Mangonneau

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Le mangonneau est un engin militaire offensif de l'époque médiévale, très proche du trébuchet.

Le trébuchet, par son mouvement brusque, saccadé, était bon pour lancer les projectiles par-dessus de hautes murailles, sur des combles ; mais il ne pouvait faire décrire au projectile une parabole très allongée se rapprochant de la ligne horizontale. Le tir du mangonneau pouvait se régler beaucoup mieux que celui du trébuchet, parce qu'il décrivait un plus grand arc de cercle, et qu'il était possible d'accélérer son mouvement.
Essayons d'abord d'expliquer cet engin.

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D'abord (cf figure 1), la verge, au lieu de passer dans l'axe du tourillon, se trouvait fixée en dehors, ainsi que l'indique la tracé en A. À son extrémité inférieure, qui s'élargissait beaucoup (nous allons voir comment et pourquoi), étaient attachés des poids, lingots de fer ou de plomb, ou des pierres, maintenus par une armature et un coffre de planches B. Dans son état normal, la verge, au lieu d'être verticale comme dans le trébuchet, devait nécessairement s'incliner du côté de l'ennemi, c'est-à-dire sur la face de l'engin, à cause de la position du contre-poids et celle de l'arbre. Pour abaisser la verge, on se servait de deux roues C, fixées à un treuil et correspondant à deux poulies de renvoi D. Il est clair que devant l'ennemi, il n'était pas possible de faire monter un servant au sommet de la verge pour y fixer la corde double de tirage avec sa poulie et son crochet, d'abord parce que cette corde et cette poulie devaient être d'un poids assez considérable, puis parce qu'un homme qui se serait ainsi exposé aux regards ennemis eût servi de point de mire à tous les archers et arbalétriers. Ces engins étaient entourés de barrières et de claies destinées à garantir les servants qui restaient sur le sol (cf l'article sur le trébuchet pour plus de détails sur ce point). Au moyen d'un petit treuil E, attaché aux parois de la caisse du contre-poids et mu par deux manivelles, on amenait, à l'aide de la corde double F passant par deux fortes poulies G, la poulie H et son crochet auquel préalablement on avait accroché l'autre poulie K. La verge abaissée suivant l'inclinaison LM, on faisait sauter le crochet de la poulie K, et la verge décrivait l'arc de cercle MN. Les servants précipitaient ce mouvement en tirant sur plusieurs cordes attachées en O, suivant la direction OR. Si, lors du décliquement de la verge, les servants tiraient vivement et bien ensemble sur ces cordes, ils faisaient décrire à l'extrémité supérieure de la verge un arc de cercle beaucoup plus grand que celui donné par la seule action du contre-poids, et ils augmentaient ainsi la force d'impulsion du projectile D au moment de son départ. Pour attacher la poulie K à la poulie H, on tirait celle-ci au moyen d'un fil P en déroulant le treuil E, on descendait cette poulie H aussi bas qu'il était nécessaire, on y attachait la poulie K, on appuyait de nouveau sur le treuil E. Cette manœuvre était assez rapide pour qu'il fût possible d'envoyer douze projectiles en une heure.

Pour faciliter l'abaissement de la verge, lorsque les tendeurs agissaient sur les deux grandes roues C, les hommes préposés à la manœuvre des cordes du balancier B tiraient sur ces cordes attachées en O, suivant la ligne OV. Lorsque la verge était abaissée, les servants chargés de l'attache de la fronde étendaient les deux brides de cette fronde dans la rigole T. L'une de ces brides restait fixée à l'anneau X, l'autre était sortie d'elle-même du style U ; les servants avaient le soin de repasser l'anneau de cette seconde brode dans le style, et, bien entendu, laissaient passer ces deux brides par-dessus la corde double de tirage de la verge, ainsi que l'indique la coupe Z, présentant en a l'extrémité de la verge abaissée avec sa poulie H en h, sa poulie K en k, les deux poulies D en d, les deux brides de la fronde en gg. Lorsque le décliqueur agissait sur la petite bascule e du crochet, la poulie K tombait entre les deux sablières, la verge se relevait et les deux brides gg tiraient le projectile S. On observera ici que le projectile S étant posé dans la poche de la fronde, les deux brides de cette fronde devant être égales en longueur, l'une, celle attachée à l'anneau X, est lâche, tandis que celle fixée au style est presque tendue. L'utilité de cette manœuvre va tout à l'heure être démontrée. On voudra bien encore examiner la position du contre-poids lorsque la verge est abaissée; cette position est telle que la verge devait se trouver en équilibre; que, par conséquent, l'effort des tendeurs, pour l'amener à son déclin, devait être à peu près nul, ce qui permettait de tendre la corde sur la poulie k, ainsi que l'indique la coupe Z ; que cet équilibre, obtenu par les pesanteurs principales reportées sur le tourillon A, rendait efficace le tirage des hommes préposés au balancier, puisqu'au moment du décliquement, il devait y avoir une sorte d'indécision dans le mouvement de la verge ; que ce tirage ajoutait alors un puissant appoint au poids du balancier, ce qui était nécessaire pour que la fronde fonctionnât convenablement.

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La figure 2 présente le mangonneau du côté de sa face antérieure, au moment où la verge est abaissée. Les six hommes agissant sur les deux grands treuils sont restés dans les roues afin de dérouler le câble doublé lorsque la verge aura lancé le projectile qui est placé dans la corde de la fronde. Seize hommes s'apprêtent à tirer sur les quatre cordes attachées à la partie inférieure du contre-poids. Le décliqueur est à son poste, en A, prêt à faire sauter le crochet qui retient l'extrémité de la verge abaissée. Le maître de l'engin est en B ; il va donner le signal qui doit faire agir simultanément le décliqueur et les tireurs; à sa voix, la verge n'étant plus retenue, sollicitée par les seize hommes placés en avant, va se relever brusquement, entraînant sa fronde, qui, en sifflant, décrira une grande courbe et lancera son projectile.

