Didier Eribon

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Didier Eribon (né à Reims en 1953) est un philosophe et intellectuel français.

Sommaire

[modifier] Son travail philosophique

Didier Eribon est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages, parmi lesquels une biographie qui fit date de Michel Foucault en 1989 (vingt traductions) et, dix ans plus tard, Réflexions sur la question gay (Insult and the Making of the Gay Self dans sa version anglaise), vite devenu une référence majeure des Gender Studies, des Gay and Lesbian Studies et de la théorie Queer et plus généralement de ce qu'on appelle dans le monde anglo-saxon la Critical Theory. Ses travaux dans ce domaine lui ont valu d'être le lauréat 2008 du prestigieux James Robert Brudner Memorial Prize décerné chaque année par l'université Yale (Etats-Unis) pour couronner une "contribution éminente, à l'échelle internationale, dans le champ des études gays et lesbiennes" (c'est la première fois qu'un auteur non-américain obtient cette récompense).

Ses livres ont également été consacrés à la littérature (Gide, Proust, Jouhandeau, Genet), à la relecture de l'héritage intellectuel des années 1970 (Deleuze et Guattari, Foucault...) et, à travers une explication avec toutes ces œuvres, ou encore avec celles de Bourdieu (dont il fut un ami très proche et un interlocuteur intellectuel de 1979 à sa mort) et de Derrida, mais aussi avec celle de Sartre, à laquelle il se réfère abondamment, à une réflexion sur les mécanismes de pouvoir qui assurent la perpétuation de la normativité et des formes d'assujettissement.

Dans Réflexions sur la question gay, il insiste notamment sur l'injure et son caractère constitutif de la subjectivité des individus stigmatisés. Contre les pensées néo-kantiennes du sujet "autonome" et désinséré de ses inscriptions sociales, il montre qu'un individu est toujours façonné par la place qui lui est assignée par l'ordre social - ou l'ordre sexuel-, et que la liberté ne peut se conquérir qu'en reformulant et réinventant la subjectivité assujettie, ce qui passe, le plus souvent, par la mobilisation collective et la lutte "politique", entendue au sens large et qui englobe la bataille menée dans la littérature et dans la théorie. D'où l'intérêt que Eribon a ensuite porté au sentiment de la honte (ce qu'il a nommé, en détournant un mot de Lacan, une analyse "hontologique"). Ce qui l'a amené à mettre en question radicalement les présupposés idéologiques qui structurent souvent des discours qui se présentent comme des élaborations savantes : c'est dans cette perspective, par exemple, qu'il déconstruit la pensée psychanalytique, notamment lacanienne, à laquelle il s'efforce d'opposer, à partir de l'analyse de la subjectivité minoritaire, une autre conception de l'inconscient et une autre théorie du sujet. C'est le projet qu'il développe notamment dans son ouvrage de 2001, que beaucoup considèrent comme son livre le plus important, "Une morale du minoritaire". On peut donc dire en ce sens que, en s'appuyant sur des auteurs comme Gide ou Genet, Didier Eribon cherche à s'écarter de Pierre Bourdieu quand ce dernier déclarait que "contrairement à ce que l'on croit souvent, ce ne sont pas les objets les plus proches que l'on analyse le mieux".

Son livre, "Echapper à la psychanalyse" (2005) a suscité de nombreux débats mais lui a valu un certain nombre d'inimitiés dans les milieux psychanalytiques. Il a cependant poursuivi son dialogue critique avec la psychanalyse lors de colloques ou conférences devant des associations psychanalytiques.

[modifier] Un intellectuel engagé

Didier Eribon est un intellectuel engagé. Se réclamant de la tradition de la "pensée critique" (notamment celle des années 1960 et 1970), il s'oppose avec fermeté à la restauration conservatrice qui caractérise selon lui les années 1980 et 1990 en France et aux dérives néo-réactionnaires qu'il analyse dans son dernier livre "D'une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française " (2007). Dans cet ouvrage, qu'il présente comme "une intervention radicale dans le champ de la philosophie politique", il réfléchit sur ce qui définit la gauche et surtout la pensée de gauche. Selon lui, celle-ci n'est pas caractérisée par un ensemble de concepts, de notions ou même de problèmes qui lui seraient propres (il analyse par exemple comment la notion d' "Intérêt général" a pu être utilisée par des penseurs très différents et aux options politiques contraires), mais plutôt par une manière de poser les problèmes et par un point de vue sur le monde social dont l'objectif est toujours et a toujours été de décrypter les mécanismes de pouvoir et de domination dissimulés dans ce qui se présente comme neutre ou fondé en nature, en raison ou en droit. Il s'agit donc pour lui d'affirmer un "éthos" rétif, toujours ouvert à l'événement et à l'avenir. Ce livre peut aussi se lire comme une réflexion sur la figure de l'intellectuel et ses rapports aux mouvement sociaux d'un côté et aux gouvernements et à l'Etat de l'autre : pour Eribon, la fonction du travail intellectuel est d'assurer une médiation entre la critique radicale des institutions et les possibilités de réformes concrètes de celles-ci.

