Hippias majeur

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L’Hippias majeur (ou Sur le Beau) est un dialogue de Platon. Il appartient aux œuvres dites de jeunesse de Platon, par opposition aux œuvres de la maturité et de la vieillesse. La date exacte de sa création reste cependant incertaine.

Sommaire

[modifier] Personnages

  • Socrate ;
  • Hippias d'Élis : Hippias est un célèbre sophiste, originaire de la cité d’Élis. Connu de tous les Grecs et réputé maîtriser de nombreuses sciences, qu’il s’agisse des mathématiques, de l’astronomie ou de la rhétorique, il aurait déclaré à Olympie n’avoir rien sur lui qu’il n’eût fabriqué lui-même. Il est présenté ici par Platon sous les traits pour le moins caricaturaux d’un homme vaniteux, borné et à l’intelligence limitée, tout comme dans l’Hippias mineur.

[modifier] Le dialogue : définir le beau

Dans l’Hippias majeur, Socrate et Hippias s’attachent à trouver une définition au « beau », et vont échouer à définir précisement l'Idée de Beau.

[modifier] Scène introductive

[modifier] Hippias rencontre Socrate

Hippias, que ses affaires avaient tenu éloigné d’Athènes pendant assez longtemps, vient d’arriver en ville pour donner une lecture publique à l’école de Phidostrate dans les jours qui suivent. Il croise Socrate, et ce dernier s’enquiert des raisons pour lesquelles un homme aussi précieux et savant qu’Hippias a privé les Athéniens de sa présence pendant si longtemps.

C’est, explique le grand sophiste, que sa cité natale Élis a eu abondamment recours à ses services et lui a confié plusieurs missions diplomatiques importantes dans différentes cités, notamment à Sparte. Il a bien sûr profité de ses déplacements à travers le monde grec pour éduquer un grand nombre de jeunes gens et gagner de fortes sommes d’argent. Il n’est pas jusqu’à une minuscule cité du nom d’Inycos, en Sicile, où les modestes habitants n’aient sacrifié une bonne partie de leurs économies par souci de perfectionner leurs enfants.

[modifier] L’application trop stricte de la loi ne peut-elle conduire à l’illégalité ?

Tout cela est admirable, l’assure ironiquement Socrate. Et si Hippias a passé, comme il le dit, beaucoup de son temps à Sparte, c’est sans doute là aussi qu’il a gagné le plus ? Mais ce dernier le dément : il n’a, au contraire, pas touché une obole là-bas. Non pas que les Spartiates ne souhaitent pas la meilleure éducation possible pour leurs enfants ou qu’ils n’estiment pas la science d’Hippias à sa juste valeur. La seule raison tient à ce que « ce n’est pas l’usage à Sparte de toucher aux lois ni d’élever les enfants contrairement à la coutume ».

Pourtant, fait valoir Socrate, la loi est précisément faite pour l’utilité et le bonheur des citoyens, deux choses auxquelles Hippias aurait pu grandement contribuer. En voulant trop s’attacher à la loi et en refusant les services d’Hippias, les Spartiates contredisent donc l’objet même de la loi, et l’on pourrait aller jusqu’à dire qu’ils se placent dans l’illégalité.

Hippias, caressé dans le sens du poil, marque son accord avec Socrate. Ce dernier lui demande alors pourquoi il a eu malgré tout tant de succès dans cette austère cité de Laconie. Ca n’est, répond l’intéressé, pas à cause de ses connaissances en arithmétique ou en astronomie : ils se passionnent bien davantage pour « les généalogies, soit des héros, soit des hommes, la manière dont les villes ont été fondées dans les anciens temps et en général toute l’histoire ancienne [αρχαιολογία] [1] », autant de très beaux sujets.

[modifier] Socrate fait part de son problème

Il est heureux qu’Hippias en vienne à évoquer les belles choses, car c’est un sujet qui intéresse beaucoup Socrate, et pour cause. Tout récemment, selon ce dernier, alors qu’il tenait un discours sur les choses qu’il estime belles ou laides, il prétend avoir été harangué assez rudement par une de ses connaissances, qui lui a reproché de parler tout en ignorant ce qu’est le beau.

Soi-disant embarrassé par cette mésaventure, bien sûr inventée de toutes pièces, Socrate se dit donc enchanté de pouvoir enfin demander à une personne compétente comme Hippias son avis sur la nature du beau. Le grand sophiste, flatté, n’y voit bien sûr aucune objection, non plus qu’à l’initiative de Socrate, lequel se propose de jouer le rôle de l’homme qui l’avait sermonné. Cette double personnalité adoptée par Socrate va ajouter grandement au comique du dialogue, en lui permettant d’adresser à Hippias des reproches et des moqueries qu’il n’aurait jamais pu se permettre autrement.

