Thug

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Thug, Thag ou Thagî — d’après la racine sanskrite sthag (en pâli, thak) signifiant « dissimuler » (la même racine indo-européenne produisit en grec ancien Σφίγξ Sphígx, « étrangler », désignant le Sphinx).

Groupe de thugs
Groupe de thugs

Secte d’adorateurs de Kâlî, parfois appelée dans ce contexte Bhowani, active en Inde du XIIIe au XIXe siècle. La secte serait apparue sous le règne de Jalâl ud-Dîn Khaljî. Le sultan de Delhi les aurait combattus et en aurait déporté un millier à Gaur au Bengale, où la secte aurait continué ses exactions de façon discrète, ainsi qu’en Orissâ, puis aurait retrouvé une visibilité comme force occulte anti-coloniale.

Thugs et prisonnier,vu par l'« Illustrated London news », en 1857
Thugs et prisonnier,vu par l'« Illustrated London news », en 1857

On les appelait parfois Phansigar, c'est-à-dire « utilisateur de nœud coulant », un terme plutôt utilisé dans le sud de l'Inde. On pense qu’il s’agissait d’un culte héréditaire, dont les sectateurs étaient aussi bien musulmans qu'hindous et qui pratiquaient le vol et le meurtre par étranglement, à grande échelle, sur les voyageurs. L’appartenance à la secte se passait de père en fils, les femmes des familles ignorant tout de l'activité des hommes.

Sommaire

[modifier] Le mythe fondateur

La déesse Kâlî, vénérée des Thugs
La déesse Kâlî, vénérée des Thugs

Dans les premiers âges du monde, un démon gigantesque infestait la terre, détruisant l’humanité au fur et à mesure de sa création. Kâlî décida alors de le tuer pour sauver l’humanité de l’anéantissement. Elle se munit d'une immense épée, se rendit au-devant du monstre et le découpa en morceaux. Mais aussitôt que le sang touchait le sol, de chaque goutte naissait un nouveau démon, aussi terrible que le premier. Tandis que la transpiration coulait sur son corps, elle réalisa que tous ses efforts étaient vains et qu’elle serait bientôt trop faible pour abattre les hordes qui se levaient à la suite de chaque coup d'épée.

Elle réfléchit alors à une autre méthode pour exterminer le démon, puis avec sa sueur mélangée à la terre, elle fabriqua deux hommes qu’elle chargea de la sainte tâche de délivrer la terre des monstres. À chacun des hommes, elle donna un morceau de son vêtement puis leur enseigna comment tuer sans effusion de sang. Grâce à l’action des thugs fondateurs, devenus des étrangleurs experts, la terre fut bientôt délivrée de la race des démons.

[modifier] La secte

Représentation de la déesse Kâlî
Représentation de la déesse Kâlî

Les thugs formaient une confrérie bien organisée d’assassins professionnels, qui, par groupes de 10 à 40, plus rarement 200 personnes, parcouraient l’Inde sous le costume d'honnêtes voyageurs et obtenaient la confiance des voyageurs des classes les plus aisées. Ils s’interdisaient de sacrifier certains de leurs contemporains dont le meurtre ne satisfaisait pas Kâlî. Parmi ceux-ci, on trouvait les femmes, les blessés, infirmes ou lépreux, les artistes tels que les danseurs, les poètes ou les musiciens, les saints hommes itinérants comme les sadhus ou les fakirs (leur équivalent musulman) et les pauvres gens, souvent de basses castes, comme les blanchisseurs, les balayeurs, les forgerons, les charpentiers et les presseurs d’huile. Les Sikhs étaient aussi, semble-t-il, tabous. Les enfants présents dans les caravanes attaquées devaient être adoptés par les thugs et intégrés dans leur secte.

