Denis Martinez

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Denis Martinez, peintre né en Algérie en 1941, a choisi d'y demeurer après l'Indépendance. Contraint à l'exil en 1994 il vit et travaille depuis à Marseille.

Sommaire

[modifier] Biographie

Denis Martinez en 1990
Denis Martinez en 1990

Denis Martinez naît le 30 novembre 1941 à Mars-El-Hadjadj (Béthioua) en Oranie. Il dessine depuis l’enfance les paysages et les scènes de la campagne oranaise. De 1957 à 1962 il vit à Blida où son père, peintre en bâtiment, est devenu facteur. Il suit l’enseignement de l’Ecole des Beaux-Arts à Alger puis à Paris. A partir de 1963 il est professeur à l’ École des Beaux-Arts d'Alger, où son enseignement exerce une influence durable sur plusieurs générations d'artistes, et participe aux premières expositions organisées après l’Indépendance à Alger et à Paris, puis à la plupart des expositions collectives de peinture algérienne en Algérie et à l’étranger. Il présente en 1964 sa première exposition personnelle à Alger, préfacée par Jean Sénac.

Denis Martinez est l’un des fondateurs, avec Choukri Mesli, du groupe Aouchem. (Tatouage) qui expose en 1967, 1968 et 1971. Rassemblant une dizaine d'artistes, peintres et poètes, il s'oppose aux imageries jugées démagogiques que présente la galerie officielle de l’Union Nationale des Arts plastiques, fondée en 1963 mais dont la plupart des peintres actifs ont été exclus. « Aouchem est né il y a des millénaires, sur les parois d'une grotte du Tassili. Il a poursuivi son existence jusqu'à nos jours, tantôt secrètement, tantôt ouvertement, en fonction des fluctuations de l'Histoire. (...) Nous entendons montrer que, toujours magique, le signe est plus fort que les bombes », déclare leur « Manifeste ». En dépit des violences, certaines traditions plastiques ont réussi à se maintenir dans les gestes qui modèlent et peignent l’argile, tissent la laine, décorent les murs, gravent le bois ou le métal : c’est sur ces survivances qu’« Aouchem » veut s’appuyer.

Denis Martinez reçoit en 1975 le Grand Prix de Peinture de la Ville d’Alger. En 1973 et 1976 il participe à la réalisation de deux peintures murales collectives pour le village de Maamora (Saïda) et pour les travailleurs du Port d'Alger. Une rétrospective de sa peinture est présentée au Musée d'Alger en 1985. Il crée en 1986 une fontaine-monument en céramique à Blida et organise de 1986 à 1992 avec ses étudiants des interventions ou actions, à Blida (Les dernières paroles d'un mur), à la base pétrolière d'In Amenas et en Kabylie (Aïn-el-Hammam, Maâtkas).

En 1994 Denis Martinez quitte l'Algérie et devient en 1995 enseignant à l’Ecole des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence. Il participe en 1998 à Peintres du Signe (Fête de l’Humanité; La Courneuve, exposition itinérante). En 2000 et 2001 il crée les éléments et la mise en scène d'une procession de 7 Aghanjas pour la Paix à Forcalquier et Loriol, en 2002 une performance en plusieurs lieux, Fenêtre du vent [7 séquences, Timimoun, Ecole des Beaux-Arts (Alger), Maison de la Poésie (Saint-Martin d'Hères), Clos Maria (Aix-en-Provence), La Bérangère (Drôme), La Robin, Lombez (Gers), Association culturelle berbère (Paris)]. Participant en 2003 à l'exposition Le vingtième siècle dans l'art algérien, (Château Borély, Marseille; Orangerie du Sénat, Paris), il expose à Pau, Désorientalisme au Musée des Beaux-Arts et Dessins sur le sable et sur les murs (installation) à l'Ecole Supérieure des Arts et de la communication, ainsi qu'à Marseille.

Denis Martinez a publié plusieurs plaquettes de poèmes (Cinq dans tes yeux (collectif) 1977 ; Non je ne veux pas dire, 1977 ; Il est bien inutile, 1978 ; C’est peut-être comme ça, 1988) et de dessins (Ihelleouen, avec une introduction de Dominique Devigne, 1991). Il a illustré plusieurs recueils de Abdelhamid Laghouati (Où est passé le grand troupeau ?, 1988; Gerçures, 1994; Errances), des anthologies (Bouches d’incendie, poèmes de Hamid Tibouchi, Abdelhamid Laghouati, Tahar Djaout, Messaour Boulanouar, O. Azredj et A. Hamdi, 1983 ; L’Algérie au cœur, 1994 ; Visages et silences d’Algérie, 1997) et des ouvrages autour de Jean Sénac.

[modifier] L'œuvre

C’est peut-être son caractère résolument « primitif » qui définirait le mieux le travail de Denis Martinez. Non qu’il exécute ses peintures sous le seul coup, pour lui demeurer fidèle, d'une impulsion première. Le Journal de bord tenu par le peintre en 1982 tout au long de la réalisation d’une de ses œuvres, et publié en 1985 dans le catalogue de sa rétrospective au Musée d'Alger, manifeste combien la patience et la distance critique se conjuguent chez lui à la spontanéité et au besoin sensible d’agir sur sa toile. Il ne s’agit pas non plus avec Martinez d’une création brute, se développant à l’écart, dans l’ignorance de l’art du passé comme des tentatives modernes. Son œuvre repose tout au contraire sur une connaissance approfondie de l’art maghrébin depuis ses plus lointaines sources, en une imprégnation qui est à la fois exploration et métamorphose active.

