Histoire de la rhétorique

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La rhétorique, qualifiée par Roland Barthes de métalangage (discours sur le discours), a comporté plusieurs pratiques présentes successivement ou simultanément selon les époques.

Sommaire

[modifier] Présentation générale

La rhétorique n’a jamais été abandonnée au long de l’histoire. Mais, selon les époques, elle a eu des statuts bien différents. En schématisant fortement son évolution, on peut dire qu’elle a constamment oscillé entre une conception sociale et une conception formaliste et qu’elle a fini par mourir au XIXe siècle, avant de renaître, de manière spectaculaire au XXe siècle.

La conception sociale est celle qui mise principalement sur l'argumentation et la controverse (philosophique, politique, scientifique, etc., la formaliste se focalisant sur les techniques discursives, et notamment sur celles qu'étudiait l'elocutio (voir Ramus, Dumarsais, Fontanier, le Groupe µ) ; la première tend à maintenir intacte l'opposition entre rhétorique et poétique, la seconde à l'abolir. Au Moyen-Âge, par exemple, la fonction politique de la rhétorique s'est perdue : l’éloquence sacrée ne se donne pas pour un discours humain construit, mais revendique d'être une simple transmission de la parole divine. On conçoit que la rhétorique se réduise alors à l'étude des ornements relevant de l'elocutio, et qu'elle se cantonne à un rôle modeste dans le cadre du Trivium.

[modifier] Antiquité gréco-romaine

Portrait de Cicéron, un des plus grands rhétoriciens de l'Antiquité
Portrait de Cicéron, un des plus grands rhétoriciens de l'Antiquité

C'est le premier des sept arts à maîtriser dans le cursus scolaire du monde gréco-romain comme la grammaire, la dialectique, la géométrie, l'arithmétique, l'astronomie et la musique. Les théoriciens de la rhétorique (Anaximène, Aristote, Démétrios, Cicéron, Quintilien, Hermagoras, Hermogène, d'autres encore) ont formalisé la discipline, tant sur le plan pratique que sur le plan théorique.

La rhétorique en tant que science naquit vers 465 avant J.-C en Grèce antique lorsque deux tyrans siciliens, Gelon et Hiéron, exproprièrent et déportèrent les populations de l'île de Syracuse pour le peuple de mercenaires à leur solde. Les natifs de Syracuse se soulevèrent démocratiquement et voulurent revenir à l'état antérieur des choses, ce qui aboutit à d'innombrables procès de propriété. Ces procès mobilisèrent de grands jurys devant lesquels il fallait être éloquent. Cette éloquence devînt rapidement l'objet d'un enseignement dispensé par Empédocle d'Agrigente, Corax et Tisias (à qui est attribué le premier manuel), enseignement qui se transmit en Attique par les commerçants qui plaidaient conjointement à Syracuse et à Athènes.

La rhétorique fut ensuite rendue populaire au cinquième siècle avant Jésus-Christ par des professeurs itinérants connus sous le nom de sophistes, dont les plus connus se nomment Protagoras, Gorgias et Isocrate, et auxquels s'opposait farouchement Platon en distinguant deux types de rhétoriques.

Dès les origines, la rhétorique a eu un versant pratique et un versant spéculatif. D’un côté, elle s'est constituée en ensemble de recettes se mettant à la disposition de l'orateur ou de l'écrivain. Mais, très tôt, on s’est avisé qu'elle mobilisait des questions théoriques de première importance. En effet, elle situe son action dans le monde du possible et du vraisemblable. Elle se situe donc ainsi entre la logique, qui traite de ce qui est matière à connaissances certaines et donc à énoncés scientifiques, et la philosophie, qui s'interroge sur les conditions de vérité des énoncés. En s'occupant du vaste domaine des sentiments, des opinions, la rhétorique pose des questions comme la crédibilité, le cliché ou l'évidence, que la sociologie ou les sciences du discours assumeront par la suite.

[modifier] Fonction sociale de la rhétorique dans l'Antiquité

La rhétorique, née dans le milieu judiciaire, couvre potentiellement l’ensemble des messages sociaux, y compris les textes à visée esthétique. La pensée classique avait envisagé, à côté de la rhétorique, l’existence de la poétique, œuvrant dans le monde de l'imaginaire. Mais les textes à visée esthétique, parce qu'ils appartiennent à l’espace du vraisemblable, relèvent aussi d'une rhétorique comprise dans un sens large. De sorte qu'entre poétique et rhétorique, les passages sont possibles : des concepts élaborés dans le cadre de la seconde ont été sans difficultés transposés à la première. C’est ainsi à Rome, Cicéron a pu fournir une théorie des trois styles (style simple, style sublime, style moyen, souvent présentés dans "la roue de Virgile")) transférés ensuite dans les usages littéraires. Et au Moyen Age, ce que l'on a appelé la « rhétorique seconde » s'occupe des textes de fiction, et cousine ainsi avec la poétique.

