Adolphe Crémieux

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Adolphe CrémieuxPortrait par Lecomte du Noüy.
Adolphe Crémieux
Portrait par Lecomte du Noüy.

Isaac-Jacob Crémieux, plus connu sous le nom d'Adolphe Crémieux, né le 30 avril 1796 à Nîmes et mort le 10 février 1880 à Paris, est un avocat, homme politique français, président du Consistoire central et de l'Alliance israélite universelle.

Ses parents, des Juifs du Pape vivant à Carpentras (dans l'enclave pontificale), émigrèrent à Nîmes où son père David Crémieux joua un rôle actif dans la vie politique de la commune. Il voulait briser les mythes antijuifs vivaces à l'époque et dont il eut à souffrir enfant comme adulte. Il consacra sa vie à la France qu'il voulait libre, égale et fraternelle, défendant toutes les causes.

Français, juif et franc-maçon, Adolphe Crémieux se voulait universaliste et refusait tout sectarisme. Il eut un parcours illustre dans la franc-maçonnerie et fut ami de l'abbé Grégoire dont il fit l'éloge funèbre. Il était parent de Fernand Crémieux, député et sénateur, et de Gaston Crémieux, avocat fusillé à Marseille en 1871.

Sommaire

[modifier] Biographie

  • Adolphe Crémieux, fut initié à la franc-maçonnerie en 1818, à la loge du Bienfait anonymeNîmes), qui dépendait du Grand Orient de France.
  • En 1828, il participa à la rédaction du livret de l'opéra Guillaume Tell de Gioacchino Rossini.
  • Il fut avocat au barreau de Nîmes, puis auprès de la Cour de cassation.
    • En 1830, il s'installa à Paris.
    • En 1840, il se rendit en Syrie auprès de Mehemet Ali, pour assurer la défense de certains Juifs de Damas, au côté de Sir Moïse Montefiore, ambassadeur britannique. Ceux-ci étaient accusés de "crimes rituels", dans l'affaire de la disparition du Père Thomas, jésuite, et de son valet musulman Ibrahim, dont on avait perdu la trace dans le quartier juif de Damas.
  • Il fut élu député de Chinon, de 1842 à 1848.
  • Il devint, en 1843, Président du Consistoire central israélite de Paris.
  • Le 24 février 1848, lorsque la révolution républicaine triompha à Paris, Crémieux, avocat de la famille Bonaparte, conseilla au roi Louis-Philippe Ier d'abdiquer et de s'enfuir.
  • Le lendemain 25 février 1848, il devint Ministre de la Justice (jusqu'au 7 juin 1848), du gouvernement provisoire qui s'auto-constitua et proclama la Deuxième République,
    • Il y fit prendre immédiatement un décret qui décida que la justice serait désormais rendue au nom du Peuple français.
    • Le 1er mars, il fit supprimer par un autre décret le serment de fidélité.
    • Le 3 mars, dans l'affaire du procès de Saverne où il était l'avocat du rabbin, il obtint de la Cour de cassation l'abolition du serment more judaïco, contribuant ainsi à faire cesser la dernière discrimination légale à l'égard des Juifs de France.
    • Dès le 31 mars, il demanda la démission d'une vingtaine de hauts magistrats et suspendit ceux qui refusaient d'obtempérer. Ces juges furent frappés, les uns par Crémieux lui-même, les autres à la demande des commissaires du gouvernement (préfets provisoires). Un décret du 10 août 1849 leva les suspensions de Crémieux (démissionnaire le 5 juin 1848).
    • Le 9 mars 1848, Crémieux reçut « une délégation de noirs et de mulâtres des colonies françaises » et leur déclara: « la nouvelle République accomplira ce que la République de 92 avait proclamé. Vous redeviendrez libres ». Cependant, le 15 mars 1848, François Arago envoie aux colonies, une dépêche contenant « un ajournement de l'émancipation, et les vagues promesses qui l'accompagnent ne sont guère que d'un Guizot républicain ».
  • Crémieux fut représentant du peuple aux Assemblées constituante et législative de 1848-1849.
  • Le 11 juin 1851, en tant qu'avocat, il assista Victor Hugo, dans la défense de son fils Charles Hugo, journaliste à l'Événement, qui était poursuivi devant la Cour d'assises de Paris, pour avoir « avoir outragé la loi en décrivant l'exécution d'un braconnier guillotiné à Poitiers ».
  • Le 17 mai 1860, fut créée l'Alliance israélite universelle, à l'instigation de Crémieux. Il en prit la présidence en 1864. Dans le même temps, il quitte le Grand Orient pour se faire initier au Suprême Conseil de France (Rite écossais ancien et accepté), dont il devient le "Souverain Grand Commandeur".
