Psychanalyse et autisme

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Pour les psychanalystes, l'autisme est considéré comme un trouble des plus précoces, celui de la plus forte carence en termes de symbolisation. Notamment, la compréhension de l'absence de la mère est pensée comme défectueuse ; d'un point de vue lacanien, le signifié de la mère n'aurait pas été intégré (tandis que la psychose y est échec quant au nom du père). Michael Fordham a développé un point de vue jungien en émettant l'hypothèse d'un clivage du soi dont une part serait gelée.


Sommaire

[modifier] Causes de l'autisme, selon les théories psychanalytiques.

Dès le départ, la question de l'étiologie de l'autisme a généré certaines difficultés, d'une part en raison de la nouveauté de l'appréhension de ces problèmes rendant difficile une position claire par manque de données scientifiques, d'autre part à cause de la manière dont certaines de ces idées ont été diffusées ou médiatisées.

Ainsi, avant de trancher sur la fin de sa vie pour une étiologie génétique, le psychiatre Léo Kanner, l'un des précurseurs des recherches sur l'autisme infantile avait d'abord privilégié une origine psycho-affective en évoquant une froideur maternelle susceptible d'entraîner des difficultés de contact avec le bébé.

Ce changement important de perspective a rencontré par la suite, et surtout en France, une popularisation des idées de Bruno Bettelheim qui s'est davantage effectuée par les médias (émissions de télévision) que par ses livres, ce qui a pu entretenir certaines confusions. La création de l'Orthogénic School en 1947 sous la forme d'un internat où lui seul rencontrait les familles avec l'hypothèse d'une fonction psychotisante du milieu (les situations extrêmes) a probablement aussi alimenté l'idée selon laquelle les parents pourraient être directement responsables de l'apparition des troubles autistiques chez leur enfant.

Cependant, après avoir privilégié une origine psychique pure, la psychanalyse a aujourd'hui intégré les données de la neurophysiologie et de la génétique et, dès le début des années 1970, Frances Tustin affirmait qu'il pouvait y avoir une sensibilité génétique des enfants à devenir autiste. De fait, Margaret Mahler, Frances Tustin, Donald Meltzer, Françoise Dolto ou Maud Mannoni sans cesser d'interroger le sens que peut prendre l'autisme dans la relation parents-enfant, ont tous laissé ouverte la question de l'origine des troubles. Ceci impose une approche plurifactorielle ou la part de la psychogénèse est variable, même si un abord psychique des troubles demeure essentiel quelques soient les causes profondes.

L'existence de différences importantes entre les sujets autistes accrédite l'idée d'une étiologie complexe. Toutefois des causes variées peuvent aboutir au même fait central à savoir que ces enfants ont fait trop précocément, et/ou avec un équipement insuffisant, l'expérience de la perte de l'objet et qu'ils n'ont pu y faire face autrement qu'en élaborant des défenses autistiques. Celles-ci visent, notamment avec l'objet autistique ( cf. Frances Tustin) à boucher le trou de la séparation en niant les liens et peuvent donc empêcher l'enfant autiste et son agent maternant de se trouver réciproquement au sein d'une relation primaire suffisamment satisfaisante pour eux (la dyade).

Si les causes de l'autisme peuvent être multiples et se combiner entre elles : problèmes génétiques, infectieux ou neurophysiologiques, accouchement difficile, maladies néonatales entraînant des hospitalisations, mais aussi dépressions maternelles, absence de soutien paternel, deuils de parents ou d'enfants, violences transgénérationnelles , déracinements culturels, reviviscence de problèmes familiaux anciens ... le résultat final est la difficulté pour les partenaires de vivre une symbiose heureuse pourtant indispensable au développement normal du bébé c’est-à-dire au processus d'humanisation et d'individuation (Margaret Mahler). Cela entraîne secondairement l'impossibilité à élaborer une séparation psychique qui est à l'origine des déficits symboliques (jeu, langage élaboré...) que l'on constate par la suite chez l'enfant autiste (Mélanie Klein , Jacques Lacan).