« Primitif » signifierait plutôt la volonté constante de Martinez de briser les limites traditionnelles de la peinture. Ce souci a pris par vagues successives des formes variées. La première est celle de ses reliefs peints exposés en 1964. La découverte que fait en 1961 Martinez des recherches du marocain Cherkaoui après celles de Siqueiros, dès les années 1920, au Mexique lui fait prendre conscience du conditionnement qu’il a subi, l’oriente vers la culture africaine et la symbolique plastique de l’art populaire maghrébin. Il commence d'en interroger la dimension rituelle, existentielle et entreprend de revenir à ses sources pré-coloniales comme les mexicains l’avaient fait, en-deçà du classicisme espagnol, à leurs origines précolombiennes. Les reliefs qu’il réalise à partir de 1963, assemblant et peignant, transfigurant les matériaux les plus hétéroclites, ne sont donc pas sans présenter quelque parenté avec les totems, fétiches et nouets.

Ces préoccupations se cristallisent sous le signe de l’anticonformisme, en réaction contre les pièges de l’orientalisme et d’un réalisme socialiste menaçant, dans l’esprit du groupe Aouchem (Tatouage). Première introduction de l’écrit dans son travail, Martinez intègre alors à la composition de ses reliefs puis de ses toiles des inscriptions manuscrites en arabe dialectal ou en français, slogans poétiques qui prennent le contre-pied de tout discours démagogique. Tandis que, dans les années 1970, la couleur gagne en intensité et que s’aiguise le graphisme, monte au premier plan de ses toiles le visage chaque fois différent du personnage qui ne cessera plus de signer sa peinture.

Les regards aveugles que Martinez lui prête de toile en toile semble traverser le regard qui le rencontre et, dans un monde réduit à la faim, à l’angoisse, la honte et le mépris, poursuivre au-delà le monologue de la détresse (Misère et misère, L’enfant du dépotoir, 1975 ; Les martyrs du sous-développement, 1977. Le spectateur n’échappe pas au malaise : cette foule blessée, repliée sur sa douleur, il peut éprouver l'impression que c’est lui qu'elle dévisage et interpelle, sur le point de l’accuser de ce malheur dont il ne peut tout à fait ne pas être l’auteur. Peintre de la condition humaine, Martinez, dans son œuvre inquiète et inquiétante, ne cherche pas d'abord à plaire, ne se détourne pas de L’homme piétiné (1977), n’impose pas d’emblée des réponses, met plutôt sur le chemin des questions.

A partir de 1978 le climat de sa peinture se modifie : un nouvel élément plastique y surgit et la domine. Après un voyage en Andalousie, aux sources de l’art hispano-maghrébin, lettres et bribes de la calligraphie arabe, en une nouvelle tentative d’intégration de l’écrit, accompagnent les visages, les construisent et les expriment (Douloureuse identification, 1979; L’alphabet du cri, 1981). Dans des mises en pages tressant des motifs qui s’inspirent des tissus et des céramiques, c’est dans une fenêtre de la toile qu’apparaît par la suite l'omniprésent personnage (Okda, 1985).

En 1986 Martinez en revient aux reliefs et réalise des toiles découpées qu’il réunit sous le titre de Je prend, je donne, j’envoie, je reçois. S’y multiplient les flèches graphiques qui expriment les mouvements et relations du personnage, à travers une géométrie fine de points et de lignes zigzaguantes qui évoquent les signes du soleil, des étoiles et de tout un bestiaire populaire d’abeilles et de grenouilles, de serpents et de tortues. Ces signes, en 1989, s’inscrivent dans les rythmes de l’espace des maisons berbères, où le personnage semble pénétrer (M’Kharbech Be Niya Safia cherche lieux humains). Avec les dessins (marchem) qu’il commence à pratiquer sur le modèle des tracés divinatoires, dans le sable, de l’extrême Sud, Martinez, conjuguant peinture et géomancie, signes tifinagh et motifs berbères, déploie d’un seul et même trait une faune exubérante, où le lézard devient son propre totem.

Les processions qu'il organise en 1992 en Kabylie, plus tard en France pour implorer non pas de façon traditionnelle la pluie mais plus politiquement la paix dans une Algérie en proie au terrorisme de l'intégrisme, et ses dessins sur sable et murs, avec le concours de poètes et de musiciens, constituent un aboutissement, entre performance et installation, de sa volonté d'ouvrir son art à un autre retentissement, une autre implication que la distante contemplation. Il semblerait qu'une fois encore Denis Martinez cherche à détourner, redresser l'itinéraire de la pêinture, à la délivrer d’une tradition unique, à en greffer les moyens sur une magie nouvelle, une autre vocation, plus vitale, dont nulle époque du passé ne propose précisément le modèle.

[modifier] Bibliographie

 : source utilisée pour la rédaction de cet article

  • Peintres du Signe - Mesli, Martinez, Baya, Khadda, Koraïchi, Samta Ben Yahia, Silem, Sergoua, Mohand, Yahiaoui, Tibouchi, (textes de Pierre Gaudibert, Nourredine Saadi, Michel-Georges Bernard et Nicole de Pontcharra), Fête de l’Humanité, La Courneuve, septembre 1998 (exposition itinérante).
  • Nourredine Saadi, Martinez, peintre algérien, Editions Barzakh, Alger et Le bec en l’air, Manosque, 2003.

[modifier] Lien interne