Cité idéale

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La Cité idéale, d'abord attribuée à Piero della Francesca puis à Luciano Laurana et maintenant à Francesco di Giorgio Martini
La Cité idéale, d'abord attribuée à Piero della Francesca puis à Luciano Laurana et maintenant à Francesco di Giorgio Martini


La Cité idéale est une aspiration à la perfection architecturale, sociale (morale) et politique.

La réalisation d'une cité idéale est un des grands rêves des sociétés urbaines ou en voie d'urbanisation. Le terme pourrait sembler synonyme d'utopie si certaines de ces cités n'avaient été construites dans les faits. Il s'agit cependant de réalisations idéales au sens où, contrairement à la cité spontanée, qui se développe peu à peu selon les besoins en fonction de décisions multiples, et donc de façon organique et parfois anarchique, la cité idéale se conçoit avant de se construire, et sa fondation résulte d'une volonté unifiée.

Ainsi ces anciennes cités qui, n'ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues par succession de temps de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu'un ingénieur trace a sa fantaisie dans une plaine
(René Descartes, Discours de la méthode, seconde partie)

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Neu-Brisach, par Vauban
Neu-Brisach, par Vauban

Sommaire

[modifier] Antiquité et Moyen Âge

Dès l'antiquité, les hommes rêvent d'édifier une cité idéale comme en témoigne le mythe de la Tour de Babel[1]. Le sujet apparaît chez les philosophes grecs dans le contexte particulier de la cité-état, La République de Platon (427 à 348 av. J.-C.) en étant le plus célèbre exemple. Or, de fait, dès le VIIe siècle av. J.-C., on note une tentative pour rationnaliser l'espace dans les villes nouvelles. Certaines colonies grecques comme Sélinonte[2] sont construites selon un plan à damier encore grossier, dit plan hippodamien[3]. Cette rationalisation de l'espace urbain, dont la paternité a longtemps été attribuée à Hippodamos de Millet (Ve siècle av. J.-C.), montre un souci de planification urbaine qui rejoint les préoccupations des philosophes. Selon Aristote, Hippodamos est à la recherche de la cité idéale au sens où l'organisation de l'espace urbain s'applique à traduire l'organisation de la république idéale [4], et on lui attribue le plan en damier du Pirée, ainsi qu'en -479 av. J.-C. la reconstruction de Milet, incendiée par les Perses.

Dans sa Politique, Aristote se préoccupe de l'organisation sociale et urbanistique de la cité idéale, après avoir critiqué la République de Platon et les cités existantes. Organisation de l'espace, organisation sociale et organisation politique rationnelles sont les axes selon lesquels les philosophes pensent la cité idéale, à laquelle les architectes et les premiers urbanistes se sont déjà attaqués sur le terrain.

Au Moyen Âge, le plan hippodamien est toujours utilisé dans la création des villes nouvelles, par exemple les bastides[5]. Cette grille hippodamienne est aussi celle du jeu d'échecs qui sert au dominicain Jacques de Cessoles à décrire l'organisation idéale de la cité ceinturée dans ses murs, symbolisés par les quatre tours d'angle[6]. Selon Jacques Heers[7], le fractionnement de l'espace urbain en espaces privés, l'absence d'un pouvoir central fort s'opposent à la conception et la réalisation de grands projets publics.

Quoi qu'il en soit, le christianisme, s'appuyant sur le texte de l'Apocalypse de Saint Jean, offre aux fidèles la promesse d'une cité idéale qui n'est pas de ce monde, la Nouvelle Jérusalem[8]. La cité idéale à laquelle les hommes doivent travailler, c'est La Cité de Dieu de Saint Augustin.

[modifier] De la Renaissance à la révolution

Plan de Palmanova
Plan de Palmanova

[modifier] Les utopies

Avec le retour de la cité-état, l'organisation de la ville et de la société idéale est un des grands thèmes de l'humanisme italien de la Renaissance. Le thème du bon gouvernement[9] se décline chez les philosophes, les juristes, les artistes, notamment les architectes, comme Le Filarète, qui dans son traité d'architecture en 25 volumes présente les plans d'une cité idéale, Sforzinda.

Dans le Songe de Poliphile, Francesco Colonna décrit une cité idéale sur l'île Cythérée. C'est aussi sur une île que Thomas More situe son Utopia (1516). François Rabelais (L’abbaye de Thélème)[10], Johann Eberlin von Günzburg, (Wolfaria, utopie protestante)[11], Francis Bacon (La nouvelle Atlantide), et Tommaso Campanella (La Cité du Soleil) imaginent eux aussi des sociétés idéales, parallèlement aux juristes comme Jean Bodin qui recherchent, eux, à élaborer une constitution idéale pour réformer les communautés existantes. Campanella est notamment très préoccupé par l'organisation d'un espace urbain qui épouse parfaitement l'organisation économique, sociale et politique de la cité.

Avec la redécouverte des œuvres de Vitruve et les écrits de Leone Battista Alberti, la cité idéale se décline aussi dans l'art[12].

