Ménon

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Les dialogues de Platon
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Le Ménon est un dialogue de Platon, dans lequel Ménon et Socrate essaient de trouver la définition de la vertu, sa nature. Néanmoins, après plusieurs vaines tentatives de réponse, la question qui occupe Socrate et son interlocuteur est mise de côté, au profit de la question, plus générale encore : la connaissance est-elle seulement possible ? Et comment ?

Le Ménon est un des dialogues de Platon consacrés à la doctrine de la Réminiscence.

Sommaire

[modifier] Résumé

[modifier] Qu'est-ce que la vertu ?

" Pourrais-tu me dire, Socrate, si la vertu peux être enseignée, ou si, ne pouvant l'être, elle s'acquiert par la pratique, ou enfin si elle ne résulte ni de la pratique ni de l'enseignement, mais vient aux hommes naturellement ou de quelque autre façon?" La première question du dialogue exprime son programme. La vertu s'enseigne-t-elle ou bien faut-il plutôt s'y exercer ou encore l'a-t-on par nature ? demande Ménon. Socrate ne peut pas répondre à la question parce qu'il ne sait pas ce que c'est que la vertu. Mais peut-être Ménon a-t-il une définition à proposer ?

Ménon affirme qu'il « existe une multitude [de] vertus » et qu'on est donc « pas embarrassé pour définir la vertu » (72a) . Il en cite quelques-unes.

Socrate n'est pas satisfait parce qu'il veut non pas connaître toutes les vertus qu'il y a, mais leur « forme caractéristique identique chez toutes sans exception, qui fait d'elles des vertus » (72c). En effet, la vertu en tant qu'elle est vertu ne change pas suivant qu'elle est chez l'enfant, la femme ou le vieillard. Mais Ménon en doute. Ménon comprend mal la question de Socrate. Il donne l'extention du concept de vertu, alors qu'on cherche son intention (compréhension).

Il semble pourtant que quel que soit le cas, il faut que l'individu bon soit juste et tempérant. Ainsi, « Tous les êtres humains, qui sont des êtres bons, le sont donc de la même façon, puisque c'est grâce à des qualités identiques qu'ils deviennent bons. » (73c). Il semble alors que leur vertu soit la même vertu.

La vertu, affirme alors Ménon, est la capacité de commander aux hommes (73c). Mais cette définition est rapidement réfutée, car (i) à coup sûr la vertu de l'esclave ne saurait être la capacité de commander. (ii) Mais surtout, il faudrait rajouter « avec justice et sans injustice » à la définition de Ménon, car, dit ce dernier, « la justice est vertu » (73d). En fait, ce qui rend le commandement vertueux, c'est une qualité supplémentaire : ici la justice. Or, la justice, est-ce une vertu ou est-ce la vertu ? demande Socrate.

La justice n'est pas la seule vertu, il en existe d'autres. Il y a le courage, « la tempérance, le savoir, la magnificence, et il y en a beaucoup d'autres. » (74a). Or, on ne saurait définir la vertu en se servant d'une vertu particulière.

Il faut trouver la chose qui fait que chacune de ces vertus soit vertu. Il faut trouver ce que c'est que la vertu. « la nature identique présente dans tous ces cas particuliers » (75a).

[modifier] Modèles de définition

En guise d'entraînement à ce type de définition : tentative de définition de la « figure ».

La figure est la seule chose qui s'accompagne toujours de couleur. (75a)

Cette définition donne une marque distinctive de la figure, mais non son essence.

Ménon reproche à Socrate que cette définition est tributaire de la définition de la couleur. Il faut donc la définir. Socrate propose une autre définition de la figure : La figure est la limite du solide. « là où le solide se termine » (76a).

C'est-à-dire l'intersection du solide en question avec un plan. Cette définition est aussi douteuse. Ne désigne-t-elle pas plutôt la surface ? À nouveau, on a plutôt une marque distinctive, parce si la limite du solide donne une figure, elle ne donne pas toutes les figures.

Qu'est-ce que la couleur ? persiste Ménon. Socrate a recours à une physiologie de la perception qu'il attribue à Empédocle. Les êtres émettent des effluves. Or ces effluves s'adaptent à certains pores et non à d'autres. Une couleur est donc « un effluve de figures, proportionné à l'organe de la vue [aux pores de la vue], et donc sensible. » (76d).

Cette définition est cette fois trop générale. Elle pourrait être une définition de l'ensemble des phénomènes perceptifs. Bien que ce soit celle qui s'approche le plus de l'essence, elle ne donne à nouveau qu'une caractérisation. Est-ce à dire que la question « qu'est-ce que la vertu » ne demande qu'une caractérisation de celle-ci ? Dans la pratique, Platon ne semble pas distinguer les deux formes d'identification. Il demande l'essence et se contente de la marque distinctive (c'est-à-dire un critère me permettant de dire qu'une chose est ou n'est pas X). En tout cas, les deux sont chacun suffisant, conviennent pour la mise en évidence d'un élément commun à une multitude.

