Giorgio Agamben

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Giorgio Agamben (né en 1942 à Rome) est un philosophe italien, essentiellement spécialiste des philosophies de Karl Marx, de Walter Benjamin et de Heidegger.

Après avoir enseigné successivement à l'Université de Macerata et à celle de Vérone, il est aujourd'hui, depuis 2003, Professeur d'Esthétique à l'Université IUAV de Venise. Il tient aussi depuis des années un séminaire au Collège international de philosophie à Paris.

Agamben est un grand lecteur de Walter Benjamin, dont il a été, en Italie, l'éditeur des œuvres complètes, et également de Jacob Taubes, deux auteurs qui l'ont fortement marqué. Après sa formation avec et autour de Heidegger, l'œuvre de Michel Foucault constitue pour lui une référence, œuvre dont il fournit une lecture très personnelle (passionnante, sans doute, mais sujette à discussion). Parmi les autres philosophes ayant influencé ses travaux, on pourrait citer Jacques Derrida, Hannah Arendt, Aby Warburg, Carl Schmitt ou encore Friedrich Nietzsche.

Ses ouvrages abordent des questions assez diverses, concernant le langage, la théologie de Paul de Tarse sous l'influence des travaux de Taubes, l'animal et l'homme, dans la ligne de Heidegger, le désir, les passions, après Aristote et Freud.

En 2006, Giorgio Agamben a reçu le prestigieux Prix Européen de l’Essai Charles Veillon pour l’ensemble de son oeuvre.

Sommaire

[modifier] Philosophie politique

Il développe une philosophie politique, amorcée dans son ouvrage majeur « Homo Sacer », en plusieurs volumes, où il étudie principalement la question du droit et du dépassement du droit (reprenant ce thème à Benjamin) et du pouvoir souverain. De ce dernier encore il reprend l'idée que l'état d'exception tend à devenir indiscernable de la situation normale, et il confronte ainsi Benjamin et Carl Schmitt. De Foucault il reprend le thème de la biopolitique, soit l'ambition qui est celle du pouvoir contemporain, de s'occuper d'intervenir jusque dans la vie des sujets et de gérer les citoyens comme de simples vivants. Ce faisant il établit une ligne de continuité entre la conception de la politique des nazis et celle de l'occident contemporain. Cette lecture de Foucault à la lumière de Schmitt et de Heidegger, ainsi que l'insitance sur le thème de la vie nue, ont donné lieu à des débats très vifs avec les foucaldiens, et plus généralement parmi tous ceux qui utilisent de manière politique (en particulier marxienne) le thème de la biopolitique, pour lesquels Agamben renaturalise le politique tout en en faisant une instance du négatif ou, au mieux, un « reste ».


[modifier] Extraits de l'entretien du 1er février 2008

Le 1er février 2008, il était l'invité de l'émission « les vendredis de la philosophie » sur France Culture.

« le camp nazi, du point de vue juridique, c’est un institut du droit d’exception… même le reste juridique qui était laissé aux juifs est supprimé dans le camp… si on comprend ça, on comprend pourquoi ces horreurs ont pu advenir… que ce n’est pas une horreur, c’est légal... Le modèle de l’exception se généralise. Et aujourd’hui, toute la politique des États-Unis vise à établir un état d’exception. La sécurité, c’est une notion de l’état d’exception, c’est très lié à ça… Croire qu’on peut concilier une démocratie véritable avec une politique qui n’a plus d’autre concept que la sécurité, c’est impossible… »

« Je ne dit pas que Guantanamo et Auschwitz sont des phénomène historiques identiques. C’est une structure paradigmatique qui va nous permettre de comprendre ce qui se passe maintenant Je prends un phénomène en tant que paradigme. C’est en tant que paradigme que les structures sont les mêmes. C’est une analogie, pas une déduction…  »

« C’était une réflexion sur le témoignage et l’éthique… Peut-on concevoir une éthique qui soit à la hauteur de Auschwitz, à la hauteur du « musulman », les internés appelaient ainsi celui qui allait mourir, qui ne répondait même plus, ne se rendait plus compte de ce qui se passait. Peut on avoir une réflexion qui n’exclurait pas le « musulman » ? »