[modifier] Les expériences

Ces utopies vont s'actualiser dans l'urbanisme. Palmanova, ville fortifiée, avec sa forme d' étoile à neuf branches, vise à la fois la perfection formelle et stratégique. Sabbioneta réorganisée au XVIe siècle par le duc de Mantoue[13], est également une cité-forteresse idéale en miniature.

Citons encore les villes nouvelles de Charleville, Richelieu (Indre-et-Loire), bâtie sur un plan hippodamien à l'instigation du cardinal de Richelieu.

L'utopie uniquement sociale des anabaptistes de Münster, qui tentèrent d'instaurer une théocratie dans leur ville, fera peu d'émules. En revanche l'expansion coloniale permet à de petits groupes européens d'exporter leurs idéaux sous des cieux plus propices à l'expérimentation. Les missions jésuites du Paraguay embrigadent les Guaranis dans une expérience qui durera du début du XVIIe siècle à 1767. Les Puritains du Mayflower qui fuient l'Angleterre anglicane pour fonder une société nouvelle en Nouvelle-Angleterre se préoccupent moins d'urbanisme que de liberté religieuse, mais la fondation de Philadelphie en 1681 par le quaker William Penn renoue avec la tradition de la cité utopique dont l'architecture même reflète la société idéale qu'elle prétend fonder.

Le XVIIIe siècle sera celui des architectes visionnaires comme Jean-Jacques Lequeu, Étienne-Louis Boullée et Claude Nicolas Ledoux (1736-1806)[14], instigateur d'un des plus remarquables exemples de cité idéale dont la construction ait été tentée : la Saline royale d'Arc-et-Senans.

L'idée qu'il est possible de jeter les bases d'une société meilleure dans la cité poursuit donc son essor, notamment parmi les révolutionnaires français qui, tel Saint-Just [15], n'auront pas le temps de réaliser leurs rêves d'une république vertueuse et idéale.

[modifier] XIXe siècle

New Harmony, projet de communauté du socialiste utopique Robert Owen
New Harmony, projet de communauté du socialiste utopique Robert Owen

Au XIXe siècle, ce sont les phalanstères de Fourier, qui inspirent au socialiste britannique Robert Owen des réformes de l'usine de New Lanark, puis l'idée de coopératives utopiques qu'il tente de réaliser mais sans succès[16]. Citons aussi Étienne Cabet et son projet d'Icarie dont la transposition dans les faits (Icaria, Iowa dans les années 1850) est un échec; Jean-Baptiste André Godin et son familistère, les communautés de saint-simoniens[17]. Avec l'avènement du transport ferroviaire, un mouvement pour le retour à la nature se dessine avec les cités-jardin britanniques dont l'idée est adoptée en France. Dans ces projets tardifs on voit apparaître les préoccupations hygiénistes de l'époque. Considérant que la baisse de la mortalité et l'allongement de la durée de vie sont un aspect essentiel du progrès social, Benjamin Ward Richardson publie en 1876 un ouvrage intitulé Hygeia, a City of Health dans lequel il décrit une cité idéale pour la santé de ses habitants[18]. Jules Verne imagine une communauté analogue dans Les Cinq Cents Millions de la Bégum, qu'il baptise patriotiquement France-Ville[19], tandis que H. G. Wells publie en 1905 une Modern Utopia également inspirée de l'urbanisme hygiéniste.

[modifier] XXe siècle

Brasilia : on distingue encore le plan original en forme d'oiseau
Brasilia : on distingue encore le plan original en forme d'oiseau

Pendant que, influencés par les idées socialistes, se développent en Palestine les premiers kibboutzim, avec leur plan sévèrement égalitaire et communautaire, la réflexion menée par les architectes de la fin du XIXe siècle débouche sur la notion d'urbanisme, terme qui apparaît en France au début du XXe siècle.

Icône de détail Article détaillé : urbanisme.

Tony Garnier, auteur de La Cité Industrielle (1917), reprend les principes antiques d'une division fonctionnelle de l'espace urbain tout en conservant des préoccupations esthétiques et hygiénistes et en utilisant des matériaux contemporains. La ville de Lyon fait appel à lui pour concevoir et réaliser des quartiers industriels où s'articulent zones d'activités et zones résidentielles. Son œuvre influence à son tour les architectes soviétiques.

Ces préoccupations sociales se retrouvent chez Adriano Olivetti, qui développe ses idées en matière d'architecture et d'urbanisme dans Città dell'uomo (La Cité de l'homme) publiée à titre posthume. Il met en œuvre certaines de ces idées dans le développment de la vallée d'Aoste et dans la reconstruction de l'Italie d'après guerre.

Le projet de Baldwin Hills Village [20], qui voit le jour au début des années quarante aux États-Unis, se situe dans la tradition des cités-jardins. La figure de proue de la tradition utopique dans l'urbanisme d'après-guerre est peut-être l'architecte Le Corbusier dont les idées, le purisme notamment, vont essaimer dans le monde entier, inspirant l'architecture des villes nouvelles d'Europe de l'Est et les instigateurs du brutalisme anglo-saxon. Son nom est intimement lié à la naissance de villes modernes telles que Chandigarh[21], dont il est l'architecte avec Albert Mayer, mais aussi Brasilia, dont le plan d'urbanisme est réalisé par Lucio Costa et Oscar Niemeyer.