[modifier] Le soin d'inspiration psychanalytique en France

En France les centres de consultation et institutions pour les enfants autistes et psychotiques sont relativement récents. Ce sont des psychanalystes : Serge Lebovici, Philippe Paumelle, et René Diatkine qui ont créé en 1958 l'Association de Santé Mentale du 13ème arrondissement de Paris, avec en 1961 le premier centre de consultation publique (le Centre Alfred Binet qui propose des thérapies psychanalytiques) puis la création du premier Hôpital de Jour en France. En 1969 Maud Mannoni crée l'école de Bonneuil sur Marne en s'inspirant des travaux de Jacques Lacan mais aussi des concepteurs de la psychothérapie institutionnelle Jean Oury, Félix Guattari, François Tosquelles qui avaient travaillé, mais avec des adultes, à l'Hôpital Saint Alban et/ou à la clinique de la Borde. A noter aussi les observations de jeunes sujets autistes faites par Fernand Deligny à partir de 1967 à Graniès, dans les Cévennes. En province la création du premier Hôpital de Jour pour enfants (IRP de Bègles) date de 1970, sous l'égide du Professeur Blanc, Président du CREAI d' Aquitaine, et du Docteur Jacques Loisy. Progressivement d'autres structures sont créées pour les jeunes enfants sur le territoire, mais souvent en nombre insuffisant, au fur et à mesure que la sectorisation psychiatrique, commencée en 1968, se met peu à peu en place.

Cela n'a pas empêché que jusque vers les années 1975 beaucoup d'enfants autistes ont continué d'endurer des conditions de vie dramatiques dans les anciens asiles où certains étaient placés, et où ils mouraient très jeunes de désespoir et d'absence de soins (hospitalisme) , d'autres restant cachés au domicile des parents par suite d'une absence de structure adaptée et de l'immense désarroi familial face à des troubles aussi étranges.

Il revient incontestablement aux personnes bien formées à la psychanalyse d'avoir humanisé le soin de ces enfants : en France (Serge Lebovici et son équipe) comme à l'étranger, (Bruno Bettelheim avant sa déportation s'intéressa le premier à ces questions en accueillant chez lui de 1932 à 1938 deux enfants autistes) en mettant davantage l'accent sur le traitement psychique que sur le handicap et en privilégiant un abord très individualisé des situations, toutes différentes, qui se présentent. Quelle que soit la cause de l'autisme un soin fondé sur la relation humaine, et non sur le forçage, est indispensable dans le respect des étapes maturatives de l'enfant et de sa souffrance ce qui suppose une connaissance approfondie du psychisme initiée par la psychanalyse. Tous les soignants insistent sur une prise en charge la plus précoce possible.

S'il est difficile aujourd'hui de faire un bilan précis de l'apport lié à ces méthodes attentives à la situation particulière de chaque enfant et du groupe familial tout entier dont il fait partie, on doit cependant indiquer que beaucoup de jeunes enfants autistes et psychotiques, même si l'on ne peut pas parler de guérison, voient leur situation s'améliorer pour ce qui concerne une meilleure utilisation du langage, une réduction importante de leurs angoisses, des communications plus faciles avec leur entourage ainsi qu' un accès au savoir et au jeu qui leur était la plupart du temps impossible auparavant. Mais il manque encore trop souvent de structures d'accueil adaptées où les adolescents et les jeunes adultes pourraient poursuivre l'évolution commencée en institution qui demeure souvent irremplaçable en raison de la nécessité thérapeutique d'un abord pluridisciplinaire et multifocal de la souffrance de ces enfants et de leur famille.


Aujourd'hui l'approche psychanalytique de l'autisme se fait principalement dans trois directions :

  • avec l'enfant en institution spécialisée type hôpital de jour autour de la notion de "contenance" (cf. Wilfred Bion) avec de nombreuses techniques verbales et non verbales  : ateliers thérapeutiques variés, thérapie individuelle ou groupale, pataugeoire, psychomotricité, orthophonie ... pour l'aider à s'ouvrir à une relation subjective, en complément des techniques éducatives et pédagogiques qui ont toute leur place à condition qu'elles soient souples et respectent l'évolution de l'enfant, ce qui nécessite un travail d'équipe coordonné et une "mise en récit du soin" (Jacques Hochmann).
  • avec la famille grâce à divers entretiens avec les membres de l'équipe et / ou des intervenants extérieurs pour mieux accompagner leur enfant et pour retrouver un fonctionnement aussi satisfaisant que possible, la présence d'un enfant autiste en son sein étant une épreuve des plus déstabilisantes pour son équilibre.
  • avec les soignants grâce aux réunions d'équipe et supervisions pour mieux comprendre les mouvements intérieurs très archaïques que peut éveiller en eux la prise en charge d'enfants autistes, et la dimension institutionnelle du soin.