« L’économie du gouvernement : pourquoi le pouvoir a-t-il pris en Occident la forme d’un gouvernement des hommes ? Pourquoi a-t-il besoin de cette gloire, de cette liturgie ? On a tellement l’habitude que le pouvoir coïncide avec le gouvernement, qu’on a oublié que le pouvoir ce n’est pas forcément quelque chose qui gouverne les comportements. J’ai appris beaucoup plus par le traité sur les anges que des traités politiques : la découverte première c’est que le concept d’économie a joué un rôle très important dans la trinité, ça a été élaboré comme une économie et non une métaphysique. Car il s’agissait de ne pas tomber dans le polythéisme : les pères ont répondu, dans son essence Dieu est un, mais dans son économie, sa façon de gouverner le monde, il est triple… »

« Ce que j’ai appris en travaillant sur l’économie divine, c'est que les pères vont construire une machine double, le plan de l’ordre général, Dieu, et le pouvoir exécutif, la trinité. Le vocabulaire du langage de l’administration moderne est élaboré avant la sphère profane dans l’administration divine : le mot ministère, ça c’est vraiment étonnant, la première fois qu’on le trouve dans le sens actuel, c’est pour les anges. Cette idée de gouvernement bipolaire, va passer par Rousseau qui le trouve chez Malebranche (la volonté générale et la volonté particulière). "

« Les politologues croient que le véritable problème n’est pas le gouvernement mais la souveraineté, le pouvoir, la souveraineté populaire, le pouvoir législatif. Ce que j’ai appris dans ces recherches, c’est que le véritable problème de la politique, c’est le gouvernement, le pouvoir exécutif… Le véritable problème, arcane de la politique n’est pas la souveraineté, c’est le gouvernement, ce n’est pas Dieu, c’est les anges, ce n’est pas le roi, c’est les ministres, ce n’est pas la loi, c’est la police. Si on ne comprend pas que aujourd’hui, les guerres sont des opérations de police, on ne comprend rien. »

« La domination absolue du travail est la même pour la gauche : le travail, la production, la productivité… là, le capitalisme et ce qui se présente comme son ennemi partagent la même centralité, le travail, la production… et c'est là qu'on retrouve la gloire, les ministres, les anges, qui se définissent comme des ministres, et vont célébrer la gloire de Dieu…. Pourquoi les anges doivent-ils servir à la gloire de dieu, pourquoi dieu a-t-il besoin de gloire ? pourquoi le pouvoir a-t-il besoin de gloire, de cérémoniel et de liturgie ? c’est là que tout à coup m’est apparue une alternative au travail, le désœuvrement, une activité qui rendrait inopérantes les œuvres et les opérations… »

« C’est quelque chose qui va agir au cœur de l’économie, de la vie social, ce n’est pas l’oisiveté, mais une façon de rendre inopérant le travail, c’est une forme de praxis consistant à désactiver les opérations. Il faut prendre un exemple, un poème. Qu’est ce qu’un poème ? c’est une opération dans le langage, par le langage, mais qui désactive certains aspects du langage, les opérations de communication d’échange d’information. Qu’est ce que c’est qu’une fête, ce que tout le monde a essayé de penser comme le but de la vie humaine, ce n’est pas une suspension de l’activité, mais ce qui travaille de l’intérieur toute activité, et rend possible un autre usage…c’est un autre exemple. »

« C’est un principe qui opère partout. Un dispositif de pouvoir, comment marche-t-il ? il capture le désir qui est propre à l’homme c’est un principe qui opère partout, le pouvoir ne travaille jamais comme une violence absurde, mais opère avec la liberté des personnes sur lesquelles il s’opère. Désœuvrement, profanation, c’est ce qui va nous permettre de libérer ce qui était capturé là dedans, dans le droit, dans la politique, dans le langage… »

L’amitié (citation écrite) : « Les amis ne partagent pas quelque chose, comme une naissance, une loi, un lieu, un goût, ils sont toujours partagés par l’expérience de l’amitié l’amitié est le partage qui précède tout autre partage parce que ce qu’elle départage est le fait même d’exister c’est la vie même »

