Toponymie normande

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Sommaire

[modifier] Historique

La toponymie normande, en Normandie, est avant tout une toponymie formée sur un substrat celtique et gallo-romain dominant (pour cette partie, se référer à toponymie française), sauf dans le pays de Caux, le Roumois, le nord-Cotentin et les côtes ouest du Cotentin, la basse vallée de la Seine et les environs de Caen où elle est marquée par de nombreux noms d'origine scandinave ou anglo-scandinave.

La densité de la colonisation de la Normandie par les Vikings/Normands a été importante dans ces parties du duché de Normandie, le reste du territoire ayant gardé un caractère autochtone important.

La plupart des noms de communes sont formés sur le terme roman ville (domaine seigneurial du haut Moyen Âge), mot d'origine latine sans rapport avec une colonisation proprement romaine, d'où la multitude de toponymes en -ville. Les premiers « Normands » en ont fait un large usage, en y associant leurs noms ou surnoms d'origine scandinave, anglo-scandinave, anglo-saxonne, voire leur nom de baptême chrétien. Il arrive souvent de voir associés des toponymes proches formés sur un même radical anthroponymique, exemple : Gatteville et son étang de Gattemare ; Étoupeville (à Sotteville et son bois d'Étoublon. Honaville et sa rivière d'Honfleur ; Crémanville et sa rivière de Crémanfleur ; Muneville-sur-mer et son ruisseau Le Mulambec.

[modifier] Description

Dans les différents pays normands cités ci-dessus, on retrouve plusieurs noms de communes ou de lieux-dits composés avec des appellatifs norrois ou vieil anglais caractéristiques.

Norrois

(Cf. Haddeby, Slesvig-Holsten, D, jadis Hadæboth 1285)

Dieppedalle (Cf. Deepdale GB), Oudalle, Eudal, Becdal, plusieurs Daubeuf, Les Petites-Dalles, Les Grandes-Dalles, le Dallet, etc.

houlme / homme également : Le Houlme, le Homme

NB : Sans rapport avec le latin vicus qui a donné -vy ou -vic également et dont il n'existe qu'une seule occurrence en Normandie : Neuvy-au-Houlme

  • noms d'arbres :

- aeppel du vieil anglais, "pomme", prob. collectif pour "pommiers" dans Auppegard (jadis Appelgard) et Épégard (jadis Alpegard), composé avec l'appellatif norrois gard (cf. Appelgarth, GB, Yorkshire) - epli en scandinave, danois moderne aeble, dans Yébleron (jadis Eblelont)

- boki « hêtres » dans Bouquelon (nombreux toponymes) et plusieurs Bouquetot, très nombreux au nord-est de la Normandie ou cet arbre est plus commun qu'à l'ouest. En concurrence avec les types romans : Fy ; Fay ; Foutelaye de foutel « hêtre » en dialecte. Le nom de lieu « Hêtraie » est rare car « hêtre » est d'origine flamande et moderne.

- eski « frênes » très fréquent, peut-être à cause de son importance dans la mythologie scandinave dans tous les Ectot (jadis Esketot) ; Hectot parfois (cf. Eastoft GB, jadis Esketoft) et Hecquemare à Illeville-sur-Montfort. Le type roman Frenay (e) est assez rare, relativement aux autres.

- lindi « tilleuls » dans Lindebeuf et les Lintot

- eiki « chênes » dans Yquelon ; Iclon et Yquebeuf

- selja " saules " dans Seltot (Cf. Selletoft DK), Silleron, Sahurs…

Pluriels anglo-scandinaves
  • Boos pluriel de beuf (cf. Booths, Yorkshire)
  • Ecalles du scandinave skali ou du vieil anglais scala « habitation temporaire » . Foucart-(Escalles), Estoutteville-Ecalles, Ecalles-Alix, Villers-Écalles, (cf. nombreux Scales au nord de l'Angleterre).
  • Eslettes du scandinaves sletta « terrain plat » (DK Sletten, mais GB Sleights) : Eslettes
  • Tôtes ou Tostes pluriel de Tot (cf. GB Tofts) : Tôtes et Tostes
  • Veules pluriel de wella dans Elbeuf (jadis Wellebuoht) et Rouelles (Jadis Rodewella 1035, comparable aux Rothwell anglais), « sources » cf. GB Wells : Veules-les-Roses
Vieil anglais (ou anglo-saxon)
  • bourg (village) de buhr, burg. En Normandie le mot « bourg » n'a pas l'origine germanique continentale ou latine qu'il a ailleurs en France. Il peut remonter soit à l'installation des saxons au Ve et VIe siècle ou à la colonisation anglo-scandinave au Xe siècle.

