Nippur

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La ville de Nippur (en sumérien Nibru, en akkadien Nibbur) est l'une des villes mésopotamiennes connues les plus anciennes, le lieu de culte principal du dieu sumérien, Enlil, seigneur du cosmos. En effet, dans l'écriture cunéiforme sumérienne, les mêmes signes peuvent se lire Nibru' et Enlil.

La ville était située de part et d'autre du canal Shatt-en-Nil, un des anciens cours de l'Euphrate, entre le lit actuel de cette rivière et le Tigre, à environ 160 km au sud-est de Bagdad (coordonnées : 32.1269 N, 45.2308 E). De nos jours, il reste un grand complexe de ruines connues des Arabes sous le nom de Nuffar (ou selon les premiers explorateurs Niffer), divisé en deux parties principales par le cours asséché du Shatt-en-Nil (Arakhat). Le point culminant des ruines, une colline conique au nord-est du canal, s'élevant à une trentaine de mètres au dessus de la plaine environnante, est appelée par les Arabes Bint el-Amiror (fille du prince).

Le site a été fouillé par une équipe américaine de l’université de Pennsylvanie de 1889 à 1900, qui se concentra sur la zone de l’Ekur. Cette première phase fut avant tout une moisson de tablettes (près de 30 000), aux dépens des monuments. Une nouvelle expédition est organisée par cette université conjointement avec l’Oriental Institute de Chicago en 1948, d’abord dans la partie orientale, puis ensuite dans la partie occidentale. Les fouilles se sont arrêtées en 1990 avec la première guerre du Golfe. De par la longévité et la grande qualité des recherches qui y ont été effectuées, le site de Nippur est le mieux connu de tous ceux d’Iraq pour la période antique, que ce soit par les édifices découverts que par la quantité considérable de tablettes cunéiformes qu’ils ont livré, d’une très grande variété documentaire pour une période couvrant toute l’histoire de la Mésopotamie.

Sommaire

[modifier] Plan de la ville et développement urbain

La plus ancienne phase d'occupation attestée sur le site de Nippur remonte à la période d'Obeid. Elle est enceinte par une muraille bâtie à la période d'Ur III, qui englobe une surface de 135 ha. La cité est séparée en deux parties par l'Euphrate à l'origine. La partie orientale de la cité comportait le temple d'Enlil, l'Ekur, ainsi que celui d'Inanna, situés au centre. On y trouve aussi un temple de Gula qu'il faut peut être voir comme faisant partie d'un complexe cultuel dédié à Ninurta, parèdre de Gula. Dans la partie sud de la moitié est se trouvait la "colline des tablettes", le long du canal, qui était le quartier des scribes, comprenant plusieurs maisons servant d’écoles. La plupart des résidences y étaient de taille modeste, mais disposaient souvent de pièces d’eau assez élaborées. La partie occidentale, secondaire pendant toute la période antique, est généralement plutôt résidentielle ou artisanale, mais on y trouvait aussi des lieux de cultes. Le règne du roi Shulgi d’Ur voit également l’édification d’une ville nouvelle à proximité de Nippur, Puzrish-Dagan (Drehem), considérée comme un centre de redistribution du bétail, mais peut-être en fait destinée à être une résidence royale ; sa fondation à cet endroit est en tout cas liée à la proximité de Nippur, qui est alors très importante du fait de son rôle de capitale religieuse, et semble également servir de résidence aux rois de cette dynastie.

Nippur a connu plusieurs périodes d'abandon partiel ou complet. Avec la chute du royaume d'Ur III, l'habitat se replie considérablement, alors que le cours de l'Euphrate dévie pour longer la partie occidentale des murailles. Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'a situation devient encore plus critique, et l'habitat se concentre seulement autour de l'Ekur. La ville connaît un nouvel essor au XIVe siècle, quand les rois kassites soutiennent un vaste programme de construction, et remplacent l'ancien cours de l'Euphrate par un canal. Progressivement la ville reprend l'importance qu'elle avait à la fin du IIIe millénaire. Un plan de la cité retrouvé sur une tablette de cette période, assez fidèle à ce que l’on a pu identifier par l’archéologie, et apportant des précisions sur d’autres parties de la cité ; on y voit ainsi que l'angle sud-ouest de la cité était occupé par un jardin.

