Kerkennah

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قرقنة
Kerkennah

Carte de localisation des villages des îles Gharbi et Chergui

Administration
Pays Tunisie
Statut politique municipalité et délégation du gouvernorat de Sfax
Chef-lieu Remla
Géographie
Localisation mer Méditerranée (golfe de Gabès)
Superficie 160 km²
Nombres d'îles 6
Île(s) principale(s) Chergui et Gharbi
Côtes km
Altitude maximale 13 m
Baie principale {{{baie}}}
Plus grand lac {{{lac}}}
Glacier principal {{{glacier}}}
Démographie
Population (2006) 14 400 hab.
Densité 90 hab./km2
Autres informations
Fuseau horaire UTC +1
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Site Internet {{{site web}}}
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Les Kerkennah (قرقنة), parfois orthographié Kerkenna ou Kerkena, sont un archipel tunisien de la mer Méditerranée situé à une vingtaine de kilomètres au large de Sfax. Administrativement, il constitue une délégation rattachée au gouvernorat de Sfax, composée de dix imadas, mais aussi une municipalité.

Il est composé de six îles dont deux sont peuplées : Gharbi (ou Mellita du nom du village qu'elle abrite) et Chergui (ou Grande Kerkennah). Elles sont reliées entre elles par une chaussée existant dès l'époque romaine d'une longueur de 600 mètres. L'unique route asphaltée, qui traverse l'archipel entre Sidi Youssef (à l'extrémité ouest) et El Attaya (à l'extrémité est), mesure 35 kilomètres. Le périmètre de l'archipel dépasse 160 kilomètres.

Sommaire

[modifier] Étymologie

Les Romains, à travers les nombreuses descriptions faites par Diodore de Sicile, Polybe, Tite-Live ou Plutarque, dénomment ce groupe d'îles Cercina, nom libyco-berbère d'une ville portuaire fréquemment visitée par des vaisseaux de marchandises. Les variantes de Kirkeni, Karkeneh ou Querquanes existent également.

La transformation de Cercina en Kerkennah est sans doute une transformation de la prononciation et de l'écriture de la lettre c devenue un k et plus rarement « Qu ». Le h final est un ajout de la prononciation de la « ta marbouta » arabe.

Le nom de Kyrannis mentionné par Hérodote au Ve siècle av. J.-C. serait quant à lui le résultat d'une erreur dans la retranscription du manuscrit, en l'occurrence l'oubli de la lettre grecque k.

[modifier] Géographie

Paysage des Kerkennah
Paysage des Kerkennah

L'archipel, distant de Sfax d'une vingtaine de kilomètres, se caractérise par un relief plat et un milieu quasi-aride. L'altitude maximale est de treize mètres, c'est pourquoi l'archipel risque de disparaître avec la montée du niveau de la mer. Les Kerkennah bénéficient de moins de 200 millimètres de précipitations par an. Les sols sont souvent très salins et une partie du territoire est occupée par des lagunes (sebkha).

L'arbre typique de l'archipel est le palmier : la palmeraie abritant plusieurs centaines de milliers d'arbres a un aspect très clairsemé du fait du manque d'eau et de sols très pauvres et salins. Ainsi, les palmiers donnent des fruits de qualité médiocre servant d'alimentation pour le bétail alors que les palmes et les troncs servent à la confection du matériel de pêche.

Les fonds marins abritent à 50 kilomètres au large l'un des plus remarquables herbiers de posidonies de la mer Méditerranée.

[modifier] Histoire

Les Kerkennah sont décrites par Hérodote au Ve siècle av. J.-C. :

« Les Carthaginois affirmaient qu'il y avait une île appelée Kyrannis près des Gyzantes (peuple) de 12 000 pieds de long, étroite en largeur, où l'on peut se rendre facilement depuis le continent, recouverte d'oliviers et de vignobles... »

Les plus anciennes traces historiques remonteraient ainsi à l'époque phénicienne. Le climat ayant probablement été plus pluvieux, on retient la description d'un lieu de production agricole.

Jules César, dans sa lutte contre Pompée fait une halte en 46 av. J.-C. pour ravitailler sa flotte maritime. Cette représentation contraste avec celle contemporaine d'un lieu quasiment impropre à la culture, même s'il est vrai que les Kerkennah servaient de pâture à un important cheptel ovin et caprin dans les siècles précédents. Elle accueillit sur sa route d'exil Hannibal Barca en 195 av. J.-C., après sa défaite à la bataille de Zama, qui y séjourne quelques années avant de rejoindre la Phénicie du roi Antiochus de Syrie. De même, elle est une prison pendant quatorze années pour l'amant de Julie, fille d'Auguste, au temps duquel est vraisemblablement construite une ville romaine à l'emplacement occupé par le fort de Bordj Hassar (utilisé par les Turcs au XVIIIe siècle), seul vestige historique en place avec une tour près de Mellita. En effet, on a retrouvé des traces de cuves de salaison et de citernes utilisées à une époque où le niveau de la mer était supérieur de 2 mètres à son niveau actuel. Quelle que soit l'époque, les Kerkennah ne restent jamais à l'écart des évolutions du continent en raison de la faible distance de la côte sfaxienne et de la facilité de navigation. Rattachée tour à tour aux provinces d'Afrique proconsulaire, de Numidie et de Byzacène, elle devient un siège épiscopal au IVe siècle et aurait abrité un monastère à Erramadia.

