Physiognomonie

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Étude de proportion de différents visages par Albrecht Dürer
Étude de proportion de différents visages par Albrecht Dürer
Illustration extraite d'un manuel de physiognomonie du XIXe siècle.
Illustration extraite d'un manuel de physiognomonie du XIXe siècle.

La physiognomonie est une méthode fondée sur l'idée que l'observation de l'apparence physique d'une personne, et principalement les traits de son visage, peut donner un aperçu de son caractère ou de sa personnalité.

La physiognomonie connut son essor au XIXe siècle, en particulier avec les thèses du criminologue Cesare Lombroso, portées dans son ouvrage L'Homme criminel (ce qui vaut encore à cette théorie d'être parfois appelée le lombrosianisme). Dénuée de méthodologie scientifique, cette pseudo-science est un élément du mouvement de racisme scientifique qui s'est développé au cours du XIXe siècle.

Cette théorie permit notamment l'avènement d'une école positiviste italienne, qui visait à « mettre la science au service de l’ordre social »[1]. Cette théorie a été profondément critiquée par le corps médical, des philosophes, ainsi que par des juristes.

Sommaire

[modifier] Principes de la physiognomonie

Illustration tirée de The Physiognomist's Own Book de 1841
Illustration tirée de The Physiognomist's Own Book de 1841

La physiognomonie a ses racines dans un fait psychologique : nous tendons parfois, de façon irréfléchie, à supposer à quelqu'un un caractère, et ce simplement à partir de l'observation de son physique. Par exemple, quelqu'un de rond évoquera une douceur morale, etc. La physiognomonie a essayé de fonder scientifiquement cette expérience, en dégageant d'abord des régularités, et, à partir de là, des lois.

Mais en cherchant les causes dans l'objet du jugement (i.e par la constitution d'une science) et non dans le jugement subjectif (i.e dans la psychologie), elle se condamnait à de nombreuses apories d'un point de vue scientifique, et à l'impossibilité de dégager de telles lois.

L'idée principale de la physiognomonie est qu'une mesure des différents angles (par exemple la saillie du menton), de la forme (une tête "carrée" ou plus "ovale"), des imperfections (la fameuse « bosse des maths » par exemple) permettait de déduire la personnalité d'un individu. La mesure permet la mathématisation des données, qui à son tour permet de prétendre à une certaine objectivité. Mais cette théorie se fondait sur des critères totalement subjectifs, bien qu'on se soit efforcé de poser des rapports quantitatifs (un angle de plus de 45° entre l'axe de la mâchoire et l'axe du nez étant significatif, par exemple, d'un comportement agressif).

En ceci la physiognomonie montrait qu'elle voulait se constituer comme science, selon les canons du XIXè siècle : à partir de l'observation de cas, elle voulait dégager par mathématisation puis par induction des lois universelles, en procédant d'une manière analogue à l'astronomie, et en voulant imiter les succès de Newton.

[modifier] La physiognomonie et les Anciens

Les rapports entre l'aspect d'un individu et son caractère ont fait l'objet de remarques dès l'Antiquité, comme en témoignent certains vieux poèmes grecs. Les premières allusions à une théorie de la physiognomonie apparaissent au Ve siècle av. J.-C. à Athènes, où un certain Zopyre passait pour expert en la matière. Pythagore, que l'on regarde parfois comme l'instigateur de la physiognomonie, repoussa un jour un dénommé Cylon qui désirait devenir son adepte, simplement parce que le penseur lisait sur sa figure un signe de mauvais caractère[2]. Aristote, au IVe siècle av. J.-C., fait souvent référence à cette théorie et à la littérature concernant les rapports entre l'apparence et le caractère. Aristote était visiblement lui-même favorable à ces idées, comme en témoigne un passage de ses Premiers Analytiques[3] :

« Il sera possible de déduire le caractère d'après les traits du visage, pour peu que l'on accepte que le corps comme l'âme ensemble sont changées par les affections naturelles : je dis naturelles, car bien que par l'étude de la musique un homme altère son âme, il ne s'agit pas là d'une affection que nous recevons comme naturelle : lorsque je parle d'émotions naturelles, je fais allusion aux passions et aux désirs. Si donc cela est admis et qu'en outre, à chaque changement est associé un signe spécifique, et qu'enfin l'on puisse assigner affection et signe en propre à chaque espèce animale, nous serons capables de déduire le caractère d'après les traits du visage. »

Un koala mangeant de l'eucalyptus : cela a-t-il affecté sa physionomie ?
Un koala mangeant de l'eucalyptus : cela a-t-il affecté sa physionomie ?

Bien que ce passage soit délicat à traduire, Aristote semble faire allusion ici à des caractéristiques naturelles d'expression faciale propres à chaque animal, dont il suggère qu'elles peuvent s'analyser en terme de correspondance— par exemple, la dilection du koala pour les feuilles d'eucalyptus.

Le premier traité systématique de physiognomonie qui nous soit parvenu est un opuscule intitulé Physiognomica, attribué à Aristote (mais qui est plus probablement une œuvre du Lycée). L'ouvrage comprend deux parties, dont on pense qu'elles formaient à l'origine deux traités séparés : la première partie, qui passe en revue les arguments tirés d'observations de la nature et des caractères attribués aux races humaines, se concentre sur les différents aspects du comportement humain ; la seconde partie est consacrée au comportement animal, et divise le règne animal en caractères « mâles » et « femelles ». À partir de ces caractères sont dressées des correspondances entre la forme du corps humain et le caractère.