[modifier] Les trois réponses successives d’Hippias

[modifier] Première définition : le beau, c’est une belle fille

Hippias, par sa première réponse, montre qu’il n’a strictement rien compris aux exigences de son interlocuteur : « Sache donc, Socrate, puisqu’il faut te dire la vérité, que le beau, c’est une belle fille ».

Une belle et brillante réponse que voilà, estime Socrate avec son habituelle ironie. Mais ne peut-on dire également d’une lyre, d’un cheval ou même d’une marmite qu’ils sont beaux ? La plus belle des marmites ne soutiendrait évidemment pas la comparaison avec une belle fille, mais la beauté d’une fille n’est à son tour rien par rapport à celle des déesses.

Bref, il existe une infinité de belles choses autres que les belles filles. Là n’est de toute façon pas la question : il ne s’agit pas de savoir quelles choses sont belles ou pas, mais de définir le beau en soi, c’est-à-dire ce qui fait que toutes les belles choses sont belles.

[modifier] Deuxième définition : le beau, c’est l’or

La deuxième réponse formulée par Hippias n’est pas beaucoup plus inspirée : « ce beau sur lequel il t’interroge n’est pas autre chose que l’or. (…) Car nous savons tous que, quand l’or s’y est ajouté, un objet qui paraissait laid auparavant, paraît beau, parce qu’il est orné d’or ».

Sans doute, réplique Socrate, mais que faire alors de la grande statue d’Athéna, au Parthénon ? Ce chef d’œuvre de Phidias est principalement constitué d’ivoire ou de pierres précieuses, et non pas d’or. La statue est pourtant magnifique.

D’ailleurs, l’or ou toute autre matière rare ne font naître la beauté que s’ils sont utilisés d’une façon qui convient. On ne saurait dire par exemple, dans le cas de la marmite, qu’une cuillère en or conviendrait mieux pour touiller qu’une simple cuillère en bois, ou qu’elle serait forcément plus belle.

[modifier] Troisième définition : le beau, c’est d’être riche et honoré

Hippias croit cette fois avoir compris : Socrate semble vouloir mettre un nom sur ce qui ne paraîtra laid en aucun temps, en aucun lieu et à aucun homme.

Mais la conclusion qu’il en tire déçoit encore une fois son interlocuteur : « ce qu’il y a de plus beau au monde, c’est d’être riche, bien portant, honoré par les Grecs, de parvenir à la vieillesse et, après avoir fait de belles funérailles à ses parents morts, de recevoir de ses enfants de beaux et magnifiques honneurs funèbres ».

S’ensuit une scène très comique, où Socrate avoue sa peur de recevoir des coups de bâton s’il s’en va faire une telle réponse à l’homme qui l’avait harangué. Que faire, en effet, d’Achille ou d’Héraclès ? Ces deux héros, fils d’immortels, sont morts depuis longtemps et sans que leurs parents puissent un jour connaître le même sort. Mais ne sont-ils pas beaux pour autant ?

La beauté prise en ce sens serait belle pour le commun des mortels mais laide pour la race des héros. Bref, la définition est fausse.

[modifier] Les trois réponses successives de Socrate

[modifier] Première définition : le beau est ce qui convient

Fatigué des errements d’Hippias, Socrate proposera à son tour une définition, qu’il dit tenir de son fameux contradicteur : le beau pourrait tout simplement être ce qui convient.

La solution plaît à Hippias. Mais un examen s’avère nécessaire : tout d’abord, le convenable est-il ce qui donne la beauté aux choses, ou simplement l’apparence de la beauté ? La deuxième hypothèse est tentante : même un imbécile, pourvu qu’on l’habille des vêtements qui conviennent, aura l’air plus beau. Mais dans ce cas, on ne pourrait évidemment plus identifier le beau et le convenable.

Hippias suggère alors que le convenable pourrait donner à la fois la réalité et l’apparence de la beauté. Là aussi, rien n’est moins sûr : si tout était aussi simple, alors les hommes et les politiciens ne se querelleraient plus autant pour savoir quelle action est la plus belle.

[modifier] Deuxième définition : le beau, c’est l’utile

Pour la deuxième fois, Socrate propose alors une solution : et si le beau, c’était l’utile ?

Mais là encore, des problèmes surgissent : c’est par la puissance que les hommes peuvent faire ce qui est utile. Toutefois la puissance, comme on le sait, peut autant servir à faire le mal qu’à faire le bien. Et on ne saurait qualifier de belles de mauvaises actions. D’où la nécessité de recadrer la définition : le beau ne serait que l’utile appliqué à de bonnes fins, c’est-à-dire l’ « avantageux ».

Identifier le beau et l’avantageux conduit néanmoins à un paradoxe : l’avantageux engendre directement le bien, comme un père engendre son fils. Dès lors, l’avantageux et le beau étant considérés comme une seule et même chose, on en arrive à la constatation que le beau est la cause du bien. En logique, une cause et un effet sont deux choses différentes, tout comme un père est différent de son fils. Ainsi, il faut en conclure que le beau n’est pas le bien, ni le bien le beau, une assertion ne plaisant ni à Socrate ni à Hippias.