Du côté de la théorie, on peut citer la typologie des discours, fondée sur des paramètres à la fois formels, thématiques, pragmatiques et sociologique. C'est, dans l'histoire de la pensée occidentale, la première tentative pour élaborer une sorte de sociologie sémiotique des messages et de la communication.

[modifier] Rhétorique moderne

Progressivement, la rhétorique est morte. Cette mort est due à plusieurs raisons. Tout d'abord, on peut dire chacune des parties du grand édifice conceptuel qu’elle constituait a pris son indépendance, tant dans le domaine des disciplines théoriques que dans celui des disciplines pratiques : d'un côté, le raffinement des mécanismes de démonstration a débouché sur une logique qui n’a cessé de se formaliser; de l’autre des pratiques sociales comme le marketing ou la réécriture ont repris le flambeau rhétorique. Ensuite, le fait qu'elle ait parfois été réduite à un art d’ornementation du propos a valu une mauvaise réputation à la rhétorique, mot qui est souvent employé, depuis deux siècles, avec une connotation péjorative (comme dans l'expression "fleurs de rhétorique").

La rhétorique n'a donc survécu, jusque dans la seconde moitié du XXe, que comme une discipline purement formelle, règnant dans le monde de l'école.

[modifier] La rhétorique contemporaine

La seconde moitié du XXe siècle voit une renaissance spectaculaire de la rhétorique.

La différence essentielle avec la rhétorique ancienne est que la contemporaine n'entend plus fournir des trucs, mais a un caractère scientifique, en ceci qu'elle veut dégager les règles générales de la production des messages.

Cette renaissance se produit en deux endroits distincts. D'une part chez des philosophes du droit (comme Chaïm Perelman, professeur à l'Université libre de Bruxelles), elle entendait occuper le terrain laissé vacant par une logique qui s'était formalisée au point de perdre peu à peu le contact avec la réalité pratique. Cette rhétorique, aujourd'hui illustrée par Michel Meyer, successeur de Perelman, étudie les mécanismes du discours social général et de son efficacité pratique; elle se penche par exemple sur la propagande politique ou commerciale, et la controverse juridique ou philosophique. L'autre cadre qui permet la résurrection de la rhétorique est la poétique contemporaine. Dans les années 1960, la linguistique a en effet été en quête de structures linguistiques qui seraient spécifiques à la littérature, recherche que la stylistique ne permettait pas de mener. Dès 1958, Roman Jakobson donnait une nouvelle jeunesse au couple métaphore-métonymie, et dès 1964 Roland Barthes notait que la rhétorique méritait d'être repensée en termes structuraux.


Ce qu'ont par exemple fait dans les années 60 et 70 les travaux de Tzvetan Todorov, de Gérard Genette ou du Groupe µ de l'Université de Liège, portant essentiellement sur les mécanismes sémiotiques à l'œuvre dans la figure. Les travaux du Groupe µ, visant à une rhétorique générale, ont permis d'adapter la notion de figure à d'autres sémiotiques que la langue, comme par exemple à la sémiotique visuelle.

La «nouvelle rhétorique» a été initiée par Chaïm Perelman dans son ouvrage écrit en 1958 avec Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l'argumentation, la nouvelle rhétorique. A la suite d'Aristote ou d'Isocrate, l'ouvrage s'inscrit dans la grande tradition rhétorique de la théorie du discours persuasif. Le but est à l'origine d'essayer de savoir comment fonder les jugements de valeur. L'argumentation et son rôle prépondérant dans la rhétorique sont les éléments fondateurs de cette "nouvelle rhétorique".

La rhétorique perelmanienne est une des deux néorhétoriques nées dans la seconde moitié du XXe siècle, l'autre étant la rhétorique des figures (illustrée par Roman Jakobson, Gérard Genette et le Groupe µ).

Distinctes l’une de l’autre parce que s'inscrivant dans des traditions différentes, la néo-rhétorique de l’argumentation et la néo-rhétorique des figures, ont de nombreux points en commun, étudiant comment le sens circule dans un groupe social, et surtout comment il peut évoluer.

Science des mises en œuvre du langage, la rhétorique contemporaine voisine donc avec la philosophie, la sociologie, la pragmatique et la sémiotique.