Cherbourg : le bourg de l'église ; Cabourg (cf. Cadbury GB) ; Jobourg (composé anglo-scandinave, d'après eorthburg, norrois jord terre), Caillebourg (nom de personne scandinave Karli), etc.

  • broc ou bruque de broc (ruisseau, moderne brook) : Bruquedalle (anciennement Brokedale 1185-89) ; ruisseau le Fouillebroc (cf. Fulbrook, GB) (« fouille » de ful sale. cf. Foulbec (Fulbeck, GB), Fultot…)
  • ham (maison,hameau). Existe ailleurs en France, mais ici d'origine anglo-scandinave. On le trouve dans des régions à forte densité de toponymes anglo-scandinaves.

Ouistreham ; Etreham ; Huppain ; Surrain ; le Hamel ; Hamel-…, etc.

  • cotte (peut aussi représenter le norrois kot) (petite masure): Vaucotte, Cottévrard, Caudecotte, Caudecôte, côte-côte (correspondant des Caldcott anglais), etc.
  • crocq ou crotte (quand ce n'est pas le français crotte = grotte) de croft (pièce de terre) :

Bec-de-Crocq (anciennement Bethecrot); Vannecrocq (Wanescrotum XIe ; cf. Walshcroft GB), Roucrotte, le Crocq, etc.

  • hus (maison) (peut représenter le norrois hus) : Etainhus ; Sahurs (jadis Salhus (Cf. Salhouse GB jadis Salhus idem en Norvège).)
  • cher ou quier de ker (marais) (peut représenter le norrois kaer) : Gonfreville-l'Orcher(jadis Aurichier Cf. Ellerker GB, Elkier D) ; Villequier
  • lan(d) (terrain) : Heuland ; Etelan ; Etolan.
  • e(s)ta(i)n (pierre), du vieil anglais stan, (moderne stone) ou du norrois steinn (scandinave stein) : fatouville-Grestain (Cf. Garston, GB, jadis Grestan) ; Etalonde ; Etainhus ; Etaintot (Saint-Wandrille-Rançon) ; peut-être aussi dans les Etennemare et Tennemare; etc.
Adjectifs norrois et vieil anglais en composition dans les toponymes.

Ils sont plus rares que les appellatifs et les noms de personne.

  • breidr « large, grand » dans Brestot (jadis Breitot, homonymie avec Bratoft, jadis Breitoft GB), Brétot, Bréhoulles, Bréhoulle, Brévy , Brévolle, Brébec et Brémare .
  • burning « brun » ou « bringe » en dialecte dans Brennetuit
  • djupr « profond » ou son équivalent vieil anglais deop dans Dieppe, Saint-Vaast-Dieppedalle, Dieppedalle (Canteleu) et Dipdal.
  • engelsk « anglais », adjectif à la fois scandinave et roman, forme normande -esque équivalent de l'ancien féminin français des adjectifs de nationalité en -ois, français -esche, -èche dans les Anglesqueville (jadis Englesqueville) et Englesqueville de Normandie, situés dans la zone de colonisation anglo-scandinave.
  • ful « sale » dans Fultot ; Foulbec et le Fouillebroc
  • great vieil anglais pour « grand » dans Grétain.
  • hol « creux » dans les nombreux Houlbec et Houlgate (chemin creux)
  • kaldr « froid » dans Caudebec et Caudecotte
  • langr « long » dans Lanquetot (cf. Langtoft, GB) et Lanquetuit (par contre Longtuit contient l'adjectif roman équivalent), le Val Landal (jadis Lenguedale 1245, Cf. Langdal N et DK .)
  • litill « petit » dans Lilletot (Cf. Lilletofte DK) et Lislebec
  • raudh « rouge » dans le Robec, rivière de Rouen
  • stur « grand » dans Etretat et Eturqueraye

D'autres restent encore à déterminer.

Localisation

Ces appellatifs ne se retrouvent quasiment pas au sud de la Normandie, loin des centres côtiers, dans des régions boisées restées peu peuplées au Moyen Âge (sud du pays d'Auge, sud de l'Orne, pays d'Ouche, Bocage…). Bizarrement, le Bessin, qui a une importante façade maritime, présente une faible toponymie scandinave (sauf sur une étroite bande côtière), alors que les noms celtiques et de domaines gallo-romains en -acum (du celtique -(i)ako [1] , terminaison en -y , -ay) y sont pléthoriques, seule la microtoponymie y a un caractère nettement anglo-scandinave. Il existe quelques exemples dans l'Avranchin, région très riche en toponymes celtiques et gallo-romains (suffixe -acum en -ey).