[modifier] 3e Définition de la vertu

Ménon doit, comme il s'y est engagé, définir la vertu en général. La vertu est le désir des belles choses et le pouvoir de se les procurer. (77b). Les « belles choses » doivent ici se comprendre comme les « bonnes choses », qui désignent souvent les choses avantageuses, utiles.

Ménon présuppose donc que l'on peut désirer aussi le mal, puisque l'on peut désirer le bien. Or Socrate refuse de tenir pour vraie cette affirmation : personne ne désire le mal en sachant que c'est un mal, parce que le mal rend misérable et malheureux (voir la réflexion menée dans le Gorgias. Les personnes qui désirent le mal croient que le mal qu'ils désirent est un bien. On ne désire donc jamais que le bien. Ménon acquiesce.

Dans ce cas, la définition de Ménon est à reformuler : le fait de vouloir un bien « est à la portée de tout le monde, et ce n'est vraiment pas par là qu'un homme sera meilleur qu'un autre » (78a).

Il reste tout de même de la définition de Ménon que la vertu est la puissance de se procurer les biens. (ibid.). Les biens dont parle Ménon sont des bien extérieurs ; richesse monétaire, honneurs. Mais si la vertu est le pouvoir de se les procurer, est-ce le cas avec n'importe quel moyen de se les procurer, ou doit-on ajouter « avec justice et piété » ? Si fait, car le contraire n'est pas vertu mais vice. La vertu est l'acte accompli avec justice. Mais cette réponse ne convient pas : elle revient à dire que la vertu est « toute action quand elle est accomplie avec une partie de la vertu » (79b). Or n'avons-nous pas établi que la justice n'était qu'une partie de la vertu, et que nous ne voulions pas de définition énumérative ? On ne peut savoir ce qu'est une partie de la vertu sans savoir ce qu'est la vertu.

Et nous voilà à nouveau au point de départ, avec la question : qu'est-ce que la vertu ?

[modifier] Socrate en sorcier

Ménon, sans doute humilié, se dit « plein d'embarras » (80a), et il compare Socrate à une raie torpille, qui est un poisson qui se défend en provoquant des électrochocs. Ménon a l'impression d'avoir été ainsi mis par Socrate dans « un état de torpeur ». Il est dans un état de gêne à la fois intellectuelle (âme) et rhétorique (bouche). Ménon semble prendre conscience de son ignorance au sujet de la vertu. Socrate réplique qu'il est lui-même dans le même embarras.

Une recherche authentique semble pouvoir commencer : « je veux bien commencer cet examen avec toi, pour que nous recherchions ensemble ce que peut bien être la vertu. » (80d).

[modifier] L'impossibilité de la recherche, le paradoxe de Ménon

Ménon doute de la possibilité de cette recherche. En effet, comment prendre pour objet de recherche quelque chose dont on ne sait pas ce que c'est ? (1er aspect du paradoxe) Et selon quel critère identifier, si on « tombait dessus », la chose que l'on recherche si on ne la connaît pas ? (2e aspect du paradoxe). Il ne sert donc à rien de chercher.

Mais en réalité, le paradoxe que formule Ménon est une conséquence radicale de ce qu'affirme Socrate, qu'on ne peut connaître quelque chose de la vertu sans connaître ce qu'est la vertu. Il affirme d'ailleurs (80d) qu'il ne sait pas ce qu'est la vertu. Mais dans la pratique, les deux ont déjà donné nombre de proposition vraies au sujet de la vertu.

Socrate reformule : il est impossible de chercher ce qu'on connaît tout comme ce qu'on ne connaît pas. Ce qu'on connaît, on ne le cherche pas, et comment savoir quelle chose chercher quand on ne la connaît pas ? (1er aspect, le 2e en découle). La formulation socratique met en évidence le dilemme : soit je connais (totalement) un objet, soit je ne le connais pas (du tout).

Socrate ne croit pas que cet argument soit bon.

[modifier] L'immortalité de l'âme permet la réminiscence

Socrate soumet au jugement de Ménon une déclaration faite par des « prêtres et de prêtres-ses qui s'attachent à rendre raison des choses auxquelles ils se consacrent » — donc, apparemment des choses divines. Ceux-ci déclarent que l'âme est immortelle, qu'elle passe de mort à vivant, mais que jamais elle n'est détruite. Or, comme l'âme a ainsi vu l'Hadès , « c'est-à-dire toutes les réalités », elle a appris toute chose (81c). Par ce fait, l'âme « est capable [...] de se remémorer ces choses dont elle avait justement, du moins dans un temps antérieur, la connaissance. Car toutes les parties de la nature sont apparentées et en se remémorant une seule chose, on se remémore les autres. « Ainsi, le fait de chercher et le fait d'apprendre sont, au total, une réminiscence. » (81d) Il faut donc chercher avec zèle et ardeur.

