Affaire des piastres

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L’affaire des piastres, trafic de piastres ou scandale des piastres est un scandale financier et politique de la Quatrième République né dans le contexte de la Guerre d’Indochine. Après avoir contribué à diminuer le soutien à la guerre, il tourna court avec la perte de l’Indochine et le climat politique et social qui s'ensuivit, peu propice aux débats sur la période coloniale ; il n’eut pas de suites judiciaires en France.

Sommaire

[modifier] Le trafic (1948-1953)

La piastre en question était l’unité monétaire de l’Indochine française, frappée par la Banque d’Indochine qui couvrait l’Inde et l’Asie-Pacifique. Son cours était administrativement lié au franc, à la façon du franc CFP ou du franc CFA, afin, théoriquement, de décourager la spéculation monétaire et d’affirmer la domination française dans la région. Le taux de change pour les transferts Indochine-France fut fixé à 17 F en 1945, alors que sa valeur sur les marchés asiatiques était de 10 F ou moins. La différence, payée par le Trésor (donc le contribuable francais), s’élevait à environ 8,50 F selon Jacques Despuech, auteur du premier livre sur l’affaire (1953). Pour bénéficier de ce taux avantageux et subventionné, il fallait justifier le transfert et obtenir l’aval de l’Office indochinois des changes (OIC). La situation troublée de l’époque ne facilitant pas les contrôles de l’OIC et encore moins les inculpations, un trafic florissant par le biais de fausses exportations, fausses factures ou surfacturations, impliquant Français et Vietnamiens, se mit en place à partir de 1948. Toujours selon J. Despuech, l'empereur Bao Dai, l'ancien haut commissaire Emile Bollaert, les généraux Charles Mast et Revers, l'ancien ministre Paul Giaccobi auraient été au nombre des personnages importants qui s’y adonnèrent. François Mitterrand était alors ministre des Colonies (à partir de 1950) et René Bousquet directeur de la Banque d’Indochine.

[modifier] Révélation et fin

L’affaire fut mise à jour en 1950, mais ne suscita qu’un intérêt limité chez les parlementaires, jusqu’en 1952-1953 où l’on se rendit compte que le Viet Minh en profitait également, et qu’une partie des armes tournées contre les soldats français (y compris tiralleurs sénégalais et marocains) avaient donc été acquises grâce à ce trafic entretenu par l’avidité de certains. L’effet sur l’opinion fut extrêmement dommageable.

René Mayer, Président du Conseil, y mit fin en 1953 en ramenant le taux des piastres à 10 francs, un cours plus réaliste, mais ce en violation des accords du 8 Mars 1949 et des accords de Pau de 1950 ; les États associés du Cambodge, Laos et Viêt Nam ne furent pas consultés. Le 12 février 1953, l’OIC imposa aux banques le recours au crédit documentaire pour le règlement des importations provenant de l’Union française. Ces changements furent mal accueillis au Vietnam et considérés comme un signe avant-coureur du retrait français. En fait, il semble que la France ait cherché à sauver au moins l’Institut d’émission, pièce maîtresse de sa diplomatie financière en Indochine.

A la suite du livre de Jacques Despuech qui fit scandale car l'auteur désignait directement le pouvoir, le Président de la République Vincent Auriol et son fils Paul. Il démontrait clairement que la poursuite de la guerre en Indochine n'avait d'autre fin que de permettre à ces firmes et aux escrocs bénéficiant de solides protections politiques d'amasser des fortunes considérables.Une commission parlementaire fut constituée le 2 juillet 1953 ; le 12 décembre suivant, L'Assemblée nationale décida de tenir secrets les travaux de cette commission. Entre temps une équipe de spécialistes, membres de la commission partait en Indochine le 1er septembre 1953 pour rapporter les preuves qui allaient désigner les hauts responsables de ce trafic. L'avion s'écrasa sur les Alpes françaises, il n'y eu aucun survivants. Etaient à bord le grand violoniste Jacques Thibaut et le pianiste René Herbin. En juillet de l'année suivante, les accords de Genève étaient signés et l'Indochine française avait vécu.

[modifier] Épilogue

Selon Bernard B. Fall, ce trafic fut l’une des sources de profit dans le cadre d’une colonisation dont le bilan général s’avéra très négatif pour le budget national. L’aventure coloniale n'a été profitable que pour quelques grandes compagnies privées, comme la Banque d'Indochine, Descours & Cabaud, les Brasseries et glacières d'Indochine, etc. Les banquiers n’ont jamais été arrêtés ni jugés, à l’exception de la Chartered Bank qui fut inculpée pour des pratiques nettement frauduleuses. Le “scandale des piastres” fut ramené à l’état de détail exotique et insignifiant, indigne d’être mentionné dans les manuels d’histoire.

[modifier] Voir aussi

Références bibliographiques
  • Lucien Bodard, “La guerre d'Indochine. L'enlisement, l'humiliation, l'aventure”, Grasset, 1 500 p. Paris 1997.
  • Yves Gras, “Histoire de la Guerre d’Indochine”, Plon, Paris, 1979.
  • Paul Mus, Viêt Nam. Sociologie d’une guerre, Seuil, Paris, 1952.
  • Jules Roy, La bataille de Dien Bien Phu: Julliard, 1963 ; Albin Michel, 1989.
  • Thanh H. Vuong, Théorie des contextes et relations internationales: départ de la première Guerre d’Indochine, dans Études Internationales, Vol. XVII, No. 3, pp, 571-597, septembre 1986
  • Thanh H. Vuong, colonisations du Viêt Nam et colonialisme vietnamien, dans Études Internationales, Vol. XVIII, No. 3 pp. 546-571, septembre 1987.
  • Despuech Jacques, Le trafic des piastres, Deux rives, 1953
Articles connexes
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