Servitude dans l'Égypte antique

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Si les spécialistes s'accordent pour dire que l'esclavage, tel qu'il se pratiqua dans la Grèce antique, n'a pas existé en Égypte avant la période ptolémaïque, c'est-à-dire, avant l'invasion grecque, certaines formes de servitudes existaient néanmoins dans la civilisation égyptienne :

  • La corvée, imposée à tous pour les grands travaux tels que l'entretien des canaux d'irrigation ou la construction de grands monuments ; pendant la période où, chaque année, la crue du Nil empêchait tous travaux agricoles, c'était aussi sans doute une façon d'occuper la population et d'éviter les dérives auxquelles peut conduire le désœuvrement ;
  • Les condamnations de droit commun qui se traduisaient dans certains cas par des travaux forcés ; cet état pouvait, dans certains cas, se transmettre à la génération suivante.

Outre le fait que le régime quotidien était moins dur que dans d'autres civilisations, les serviteurs avaient une personnalité juridique et pouvaient posséder un capital.

Sommaire

[modifier] Image d'une Égypte esclavagiste

L'image d'une Égypte employant une multitude d'esclaves à la construction de leurs monuments est née dès l'Antiquité et subsiste encore de nos jours (à travers notamment les productions hollywoodiennes des années 60). Avant la naissance de l'égyptologie au XVIIIe siècle, l'Égypte antique n'était connue qu'à travers les récits des auteurs Grecs (Hérodote, Diodore, etc.) - pour qui, une société ayant produit de tels œuvres monumentales ne pouvaient s'imaginer sans esclavage- et par les rédacteurs hébreux de la Bible qui, selon Damiano-Appia, avaient « besoin de créer un arrière-plan historique capable de renforcer l'identité culturelle de leur peuple »[1].

Certains auteurs[2] considèrent que les premières traces d'esclavage seraient apparues au début de la XVIIIe dynastie (-1550 / -1295)[3]. La détention d'esclaves proviendrait de captifs de guerre que le pharaon aurait donné comme butins ou récompenses aux soldats et généraux vainqueurs ou à d'autres personnages importants [réf. nécessaire]. Les premières ventes d'esclaves, quant à elles, auraient émergées[réf. nécessaire] au cours de la XXVe dynastie (-800 / -600) [4],[5]. D'autres auteurs datent l'apparition de l'esclavage dans l'Égypte antique de l'invasion grecque menée par Alexandre le Grand (-332) et du début de la Dynastie des Ptolémées (-305).[réf. souhaitée]

Une version plus moderne et courante est de considérer que l'esclavage en Égypte ne sera introduit que par les Grecs, à Alexandrie, et il le sera alors massivement.

[modifier] Réalité plus égalitaire

Bernadette Menu explique en 2000 :

« La question de l'esclavage dans l'Égypte pharaonique doit être entièrement revue à la lumière de sources élargies : d'une part, l'analyse du discours et de l'iconographie royaux officiels nous permet de mieux appréhender le sort des captifs de guerre ; d'autre part, la réinsertion, dans leur contexte d'archives, de documents juridiques présentés jusqu'à maintenant comme des ventes d'esclaves ou des ventes de soi-même comme esclave, nous autorise à interpréter ces conventions comme des transactions sur le travail salarié. Il résulte de cet examen que les dépendants (hemou, bakou) sont des hommes libres, intégrés dans les rouages politico-économiques de l'État, jouissant d'une mobilité à la fois géographique et statutaire, et disposant des mêmes droits et des mêmes devoirs que l'ensemble de la population[6]. »

En ce qui concerne plus précisément les droits des dépendants-hemou (ou bakou), ceux-ci :

«  disposaient en effet d'un état civil, de droits familiaux et patrimoniaux ; ils pouvaient contracter, ester et tester en justice[7], et ils étaient même fiscalement responsables, ce qui élimine d'emblée tout statut d'esclave les concernant. Les prétendus contrats de « ventes d'esclaves » que l'on rencontre à la basse époque sont, si l'on rapproche ces transactions de leur contexte archivistique, des cessions portant sur du travail et des services temporaires, préalablement évalués et quantifiés et pouvant aussi faire l'objet d'un usus transmissible dans le cadre des successions (...) L'exclusion qui caractérise l'esclavage n'a pas sa raison d'être dans une société qui pratiquait au contraire l'intégration à tous les niveaux. La pratique du système de la corvée—à laquelle était soumise la population dans son ensemble—permettait l'obtention périodique de journées de travail au bénéfice de l'État, de l'administration ou des temples, et rendait par là inutile le recours à l'institution de l'esclavage[8]. »

Les captifs de guerre, quand ils ne sont recrutés comme hommes dépendants mais libres dans les temples, l'armée ou l'administration, sont placés comme domestiques chez des particuliers ; ils peuvent être utilisés dans les grands travaux (qui nécessitent une haute technicité).

