Pesanteur et gravité

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Sommaire

[modifier] Intérêt du champ de pesanteur

L'importance du champ de pesanteur de la Terre pour les géodésiens se conçoit aisément lorsqu'on se rend compte que sa direction en chaque point, qui correspond à la verticale du lieu fournie par le fil à plomb, sert de référence lors de la mise en station de tout instrument de mesure géodésique. De manière plus détaillée, on comprend l'intérêt du champ de pesanteur pour les raisons suivantes :

  • Ses valeurs à la surface et à l'extérieur de la Terre servent de référence à la plupart des quantités mesurées en géodésie. En fait, le champ de pesanteur doit être connu afin de réduire les observables géodésiques en systèmes définis géométriquement.
  • La distribution des valeurs de la pesanteur à la surface terrestre permet, en combinaison avec d'autres mesures géodésiques, de déterminer la forme de cette surface.
  • La surface de référence la plus importante pour les mesures de hauteurs — qu'on appelle le géoïde — est une surface de niveau du champ de pesanteur.
  • L'analyse du champ de pesanteur externe fournit des informations sur la structure et les propriétés de l'intérieur de la Terre. En rendant ces informations disponibles, la géodésie devient une science auxiliaire de la géophysique. C'est ce qui s'est passé de manière accélérée pendant les dernières décennies, avec l'avènement de la géodésie spatiale.

[modifier] Composantes du champ de pesanteur

Un corps solidaire de la croûte terrestre est soumis à l'attraction gravifique de la Terre et des autres corps cosmiques, ainsi qu'à la force axifuge[1] (ou centrifuge) causée par la rotation terrestre. La résultante de ces forces est la pesanteur. Elle dépend de la localisation géographique du corps, mais également du temps. L'étude des variations spatiales et temporelles de la pesanteur est l'un des objectifs principaux de la géodésie physique. On peut remarquer d'ores et déjà que l'étude globale du champ de pesanteur de la Terre est basée en grande partie sur l'utilisation de satellites artificiels tournant autour de la Terre. La rotation de ces satellites est découplée de la rotation terrestre, et les satellites subissent par conséquent la seule composante gravifique de la planète. Cette dernière dépend toutefois elle-même implicitement de la composante axifuge, par le fait que la rotation affecte la distribution des masses en aplatissant plus ou moins les diverses strates de la Terre selon qu'elle est plus ou moins rapide.

La pesanteur est une force communiquant à une unité de masse une accélération \mathbf g, laquelle est variable dans l'espace et dans le temps. Dans le système international, l'unité d'accélération est le mètre par seconde par seconde (m/s²). L'intensité du vecteur pesanteur \mathbf g, c'est-à-dire g, au voisinage de la surface terrestre est voisine de 10 m/s², avec des variations maximales atteignant environ 0,2%. En général, les variations Δg de g sont plus importantes pour le géodésien et le géophysicien que les intensités absolues — ne fût-ce qu'à cause du fait qu'on sait faire des mesures différentielles avec plus de précision que des mesures absolues. Par conséquent, une unité pratique pour la gravimétrie est le cm/s². On a donné à cette dernière le nom « gal » en l'honneur du grand physicien italien Galileo Galilei.

La variation maximale de g à la surface de la Terre atteint donc à peu près 5 gal, et est attribuable à la variation de g avec la latitude. Des variations à plus courtes longueurs d'onde, connues comme anomalies gravimétriques du géoïde, sont typiquement de quelques dixièmes à quelques dizaines de milligals (mgal). Dans certains phénomènes géodynamiques dont l'observation est devenue possible depuis peu de temps grâce aux progrès de l'instrumentation géodésique, on s'intéresse à des variations de g en fonction du temps dont l'amplitude atteint seulement quelques microgals (µgal). En fait, des études théoriques (modes du noyau, variation séculaire de g) envisagent actuellement des variations de g se situant au niveau du nanogal (ngal).