Site archéologique de Bordj Hassar
Site archéologique de Bordj Hassar

Au VIIe siècle, l'archipel devient musulman et prend comme nom définitif « Kerkennah ». Il apparaît comme un enjeu dans la rivalité entre les puissances de la Méditerranée occidentale, est conquis tour à tour par les Almohades, les troupes de Roger de Sicile aux XIIe et XIIIe siècles, puis par les flottes espagnoles et ottomanes au XVIe siècle. Finalement, les Kerkennah sont définitivement conquises par Sinan Pacha pour le compte du sultan ottoman Selim Ier en 1574 et servent de base navale. Beaucoup de Kerkenniens entrent dans les marines marchande ou militaire à partir de cette époque.

Avec l'installation du protectorat français en Tunisie, des relations de voyage sont écrites et décrivent les Kerkennah et les Kerkenniens en des termes très positifs proches de l'idéal naturel de Jean-Jacques Rousseau : « De tous les Orientaux qu'il nous a été donné de voir et d'étudier, les insulaires des Kerkennah sont ceux qui nous ont paru posséder le moins les défauts de leur race[1]. » En 1945, les Kerkennah recueillent un homme en partance pour un exil en Égypte : le leader nationaliste Habib Bourguiba. C'est en 1946 qu'un Kerkennien fonde le syndicat UGTT qui participe au mouvement nationaliste aux côtés de Bourguiba : Farhat Hached[2]. La grande centrale syndicale de la Tunisie indépendante, l'Union générale tunisienne du travail, aura par la suite l'occasion de compter parmi ses dirigeants des Kerkenniens comme Habib Achour et Abdessalem Jerad[3].

[modifier] Démographie

Les Kerkennah ont une population de 14 400 habitants (estimation de l'Institut national de la statistique en 2006) répartis entre une douzaine de villages (Mellita avec Ouled Ezzedine 3556, Ouled Yaneg 660, Ouled Kacem 949, Remla ou Erramla 2086, Kellabine avec El Abbassia 763, Ech Chergui ou Chergui 353, Ennajet ou Najet 1242, Kraten 1153, El Attaya 3077, Ouled Bou Ali avec Sidi Fredj 569). Le peuplement de l'archipel (ou plutôt son repeuplement après plusieurs siècles de décrue) remonte au XVIIIe siècle grâce à l'immigration de populations du Sud tunisien et de la Libye. Les ressources limitées de l'archipel et la tradition migratoire des Kerkenniens maintiennent la population à ce niveau depuis plusieurs décennies. Durant l'été, elle décuple avec le retour saisonnier des émigrés de la Tunisie continentale (surtout de Sfax et Tunis) mais aussi de l'étranger (France ou Italie) : l'archipel compte alors près de 150 000 habitants[4].

[modifier] Économie

Dispositif d'une charfia
Dispositif d'une charfia
Gargoulettes utilisées pour la pêche au poulpe
Gargoulettes utilisées pour la pêche au poulpe

Les activités économiques principales sont des activités de subsistance. La première d'entre elles est la pêche. Elle se pratique sur un mode extensif et selon des traditions séculaires. Si les Kerkennah possèdent, avec 2 000 embarcations, les deux-tiers de la flotte de pêche du gouvernorat de Sfax, les volumes pêchés représentent moins d'un douzième du total régional.

L'archipel est entouré de hauts fonds de profondeurs extrêmement faibles (entre un et deux mètres) avec des ressources halieutiques limitées, ce qui influence des techniques de pêches particulières : la charfia. Ainsi, depuis le XVIIIe siècle, une partie de la mer est découpée en parcelles dont la location est mise aux enchères chaque année avant le début de la saison de pêche. Les principaux produits de la mer sont les poissons (pataclets ou sbars, mulets, dorades, etc.) mais aussi les éponges, divers coquillages telles que les clovisses, et le poulpe qui est l'animal emblématique de l'archipel.

Sa pêche saisonnière s'échelonne entre fin octobre et fin avril et se fait en posant un réceptacle (gargoulette, autre poterie ou parpaing) qui sert à piéger le céphalopode qui est capturé, frappé, nettoyé puis séché pendant plusieurs semaines à l'extérieur. Les pêcheurs utilisent des embarcations à voile latine, communément appelées felouques (flouka) ou loudes, et de plus en plus d'embarcations à moteur. On peut relever une petite agriculture de subsistance qui doit faire face aux contraintes climatiques et pédologiques. Céréales (principalement de l'orge), oliviers, vignes, figuiers et plantes maraîchères restent tributaires d'un apport d'eau minimal. L'artisanat est tourné vers la pêche avec le tressage de cordes, le maillage de filets et l'utilisation d'alfa pour les couffins réalisés à domicile. Un centre de tissage existe à Ech Chergui.

