Pierre-Luc-Charles Cicéri

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Pierre-Luc-Charles Cicéri né à Saint-Cloud, le 17 août 1782 et mort à Saint-Chéron (91), le 22 août 1868 , peintre et décorateur de théâtre français.

Ciceri, caricaturé par son beau-père, le peintre J.B. Isabey.
Ciceri, caricaturé par son beau-père, le peintre J.B. Isabey[1].


Pierre-Charles Ciceri[2]est issu d’une famille milanaise établie dans la mercerie qui vint en France s’installer à Saint-Cloud où il est né. Son père se lance ensuite au Palais-Royal dans le commerce de lunettes. Le jeune homme fit d’abord de brillantes études musicales. À 14 ans, il jouait parfaitement du violon et il fut engagé au théâtre d’ombres de François-Dominique Séraphin. Il y fait à lui seul toute la « sonorisation ». Son ami François Elleviou qui avait reconnu sa belle voix de ténor le fit entrer au Conservatoire de musique. Il s’y perfectionnait depuis quelques d’années quand une voiture qui le renverse le rend infirme. Il doit renoncer au chant.

En 1802, Il étudie le dessin auprès de l’architecte Bellangé ; puis, en 1806, il se passionne pour les décorations scéniques dans les ateliers de l’Opéra. Son talent et son goût artistiques le font nommer, en 1810, peintre-décorateur, puis en 1818, décorateur en chef de cet établissement où il restera 32 ans. À partir de 1822, il va régner sur les décors à l’Opéra et acquérir une réputation européenne car il va révolutionner le genre.

La rencontre avec Louis-Jacques Daguerre, élève de Degotti, fut une chance pour Ciceri. Daguerre apporta le concept de son « diorama » [3]. Cet artiste plein d’imagination et d’ingéniosité apporta une créativité si décisive qu’on a pu écrire que Daguerre inventait et que Ciceri exécutait. IIs bénéficièrent des apports du Panorama-Dramatique[4] et du cyclorama[5] (tous deux déjà en usage mais des curiosités indépendantes), et surtout du gaz d’éclairage de Philippe Lebon avec sa « thermolampe » de 1785, qui remplacera peu à peu dans les salles de spectacle les quinquets à huile [6]. Cet éclairage modulable et précis (spot sur un acteur ou éclairage d’une portion de scène) est une révolution : la salle était jusque là éclairée par les lustres en même temps que la scène; et les spectateurs, désormais plongés dans le noir, peuvent s’immobiliser et se concentrer sur ce qui se passe sur la scène et assistent à un spectacle d’autant plus fascinant[7].

On doit à Ciceri plus de 300 réalisations de décors. Il travaillera pour de nombreux théâtres de province, de Paris, et de l’étranger. Les spectacles étaient onéreux mais leur succès étaient à la hauteur. Quelques jalons de sa carrière:

1810 : décoration du Grand Théâtre de Cassel , sur commande de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie.
1811 : décoration pour l ‘anniversaire du roi, Jérôme Bonaparte.
1822 : Aladin, ou La lampe merveilleuse, de Isouard [8].
1825 : La Belle au bois dormant de Hérold, livret de Scribe [9] .
1826 : décorations pour le sacre de Charles X, à Reims.
1828 : La Muette de Portici, d’Auber, et Scribe et Delavigne [10] .
1829 : Guillaume Tell, de Rossini, livret de Jouy et Bis[11].
1831: Robert le Diable, de Meyerbeer, livret de Scribe[12].
1835: La Juive, de Halévy, livret de Scribe.
1841 : Giselle, d’Adam [13].
1845 : La biche au bois, ou Le Royaume des Fées, de Pilati, livret de Coignard[14] .
1849 : Le Prophète, de Meyerbeer, livret de Scribe [15].
1860 : Moïse en Égypte, de Rossini[16].

Les pièces de théâtre ne sont pas oubliées : en 1829, les décors de « Henri III et sa cour », d'Alexandre Dumas père, « véritable événement dans l'art du spectacle », et d’« Othello » de Vigny, sans oublier, en 1830, Hernani et sa bataille. À partir de 1832, Ciceri n’a pratiquement plus l’exclusivité des travaux de décoration et ses disciples volent de plus en plus de leurs propres ailes, pas mécontents de se soustraire à l’autorité un rien despotique du « sorcier du moment »[17]. Deux ateliers indépendants se forment aux alentours de 1838 et pour ne citer que les plus connus des collaborateurs: d’un côté, Charles Séchan, Léon Feuchères, Jules Diéterlé, Édouard Despléchin. De l’autre, René Philastre, Charles Cambon, Philippe Chaperon et François Nolau et Auguste Rubé, les deux gendres de Ciceri.

Inspiré à la fois par Isabey et le style italien, Pierre-Charles Ciceri est résolument romantique et peint des structures fuyant le linéaire, au style le plus dépouillé : la perspective est changée, la profondeur se creuse et la répartition scénique s’élargit (les coulisses traditionnelles disparaissent). Sa palette est étendue : épisodes historiques, paysages romantiques, scènes intimes, illustrations fantastiques... La lumière est primordiale : clartés brumeuses, nuageuses, clair-obscur, soleils levants ou couchants, nocturnes, architectures gothiques, romantiques (ruines) ou fantastiques... Il a mis à son service toutes les techniques de son époque. Il est le lointain précurseur d’Adolphe Appia. La mise en scène de l’opéra en a été définitivement transformée[18]. Il avait épousé la fille de son ami le peintre Jean-Baptiste Isabey et il en aura six enfants dont un fils Eugène auquel il donnera le goût de la peinture et qui deviendra aquarelliste et lithographe réputé. Pierre-Charles Ciceri avait lui-même exposé des aquarelles aux Salons de 1827, 1831 et 1839.

