Idéal fractionnaire

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Richard Dedekind donne en 1876 la définition d'idéal fractionnaire.
Richard Dedekind donne en 1876 la définition d'idéal fractionnaire.

En mathématiques, et plus précisément en théorie des anneaux, un idéal fractionnaire est une généralisation de la définition d'un idéal. Ce concept doit son origine à la théorie algébrique des nombres. Pour résoudre certaines équations diophantiennes, cette théorie utilise des anneaux d'entiers généralisant les entiers naturels. Ces anneaux ne disposent en général pas d'équivalent du théorème fondamental de l'arithmétique et il n'est pas possible de factoriser un entier en un unique produit de facteurs premiers au groupe des éléments inversibles près. Les idéaux fournissent un équivalent de ce théorème, permettant de résoudre certaines équations diophantiennes ou d'établir des lois de réciprocités équivalentes à la loi de réciprocité quadratique établie par Gauss (1777, 1855).

Les idéaux disposent d'une multiplication, cette opération est associative et il existe un élément neutre constitué de l'anneau tout entier, s'il est unitaire (un anneau est dit unitaire s'il dispose d'un élément neutre). En revanche, l'absence d'inverse empêche de munir l'ensemble des idéaux d'une structure de groupe. Dans le cas des anneaux d'entiers, la structure possède toutes les bonnes propriétés pour offrir un contournement. Cette configuration est axiomatisée dans la définition d'un anneau de Dedekind. Dans un premier temps l'anneau est plongé dans son corps des fractions, puis la notion d'idéal est généralisée. Un idéal fractionnaire est l'analogue d'un idéal dans le corps des fractions.

Cette notion est aussi utilisée en géométrie algébrique.

Sommaire

[modifier] Histoire

Ernst Kummer met en évidence le concept de nombre idéal à l'origine des notions d'idéaux et d'idéaux fractionnaires de Richard Dedekind.
Ernst Kummer met en évidence le concept de nombre idéal à l'origine des notions d'idéaux et d'idéaux fractionnaires de Richard Dedekind.

Une tentative de Leonhard Euler (1707 - 1783) pour résoudre le dernier théorème de Fermat si n est égal à 3, l'amène à considérer[1] les nombres de la forme a + b.i.√3, où a et b sont des entiers naturels et i l'unité imaginaire. La preuve s'avère fausse, un tel anneau n'est pas factoriel, c'est à dire qu'il n'existe pas une unique manière de factoriser un nombre à l'aide de facteurs premiers. Par exemple, 4 est à la fois le carré de l'entier 2 et le produit (1 + i.√3).(1 - i.√3). Si la mise en œuvre est un peu maladroite, l'idée s'avère bonne, Gauss le montre en étudiant[2] l'anneau des entiers de la forme a + i.b, ici a et b sont des entiers naturels. Il est euclidien et dispose d'une bonne factorisation. Ferdinand Eisenstein (1823 - 1852) découvre le bon anneau d'entiers[3] pour rendre rigoureuse la démonstration d'Euler. Il est composé des nombres de la forme a + j.b, où j désigne une racine cubique de l'unité, il s'avère aussi être euclidien. Johann Peter Gustav Lejeune Dirichlet (1805 - 1859) utilise une astuce pour initialiser la démonstration le grand théorème de Fermat pour n égal à 5[4], il considère l'anneau des entiers de la forme a + b.√5. Si l'anneau reste euclidien, le groupe des unités devient plus complexe. Cette complexité, qualifiée par Dirichlet d'obstruction est une première difficulté pour la résolution des équations diophantiennes.

Dans le cas général, il est vain d'espérer trouver trouver une structure euclidienne pour les anneaux d'entiers. Ernst Kummer (1810 - 1893) en comprend la raison profonde, qu'il qualifie de deuxième obstruction. Les équivalents des nombres entiers, sur les anneaux d'entiers algébriques ne sont pas assez nombreux. Il ajoute en conséquence ce qu'il appelle des nombres idéaux[5]. Cette découverte lui permet de démontrer le grand théorème de Fermat pour toutes les valeurs de n inférieures à 100 à l'exception de 37, 59 et 67[6].