En prospection gravimétrique et en génie civil, les anomalies significatives de g sont généralement comprises entre quelques microgals et quelques dixièmes de milligal. Pour fixer les idées, lorsqu'à la surface de la Terre nous nous élevons de trois mètres, la pesanteur varie d'environ 1 mgal. Retenons que:

  • 1 gal = 10–2 m/s² ≅ 10–3 g ;
  • 1 mgal = 10–3 gal = 10–5 m/s² ≅ 10–6 g ;
  • 1 µgal = 10–6 gal = 10–8 m/s² ≅ 10–9 g ;
  • 1 ngal = 10–9 gal = 10–11 m/s² ≅ 10–12 g.

[modifier] Attraction gravifique

Selon Isaac Newton, qui formula la loi d'attraction universelle dans son ouvrage « Principes mathématiques de la Philosophie Naturelle » paru en 1687, deux points matériels P et Q, de masses respectives MP et MQ, s'attirent mutuellement avec une force dont l'intensité vaut F(P,Q) = \tfrac{GM_PM_Q}{d^2 (P,Q)}, où d(P,Q) désignent la distance séparant les points P et Q, et G la constante de gravitation de Newton valant (6,67259 \pm 0,00085)\cdot 10^{-11}\rm~m^3kg^{-1}s^{-2}. Cette force est portée par la droite joignant les points P et Q.

En P elle est orientée vers Q : F(P,Q) = F(P,Q)\tfrac{PQ}{d (P,Q)}.

En Q, elle est orientée vers P : F(Q,P) = F(P,Q)\tfrac{QP}{d (P,Q)}.

Dans la suite, P désignera en général le point attiré (on dit aussi le point potentié) et Q le point attirant (ou point potentiant). Nous admettrons que P est une particule-test de masse unitaire (MP = 1). La force attirante s'exerçant en P est alors une force par unité de masse, ou force spécifique, appelée gravité ou force gravifique. Nous la dénoterons ici X(P,Q).

On a donc :

X(P,Q) = \frac{F(P,Q)}{M_P} = G\,M_Q\,P\,Q\,d^{-3}(P,Q).

Les dimensions de cette force gravifique, qui selon la première loi de Newton communique une accélération \mathbf g (appelée accélération gravifique) à la masse unitaire en P, sont donc celles d'une accélération, c'est-à-dire LT − 2. La grandeur X s'exprime donc en m / s2.

Un corps tel que la Terre est composé d'un nombre quasi-infini de points massiques, en sous-entendant par point massique un point discret tel un atome ou une molécule. La Terre dans son entièreté — ou toute partie de celle-ci — induit sur la particule-test en P une force d'attraction X résultant de la sommation vectorielle des forces exercées individuellement par tous les points massiques.

[modifier] Notion de potentiel de gravité

Pour simplifier ces calculs, il est avantageux de passer du champ vectoriel X à un champ scalaire V, en utilisant le théorème de Helmholtz-Hodge. Ce dernier fournit une méthode de décomposition pour un champ vectoriel général v, moyennant la relation

v = \nabla \Phi+\nabla\times \Psi = \overrightarrow\operatorname{grad}~\Phi+\overrightarrow\operatorname{rot}~\Psi

munie d'une condition de jauge \nabla\Psi = 0 pour réduire le nombre de composantes indépendantes du potentiel vecteur Ψ à 2. Ici, nous supposerons les quantités v, Φ et Ψ exprimées en termes de coordonnées cartésiennes x1, x2, x3. Les axes cartésiens sont repérés au moyen des vecteurs unitaires e1, e2, e3 parallèles respectivement aux directions Ox1, Ox2, Ox3, O étant l'origine du système d'axes.