La crise que connaît la Babylonie à l'extrême fin du IIe millénaire et au début du Ier est une nouvelle épreuve pour Nippur, qui se dépeuple à nouveau, l'habitat étant limité à la partie orientale. La reprise que connaît la Babylonie au VIIIe siècle et l'intégration au royaume néo-assyrien contribuent au renouveau de la cité, qui devient un point d'appui pour les rois du nord mésopotamien dans la région. Nippur redevient une ville importante, et son expansion continue sous les empire néo-babylonien et achéménide (comme le montrent les archives de la famille Murashu), et la ville est prospère jusqu'à la première moitié du Ier millénaire de notre ère.

La période parthe voit des réaménagements se produire dans la zone principale de la cité, et notamment la ziggurat est remplacée par un grand palais. Nippur est encore une grande cité pendant la période sassanide. La partie occidentale de la cité devient progressivement la zone principale de l'habitat. Le recul de l'occupation débute sous la dynastie abbasside, à la fin de laquelle la cité est en grande partie abandonnée.

[modifier] L’Ekur, le centre religieux de la Basse Mésopotamie

Nippur n'a jamais été la capitale d'un État d'une quelconque importance politique à l'époque historique. Elle doit son prestige à son rang de capitale religieuse de Basse Mésopotamie, dû au fait qu'il s'agissait de la cité tutélaire d'Enlil, le roi des dieux mésopotamiens. Cette situation a déjà cours à l'époque des dynasties archaïques.

Le temple d'Enlil, l'Ekur ("Maison-montagne"), était situé au cœur de Nippur. C'était le centre religieux de la Basse Mésopotamie jusqu'à ce qu'Enlil soit supplanté par Marduk, dieu de Babylone, durant la seconde moitié du IIe millénaire. Les rois voulant dominer la Mésopotamie venaient s'y faire consacrer, ce qui symbolisait qu'ils avaient été choisis par le dieu garant de la royauté. La lutte pour la possession de la cité dans la première partie de la période paléo-babylonienne (2004-1750) montre comment la domination sur Nippur est quelque chose de déterminant du point de vue symbolique. On considérait que les dieux se réunissaient en assemblées présidées par Enlil, leur roi, dans l'enceinte de l'Ekur, pour y prendre des décisions déterminantes pour l'avenir de l'humanité. Elles avaient peut-être lieu sous la forme d'un rassemblement de statues divines, considérées comme étant les garantes de la présence divine sur Terre.

Les niveaux de l'Ekur remontant au-delà de la Troisième dynastie d'Ur (2112-2004) n'ont pu être dégagés. La phase la plus ancienne que l'on connaisse remonte à la reconstruction de ce temple par le premier roi de cette même dynastie, Ur-Nammu. Le temple remontait sans doute à la moitié du IIIe millénaire, comme on l'apprend par une inscription de Mesannepadda, roi d'Ur, qui y fit faire des travaux. Par la suite, Naram-Sin d'Akkad l'agrandit. Ur-Nammu remania l'ensemble, en faisant construire une ziggourat, nommée É-DUR-AN-KI, "Maison-lien du Ciel et de la Terre", ayant une base de 38 x 53 mètres. Un temple situé juste au pied de la ziggourat avait un aspect particulier. Ses murs étaient épais, et il était organisé autour de deux grandes salles. On y a retrouvé du matériel destiné à la cuisson, qui a fait penser qu'il s'agissait du lieu où l'on préparait les offrandes rituelles destinées à Enlil. Le temple principal de ce dieu devait donc être celui qui était situé au sommet de la ziggourat, fait inhabituel en Mésopotamie où un temple-bas correspondait généralement à un temple haut. Ces deux bâtiments étaient situés dans une cour protégée par un vaste mur, donnant sur plusieurs pièces. Ce premier ensemble constituait le cœur de l'Ekur, nommé Esharra. On y accédait par une première grande cour située sur son flanc sud-ouest, dans laquelle se trouvait un petit temple, l'Ekiur, destiné à la déesse Ninlil, parèdre d'Enlil, et considéré comme le lieu où se tenait l'assemblée des dieux. Le tout constituait donc un très vaste ensemble religieux, à la hauteur de son prestige.