Kummer analyse les entiers algébriques du corps Qn], où ζn désigne une racine primitive de l'unité, structure maintenant appelée extension cyclotomique. Richard Dedekind (1831 - 1916) et Leopold Kronecker (1823 - 1891) cherchent à généraliser la théorie à toute extension finie des nombres rationnels. Leurs approches sont opposées, Dedekind cherche une théorie fondée sur les caractéristiques structurelles des anneaux d'entiers, quitte à ne pas disposer d'algorithme effectif. Kronecker s'inscrit dans la tradition calculatoire, instaurée par Gauss et suivie par Kummer[7]. Cette philosophie l'amène à réécrire quatre fois son traité de la théorie des nombres. La version de 1876 contient la définition moderne d'idéal et d'idéal fractionnaire[8]. Son approche abstraite le pousse à étudier la structure algébrique des idéaux, et particulièrement leur multiplication. L'adjonction des idéaux fractionnaires assure l'existence d'un inverse. La dernière version de son traité, datée de 1894, montre en toute généralité et sous sa forme moderne l'unicité de la décomposition remplaçant le théorème fondamental de l'arithmétique[9].

[modifier] Définitions

Dans cet article OK désigne un anneau de Dedekind et K son corps des fractions. L'anneau est par définition commutatif unitaire intègre. Tout idéal de l'anneau admet une base finie en tant que OK module, tout idéal premier est maximal et l'ensemble des entiers de K est égal à OK. L'ensemble des idéaux de OK est noté Id(OK), l'ensemble des idéaux premiers (resp. principaux) est notée P(OK) (Resp. Princ(OK)). La lettre Z désigne l'ensemble des entiers naturels.

  • Un idéal fractionnaire F de K est un sous-module de K tel qu'il existe un entier d de OK vérifiant la propriété suivante :
\forall f \in \mathfrak F \quad d.f \in \mathcal O_{\mathbb K}

Un idéal est un idéal fractionnaire, cependant la réciproque n'est pas toujours vraie.

  • Un ensemble F est dit idéal fractionnaire principal de K si et seulement s'il existe k élément de K tel que F est égal à kOK :
\mathfrak F = \left\{ f \in \mathbb K \; /\; k.f \in \mathcal O_{\mathbb K} \right\}

Un idéal fractionnaire est la généralisation naturelle de la définition d'idéal principal.

Une autre définition est utilisée dans cet article :

  • Soit M et N deux idéaux (resp. idéaux fractionnaires), le produit des deux idéaux (resp. idéaux fractionnaires) est l'idéal (resp. idéal fractionnaire) engendré par les produits d'éléments de M et de N.

L'ensemble des idéaux fractionnaires de OK est noté Fr (K), l'ensemble des idéaux premiers (resp. principaux) est notée P(K) (Resp. Princ(K)).

[modifier] Propriétés

[modifier] Structure de groupe

La multiplication des idéaux fractionnaires est manifestement associative, il existe un élément neutre OK, pour obtenir une structure de groupe, il ne reste qu'à montrer que tout idéal fractionnaire est inversible.

  • Tout idéal fractionnaire de K est inversible.

Ce qui implique directement que :

  • L'ensemble des idéaux fractionnaires non nuls muni de la multiplication forme un groupe[10].

[modifier] Décomposition en idéaux premiers

Les démonstrations du paragraphe précédent montre que :

  • Tout idéal fractionnaire se décompose en un produit fini de puissances positives ou négatives d'idéaux premiers.

Un équivalent du théorème fondamental de l'arithmétique s'exprime de la manière suivante :

  • La décomposition d'un idéal fractionnaire en idéaux premiers est unique.

Ce qui s'exprime en terme de groupe :

  • Le groupe des idéaux fractionnaires est isomorphe à celui des fonctions de P(OK) dans Z, nulles partout sauf peut-être sur un sous-ensemble fini de P(OK).

Enfin, la décomposition en idéaux premiers offre un critère différenciant les idéaux des idéaux fractionnaires :

  • Un idéal fractionnaire est un idéal si et seulement si toutes les puissances de sa décomposition en idéaux premiers sont positives.

En conséquence, un idéal se décompose aussi de manière unique en produit d'idéaux premiers. Les démonstrations découlent directement de celles du paragraphe précédent[10].

[modifier] Valuation

Icône de détail Article détaillé : Valuation.

L'unicité de la composition en facteurs premiers des idéaux fractionnaires permet, comme pour les entiers naturels ou les rationnels, de définir une valuation sur le groupe.