Selon le Dictionnaire de l'Antiquité : « On proposera[9] du droit pharaonique la définition suivante : un ensemble de règles communautaires, coutumières et jurisprudencielles, sur lequel s'est affirmée l'autorité royale émanant du pouvoir théoriquement exclusif, maintenu et garanti par le rite, d'un roi-dieu sur la terre et sur les habitants d'Égypte. Le concept de maât[10] cristallisant ce droit qui repose sur l'équité. » Bernadette Menu ("Maât. L'ordre juste du monde") propose de Maât la définition suivante : l'ensemble des conditions (ordre, victoire, justice, équité, prospérité ...) qui font naître et qui renouvellent la vie ; l'ordre source de vie.

À titre d'illustration, voici un texte de l'Ancien Empire :

« Voyez, les servantes ont maintenant un libre langage, lorsque la maîtresse parle, les domestiques n'en ont garde ! Voyez, celle qui n'avait même pas une boîte, elle possède maintenant un coffre, et celle qui ne pouvait se regarder que dans l'eau, elle possède maintenant un miroir.  »

Il arrivait aussi qu'une servante épousât un homme de la famille qui l'employait ou d'une autre famille ; à cette occasion les maîtres lui constituaient une dot. Le cas inverse pouvait aussi arriver, une femme libre épousant un serviteur.

[modifier] Corvée et grands travaux

La découverte de baraquements et d'un cimetière civil à proximité des pyramides de Khéphren et Mykérinos conforte l'idée selon laquelle les ouvriers bâtisseurs étaient majoritairement des Hommes, certes soumis à une corvée annuelle (durant la crue du Nil), mais libres et respectés[11].

Les grands travaux étaient faits par des hommes libres. Les ouvriers de Deir el-Médineh (occupé de -1600 à -1100 env.), bâtisseurs de la vallée des rois n'étaient pas des esclaves, mais des petits fonctionnaires choyés par le pharaon et bénéficiant d'un logement individuel, employés et entretenus par le pharaon. Un texte de Ramsès II (-1305 / -1213 env.), adressé aux ouvriers de la région d'Héliopolis décrit leur situation et les avantages dont ils bénéficiaient[12] et, ne laisse aucun doute sur la façon dont ces ouvriers étaient choyés.

La grève des ouvriers de Deir el-Médineh en l'an 29 de Ramsès III, relatée dans les documents, est restée célèbre. Les 20 000 ouvriers bâtisseurs de la pyramide de Khéphren, détenteurs d'une technicité très avancée, n'avaient rien d'esclaves et étaient bien traités[13].

Un dessin[14] relevé par Champollion dans la tombe du vizir Rekhmirê (env. -1450 / -1400) montre un groupe d'ouvriers sémites fabriquant de concert avec les ouvriers égyptiens des briques et construisant un mur. Ce dessin est interprété comme démontrant l'égalité de statut entre les deux groupes et l'absence d'esclavage en Égypte antique. Christiane Desroches Noblecourt, médaille d'or du CNRS, souligne ce point depuis l'exposition Toutânkhamon dont elle était l'organisatrice, à Paris en 1967, sans parvenir à le faire prendre en compte par le grand public.

Les ouvriers de Deir el-Médineh ou d'Héliopolis sont une élite, ils sont représentatifs des bâtisseurs des grands travaux (les ouvriers du pharaon), mais ils ne sont pas représentatifs de la grande masse des paysans qui constituent l'Égyptien moyen.