Alors, les équations précédentes peuvent s'écrire sous forme de composantes respectivement :

  • v_1 = \partial_1 \Phi + \partial_2 \psi_3 - \partial_3 \psi_2
  • v_2 = \partial_2 \Phi + \partial_3 \psi_1 - \partial_1 \psi_3
  • v_3 = \partial_3 \Phi + \partial_1 \psi_2 - \partial_2 \psi_1
  • \partial_1 \psi_1 + \partial_2 \psi_2 + \partial_3 \psi_3 = 0

Suivant une coutume assez courante, nous désignons par \partial_i la ie composante du gradient \nabla, c'est-à-dire la dérivée partielle par rapport à xi : \partial_i = \nabla_i = \tfrac{\partial}{\partial x_i}.

Il est bien connu que le rotationnel d'un gradient de même que la divergence d'un rotationnel sont nuls. Cela est prouvé par les identités suivantes :

  • \nabla \times (\nabla \Phi) \equiv 0
  • \nabla \cdot (\nabla \times \Psi) \equiv 0

Comme le champ de force gravifique X(x1,x2,x3) est irrotationnel, autrement dit \nabla\times X = 0 on voit que X peut s'écrire comme gradient d'un potentiel scalaire. Au lieu de la notation générale Φ, nous désignerons dans la suite ce potentiel gravifique par V, donc X(P,Q) = \nabla V (P,Q) ou, en notation de composantes (c'est-à-dire en notation indicielle) : X_i(P,Q) = \partial_i V (P,Q).

Considérons maintenant la quantité d − 1 = ((y1x1)2 + (y2x2)2 + (y3x3)2) − 1 / 2. Si nous interprétons, comme nous le ferons systématiquement dans la suite, les y1,y2,y3 comme les composantes du vecteur-position y associé à un point potentiant Q, et les x1,x2,x3 comme les composantes du vecteur-position x associé à un point potentié P, alors d − 1 représente l'inverse de la distance entre les points P et Q : d − 1 = d − 1(P,Q). Sa dérivée partielle évaluée au point P, soit \partial_i d^{-1}(P,Q) = (y_i-x_i).((y_1-x_1)^2 + (y_2-x_2)^2 + (y_3-x_3)^2)^{-3/2}, représente la ie composante du gradient de la distance inverse d − 1. En comparant cette expression avec l'expression fournissant la gravité produite en P par un point massique en Q, nous voyons que X (P,Q) = GM_Q \nabla d^{-1} (P,Q).

Par conséquent, le potentiel V produit en P par Q peut s'écrire  V (P,Q) = GM_Q d^{-1}(P,Q) + V_\infty.

La constante additive V_\infty n'est pas essentielle puisqu'elle n'intervient pas lorsqu'on prend le gradient. Néanmoins, on peut l'annuler par une définition judicieuse du potentiel, comme indiqué ci-dessous. Le travail à effectuer pour amener une particule-test dans le champ gravifique X produit par un point massique Q d'un point P_\infty situé à l'infini au point P est fourni par l'expression :

T \left(P_\infty \to P,Q \right) = \int_{P}^{P_\infty} X\, \mathrm ds = 
\int_{P}^{P_\infty} \left(X_1 \mathrm dx_1 + X_2 \mathrm dx_2 + X_3 \mathrm dx_3 \right)

avec ds un élément arbitraire de la trajectoire.

Compte tenu du fait que X_i (P,Q ) = GM_Q\tfrac{\partial d^{-1}(P,Q)}{\partial x_i}, l'intégrale curviligne ci-dessus s'évalue facilement et on trouve simplement :

T \left(P_\infty \to P,Q \right) = GM_Q \left(d^{-1} \left(P,Q \right) - d^{-1} \left(P_\infty,Q \right)\right) = GM_Q d^{-1} \left(P,Q \right)

puisque d^{-1}(P_\infty,Q) = \infty.

En définissant conventionnellement[2] le potentiel gravifique comme le travail à effectuer pour amener une particule-test dans un champ gravifique d'une distance infinie en un point P, les relations ci-dessus impliquent que V_\infty = 0. Le potentiel gravifique produit en P par une masse ponctuelle MQ située en Q est donc V(P,Q) = GMQd − 1(P,Q).