[modifier] Toponymie normande et anthroponymie

La fréquence des anthroponymes scandinaves, anglo-scandinaves et anglo-saxons dépasse nettement le cadre des appellatifs de même origine, puisque la plupart des noms de personnes scandinaves, anglo-scandinaves ou anglo-saxons se trouvent associés à des appellatifs romans (type : -ville ; mesnil ; -val ; -mont ; etc.)

  • nom de personne scand. surnoms en [i] :

appellatif norrois / appellatif roman.

Api dans Aptuit, Aptot / Appeville

Boli dans Bolbec / Bolleville et Boulleville

Kari dans Cartot, Carbec /Carville

Karli/ Kalli dans Caltot (Cf. Kaltoft, Slesvig-Holsten D) / Calleville , Cailleville

Kati dans Catelon, Cattehoule / Catteville

knapi dans plusieurs Canapville et Canappeville (Cf. Knapthorpe, GB.)

koli dans Colletot (Cf. Koltoft, Slesvig-Holsten, D) et Colmare / dans plusieurs Colleville; Colmoulin; Boscol…

Runi dans Runetot [Cf. Rundhof (jadis Runætoft) Slesvig-Holsten, D. ] / Runneval , Reigneville-Bocage (jadis Runeville 1421.)

Saxi dans Sassetot-le-Mauconduit, Sassetot-le-Malgardé (Cf. Sakstoft, DK) , Saussetour (Sauxetorp fin XIIe siècle) et Sauxtour (Sauxetourp 1292) (Cf. Saustrup, Slesvig-Holsten D. jadis Saxtorppe et Saxtorf, jadis Saxtorpe 1538 idem) / Sasseville, Sauxemesnil

Soti uniquement avec appellatif roman 4 Sotteville, Sottevast (Cf. Satrup, D et DK, jadis Sotorp)

Toki dans Tocqueboeuf / Tocqueville (Cf. Tokkerup, DK.)

Pour ne citer que les plus fréquents.

  • Autres anthroponymes :

Asleikr dans Annebecq / tous les Anneville

Blakkr dans Blactot (peut-être contenu dans le lieu Blacktoft GB) / Blacqueville (jadis Blacrevilla XIe siècle) et Chamblac (devrait être écrit « Champ-Blaque » sans article selon l'usage local.)

Fotr dans les Fauville (jadis Fodvilla, Foville)

Grimr dans les nombreux Grainville, Grimboscq et Mesnil-Grain, Grainval

klak dans Clasville, Mesnil-Claque (cf. Clacton GB)

Sprot dans Epretot / plusieurs Epreville (cf. Sproatley et Sprotborough, GB)

Vivar dans Viertot / Virville et Vierville (cf. Weaverthorpe (jadis Wifertorp), GB)

D'autres noms de personne se trouvent presque exclusivement associés à des appellatifs romans.

  • ancien prénoms ayant donnés des noms de famille normands

Asketill : (nom de famille : Anquetil ; Anctil ; Anquetille ; Anquety ; Amptil ; etc.) dans Ancretteville-sur-Mer ; Anquetierville ; Ancourteville-sur-Héricourt ; Anctoville ; Ancteville… pour un seul Anquetot.

Asfrid (noms de famille Anfry, Lanfry, Anfray…) dans les Amfreville

Asgautr : (Nom de famille Angot) dans les Angoville

Osbern anglo-scand. pour Asbjörn : (nom de famille Auber sans T, avec T = forme populaire d'Albert) dans tous les Auberville ; Auberbosc ; Aubermesnil sauf Auberville-sur-Eaulne et Auberville-sur-Yères qui ont pour formes anciennes Albertivilla.

Gunnulfr : (noms de famille Gounouf et Gounout) dans les Gonneville, Guenouville et Gonnetot

Ingulfr : (noms de famille Ingouf , Ygouf et Ygout) dans Ingouville et Digosville jadis Dingouville pour "d'Ingouville".

Osmund variation du scandinave Asmundr (noms de famille Osmont ; Omont ; Osmond…) dans tous les Omonville et Osmonville

Thorsteinn très peu répandu en toponymie alors qu'il est le nom de famille normand d'origine scandinave le plus fréquent (Toutain, Tostain, Totin), sans doute parce qu'il existe un Saint-Toutain dans la Sarthes et qu'il a été donné comme nom de baptême ! dans Toutainville et dans un étrange lieu-dit près de Rouen: la pierre Toutain, Toutain signifiant « la pierre de Thor ».