[modifier] Bibliographie

  • Bernadette Menu[15], Nouvelles recherches sur l'histoire juridique, économique et sociale de l'ancienne Égypte, 2005 ;
  • (en) A. El et M. Bakir, Slavery in pharaonic Egypt, Cairo, 1952 ;
  • (en) S. P. Vleeming, The sale of slave in the time of pharaoh, OMRO61, 1980, pp. 1-17 ;
  • (en) E. S. Bogoslovskiy, On the system of the ancient Egyptian society of the epoch of the New Kingdom, Altorient Forschungen 8, 1981, pp. 5-21 ;
  • (en) E. Cruz-Uribe, Slavery in Egypt during the Saite and Persian periods, Revue International des Droits de l'Antiquité 29, 1982, pp. 47-71.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. Maurizio Damiano-Appia, Dictionnaire encyclopédique de l'Ancienne Égypte dans « Servitude et esclavage, organisation du travail », page 230-231.
  2. D’après (en) Slavery in ancient Egypt
  3. Période au cours de laquelle les archéologues et historiens place le récit biblique de l'Exode Problème de la date de l'Exode
  4. Dynastie d'origine uniquement nubienne (ou koushite) du Royaume de Napata
  5. Cette dynastie est la première de la Basse époque égyptienne, période de forte instabilité qui se caractérise par des prises de pouvoir successives de souverains étrangers (nubiens, lybiens, perses), entrecoupée de courtes périodes d'indépendances et marquée par l'invasion assyrienne
  6. Résumé ©2006 INIST-CNRS (All rights reserved) du document « La question de l'esclavage dans l'Égypte pharaonique», in Droit et cultures Modèle:ISSN 0247-9788, 2000, no39, pp. 59-79 [1]
  7. Ester : se présenter devant un tribunal comme demandeur ou comme défendeur. Tester : énoncer sa volonté testamentaire.
  8. Bernadette Menu, article Esclavage (Égypte), p. 839 du Dictionnaire de l'Antiquité, sous la direction de Jean Leclant, PUF 2005
  9. Bernadette Menu, article Droit (Égypte), p. 728 du Dictionnaire de l'Antiquité, sous la direction de Jean Leclant, éditions PUF, 2005.
  10. Maât : harmonie universelle nécessaire à la marche du monde en général et à l'exercice de la monarchie égyptienne en particulier, selon Dominique Valbelle, p. 1307 du Dictionnaire de l'Antiquité, sous la direction de Jean Leclant, éditions PUF, 2005.
  11. On a retrouvé les installations pour loger et nourrir les ouvriers des pyramides de Khéphren et Mykérinos ainsi que leurs tombes (emplacement d'honneur près des pyramides). Ils sont bien nourris et bénéficient d'une assistance médicale efficace (soins en cas d'accident, y compris amputations proprement effectuées). Voir catalogue de l'exposition "Pharaons", p. 29 et pp. 34-35 (éditions Flammarion, Institut de Monde Arabe, 2004).
  12. Claire Lalouette, L'empire des Ramsès, éditions Flammarion, 1995, pp. 254-255. Ramsès II, s'adressant aux ouvriers de la région d'Héliopolis, fait graver sur une stèle le texte suivant : « O vous..., (hommes) braves et puissants lorsque vous construisez des monuments, grâce à vous je vais pouvoir garnir tous les temples que j'ai élevés... Je pourvoirai à vos besoins de toutes les façons ; ainsi, vous travaillerez pour moi d'un cœur aimant. Je suis le protecteur puissant et le défenseur de votre métier. ... Je connais votre besogne, dure et utile, et (je sais) que le travail est chose réjouissante quand le ventre est plein. Pour vous, les greniers seront gonflés de blé... ; chacun d'entre vous aura des provisions pour un mois. J'ai aussi empli les magasins de toutes sortes de choses..., des sandales, des vêtements, de nombreux onguents, afin que vous puissiez oindre votre tête tous les dix jours, vous habiller (de neuf) chaque année, et que vos pieds soient fermes chaque jour. J'ai aussi mis en place un nombreux personnel pour subvenir à vos besoins... Pour vous aussi, sans cesse, la Haute Égypte navigue vers le delta et le delta vers la Haute Égypte, avec (des cargaisons) d'orge, d'épeautre, de froment, du sel et des fèves, en quantité innombrable. J'ai fait tout cela afin que l'on dise que vous prospérez, tandis que, d'un seul cœur, vous travaillez pour moi. » Le texte fait allusion au droit de grève (qui se dit rester en paix) « Aucun d'entre vous ne restera en paix, affligé par la disette ».
  13. On a retrouvé les installations pour loger et nourrir les ouvriers des pyramides de Khéphren et Mykérinos ainsi que leurs tombes (emplacement d'honneur près des pyramides). Ils étaient bien nourris et bénéficiaient d'une assistance médicale efficace (soins en cas d'accident, y compris amputations proprement effectuées). Voir catalogue de l'exposition "Pharaons", p. 29 et pp. 34-35 (éditions Flammarion, Institut de Monde Arabe, 2004).
  14. reproduit par Christiane Desroches Noblecourt in Le fabuleux héritage de l'Égypte, p. 190, éditions Télémaque, 2004
  15. pour qui « l'esclavage était contraire à l'éthique de la Maât égyptienne »