Les principaux ouvrages postérieurs à Aristote traitant de physiognomonie sont :

[modifier] La physiognomonie contre le crime

[modifier] Une théorie critiquée

Déjà de son temps, du manque de preuves objectives et de piliers solides, la physiognomonie ne faisait pas l'unanimité.

[modifier] Critique de la philosophie : Hegel

Dans la Phénoménologie de l'esprit (1807), Hegel se livre à une critique de la physiognomonie, en citant plusieurs fois Georg Christoph Lichtenberg, auteur du livre Über Physiognomonik (Göttingen, 1788).

Hegel reproche à la physiognomonie de chercher la conscience de soi là où elle ne peut pas être, à savoir dans le sensible, dans le corporel, autrement dit, ses manifestations extérieures. Or, il n'y a pas de stricte équivalence nécessaire entre la conscience et ses manifestations :

« Il s'agit certes d'une expression, mais en même temps aussi uniquement en tant que signe, si bien que ce à quoi ressemble ce qui exprime le contenu exprimé est parfaitement indifférent à ce dernier. Certes, dans cette apparition phénoménale, l'intérieur est un Invisible visible, mais sans être rattaché à elle ; il peut tout aussi bien être dans un autre phénomène, qu'un autre intérieur peut être dans le même phénomène. Lichtenberg a donc raison de dire : quand bien même le physiognomoniste mettrait un jour la main sur l'homme, il suffirait à celui-ci d'une seule brave petite décision pour se rendre de nouveau incompréhensible pendant des millénaires. »
    — 
Phénoménologie de l'esprit, Aubier, 1991, trad. Lefebvre, p. 228

Le corps n'est que le signe de l'âme : par conséquent, la manifestation est arbitraire. Il peut renvoyer à tout et à son contraire, ce qui rend impossible tout constitution d'une science s'efforçant de dégager des lois universelles. L'âme n'est pas réductible à ses manifestations corporelles : l'intérieur, c'est-à-dire la conscience de soi, n'est pas et ne sera jamais visible. C'est pourquoi :

  • un même état de la conscience peut avoir des manifestations diverses : l'intérieur peut tout aussi bien être dans un autre phénomène ;
  • deux états différents de la conscience peuvent avoir la même manifestation : un autre intérieur peut être dans le même phénomène.

Ce jeu arbitraire entre l'intérieur et son phénomène (c'est-à-dire ce qui en apparaît) interdit la constitution d'une science, dans la mesure où celle-ci essaye au contraire de montrer des corrélations entre chaque état de la conscience et chacun de ses phénomènes. Ces corrélations ne peuvent pas exister, et ce en vertu de la seule nature de la conscience, qui est d'être un phénomène intérieur, qui entretient avec son phénomène une relation indifférente, c'est-à-dire arbitraire.

[modifier] Critiques scientifiques

Aujourd'hui, non seulement la prétention scientifique de la physiognomonie n'est plus défendable, mais on l'associe même volontiers au racisme, ou plus largement à la discrimination.

Le caractère d'une personne n'est en effet pas déductible du seul aspect physique de la personne, mais dépend de nombreux facteurs externes : milieu social, expériences, etc.

On a montré que les variations génétiques sont beaucoup plus importantes qu'on ne l'avait cru jusqu'ici. Le codage responsable de synthèses protéiques déterminées quant à leur qualité et/ou leur quantité s'avère ainsi extrèmement individuel, conférant à chacun des caractéristiques propres du point de vue biochimique, physiologique, morphologique et psychologique. Ces caractéristiques sont de type probabiliste, l'individu "aura tendance" par exemple, à sécréter plus d'insuline, à être plus avide de sucre, plus porté à présenter un certain trait de tempérament ou de caractère, etc. Il ne sera absolument pas déterminé par ce fait : on a montré par exemple que certains syndromes somatiques ou psychopathologiques quand ils existent chez un individu se retrouvent plus fréquemment présents chez son éventuel jumeau homozygote que chez son éventuel jumeau hétérozygote. Les caractéristiques morphologiques se comportent de la même façon. On doit remarquer que ces liens sont plutôt théoriques et devraient faire l'objet de recherches approfondies, sans négliger l'énorme influence du milieu et sans doute de la liberté individuelle qui rendraient compte du fait qu'il existe une forte minorité de jumeaux homozygotes dont l'un exprimera la tendance considérée alors que l'autre parviendra à s'en dégager.

[modifier] Critiques des juristes

[modifier] Notes et références

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Physiognomy ».
  1. Yves Mayaud (dir.), Édouard Tillet, Rép. pen. Dalloz, « Histoire des doctrines pénales », juin 2002, 29 p.
  2. Christop Riedweg, Pythagoras: His Life,Teaching, and Influence (2005), Ithaca.
  3. Premiers Analytiques, 2.27.

[modifier] Voir aussi

wikt:

Voir « physiognomonie » sur le Wiktionnaire.

Œuvres des auteurs défendant cette théorie

Auteurs ayant contribué à cette théorie

Doctrines liées

  • Phrénologie : étude de la forme des crânes
  • Métoscopie : étude des rides du front