Torold anglo-scandinave pour Thorvald (noms de famille Throude, Troude, Téroude, Théroude, Touroude…) dans Turretot / les Trouville, Bourgtheroulde et Thérouldeville

Thorgisl « otage de thor » cf. norvégien Thorgisal (nom de famille Turgis , Tourgis) dans Tourgéville

Ulfr : (Nom de famille Ouf) dans Ouville ; par contre Oudalle contient plutot ulfr au sens littéral de « loup » cf. Croixdalle (jadis Craudalle) formé avec cràwe (corneille, mod. crow)

Il en existe quelques autres encore…

  • les noms de personne typiquement anglo-scandinaves ou anglo-saxons attestés dans la toponymie normande.

- composés avec l'élément stan (pierre)

Leodstan ou Leofstan , forme réduite Lestan dans Lestanville (Seine-Maritime) et Létantot.

ÆÞelstan, forme réduite Alestan dans Lestanville (Calvados) anciennement Alestanvilla 1195. cf. L'Etantot (Seine-Maritime), anciennement Alestantot

Dunstan dans Dénestanville

Winstan anglais mod. Winston dans Vénestanville

- composés avec l'élément man (homme) ou le scandinave maðr de même sens.

?Kirkeman dans Criquemanville

?Sidiman dans Septimanville Cf. Sidman, Manche

?Helgiman dans Hecmanville

Floteman "viking" dans 2 Flottemanville (jadis Flotemanville, Cf. Flotmanby GB)

- noms en -a

Boia dans Bébec (Jadis Buibec) / Buglise ; les Biville ; Biéville...(cf. Boythorpe ; Boycott GB)

Hwita dans Vitot / Iville ; Yville…

Hwatta dans Vattetot ; Vattecrist / Vatteville

-différents composés

Hardekin dans Harcanville

Kenewald dans Canouville (Jadis Kenualdi villa 1025-26)

Blakward dans Saint-Mards-de-Blacarville (Blacuardi villa XIe siècle)

Baeling dans Notre-Dame-de-Bliquetuit (jadis Belinguetuith) et peut-être Belintot… (Cf. Badlingham, jadis Belincgesham GB)

  • Noms de baptême associés à des appellatifs scandinaves.

Il en existe quelques-uns, mais ils sont beaucoup plus rares que les formules "nom d'homme norrois + appellatif roman". Peut-être résultent-ils du baptême d'hommes scandinaves ayant pris un autre patronyme comme Hrolfr (Rouf, Rou, Rollon), comte de Rouen, baptisé sous le nom de Robert.

Martin dans Martintot

Herbert dans Saint-André-d'Hébertot et Thuit-Hébert Cf. nom de famille Hébert resté commun en Normandie.

Robert dans Robertot

Certes, cette liste n'est pas exhaustive, mais elle donne un aperçu de l'importance de la colonisation anglo-scandinave en Normandie à partir du Xe siècle. De plus, la répartition de ces toponymes ne donne aucune idée du nombre de colons par rapport à la population autochtone. Toujours est-il que les régions du sud du pays ont toujours été peu peuplées, comparées à celles du nord ou se trouve la majorité de ces toponymes.

À noter l'absence de noms de lieux bretons que certains auteurs ont essayé de mettre en évidence, sauf quelques patronymes à la mode (Harscouët dans Saint-Hilaire-du-Harcouët ou Meurdrac dans Courtonne-la-Meurdrac) et des noms de saints (ex: Saint-Thurien). Les nombreux Bretteville n'ont rien à voir avec une colonisation bretonne: ils sont situés dans la zone des noms de lieux anglo-scandinaves et sont à interpréter comme la "ville" de Brito ou Briti, colons arrivés de Grande-Bretagne au Xe siècle probablement.

[modifier] Notes et références

Pierre-Yves Lambert, La Langue gauloise, éditions Errance, 2003

  1. Pierre-Yves Lambert : La Langue gauloise, Ed. errance

[modifier] Sources

  • Les noms de communes... T 1 la Seine-Maritime ; T 2 l'Eure ; T 3 la Manche. F. de Beaurepaire. Ed. Picard
  • Dictionnaire étymologique des noms de lieu en France A. Dauzat ; Ch. Rostaing. Lib. Guénégaud.
  • Dictionnaire étymologique des noms de communes de Normandie, R. Lepelley. PU Caen
  • L'héritage maritime des vikings en Europe de l'ouest, Colloque international de la Hague, PUCaen.
  • Les Vikings et la Normandie, Jean Renaud. Ed. Ouest-france université.
  • Les emprunts du gallo-roman au germanique, Guinet, PUCaen
  • English Etymology, T.F. Hoad, Oxford.
  • English Place-names Elements A.H. Smith, 2. Volumes, Cambridge 1972.
  • Historisches Ortsnamenlexikon von Schleswig-Holstein, W. Laur, K W. Verlag.

[modifier] Lien externe