaise conscience le tourmente fréquemment.
  2. Structure de fausse autobiographie : le roman picaresque est narré à la première personne comme si le protagoniste racontait ses propres aventures, à commencer par sa généalogie, contrairement à ce qu’est censé faire un chevalier. Le pícaro apparaît dans le roman dans une double perspective : comme auteur et comme acteur. Comme auteur, il se situe dans un temps présent qu’il évalue à l’aune de son passé de protagoniste et il raconte une action dont il connaît le dénouement à l’avance.
  3. Déterminisme : bien que le pícaro tente d’améliorer sa condition sociale, il échoue toujours et restera toujours pícaro, c’est pourquoi la structure du roman picaresque est toujours ouverte. Les aventures racontées pourraient se poursuivre indéfiniment car l’histoire n’est pas capable d’évolution susceptible de la transformer.
  4. Idéologie moralisante et pessimiste : chaque roman picaresque en viendrait à être un grand cas exemplaire de conduite aberrante systématiquement punie. Le picaresque est très influencé par la rhétorique sacrée de l’époque, fondée dans beaucoup de cas, sur la prédication d’exemples relatant la conduite dévoyée d’un individu qui finit soit par être puni soit par se repentir.
  5. Intention satirique et structure itinérante : la structure itinérante du roman picaresque meut le protagoniste dans chacune des strates de la société. L’entrée du protagoniste au service d’un élément représentatif de chacune de ces couches constitue un nouveau prétexte de critique de celles-ci. Le pícaro assiste ainsi, en spectateur privilégié, à l’hypocrisie incarnée par chacun des puissants nantis qu’il critique à partir de sa condition de déshérité puisqu’il ne s’érige pas en modèle de conduite.
  6. Réalisme, y compris naturalisme dans la description de certains des aspects les moins plaisants de la réalité qui, jamais idéalisée, est au contraire présentée comme une moquerie ou une désillusion.

[modifier] Postérité

Le picaresque s’est également exporté en France avec, par exemple, l’Histoire de Gil Blas de Santillane de Lesage qui est, en quelque sorte, le dernier chef-d’œuvre du roman picaresque. L’« anti-roman » de Diderot, Jacques le fataliste et son maître, publié de façon posthume, en fait également partie. Ce genre littéraire a eu une postérité, car il en subsiste des traces jusque dans le Bildungsroman allemand comme le Wilhelm Meister de Goethe.

Le Don Quichotte de Cervantès (1605-1616) a quelquefois été classé à tort dans le genre picaresque. Il est évident que, par sa naissance et ses idéaux, le chevalier don Quichotte n’est aucunement un héros picaresque ou un pícaro, c’est-à-dire un gueux, un personnage à la moralité douteuse. En revanche, un personnage représentant ce courant littéraire apparaît dans ce roman, au chapitre vingt-deux de la première partie, à savoir Ginés de Passamont, malandrin que l’on mène aux galères où, dit-il, il poursuivra la rédaction de ses mémoires. L’une des caractéristiques des romans picaresques est effectivement de se présenter généralement comme des autobiographies, autre spécificité que ne s’applique pas Don Quichotte.

[modifier] Romans picaresques

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[modifier] Bibliographie

  • Le Roman picaresque espagnol du siècle d’or : Aspects littéraires, historiques, linguistiques et interdisciplinaires, Paris, Indigo et côté-femmes, 2006
  • Picaresque européenne : actes, Colloque international du C.E.R.S. 1976, Montpellier, Centre d’études et de recherches sociocritiques, 1976
  • Francis Assaf, Lesage et le picaresque, Paris, A.-G. Nizet, 1983
  • Marcel Bataillon, Le Roman picaresque, Paris, La Renaissance du livre 1900
  • Marcel Bataillon, Les Nouveaux Chrétiens dans l’essor du roman picaresque, Groningen, Wolters, 1964
  • Michel Cavillac, Gueux et marchands dans le Guzmán de Alfarache (1599-1604) : roman picaresque et mentalité bourgeoise dans l’Espagne du Siècle d’Or, Bordeaux, Bière, 1983
  • Cécile Cavillac, L’Espagne dans la trilogie 'Picaresque' de Lesage : emprunts littéraires, empreinte culturelle, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1984
  • Roger Chartier, Figures de la gueuserie, Paris, Montalba, 1982
  • Florence Clerc, Gogol et la tradition picaresque espagnole. Tchitchikov et Guzman, Thèse de doctorat de l’Université de la Sorbonne nouvelle
  • Edmond Cros, Protée et Le Gueux, recherches sur les origines et la nature du récit picaresque dans Guzmán de Alfarache, Paris, Didier, 1967
  • Édouard Diaz, L’Espagne picaresque, Paris, A. Charles, 1897
  • Maurice Gauchez, La Littérature des gueux, Bruxelles, Fondation Universitaire, 1932
  • Bronislaw Geremek, Les Fils de Caïn : l’image des pauvres et des vagabonds dans la littérature européenne du XVe et XVIIe siècles, Paris, Flammarion, 1997
  • Louis Gondebeaud, Le Roman "picaresque" anglais, 1650-1730, Paris, H. Champion, 1979
  • Tonia Haan, Postérité du picaresque au XXe siècle : sa réécriture par quelques écrivains de la crise du sens, F. Kafka, L-F. Céline, S. Beckett, W. Gombrowicz, V. Nabokov, Assen, Van Gorcum, 1995
  • Monique Michaud, Mateo Alemán, moraliste chrétien : de l’apologue picaresque à l’apologétique tridentine, Paris, Aux Amateurs de livres, 1987
  • Maurice Molho, Romans picaresques espagnols, Paris, Gallimard, 1994
  • Thomas Serrier, Régis Tettamanzi, Crystel Pinçonnat, Échos picaresques dans le roman du XXe siècle : Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Ralph Ellison, Invisible man, Günter Grass, Le tambour, Neuilly, Atlande, 2003
  • Maurice Molho, Jean-Francis Reille, Romans picaresques espagnols, Paris, Gallimard, 1968
  • Gustave Reynier, Le Roman réaliste au XVIIe siècle, Paris, Hachette et cie, 1914 ; Genève, Slatkine Reprints, 1971
  • Françoise Du Sorbier, Récits de gueuserie et biographies criminelles de Head à Defoe, Berne ; New York, P. Lang, 1983
  • Didier Souiller, Le Roman picaresque, Paris, Presses universitaires de France, 1980
  • Pierre-Louis Vaillancourt, Roman picaresque et littératures nationales, Québec, Université Laval, 1994
  • Jacqueline van Praag-Chantraine, Actualité du roman picaresque, Bruxelles, [s.n.], 1959
  • Joseph Vles, Le Roman picaresque hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles et ses modèles espagnols et français, s Gravenhage, Papier-Centrale Tripplaar, 1926

[modifier] Sources

  • Jules Romains, « Lesage et le Roman Moderne », The French Review, vol. 21, n° 2. déc. 1947, p. 97-99
  • Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 1594