« …dans le texte d’Aristote qui définit l’amitié comme une douceur qu’on ressent dans la joie même de vivre le fait même d’exister, et l’ennemi ici, c’est Schmitt qui définit le couple ami ennemi…, je voulais briser cette symétrie »

« Je trouve plus mystérieuse la façon dont fonctionne la tête de l’homme ordinaire, ou toutes les identités ont été anéantie, cette espèce de bouillie d’être de l’homme d’aujourd’hui, c’est plus mystérieux que la tête de Spinoza.. »

« plutôt que chercher dans le langage lui-même ce qui fait la différence avec l’animal, ce qui m'intéresse c’est la relation du parlant avec son langage à son acte de parole : le serment est le sacrement du pouvoir, le serment a joué un rôle énorme dans l’histoire du pouvoir. il me semble que ce qui distingue l’homme des animaux, ce n’est pas le langage lui-même ; c’est que l’homme s’est engagé dans son langage, il allait tenir sa parole, il allait y avoir une relation éthique entre le parlant et ce qu’il disait »

la profanation : « en droit romain, quelque chose de profané c’est ce qui a été séparé, et rendu à l’usage commun. La contemporanéité ne se définit pas comme le présent, c’est quelque chose qui va fonder sa relation au présent par une distance un écart, quelque chose d’intempestif, comme dit Barthes.»

Espérer « D’une part, on peut bien dire que l’époque qu’on vit c’est la plus infâme qui ait jamais eu lieu, et on peut dire aussi comme Benjamin, il n’y a pas d’époque de décadence, tout moment est le moment décisif, essentiel, on n’a pas à espérer, ni à désespérer. C’est l’engagement propre qui consiste dans le rapport au présent Il n’y a rien d’achevé dans l’histoire, depuis l'anthropogenèse, le singe est toujours en cours de devenir homme, l’homme est toujours en cours de devenir autre chose, ce qui n’est pas achevé demande toujours qu’on l’achève… »

[modifier] Quelques concepts signés Agamben

[modifier] Bibliographie

  • Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale, Paris, Payot & Rivages, 1998
  • Enfance et histoire, Paris, Payot, 2000
  • Le Langage et la mort, Paris, Christian, 1997
  • Idée de la prose, Paris, Christian Bourgois, 1988
  • La Communauté qui vient : théorie de la singularité quelconque, Paris, Seuil, 1990
  • Moyens sans fins, Paris, Payot & Rivages, 1995
  • Bartleby ou la création, Saulxures, Circé, 1995
  • L'homme sans contenu, Saulxures, Circé, 1996
  • Homo sacer I. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997
  • « L'immanence absolue : une vie », p. 165-188 in É. Alliez (dir.), Gilles Deleuze, une vie philosophique, Le Plessis Robinson, Institut Synthélabo, 1998
  • Homo sacer III. Ce qui reste d'Auschwitz : l'archive et le témoin, traduit par Pierre Alfieri, Paris, Payot & Rivages, 1999
  • Le Temps qui reste. Un commentaire de l'Epitre au Romains, traduit par Judith Revel, Paris, Payot & Rivages, 2000 [1]
  • L'ouvert, de l'homme et de l'animal, traduit par Joël Gayraud, Paris, Payot & Rivages, 2002
  • Homo Sacer II. État d'exception, traduit par Joël Gayraud, Paris, Seuil, 2003
  • L'Ombre de l'amour. Le concept d'amour chez Heidegger (avec Valeria Piazza), traduit par Joël Gayraud et Charles Alunni, Payot & Rivages, Paris, 2003
  • Profanations, Payot & Rivages, traduit par Martin Rueff, Paris, 2005, Prix européen de l'Essai Charles Veillon 2006 (également décerné pour l'ensemble de son œuvre)
  • La Puissance de la pensée. Essais et conférences, traduit par Joël Gayraud et Martin Rueff, Paris, Payot & Rivages, 2006
  • Qu'est-ce qu'un dispositif?, Payot & Rivages, traduit par Martin Rueff, Paris, 2007
  • L'Amitié, Payot & Rivages, traduit par Martin Rueff, Paris, 2007
  • Signatura rerum, Sur la méthode, traduit par Joël Gayraud, Vrin, Paris, 2008.