L'Ekur fut restauré au début du IIe millénaire, puis encore à la période kassite lors de la réoccupation de la ville. Nabuchodonosor Ier, Assarhaddon et Nabuchodonosor II entreprirent à leur tour des travaux sur cet ensemble. À l'époque parthe, il changea de vocation, pour devenir une forteresse.

[modifier] Les autres temples

Ville religieuse majeure, Nippur comptait d'autres temples d'importance à côté de l'Ekur, compensant l'absence de lieux de pouvoir politique. Une tablette cunéiforme prétend qu'on y trouvait cent temples.

Il semble que la divinité tutélaire d'origine de cette cité ait été Ninurta, et non son père Enlil comme la fait penser l'importance de son temple. Le temple de Ninurta, l'Eshumesha, n'a pas été dégagé. Il se situait peut-être à proximité d'un complexe architectural dégagé dans la partie occidentale de la ville, dédié à sa parèdre Gula (Ba'u à la période sumérienne).

Le temple le plus important après l'Ekur qui ait été dégagé est celui dédié à la déesse Inanna/Ishtar, situé au sud-ouest du temple d'Enlil. Il remonte à la période d'Uruk, et a connu dix reconstructions, jusqu'à l'époque parthe. Le niveau IX s'étale sur une longue période ; sa cella était peut-être à ciel ouvert. Les niveaux VIII et VII (fin du dynastique archaïque) voient l'agrandissement de l'édifice : sont édifiés un ensemble de salles, de cours assez complexe, menant à une cour à portique qui ouvrait sur deux cellae, dont une précédée d'une antichambre, excentrée par rapport à l’organisation de l’édifice. De nombreuses offrandes de cette période y ont été trouvées, enfouies dans le sol. Le temple fut reconstruit par le roi Shulgi d'Ur, au début du XXIe siècle : on détruisit une partie de l'ancien temple pour constituer un grand bâtiment rectangulaire de 100 x 50 mètres, organisé autour de plusieurs cours ; la cella de cette période a été détruite lors d'un autre réaménagement effectué bien plus tard, sous les Parthes.

Un dernier grand complexe cultuel se situait au nord de la partie orientale de la cité, dont la divinité tutélaire n'a pas été identifiée.

[modifier] Les archives de Nippur

Nippur est le site archéologique qui a livré le plus de tablettes cunéiformes : on en dénombre dans les 60 000. La majeure partie des celles-ci a été découvertes dans la partie est de la cité, dans une zone nommée de ce fait Tablet Hill ("la colline aux tablettes") par les fouilleurs du site. On en a aussi retrouvé dans le complexe de l'Ekur. Plusieurs études d'une très grande précision, certaines combinant sources textuelles et archéologiques, ont pu être menées à partir des découvertes effectuées sur ce site.