Les croyances des thugs étaient un étrange mélange, mais ce ne fut pas le seul en Inde, d'hindouisme et d'islam, et ils se recrutaient parmi les croyants des deux religions. Cependant, qu’ils soient musulmans ou hindous, ils rendaient un culte fervent et sans influence islamique à Kâlî. L'assassinat en vue d’un profit était, pour eux, un devoir religieux et était considéré une profession sainte et honorable, dans laquelle aucune considération morale n’entrait en jeu.

La fraternité des thugs utilisait une sorte d’argot appelé Râmasî ainsi qu’un ensemble de signes par lesquels ses membres se reconnaissaient, même s’ils étaient originaires de régions très distantes de l'Inde. Ceux à qui l'âge ou les infirmités ne permettaient plus de prendre une partie active dans le meurtre rituel continuaient à participer comme observateurs ou espions. Cependant, du fait de leur organisation élaborée, du secret entretenu et de la sécurité assurée autour de leurs opérations et du prétexte religieux dans lequel ils enveloppaient leurs exactions, ils n’étaient pas identifiés comme des criminels et continuèrent durant des siècles à pratiquer leur métier d’assassins, sans susciter d'enquêtes de la part des râjas ou des nawâbs.

[modifier] Les thugs à l'œuvre

La volonté de la déesse leur était communiquée par un système très complexe de présages. Pour obéir à ceux-ci, ils étaient souvent amenés à voyager des centaines de kilomètres pour rejoindre leur victime ou, en sa compagnie, à la recherche d’un endroit propice à son exécution. La tâche accomplie, des rites étaient exécutés en l’honneur de la déesse, et une partie importante du profit tiré des assassinats lui était destinée.

Quand une occasion favorable se présentait, le thug étranglait sa victime au moyen d’une corde ou du roumal, une sorte de mouchoir, la pillait et l’enterrait pour dissimuler le corps. L'assassinat se pratiquait après l'exécution des rites religieux anciens, particuliers à la secte. Les grandes troupes se divisaient en groupes plus petits qui empruntaient des routes différentes mais se donnaient rendez-vous pour partager le butin. Ils ne se cantonnaient pas aux voyageurs isolés, n’hésitant pas à piller des caravanes d’une cinquantaine de personnes, ne laissant personne en réchapper. Les thugs, à l’image de la société indienne partagée en varna, étaient spécialisés dans certaines tâches, aussi certains d’entre eux, préparaient souvent les tombes par avance sur la route des caravanes pour que l’action soit la plus brève possible.

Le capitaine William James Sleeman, un officier anglais fortement impliqué dans la lutte contre les thugs, fit ainsi état d’un groupe de 52 hommes et 7 femmes simultanément étranglés et jetés dans des tombes préparées pour eux le matin-même. Certains de ces voyageurs étaient à cheval et bien armés, mais les thugs, qui semblaient avoir été plus de deux cents s'étaient prémunis contre tout risque d’échec.

Sleeman rend compte de certaines discussions entre thugs prisonniers qui attribuaient leur infortune d’être capturés à une punition de Kâlî pour la dégénérescence de leurs pratiques, en particulier le meurtre d’estropiés, de femmes ou d’enfants.

Selon le livre Guinness des records, les thugs auraient été responsables de la mort de 2 000 000 de personnes.

[modifier] La fin des thugs

Bien qu’aucune attaque des thugs n’ait jamais été menée contre les Britanniques, ceux-ci entreprirent, dans les années 1830, une campagne d’éradication de la secte, due en grande partie aux efforts de William Sleeman. Une force de police nommée Thuggee and Dacoity Department fut mise en place et le resta jusqu’en 1904, année où elle fut remplacée par le Central Criminal Intelligence Department.

Jusqu’en 1826, la lutte contre les thugs n’est pas très énergique, puis cette même année, les Britanniques semblent brusquement habités de la détermination d’en finir avec eux. De 1826 à 1855, dans les diverses présidences de l'Inde, 1 562 personnes sont accusées d’être des tueurs membres de la secte. Parmi celles-ci, 328 sont pendus, 999 déportés, 77 emprisonnés à vie, 71 enfermés pour périodes plus courtes, 31 meurent en prison, avant de passer devant le juge, 11 s’échappent et seulement 21 sont acquittés. Durant toute la période d’éradication, Sleeman procéda à quelques 3 000 arrestations.