Examinons maintenant comment la fronde devait être attachée pour qu'une de ses branches pût quitter en temps opportun le style de l'engin, afin de laisser au projectile la liberté de s'échapper de la poche.

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Voici (figure 3) l'extrémité de la verge; on voit en A l'attache fixe qui se compose d'un long étrier tournant sur un boulon B; puis, en C, le style en fer, élargi à sa base, et en D, la boucle qui n'entre dans ce style que jusqu'à un certain point qu'elle ne peut dépasser à cause de cet élargissement. Lorsque l'étrier est sollicité par l'une des brides de la fronde (cf profil G), il faut que son anneau E tombe sur la circonférence décrite par l'anneau de la boucle, circonférence dont, bien entendu, la verge est le rayon; il faut aussi que l'étrier ne puisse dépasser la ligne IE et soit arrêté en K par la largeur du bout de la verge. Tant que la bride de la fronde attachée à l'anneau E de l'étrier n'a pas, par suite du mouvement imprimé, dépassé la ligne EE' , prolongement de la ligne IE, l'autre bride de la fronde tire sur la boucle F obliquement, de telle façon que cette boucle ne peut quitter le style C.

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Ceci compris, la figure 4 indique le mouvement de rotation de la verge. La bride mobile de la fronde ne quittera le style que lorsque le projectile aura dépassé le rayon du cercle décrit par la verge, qu'au moment où les brides de la fronde formeront avec la verge un angle, ainsi qu'il est tracé dans la position A. Alors, l'une des brides de la fronde continuera à tirer sur l'étrier, tandis que l'autre se relâchera, et la force centrifuge imprimée au projectile fera échapper la boucle du style, comme nous le voyons en M. Le projectile libre décrira sa parabole. Si le mouvement de rotation de la verge était égal ou progressivement accéléré, il arriverait un moment où le projectile se trouverait dans le prolongement de la ligne de la verge (rayon) pour ne plus quitter cette ligne qu'au moment où la verge s'arrêterait. Mais il n'en est pas ainsi, grâce à la disposition du tourillon hors de la ligne de la verge, de la place du contre-poids hors d'axe, et du tirage des hommes pour hâter le mouvement de rotation au moment du décliquement; une force d'impulsion très violente est d'abord donnée à la verge, et par suite au projectile; celui-ci, sous l'empire de cette force première, décrit sa courbe plus rapidement que la verge ne décrit son arc de cercle, d'autant que le mouvement de celle-ci se ralentit à mesure qu'elle approche de son apogée; dès lors, les brides de la fronde doivent faire un angle avec la verge, ainsi qu'on le voit en M.

C'étaient donc les hommes placés à la base du contre-poids qui réglaient le tir, en s'appuyant plus ou moins sur les cordes de tirage. S'ils appuyaient fortement, la verge décrivait son arc de cercle avec plus de rapidité, la force centrifuge du projectile était plus grande ; il dépassait plus tôt la ligne de prolongement de la verge; le bras mobile de la fronde se détachait plus tôt et le projectile s'élevait plus haut, mais parcourait un moins grand espace de terrain. Si, au contraire, les hommes du contre-poids appuyaient mollement sur les cordes de tirage, ou n'appuyaient pas du tout, le projectile était plus lent à dépasser la ligne de prolongement de la verge ; le bras mobile de la fronde se détachait plus tard, et le projectile, n'abandonnant sa poche que lorsque celle-ci avait dépassé la verticale, s'élevait moins haut, mais parcourait un espace de terrain plus étendu. Ainsi le mérite d'un bon maître d'engin était, d'abord, de donner aux brides de la fronde la longueur voulue en raison du poids du projectile, puis de régler l'attache de ces deux brides, puis enfin de commander d'appuyer plus ou moins sur les cordes de tirage, suivant qu'il voulait envoyer son projectile plus haut ou plus loin.


Il y avait donc une différence notable entre le trébuchet et le mangonneau. Le trébuchet était un engin beaucoup moins docile que le mangonneau, mais il exigeait moins de pratique, puisque pour en régler le tir, il suffisait d'un homme qui sût attacher les brides de sous-tension de la fronde. Le mangonneau devait être dirigé par un ingénieur habile, et servi par des hommes au fait de la manœuvre, sinon, il était dangereux pour ceux qui l'employaient. Il est, en effet, quelquefois question de mangonneaux qui blessent et tuent leurs servants : une fausse manœuvre un tirage exercé mal à propos sur les cordes du contre-poids, et alors que celui-ci avait déjà fait une partie de sa révolution, pouvait faire décrocher la bride de la fronde trop tard et projeter la pierre sur les servants placés à la partie antérieure de l'engin.

Ces batteries d'engins à contre-poids, qui nuit et jour envoyaient sans trêve des projectiles dans les camps ou les villes ennemies, causant de si terribles dommages qu'il fallait venir à composition, n'étaient donc pas des joujoux comme ceux que l'on nous montre habituellement dans les ouvrages sur l'art militaire du Moyen Âge. Les projectiles étaient de diverses sortes : boulets de pierre, paquets de cailloux, amas de charognes, matières incendiaires, etc.

Les orientaux, qui paraissent être les premiers inventeurs de ces engins à contre-poids, s'en servaient avec avantage déjà dès le XIe siècle.

Source : Viollet le Duc