Le tourisme est une activité récente remontant aux années 1960 et s'inscrivant dans une dynamique nationale. Mais il a toujours gardé une dimension modeste, ce qui est probablement dû à l'enclavement et aux ressources limitées de l'archipel. L'image « authentique » des Kerkennah est devenue l'argument de vente principal des tours-opérateurs européens (principalement anglais). L'hébergement hôtelier est concentré dans la petite zone touristique de Sidi Fredj où se trouvait le débarcadère du ferry jusqu'à son remplacement à Sidi Youssef (pointe occidentale de l'archipel). Il s'y trouvent des plages de sable, sites exceptionnels sur un littoral en général rocheux.

Les eaux au large des Kerkennah font partie d'une important champ de prospection gazière dit « champ Cercina » exploité par la société British Gas.

[modifier] Culture

Troupe folklorique des Kerkennah
Troupe folklorique des Kerkennah
Couscous aux poissons des Kerkennah
Couscous aux poissons des Kerkennah
Artisanat en alpha et palmes
Artisanat en alpha et palmes
Tombeau d'un saint homme
Tombeau d'un saint homme

[modifier] Patrimoine

  • Le Musée du patrimoine insulaire méditerranéen situé à El Abbassia, village de l'île de Gharbi, est un musée privé ouvert à la fin 2004 sous l'égide du Centre Cercina pour les recherches sur les îles méditerranéennes dirigé par l'universitaire Abdelhamid Fehri. Dans une maison traditionnelle, il propose un parcours mettant en valeur l'histoire de l'archipel, ses productions artisanales voire quelques curiosités (ainsi un squelette de cétacé échoué mystérieusement sur le rivage) à travers des objets, des scènes reconstituées et des décors architecturaux.
  • La troupe folklorique de Kerkennah composée de 4 musiciens et chanteurs, habillés en tenue traditionnelle blanche et rouge, se produit lors des cérémonies notamment de mariages. Ils présentent une chorégraphie de groupe et pratiquent l'élégie (midh) dans le cadre de chansons du terroir.

[modifier] Festivals

  • Festival du poulpe
  • Festival de la sirène

[modifier] Gastronomie

Les spécialités kerkenniennes valorisent le poisson local (pataclet, mulet, dorade, etc.), l'orge concassé, les dattes et les raisins secs avec une place particulière pour le poulpe pêché et séché sur place.

Ce sont des productions locales aisément conservables dans des jarres qui faisaient l'objet d'un échange de troc avec les commerçants de Djerba. L'arrivée de l'électricité dans l'archipel depuis une vingtaine d'années qui permet de réfrigérer ainsi que la multiplication des supérettes présentes dans tous les villages élargit la gamme des produits alimentaires. Paradoxalement, le poisson devient plus rare car c'est un produit à forte valeur ajoutée et tous les Kerkenniens ne peuvent se permettre d'en consommer aussi souvent qu'auparavant.

[modifier] Vêtements

Le tarf est une tapisserie brodée aux couleurs vives à dominante rouge.

[modifier] Artisanat

Les ressources locales d'alfa et de palmes sont utilisées pour fabriquer des filets, des chapeaux, etc.

[modifier] Religion

Le saint patron de l'archipel est Sidi Ali Khanfir (originaire de Khénifra au Maroc). Il existe 25 marabouts correspondant à des tombeaux de saints qui apparaissent en partie dans la toponymie locale (Sidi Youssef, Sidi Fredj, etc.).

[modifier] Personnalités

[modifier] Photos

commons:Accueil

Wikimedia Commons propose des documents multimédia libres sur les Kerkennah.

[modifier] Notes et références

  1. Jean Servonnet et Ferdinand Laffite, En Tunisie. Le golfe de Gabès en 1888, 2000, éd. Ecosud
  2. Tout comme son successeur Habib Achour, il est né dans le village d'El Abbassia qui possède, dans l'entre-deux-guerres, la seule industrie notable de l'archipel (des salines) qui a employé jusqu'à 300 ouvriers dans les années 1920. Il y avait là un terreau intéressant pour la sensibilisation au syndicalisme.
  3. Abdesslem Ben Hamida, « Marginalité et nouvelles solidarités urbaines en Tunisie à l'époque coloniale », Cahiers de la Méditerranée, vol. 69 : l'auteur analyse la surreprésentation des Kerkenniens à la direction historique de l'UGTT.
  4. Abdesslem Ben Hamida, « Migrations et modernité dans les îles Kerkennah », Cahiers de la Méditerranée, vol. 68 : l'auteur montre l'apport que représente l'important courant migratoire pour la modernisation de l'archipel au niveau des infrastructures mais aussi des esprits, avec notamment la forte demande scolaire des habitants.

[modifier] Bibliographie

  • André Louis, Les îles Kerkennah. Étude d'ethnographie tunisienne et de géographie humaine
    • tome 1 (Les travaux), Tunis, 1961
    • tome 2 (Les jours), Tunis, 1963

[modifier] Homonymies

Kerkennah est aussi le nom :

[modifier] Liens externes