[modifier] Troisième définition : c’est le plaisir qui vient de la vue et de l’ouïe

Socrate évoque pour finir une dernière idée, à première vue étonnante : « si nous appelions beau ce qui nous cause du plaisir, non pas toute espèce de plaisirs, mais ceux qui nous viennent de l’ouïe et de la vue (…) ?  ».

Cette hypothèse, bien que séduisante, contient selon Socrate lui-même une première faille immédiatement perceptible, et c’est qu’elle ignore la beauté des plaisirs plus nobles, tirés des occupations studieuses ou de l’étude des lois.

D’autre part, il peut sembler étrange que les deux seuls sens de la vue et de l’ouïe soient pris en compte. Est-ce une manière détournée de se plier à l’opinion commune, pour laquelle le toucher, le goût ou l’odorat sont choses plus honteuses que les autres sens ?

Enfin et surtout, ce n’est pas parce qu’un plaisir vient de la vue ou de l’ouïe qu’il est beau. Socrate se lance alors dans une série de considérations fort complexes : lorsque l’on prend en compte des couples d’objets, alors dans la majorité des cas le terme que l’on applique aux deux objets (A et B sont beaux, A et B sont justes…) peut s’appliquer aussi à chaque objet pris séparément (A est beau et B est beau). Mais dans d’autres situations plus rares il peut arriver que cela ne soit pas le cas, notamment quand la somme d’A et B forme un nombre pair et qu’A et B, pris isolément, sont deux nombres impairs.

Dans le cas de la beauté, c’est la première catégorie qui convient, car si deux objets sont beaux, il faut de toute évidence que chacun d’eux le soit. Dès lors un nouveau paradoxe apparaît, puisque le beau, dans la définition retenue, doit appartenir aux deux plaisirs de la vue et de l’ouïe, pris conjointement, et ne peut appartenir à un seul d’entre eux. La définition, par conséquent, s’avère fausse.

Excédé par tant de subtilités jugées inutiles, Hippias sermonne rudement Socrate et le presse de se rallier une bonne fois pour toutes au sens commun, pour lequel le beau consiste essentiellement à briller en société.

Socrate, en prenant congé, feint de plaindre sa situation, coincé qu’il est entre d’un côté les attaques d’Hippias et de l’autre celles de son mystérieux contradicteur. Sa seule certitude, conclut-il avec une pointe d’humour, est de maintenant bien comprendre le proverbe grec selon lequel « les belles choses sont difficiles ».

[modifier] Portée philosophique et littéraire

Ce texte est typique des premiers discours de Platon : il met en scène Socrate, et se termine par une aporie. Socrate échoue en effet à définir l'Idée du Beau, et il conclut par la phrase si célèbre: "les belles choses sont difficiles". On peut ici, si l'on avance plus loin dans l'interprétation, supposer qu'un tel échec nous fait comprendre quelque chose de la nature du Beau : il semble impossible d'en donner une définition universelle et intelligible. On ne peut que l'illustrer à l'aide d'exemples multiples et sensibles : le Beau serait-il alors impossible à concevoir séparément du sensible ?

On notera également que, si le Beau ne se confond pas avec l'utile, l'art est couramment instrumentalisé par Platon : s'adressant à la partie la plus basse de l'âme, il peut éventuellement servir à l'éducation des enfants dont l'intellect n'est pas encore développé et qui ne peuvent encore être formés par la philosophie.

Cependant, l'art et le Beau ne se confondant pas chez Platon (qui traite beaucoup plus de belles actions ou de belles pensées que de beaux objets), il n'y a aucune contradiction à dire que le Beau n'est pas l'utile.

C’est sur le plan littéraire que l’Hippias majeur est le plus remarquable. Le dialogue peut se lire autant comme une œuvre philosophique que comme une comédie satirique à deux personnages. L’astuce de Socrate consistant à se réfugier sous l’autorité d’un supposé troisième protagoniste pour adresser des critiques cinglantes à Hippias, notamment, dote le dialogue d’un grand humour et le rend très vivant.

[modifier] Note

  1. Le mot αρχαιολογία est employé ici pour la première fois au sens d'un savoir et d'un discours sur le passé. Il a bien sûr donné « archéologie ».

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie

[modifier] Texte

s:

Hippias majeur est disponible sur Wikisource.

  • Hippias majeur traduit et commenté par Jean-François Pradeau, GF-Flammarion, 2005, ISBN 2080708708
  • Premiers dialogues, GF-Flammarion n° 129, 1993, ISBN 2080701290
  • Platon : Œuvres complètes, Tome 1, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1940, ISBN 2070104508

[modifier] Commentaires

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