En utilisant le principe de superposition, le potentiel gravifique créé en P par N masses ponctuelles isolées situées aux points Q1,Q2,QN peut s'écrire

V(P) = \sum_{i=1}^N GM_i d^{-1}(P,Q_i)

si nous désignons par Mi la masse du point matériel situé en Qi.

Le matériau terrestre est généralement conçu comme une accumulation continue de points massiques plutôt que comme un système de points massiques discrets. On passe de la description discrète à la description continue par l'intermédiaire de la notion de masse volumique improprement mais universellement appelée densité tant dans les sciences de la Terre, en particulier en géodésie, que dans les sciences de l'Univers.

La densité en un point Q est définie de la sorte : par la pensée entourons le point Q d'un petit volume δτ(Q), et soit δM(Q) la masse de la quantité de matière contenue dans ce volume. On définit alors la densité ρ(Q) en Q par la limite du rapport \tfrac{\delta M (Q )}{\delta \tau (Q )} lorsque δτ(Q) devient de plus en plus petit, pourvu que cette limite existe. Dans la description macroscopique que nous faisons ici de la Nature, nous admettrons que cette limite existe toujours. En conséquence, nous supposerons la Terre subdivisée en éléments de masse dM(Q) associés à des éléments de volume dτ(Q) par la relation dM(Q) = ρ(Q).dτ(Q).

Mathématiquement, les éléments de volume δτ(Q) doivent se concevoir comme des volumes infiniment petits, mais d'un point de vue physique ils doivent être suffisamment grands pour contenir assez d'entités structurales (atomes, molécules, microcristaux, minéraux, roches, selon la finesse de la description souhaitée), de manière à pouvoir définir des moyennes significatives pour les diverses propriétés physiques. Moyennant ces concepts, on peut passer de la description discrète à une description continue : on remplace le point massique Q de masse M(Q) par l'élément matériel dτ(Q) recouvrant le point potentiant Q, de masse élémentaire dM(Q) fournie par dM(Q) = ρ(Q).dτ(Q), et on remplace la somme sur tous les points isolés Qi par l'intégrale de Stieltjes, l'intégration étant étendue à toute la masse M de la Terre:

V(P) = \int_M \frac{G}{d(P,Q)}\mathrm dM(Q)

La fonction potentielle V fut introduite explicitement par Laplace et utilisée par Legendre à la fin du XVIIIe siècle, et la notion de potentiel était implicite dans des écrits de Laplace et de Gauss datant de la première moitié du XIXe siècle. Toutefois, le terme potentiel lui-même ne fut forgé par Stokes que dans la seconde moitié du XIXe siècle.

[modifier] Bibliographie

  • W.A. Heiskanen et H. Moritz, Physical Geodesy, W.H. Freeman and Company, 1967, San Francisco and London. ix + 364 pp.
  • B. Hofmann-Wellenhorf et H. Moritz, Physical geodesy, Springer, 2005, ISBN 10-3-211-23584-1

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. L'usage veut qu'on parle de la force centrifuge plutôt que d'une force axifuge. Cela provient du fait qu'on a commencé par envisager la rotation autour d'un point. Pour la Terre, il ne s'agit plus de la rotation autour d'un point, mais de la rotation autour d'un axe, qui crée un champ de force perpendiculaire à l'axe de rotation. Il s'agit donc, à proprement parler, d'un champ de force axifuge.
  2. C'est la convention usuelle en astronomie et en géodésie, et une convention assez courante en géophysique et en géodynamique. En physique, on assimile généralement le potentiel à l'énergie potentielle, qui correspond au travail changé de signe. Dans ce cas, on a : X = - \nabla V, avec V(P,Q) = \tfrac{-GM_Q}{d(P,Q)}.
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