[modifier] Les principaux concepts

Suite au terme d’autisme créé par Eugen Bleuler en 1911 et aux descriptions princeps de l’autisme infantile réalisées par Léo Kanner en 1943, un grand nombre de chercheurs de psychistes et de psychanalystes se sont intéressés aux origines de la pensée (observations de nourrissons), à la psychopathologie de l’enfant et aux activités perceptivo-sensorielles et motrices les plus précoces pour élaborer de nombreux concepts utiles pour les psychothérapies de l’autisme, des psychoses infantiles ou des états limites, mais aussi, de façon plus large, pour la connaissance des fondements du psychisme tant dans sa dimension individuelle que groupale : pourquoi et comment le sujet humain pense , quels sont les outils psychiques de base nécessaires à l'apparition de la pensée , et à quoi sert-elle  ?


On ne peut ici qu’énumérer leurs principaux auteurs pour montrer la richesse de ces apports qui déborde souvent très largement le champ strict de leur découverte : Marie-Dominique Amy (accordance), Piera Aulagnier (pictogrammes), Didier Anzieu (enveloppes psychiques, Moi-peau, miroir sonore), Gregory Bateson (double bind), Bruno Bettelheim (situations extrêmes), Esther Bick (identité adhésive, position adhésive, skin container, méthode d'observation des bébés), Wilfred Bion (fonction alpha, contenant-contenu, pare-excitation, rêverie maternelle, angoisses catastrophiques, éléments bêta), José Bleger (cadre, noyaux agglutinés, symbiose, ambiguïté), John Bowlby (attachement), Thomas Berry Brazelton (enveloppe d'interactions réciproques, compétences du nourrisson), Jean-Pierre Caillot (position narcissique adhésive ), Françoise Dolto (image inconsciente du corps), Michael Fordham (soi primaire, défenses du soi, soi gelé), Sigmund Freud ( narcissisme, stade oral, origines corporelles du moi, roman familial, dénégation, fort-da …etc.), Evelyne Granjon (objets bruts), Geneviève Haag (clivages corporels, mantèlement, identifications intracorporelles de jonction, structures rythmiques de base, grille de repèrage clinique des étapes évolutives de l'autisme infantile traité), Paula Heimann (objets enkystés), Jacques Hochmann (mise en récit du soin), Eliott Jaques (défenses contre les angoisse primitives), René Kaës (appareil psychique groupal, fonction conteneur, pactes dénégatifs), Mélanie Klein (identification projective, bon et mauvais objet, positions paranoïde-schizoïde et dépressive), Léon Kreisler , Bertrand Cramer et Serge Lebovici (interactions fantasmatiques), Jacques Lacan ( forclusion du Nom du Père, stade du miroir ), Rosine Lefort et Robert Lefort (Autre troué/non troué), Margaret Mahler (phase autistique normale, symbiose, séparation-individuation), Donald Meltzer (démantèlement, bi-dimensionnalité, identification intrusive), Gisela Pankow (corps vécu spatial et temporel), Paul Schilder (image du corps), Hanna Segal (équations symboliques), René Spitz (dépression anaclitique, dyade, hospitalisme, cavité primitive, organisateurs du moi), Daniel Stern (accordage affectif), René Thom (théorie des catastrophes, attracteurs), François Tosquelles (constellation transférentielle), Frances Tustin (formes ou traces autistiques, autisme primaire normal, trou noir de la psyché, matrice postnatale, objets autistiques et confusionnels, sensations objets), Henri Wallon et René Zazzo (le stade du miroir) , Donald Winnicott ( setting, holding, handling, breakdown, objets et phénomènes transitionnels, capacité à être seul )...

[modifier] Bibliographie