Cependant la construction de cités idéales reste un projet accessible à l'initiative utopique privée. Le mouvement pacifiste des années soixante, par exemple, se traduit par la fondation d'Auroville.

Dans les années soixante dix, des artistes américains mettent en place le projet d'« Illichville »[22], d'après le nom du penseur de l'écologie politique Ivan Illich. « Illichville » est une utopie urbaine centrée sur la notion de décroissance et de convivialité.

[modifier] Les critiques

La cité idéale est critiquée dès l'antiquité par Aristophane. Dans Les Oiseaux, il imagine la construction d'une ville idéale dans les airs, Néphéloccocygia. Différents charlatans se présentent, notamment un géomètre, Meton, venu toiser l'air et le partager en rues : J'applique une règle droite, de manière à ce que tu aies un cercle tétragone ; au centre est l'Agora, les rues qui y conduisent sont droites et convergentes au centre, ainsi que d'un astre, qui est rond de sa nature, partent des rayons droits qui brillent dans tous les sens[23] Jonathan Swift fera de même dans Les voyages de Gulliver (Laputa) qui montre les architectes commencer la construction des maisons par le toit. Dans Martin Chuzzlewit, Charles Dickens montre comment l'exploitation du rêve utopiste par des charlatans peut conduire à la perte des rêveurs naïfs. La cité soi-disant idéale d' Eden, implantée dans une zone marécageuse, infestée de malaria, se révèle vite un véritable enfer, et c'est au contact de cet enfer que le héros va développer d'admirables qualités d'entraide et de dévouement qu'une cité véritablement idéale n'aurait peut-être pas engendrés.

Dans Les Cinq Cents Millions de la Bégum, Jules Verne oppose deux projets de ville idéale.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens internes

[modifier] Généralités

[modifier] Analyses

[modifier] Liens externes

[modifier] Bibliographie

[modifier] Notes

  1. Ancien Testament, Genèse 11 : cité idéale parce qu'elle satisfait les aspirations sociales des bâtisseurs : Allons! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre
  2. Hippodamos de Milet, Évolution ou révolution des structures spatiales urbaines ? Gabriela Cursaru, p.8
  3. Ce plan orthogonal est destiné à un succès durable, puisqu'on le retrouve aussi bien dans les villes antiques [1], et contemporaines
  4. Hippodamus est aussi le premier qui, sans jamais avoir manié les affaires publiques, s'aventura à publier quelque chose sur la meilleure forme de gouvernement. (Aristote, Politique, Livre II, chapitre V
  5. [2]. Selon ce site, il existerait une vision de la cité idéale égalitaire qui se traduit dans le plan de ces villes nouvelles. Le site fait référence (mais avec une orthographe que l'on ne retrouve pas ailleurs), à Francesc Eiximenis, auteur d'un Regime[n]t de la cosa publica, dont le facsimile est disponible ici. Voir aussi La ville idéale du théoricien catalan Eiximenis et la genèse de la ville ibéro-américaine, Geneviève Barbé Cocquelin Delisle, in La Licorne, n°34, "La ville dans le monde ibérique et ibéro-américain"
  6. [3] Le Jeu des échecs moralisés
  7. La Ville au Moyen Age, Fayard, 1990, ISBN : 2213025576
  8. Apocalypse de Saint Jean (ou Révélation), XXI, 18
  9. Voir les fresque du Palazzo Publico de Sienne
  10. L’abbaye de Thélème, Gargantua, chapitre LVII (1534)
  11. Ein newe Ordnüng weltlichs standts des Psitacus anzeigt hat in Wolfaria beschriben. (Nouvel ordre de l'état du monde) Der XI Bundtgnosz. Basel: Pamphile Gegenbach.
  12. Les tableaux dits Perspective de la cité idéale qui se trouvent à Urbin, Berlin, et Baltimore, un temps attribués à Piero della Francesca semblent l'être aujourd'hui à Alberti (Cardinali, p. 6)
  13. Musée Dobrée, Sabbioneta, cité idéale
  14. L'architecture considérée sous le rapport de l'art, des mœurs et de la législation. Tome Ier, Introduction p. 3, [4]
  15. Saint-Just, Fragments sur les institutions républicaines, 1793.
  16. Orbiton, près de Glasgow, et New Harmony, dans l'Indiana (USA)
  17. Voir notamment leur rêve d'un Paris réhabilité La ville nouvelle, ou le Paris des saints-simoniens, par Charles Duveyrier, 1832, [5], ainsi que l'article Transformations de Paris sous le Second Empire
  18. Texte sur le projet Gutemberg
  19. Les 500 Millions de la Bégum, chapitre X, sur wikisource
  20. Description du projet
  21. [http://sampark.chd.nic.in/pls/esampark_web/city_history. Site de la ville et historique du projet de ville nouvelle]
  22. Illichville, la ville sans voitures
  23. Les Oiseaux, 993-1020)
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