L'immortalité de l'âme permet l'existence d'une connaissance prénatale. La connaissance de l'âme est acquise hors incarnation, dans l'Hadès. Socrate défend ainsi l'antériorité de l'existence de l'âme, qui explique la présence d'une connaissance non acquise sur terre. La « foi » qu'il dit avoir concernerait ainsi l'immortalité de l'âme, qui n'est pas nécessaire pour l'argument. Connaissance est donc remémoration. Par ailleurs, une remémoration permet l'accès à toutes les vérités de l'âme. La remémoration ressemble à un effort d'investigation intellectuelle. La connaissance est donc toujours présente totalement, mais est voilée. La présence de la connaissance oriente ainsi la recherche qui est un effort pour faire accéder la connaissance à la conscience. La possession par l'âme de la connaissance rend ainsi possible la recherche.

[modifier] Vérification de la réminiscence

On appelle un jeune esclave. Socrate trace un carré dont il marque les transversales (en gras et traitié).

Image:menon.jpg

Socrate veut amener le jeune garçon à trouver la marche à suivre pour construire un carré dont la surface serait le double de l'original (en gras). Le côté du carré vaut 2. Il a donc une surface de 4, et il faut construire un carré dont l'aire vaut 8. Comment faire ? L'esclave répond qu'il faut doubler la longueur des côtés. L'erreur du garçon semble être la première étape, ou le préliminaire, de la réminiscence ; « observe-le, dit Socrate à Ménon, en train de se remémorer la suite, car c'est ainsi qu'on doit se remémorer » (82e).

Socrate trace le carré que lui propose l'esclave : il faut se rendre à l’évidence, il est non deux, mais quatre fois plus grand que l'original. En effet, l'aire du nouveau carré vaut 4 x 4 = 16, soit le double de 8, la surface recherchée. Le jeune garçon propose alors de construire un carré dont le côté vaut 3. Or ce carré a une aire de 9, ce qui n'est pas ce que l'on cherche.

L'esclave est désormais dans l'embarras, ce qui rappelle évidemment l'état de torpeur dans lequel Ménon disait être. Socrate y fait explicitement allusion en utilisant le terme de raie torpille. Mais il est clair, affirme Socrate, que le garçon a fait beaucoup de chemin : « [...] à présent le voilà qui considère désormais qu'il est dans l’embarras, et tandis qu'il ne sait pas, au moins ne croit-il pas non plus qu'il sait » (84a-b). Il est maintenant dans une meilleure situation qu'avant, et Ménon en convient. En particulier, cela est profitable parce que jamais on ne cherche ce qu'on croit savoir.

Socrate trace les diagonales. Il apparaît que le carré construit sur la diagonale du carré initial est le carré recherché. L'esclave le découvre et affirme maintenant que c'est sur cette ligne que l'on construit un carré deux fois plus grand que le premier. Mais il l'ignorait complètement il y a un instant. Il faut en conclure : « Chez l'homme qui ne sait pas, il y a donc des opinions vraies au sujet de choses qu'il ignore, opinons qui portent sur les choses que cet homme en fait ignore » (85c).

La connaissance se tire de notre propre fonds. Car sinon, d'où vient la connaissance du jeune garçon ? Soit il l'a reçue à un moment donné, soit il la possède depuis toujours. Or s'il les a reçue à un moment donné, ce n'est pas dans sa vie actuelle. Il faut donc qu'il l'ait reçue « le temps où il n’était pas un être humain » (86a).

Mais pour posséder une connaissance, « des opinions vraies doivent se trouver en lui, opinions qui, une fois réveillées par une interrogation, deviennent des connaissances, [et] son âme [les a] apprises de tout temps. » (86a).

« Donc si la vérité des êtres est depuis toujours dans notre âme, l'âme doit être immortelle, en sorte que ce que tu te trouves ne pas savoir maintenant, c'est-à-dire ce dont tu ne te souviens pas, c'est avec assurance que tu dois t'efforcer de le chercher et de te le remémorer. » (86b).

Mais immédiatement, Socrate exprime quelques réserves quant à son argument — qui ne montre en fait que l'antériorité de l'âme et non son immortalité —, et à nouveau, insiste sur les conséquences qui sont meilleures à ses yeux : l'ardeur et le zèle dans la recherche, plutôt que le scepticisme.