[modifier] Démystification et héritage

L’histoire des thugs a été popularisée par des livres tels que le roman Confession d’un Thug de Philip Meadows Taylor (1839), le mot thug entrant d’ailleurs à sa suite dans le vocabulaire anglais comme synonyme de « gangster ». Il faut cependant garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage documentaire mais d’une œuvre de littérature à replacer dans son contexte. Si l’on ne peut nier la réalité des thugs et de leur activité, beaucoup de ce que nous croyons savoir d’eux provient de ce texte, qui contient certainement une base documentaire solide mais qui s’incrit aussi dans le mouvement romantique anglais et qui est à rapprocher des romans gothiques Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley ou Dracula par Bram Stoker.

La population indienne, qui en était la victime, participa volontairement à la lutte contre les thugs. Une ville de l’État du Madhya Pradesh commémore par son nom, Sleemanabad, la mémoire de Sleeman. Cependant, la perception contemporaine des thugs reste assez partagée en Inde, certains y voient une organisation apparentée à Robin des Bois et ses compagnons, la redistribution aux pauvres en moins, d’autres y voient plutôt une structure opérationnelle proche de la mafia. Sa disparition au milieu du XIXe siècle ne permet pas de trancher entre ces différentes approches.

L'État du Madhya Pradesh
L'État du Madhya Pradesh

Dans le roman pseudo-historique de Jô Soares L'homme qui tua Getùlio Vargas, un nain hindou, factotum de Mata Hari, est présenté comme le dernier descendant des Thugs, une poignée des ses aïeux ayant réussi à échapper aux Britanniques et à se réfugier à Java

Les deux descriptions les plus populaires du culte thug au cinéma se trouvent dans le film Gunga Din de 1939 et dans Indiana Jones et le temple maudit de 1984. Les deux films montrent le héros luttant contre une résurgence secrète du culte. Les thugs jouent aussi un rôle important dans le film moins connu de Mario Camerini, Kali Yug, déesse de la vengeance (Kali Yug, la dea della vendetta).

[modifier] Les Thugs : un contresens britannique ?

Dans son livre, Le voyageur étranglé. L'Inde des Thugs, le colonialisme et l'imaginaire. (1995), Martine van Woerkens considère que l'existence d'un « culte » Thug au XIXe siècle ne serait – du moins partiellement – que le produit du fantasme des colons, traduisant à la fois la méfiance britannique à l'égard des contrées reculées de l'Inde et une méconnaissance des rituels et des pratiques sociales de ses habitants. Par ailleurs, cette secte ne desservait pas les intérêts britanniques, bien au contraire, en justifiant implicitement la présence « civilisatrice » de l'occupant.

[modifier] Citation

« C’était sur cette contrée que Feringhea, le chef des Thugs, le roi des Étrangleurs, exerçait sa domination. Ces assassins, unis dans une association insaisissable, étranglaient, en l’honneur de la déesse de la Mort, des victimes de tout âge, sans jamais verser de sang, et il fut un temps où l'on ne pouvait fouiller un endroit quelconque de ce sol sans y trouver un cadavre. »
Jules Verne, Le Tour du monde en quatre-vingt jours

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Bibliographie

  • Louis Frédéric, Dictionnaire de la civilisation indienne, Robert Laffont, 1987 ;
  • Philip Meadows Taylor, Confession d’un Thug. En Inde au cœur d'une secte d'assassins professionnels, 1815-1830, éditions Phébus, Paris, 1995.
  • Martine van Woerkens, Le voyageur étranglé. L'Inde des Thugs, le colonialisme et l'imaginaire, Albin Michel, Paris, 1995.
  • Colonel James L. Sleeman, La secte secrete des Thugs. Le culte de l'assassinat aux Indes. Payot, Paris, 1934.

[modifier] Liens externes