Eribon est intervenu également de manière plus directe dans l'arène politique, en soutenant les mouvements de contestation de l'ordre établi (selon une logique du "tohu- bohu"), et notamment les mouvements qui militent en faveur des droits des gays, des lesbiennes et des transgenres. Il a ainsi été à l'origine, avec un petit groupe de juristes, avocats, universitaires et militants associatifs du « Manifeste pour l'égalité des droits » qui a conduit à la tentative du premier mariage homosexuel en France, à Bègles, en 2004 par le député-maire Vert Noël Mamère. Cependant, il a toujours insisté sur le fait que le droit au mariage pour les couples de même sexe, revendiqué en termes d'égalité des droits (accès pour tous à des droits existants), n'était, à ses yeux, qu'un aspect d'un processus beaucoup plus large, et en grande partie imprévisible, d'invention et de création de nouveaux droits (reconnaissance de différentes formes d'arrangements familiaux, sexuels, afffectifs, amicaux, etc., tels que ceux qui, par exemple, étaient contenus dans les premières versions du Pacs : ainsi, la possibilité pour deux ami-e-s - notamment deux personnes âgées- de faire reconnaître leurs liens de solidarité).

Il s'agit pour lui, aussi bien dans son travail théorique que dans ses interventions politiques, de fonder une éthique démocratique qui serait accueillante à "l'autre", c'est-à-dire à la multiplicité irréductible des modes de vie et des aspirations : une éthique qui se fixerait pour tâche de donner le plus grand nombre possible de droits au plus grand nombre possible d'individus, en cherchant ainsi à ouvrir continuement l'espace de la liberté et des possibilités de vivre les vies qu'on se choisit. C'est ce qu'il définit comme une "éthique (et une politique) de la générosité".

[modifier] Enseignements

Didier Eribon est titulaire d'une Thèse d'habilitation soutenue à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne (Paul Veyne faisait partie du jury) et il a été pendant plusieurs années Visiting Professor of Philosophy and Theory à l'université de Berkeley aux États-Unis, y donnant un séminaire de recherche pour étudiants doctorants, puis Visiting Scholar à l'Institute for Advanced Study de Princeton. Il participe à la vie universitaire et intellectuelle aussi bien en Europe qu'en Amérique par des cours, séminaires et conférences. Il a ainsi animé avec Françoise Gaspard de 1998 à 2004 un séminaire à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales sur les études gays, lesbiennes et queer menées en France comme à l'étranger. Ce séminaire, auquel il a invité d'éminents chercheurs américains (comme Judith Butler, George Chauncey, Leo Bersani, Michael Warner, Michael Lucey, Carolyn Dinshaw) ou français comme (Pierre Bourdieu, Michel Tort, Jeanne Favret-Saada) a contribué à installer en France ce nouveau champ de recherche.

Didier Eribon avait auparavant organisé au Centre Georges Pompidou, en juin 1997, le premier grand colloque en France consacré aux études gays et lesbiennes et à la théorie queer, auquel participaient notamment Monique Wittig et Eve Kosofsky Sedgwick. Il publia l'année suivante les actes de ce colloque, sous le titre "Les études gays et lesbiennes" (Editions du centre Georges Pompidou, 1998). On peut assurément dater de ce moment-clé l'introduction de ce courant de pensée en France.

Soulignons qu'il avait commené sa carrière, après des études de philosophie, comme critique littéraire à Libération de 1979 à 1983, puis, à partir de 1984, et jusqu'au début des années 1990, au Nouvel Observateur, où il continue d'ailleurs d'écrire assez régulièrement des articles sur la philosophie et les sciences humaines.

Ses deux premiers ouvrages sont des livres d'entretiens avec Georges Dumézil, en 1987, et Claude Lévi-Strauss, en 1988.

[modifier] Œuvres

  • Entretiens avec Georges Dumézil, Gallimard ISBN 2070323986
  • De Près et de loin. Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Odile Jacob.
  • Michel Foucault, 1926-1984, Flammarion ISBN 208081243
  • Faut-il brûler Dumézil. Mythologie, science et politique, Flammarion
  • Michel Foucault et ses contemporains, Fayard
  • (dir.) Les études gays et lesbiennes. Actes du colloque des 21 et 27 juin 1997, Paris, éditions du Centre Georges Pompidou.
  • Réflexions sur la question gay, Fayard ISBN 2213600988
  • Papiers d'identité : Interventions sur la question gay, Fayard ISBN 2213605769
  • Une morale du minoritaire. Variations sur un thème de Jean Genet, Fayard ISBN 2213609187
  • (dir.) L'infréquentable Michel Foucault. Renouveaux de la pensée critique. Actes du colloque du Centre Georges Pompidou, 21-22 juin 2000, EPEL.
  • (dir.) Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse
  • Hérésies : Essais sur la théorie de la sexualité, Fayard ISBN 2213614237
  • Sur cet instant fragile... : Carnets janvier-août 2004, Fayard ISBN 2213622795
  • Echapper à la psychanalyse, Léo Scheer ISBN 2915280932
  • (dir. avec Roger Chartier), Foucault aujourd'hui. Actes des neuvièmes rencontres INA-Sorbonne, 27 novembre 2004, L'Harmattan.
  • D'une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, éditions Leo Scheer.
  • Contre l'égalité et autres chroniques, éditions Cartouche.

[modifier] Liens Externes

Le site personnel de Didier Eribon

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