  • Soit P un idéal premier, l'application vP qui à un idéal fractionnaire F différent de {0} associe l'exposant de P dans la décomposition en idéaux premier et qui associe à l'idéal nul la valeur infinie, est appelée valuation sur Fr (K) en P. Cette application est parfois notée vP.
\forall \mathfrak F \in \mathfrak {Fr}(\mathbb K)^*\quad \mathfrak F = \prod_{i=1}^n \mathfrak P_i^{\alpha_i} \Rightarrow v_{\mathfrak P_i}(\mathfrak F) = \alpha_i \quad\text{et}\quad \forall \mathfrak P \in  \mathfrak P(\mathcal O_{\mathbb K}),\; \quad v_{\mathfrak P}(\{0\})= \infty

Les résultats du paragraphe précédent justifient le nom de cette application :

  • Si P est un idéal premier de OK, l'application valuation sur Fr (K) en P est une valuation.

Ils permettent de démontrer les résultats suivants :

  • Soit F1 et F2 deux idéaux fractionnaires de K, l'idéal fractionnaire F1 est inclus dans l'idéal fractionnaire F2 si et seulement si la valuation de F1 en P est inférieure ou égale à celle de F2, pour tout idéal premier P de OK.
\mathfrak F_1 \subset \mathfrak F_2 \Leftrightarrow \quad \forall \mathfrak P \in \mathfrak P(\mathcal O_{\mathbb K}), \; v_{\mathfrak P}(\mathfrak F_1) \ge v_{\mathfrak P}(\mathfrak F_2)
  • Soit F1 et F2 deux idéaux fractionnaires de K :
\forall \mathfrak P \in \mathfrak P(\mathcal O_{\mathbb K}),\quad  v_{\mathfrak P}(\mathfrak F_1 \cap \mathfrak F_2) = \max\big(v_{\mathfrak P}(\mathfrak F_1),v_{\mathfrak P}(\mathfrak F_2)\big)

Les valuations utilisées s'appliquent généralement à des nombres algébriques et non à des idéaux. Si k est un élément de K, kOK est un idéal fractionnaire, en conséquence l'application valuation s'applique :

  • Soit P un idéal premier, l'application vP qui à un nombre algébrique k de K associe vP(kOK) est appelée valuation sur K en P. Cette application est parfois notée vP.
\forall k \in \mathbb K^*,\; \forall \mathfrak P \in  \mathfrak P(\mathcal O_{\mathbb K})\quad v_{\mathfrak P}(k) = v_{\mathfrak P}(k\mathcal O_{\mathbb K}) \quad\text{et}\quad v_{\mathfrak P}(0)= \infty

Comme précédemment :

  • Si P est un idéal premier de OK, l'application valuation sur K en P est une valuation.[10]

[modifier] Voir aussi

[modifier] Notes

  1. H. M. Edwards Fermat's Last Theorem: A Genetic Introduction to Algebraic Number Theory Springer 3ème Ed 2000 (ISBN 0387950028)
  2. Carl Friedrich Gauss Recherches arithmétiques trad. française des Disquisitiones arithmeticae par A.-C.-M. Poullet-Delisle 1801 lire
  3. J. H. Conway R. K. Guy Le livre des nombres Eyrolles 1980 (ISBN 2212036388)
  4. Il ne parvient pas à démontrer totalement le cas général, la touche finale est donnée par Adrien-Marie Legendre : Dirichlet Démonstration du théorème de Fermat et de Wilson (compte-rendu par Cournot de quelques mémoires d'Abel, Jacobi et Lejeune-Dirichlet, au Journ. der Mathemat., de M. Crelle, t. 3, cah. 4). 1829, t. 11, p. 153-157
  5. H.M. Edwards, The background of Kummer's proof of Fermat's Last Theorem for regular primes, Arch. History Exact Sci. 14 1975
  6. Ernst Kummer Sur la théorie des nombres complexes, Comptes Rendus des Séances de l'Académie des Sciences. Paris. 1847
  7. Une analyse est proposée en introduction du texte Dedekind's 1871 version of the theory of ideals de Jeremy Avigad 2004
  8. Richard Dedekind Traité sur la théorie des nombres trad. C. Duverney, Tricorne, Genève, 2006 (ISBN 2829302893)
  9. Richard Dedekind Zur Theorie der Ideale Nachr der K. Ges. Der Wiss. zu Göttingen 1894
  10. abc Les démonstrations de ce paragraphe sont issus de :Théorie algébrique des nombres un cours de maîtrise par Bas Edixhoven de l'Université de Renne I

[modifier] Liens externes

[modifier] Références

[modifier] Historique

  • (en) H. M. Edwards Divisor Theory Birkhäuser Boston 1990 (ISBN 0817634487)
  • (fr) Richard Dedekind Traité sur la théorie des nombres trad. C. Duverney, Tricorne, Genève, 2006 (ISBN 2829302893)
    le livre de Dedekind donnant la définition d'idéal fractionnaire.

[modifier] Mathématiques

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