  • Il fut élu député de la Drôme au Corps législatif, de 1869 à 1870.
  • Il devint membre du gouvernement de la Défense nationale, du 4 septembre 1870 au 17 février 1871, comme Ministre de la Justice.
    • Alors que Paris était assiégé par deux armées allemandes — ce qui lui fut reproché —, il fit promulguer six décrets règlementant la vie en Algérie, dont :
      • Le décret mettant fin à l'administration militaire de l'Algérie.
      • Le décret interdisant la polygamie aux Juifs d'Algérie.
      • le décret du 24 octobre/7 novembre 1870, dit Décret Crémieux, accordant d'office la citoyenneté française aux 35 mille Juifs d'Algérie, en ces termes : « Les Israëlites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel, seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française. Toutes dispositions législatives, décret, règlement ou ordonnance contraires sont abolis ».
Commentaires :
En contrepartie de ce décret, qui était en préparation depuis l'époque de Louis-Philippe, les Juifs, furent soumis d'office au même statut civil laïc de droit commun que les autres citoyens français (perdant ainsi leur statut civil religieux particulier) et devinrent tous mobilisables au même titre que les autres citoyens français — alors que sous leur régime antérieur d'indigénat, ils n'étaient soumis, comme les musulmans qu'à la conscription.
Déjà sous le Second Empire, un sénatus-consulte du 1er juillet 1865 avait ouvert la voie à la "naturalisation" individuelle des indigènes juifs et musulmans d'Algérie qui le souhaitaient, mais n'avait trouvé que peu d'écho.
En effet, tout en aspirant vivement à cette "naturalisation", les juifs l'avaient souhaitée collective, comme le Grand Rabbin Charleville d'Oran l'avait demandé en 1861 à Napoléon III, en lui remettant une pétition en ce sens des juifs algériens. Cette réforme avait alors été reprise en 1869 par le gouvernement impérial, et allait aboutir. C'est alors que, Emile Ollivier ayant soumis son projet de décret au Conseil d'Etat,pour avis, la guerre avait éclaté, déclenchant la remise à plus tard de la réforme..
Le décret Crémieux, mesure de décolonisation partielle par voie d'assimilation a été par la suite attaqué par les colonialistes français, qui l'ont présenté comme une discrimination entre indigènes juifs et musulmans .
En réalité, il aurait été impossible d'appliquer immédiatement la même réforme aux musulmans qu'aux juifs, car on pouvait craindre qu'étant peu portés à séparer le sacré du profane, ils se révoltent contre la substitution du statut civil laïc français à leur statut civil coranique. Il restait d'ailleurs toujours possible aux musulmans qui le souhaitaient de devenir individuellement citoyens en optant pour le même statut civil que les autres Français, et en abandonnant leur statut civil coranique. Mais peu d'entre eux le firent.
Il n'en reste pas moins qu'une partie des patriotes musulmans des années 20 et 30, derrière l'Emir Khaled, petit fils d'Abd El Kader, puis derrière Fehrat-Abbas, très attaqués alors par les milieux colonialistes, ont revendiqué pour les musulmans, les mêmes mesures que celles du décret Crémieux, mais sans abandon de leur statut civil particulier.
Le décret Crémieux fut momentanément abrogé par le régime de Vichy, qui tenta ainsi de priver les Juifs algériens de leur citoyenneté française : loi du 7 octobre 1940, article 1. Mais cette abrogation qui ne fut jamais reconnue, ni appliquée dans les territoires ralliés à la France libre, le fût en France et en Algérie vichystes. Le décret Crémieux n'y fut rétabli, mais rétroactivement, que par le Comité français de la Libération nationale (CFLN), en novembre 1943.
  • Crémieux fut député du département d'Alger, de 1872 à 1875.
  • En 1875, Crémieux réunit à Lausanne en Suisse, une assemblée des Suprêmes conseils de la franc-maçonnerie, pour harmoniser le rite écossais ancien et accepté avec les « légitimes exigences de la civilisation moderne ».
    • Véritable acte fondateur de la franc-maçonnerie moderne, cette déclaration de l'assemblée de Lausanne proclame « l'existence d'un Principe Créateur ».
  • Au terme de sa longue carrière politique, Crémieux devint sénateur inamovible, de 1875 à sa mort en 1880.