Honoré de son vivant[19], il se retire dans l’Essonne, à Saint-Chéron, dans une demeure qu’il décorera lui-même.[20]. Il y meurt à 86 ans et sera enterré dans le « vieux cimetière » du village.

[modifier] Notes

  1. « Au cahier des charges, l'on voyait...Ciceri, en bonnet de coton, ...étendu sur le lit, où l'avait retenu si longtemps la fracture de sa jambe gauche; sa petite tête attachée à un si grand nez nous faisait rire aux éclats.» [Souvenir d'un homme de lettres (1795-1873) Augustin Jal (p536)]
  2. seront utilisés les deux prénoms les plus usités, car selon les ouvrages, l’un ou l’autre (Pierre ou Charles) est utilisé. Tout comme pour Daguerre qui est prénommé soit Jacques soit Louis.
  3. conçu avec son collègue Bouton en 1822. Son diorama fut détruit dans l'incendie de la salle du Château-d'eau le 3 mars 1839 et le ruina.
  4. créé en 1821 par Pierre Alaux.
  5. une toile peinte « mouvante » se déroule et s’enroule au fond de la scène sur des rouleaux qui sont entraînés de chaque côté par des tambours à manivelle.
  6. L’Opéra ne mettra en service l'éclairage au gaz qu'en 1823.
  7. Des artistes avaient déjà tenté d’améliorer les décors et la machinerie des théâtres. Julien-Michel Gué est l’un des plus remarquables (1789-1843). Lithographe et lui-même décorateur, élève de David et second prix de Rome, il avait travaillé au Panorama-Dramatique et à la Gaîté. Il avait fait avant Daguerre des travaux sur la mécanique et l’optique et avait exposé, au Salon de 1819, mais sans application au théâtre, deux tableaux transparents qui avaient émerveillé.
  8. Salle Le Peletier.Le Palais de lumière. Installation et premier éclairage au gaz par Daguerre. Le spectacle, selon Gustave Chouquet, coûta le somme exorbitante de 170.000 francs.
  9. Un cyclorama sera utilisé pour l’arrivée du Prince en bateau, pour simuler des ondulations aquatiques.
  10. Diorama: le Vésuve en éruption. L’héroïne se jetant dans la lave. Machinerie et décors Inspirés de la mise en scène de Sanquirico dans « Les derniers jours de Pompéi » de Pacini.
  11. Le lac des Quatre-Cantons. Le maître décorateur par souci de réalisme ne craignait pas de se documenter au plus près: il visita la Suisse en vue des décors alpins.
  12. Les ruines du couvent Sainte-Rosalie avec la danse macabre des nonnes sorties de leur tombeau. « Vérité prodigieuse » s’était exclamé Théophile Gautier. Ciceri avait en effet visité le cimetière de l’ancien couvent de Montfort-l'Amaury pour les décors de la pièce.
  13. Clairière avec les tombes, demeures des wilis.
  14. « En quelques heures, toute la Création vous passe devant les yeux. » écrivait Théophile Gautier.
  15. Acte III. L’aurore apparaît avec des rayons de soleil qui se propagent à travers une brume. Ils sont produits, dans un dispositif tournant, par un éclairage électrique à arc-carbone (électrodes).
  16. Éclairage à travers un prisme pour simuler un arc-en-ciel.
  17. épithète qui lui fut donnée en référence au fameux Torelli, décorateur et ingénieux machiniste italien de théâtre, qui vint travailler à la Cour de Louis XIV et à qui dit-on Corneille dut le succès de son « Andromède». Il était surnommé le Grand Sorcier.
  18. Alphonse Leveaux , « Nos théâtres de 1800 à 1880 » (1886) : « Les successeurs des Ciceri, des Philastre et des Cambon nous font admirer aujourd’hui de très beaux décors. Mais cela n’est pas supérieur à ce qui a été fait pour La Muette de Portici, Robert le diable, La Sylphide. »
  19. Chevalier de la Légion d’Honneur, de l’Ordre de Westphalie, Inspecteur des théâtres impériaux, membre de l’Académie de Copenhague.
  20. La maison est maintenant inscrite aux Monuments historiques. Elle ne se visite pas.

[modifier] Bibliographie de référence

  • Théophile Gautier: Histoire de l’art dramatique, 1889
  • Charles Gabet: Dictionnaire des artistes de l’Ecole française de peinture au XIXe siècle, 1831
  • Décors et costumes du XIXe siècle, T2, [BNF], 1987
  • Crabtree et Beudert: The History of scene art for the theatre, tools and techniques, 2004
  • Gustave Chouquet: Histoire de la musique dramatique... (1873)
  • Louise Poissant: Interfaces et sensorialité, 2003
  • Société d’Histoire des Théâtres de France: Revue d’histoire du théâtre, 1948
  • Daniels & Razgonnikoff : Le décor de théâtre à l'époque romantique, 2003


[modifier] Liens externes

  • Fonds Cambon, «Répertoire des Arts du Spectacle»: [1]
  • Fonds Despléchin, «Répertoire des Arts du Spectacle» : [2]
  • Fonds Chaperon, «Répertoire des Arts du Spectacle» : [3]
  • Fonds Ciceri, «Répertoire des Arts du Spectacle» : [4]
  • Un décor d'opéra de Cicéri pour l'Opéra de Paris en 1833