  • Période de l'Empire d'Akkad : un lot d'environ 600 tablettes datant du règne de Naram-Sin d'Akkad a été retrouvé dans l'Ekur, où elles avaient été réutilisées pour servir de remblai entre la ziggurat et l'enceinte du complexe religieux. Une partie nous renseigne sur la reconstruction du temple par ce roi : mobilisation d'artisans venant de tout l'empire, entretenus aux frais du temple, et mise au point de nombreux objets en métaux précieux. L'autre partie concerne la gestion des biens du temple (terres, troupeaux, rations de subsistance) par l'administrateur de celui-ci, le SANGA (nommé par le roi). L'Ekur exerçait une fonction sociale en assurant l'entretien de personnes démunies (veuves, orphelins), en échange d'un travail. Un autre lot concerne l'administration du temple de Ninurta, qui est quant à lui rattaché au domaine royal.
  • Période de la Troisième dynastie d'Ur : le lot d'archives de cette période est d'un type particulier pour la période, puisqu'il se rattache à la sphère privée, alors qu'on a surtout de la documentation venant de "grands organismes" pour ce royaume. La famille d’Ur-Meme est représentative de la notabilité de Nippur de cette période : certains de ses membres occupent des fonctions dans l’administration du temple d’Inanna, tandis que d’autres sont placés à la direction des affaires de la cité. Le pouvoir local, profane et religieux, est ainsi partagé entre quelques grandes familles. Pour la même période, l'étude comparée des découvertes archéologiques et des tablettes du temple d'Inanna a permis de reconstituer avec une grande précision l'organisation de cet édifice et les fonctions de ses différentes pièces.
  • Période paléo-babylonienne : il s'agit là aussi d'archives privées, retrouvées sur la "colline aux tablettes", qui sont celles de personnes d'un rang social élevé. Les nombreuses tablettes scolaires exhumées pour cette période ont beaucoup aidé pour reconstituer le cursus d'éducation des scribes. Une étude d'une très grande précision a également pu être menée par Elizabeth Stone en combinant le contenu de textes et les découvertes archéologiques ; elle a pu rattacher une résidence fouillée à des individus connus par les tablettes qui y ont été retrouvées, et retrouver les modifications architecturales attestées par l'archéologie dans les transactions immobilières que montrent les textes.
  • Période kassite (médio-babylonienne) : les archives médio-babyloniennes de Nippur constituent un lot très massif, de près de 12 000 tablettes, soit une source de première importance pour une période peu documentée. Seulement 10 % de ces archives ont été publiées. Elles nous montrent l'administration provinciale kassite, en particulier le rôle du gouverneur de Nippur, qui porte le titre de GU.EN.NA. Il semble disposer d'un régime particulier, et possède un vaste domaine foncier, de nombreux dépendants connus par les textes de rations (membres de l'administration, gardes, artisans, personnel de temples, etc.). D'autres textes offrent des informations sur l'élevage des chevaux, qui semblent avoir été l'objet de nombreuses attentions : ils étaient nommés dans les textes et disposaient de rations au même titre que les hommes, sont décrits par leur pedigree, la manière avec laquelle on les élevait est décrite, avec de nombreux termes empruntés au vocabulaire kassite, témoignant de la maîtrise que ce peuple avait acquise dans l'élevage des chevaux, qui faisait sa renommée dans tout le Moyen Orient.
  • Périodes néo-assyrienne et néo-babylonienne : les archives du gouverneur (šandabakku) local pour le compte du pouvoir assyrien datant VIIIe siècle, constitués d'une centaine de tablettes, ont été mises au jour à Nippur, dissimulées dans une cachette sur le tell ouest. Elles traitent d'affaires politiques, mais aussi commerciales, et de la gestion du domaine du gouverneur. On dispose aussi d'archives privées, dont certaines nous renseignent sur un siège très dur qu’a eu à subir la ville lors d'une des révoltes anti-assyriennes qui ont secoué la Babylonie à cette période. On y voit notamment un des cas extrêmes arrivant dans ce genre de situation dramatique : la vente d'enfants par des parents qui sont incapables de les nourrir.
  • Période achéménide : de cette période datent les archives d'une famille de notables locaux, les Murashu, formant une véritable firme. Ils jouent un rôle d'intermédiaire local pour le pouvoir royal et la noblesse perse, et effectuent de nombreux prêts. Leurs affaires paraissent fructueuses. Elles nous renseignent sur le fonctionnement des domaines militaires mis en place par l'administration perse, notamment les "domaines d'arc" (hatru), donnés en théorie par le pouvoir central pour servir à entretenir un archer, qui sont souvent gérés par des membres de l'administration royale, qui récupèrent à leur profit les revenus de ces domaines (et parfois même acquièrent un pouvoir sur les hommes qui les exploitent, et peuvent donc se constituer une armée personnelle).
  • Période séleucide : peu de textes postérieurs à la chute de l'Empire achéménide nous sont parvenus de Nippur. Un texte datant du règne de Démétrios Ier (154 av. J.-C.) nous montre que l'administration de l'Ekur fonctionnait toujours.

[modifier] Bibliographie

  • (en) M. de J. Ellis, Nippur at the Centennial, Philadelphie, 1992 ;
  • (en) G. Buccellati et R. D. Biggs, Cuneiform Texts from Nippur: The Eighth and Ninth Seasons, Chicago, 1969 [1] ;
  • (en) R. Zettler, The Ur III Temple of Inanna at Nippur, The Operation and Organization of Urban Religious Institutions in Mesopotamia in the Late Third Millennium B.C., Berlin, 1992 ;
  • (en) E. Stone, Nippur Neighbourhoods, Chicago, 1987 ;
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    • The Early Neo-Babylonian Governor's Archive from Nippur, Chicago, 1996 ;
    • Nippur in Late Assyrian Times, c. 755-512 B.C., Helsinki, 1996 ;
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[modifier] Liens externes