[modifier] Liens externes

- Alliance Israélite Universelle : [1]

[modifier] Divers

  • Sur le Décret Crémieux: Philippe DANAN, Les juifs d'Alger de 1830 à 1874, Thèse de Doctorat, Paris VIII, 2007.
  • Il est enterré au Cimetière du Montparnasse.
  • Portraits connus :
    • Portrait d'Adolphe Crémieux par Jules Jean Antoine Lecomte du Noüy (Paris, 1842 - 1923)
    • Photographie de Nadar.
    • par Simone Mrejen-O'Hana, Dictionnaire, « Isaac-Jacob Adolphe Crémieux, Avocat, homme politique, président du Consistoire central et de l'Alliance israélite universelle (Nîmes, 30 avril 1796 - Paris, 10 février 1880 » in Archives juives 36/2,2e semestre 2003, Les Belles Lettres, p. 139-146 + dessin de Henri Meyer, p. 139.
  • Une rue du 12e arrondissement de Paris porte son nom, la rue Crémieux.

[modifier] Citations

  • Mot d'ordre aux Loges de Crémieux en 1842 : « Comptez l'argent pour rien, les places pour rien, la popularité pour rien ; c'est la presse qui est tout. Achetez la presse, et vous serez maîtres de l'opinion, c'est-à-dire les maîtres du pays ».
  • Dans ses Carnets, le révolutionnaire Proudhon est véhément contre Crémieux et les juifs : « Quand Crémieux parle à la tribune, sur une question où le christianisme est engagé, directement ou indirectement, il a soin de dire : votre foi, qui n'est pas la mienne ; votre dieu, votre Christ, votre évangile, vos frères du Liban. Ainsi font tous les Juifs ; ils sont d'accord sur tout avec nous sur tous les points, à tant qu'ils peuvent en tirer parti ; mais ils ont toujours soin de s'exclure - ils se réservent ! Je hais cette nation ».

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-373358,0.html

  • Selon Robert Badinter, ancien président du Conseil constitutionnel : « ...il faut rappeler que le décret Crémieux n'a nullement été un instrument de domination des musulmans par les juifs d'Algérie, mais un moyen de libération de ces derniers, les plus opprimés des opprimés »

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-373358,0.html

  • Adolphe Crémieux, homme courageux et franc, qui protégea ses coreligionnaires jusqu'au sein du gouvernement, avait été au premier rang des adversaires de Klein (Salomon Wolf Klein-Grand Rabbin de Colmar / 1814-1867).

Il l'estimait cependant grandement. Un jour, Schlôme Wolf lui fit remarquer qu'il y avait lieu de prendre des mesures pour enrayer la transgression du Shabath. Crémieux lui répondit que "les nécessités de la vie moderne" excusaient cette faute dans certains cas. Alors, Reb Schlôme lui répondit :

- Croyez-vous à l'émanation divine des dix commandements, telle que l'Histoire sainte nous la raconte ?" " - Mais oui, répliqua Crémieux. - Mettons, continue le grand rabbin, que la serrure de votre coffre-fort soit cassée, que vous fassiez venir un serrurier juif pour la réparer, qu'il vienne un samedi matin, qu'il parvienne à ouvrir la serrure et qu'en partant, il dérobe un sac d'écus. Que ferez-vous ?" — - Je le ferai arrêter pour vol, dit Crémieux. - Et vous ne prendrez aucune mesure pour ce qu'il a travaillé le Shabath ? - Mais, c'est tout autre chose ! - Comment, s'écria Schlôme Wolf, le vol et la transgression du Shabath ne sont-ils pas interdits au même titre par les dix commandements dont vous reconnaissez l'origine divine ?

Crémieux s'avoua vaincu et, en souvenir d'amitié, il fit don à Schlôme Wolf d'une montre en or.

Paul KLEIN Extrait du "Bulletin de nos Communautés" (1955) .