Suicide et philosophie

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Le point de vue philosophique sur le suicide dépend du courant, de l'époque et de l'auteur considéré. Cependant, pour les auteurs croyants, il rejoint souvent celui de leur religion.

Sommaire

[modifier] Hégésias

Hégésias de Cyrène soutenait qu'il n'y a pas de bonheur possible et que la mort est préférable à la vie (sauf pour le sage à qui toutes deux sont indifférentes), aussi conseillait-il le suicide, ce qui le fit surnommer Peisithanatos (« celui qui pousse à la mort »).

« Le bonheur est chose absolument impossible, car le corps est accablé de nombreuses souffrances, l’âme qui participe à ces souffrances du corps en est aussi troublée, enfin la Fortune empêche la réalisation de bon nombre de nos espoirs, si bien que pour ces raisons le bonheur n’a pas d’existence réelle. »

Son enseignement ayant entraîné de nombreux suicides, le roi Ptolémée fit interdire ses livres et fermer son école et l'exila.

[modifier] Platon

Dans l'un de ses dialogues, Phédon, Platon traite la question du suicide. Les humains sont assignés à résidence et nul n'a le droit de s'affranchir de ces liens pour s'évader. Les dieux sont nos gardiens et nous sommes le troupeau. Pourtant, pour certaines personnes, il arrive qu'il soit préférable d'être mort que de vivre. Mais il ne faut pas se donner la mort, avant qu'un dieu ne nous envoie un signe. Les philosophes acceptent facilement de mourir. Mais n'est-il pourtant pas révoltant d'abandonner la protection des meilleurs des maîtres ? Tout cela n'a pas de sens, on ne peut vouloir fuir ce qui est bon : il n'y a que les insensés qui se réjouissent de la mort ! Alors pourquoi des hommes sages comme Socrate iraient-ils loin de maîtres meilleurs qu'eux-mêmes ? Pour Socrate, la croyance que l'on va rejoindre les dieux et certains morts rend injuste la révolte contre la mort. En effet, pour un homme qui a philosophé toute sa vie, il est raisonnable de penser qu'il obtiendra les plus grands biens après sa mort. Les philosophes s'appliquent donc à mourir et être morts.

[modifier] Friedrich Nietzsche

Dans Par-delà bien et mal [1] (Jenseits von Gut und Böse) (1886), Nietzsche témoigne de sa connaissance personnelle de la question du suicide : « La pensée du suicide est une puissante consolation : elle nous aide à passer maintes mauvaises nuits. » (§ 157). Ceci ne doit pas étonner de la part d'un philosophe qui estimait ne pouvoir répondre à la décadence — et ici entendons le nihilisme et la dépression — que parce qu'il en avait parcouru toutes les figures.

Plus profondément, la pensée du suicide, par sa dimension nihiliste radicale, accompagne toute la philosophie de Nietzsche, sa vie durant. Cette pensée ne se propose pas seulement en effet de surmonter le nihilisme au niveau individuel mais également au niveau civilisationnel : symptôme de toute notre culture — au moins depuis Socrate — à l'exception de quelques individualités (Démocrite, Montaigne, Napoléon, ...) et à de très rares époques (la Renaissance) qui n'en reste pas moins marquées par lui, le nihilisme doit et ne peut être affronté que personnellement par des individualités fortes.

Dans Humain, trop humain [2] (Menschliches, Allzumenschliches) (1878), Nietzsche, dans une perspective anti-religieuse, lance un appel à la raison et au respect du suicidé et de son acte :

  • § 88 Empêchement du suicide : « Il y a un droit en vertu duquel nous pouvons ôter la vie à un homme, mais aucun qui permette de lui ôter la mort : c'est cruauté pure et simple. »
  • § 80 Le vieillard et la mort : « Abstraction faite des exigences qu'imposent la religion, il sera bien permis de se demander : pourquoi le fait d'attendre sa lente décrépitude jusqu'à la décomposition serait-il plus glorieux, pour un homme vieilli qui sent ses forces diminuer, que de se fixer lui-même un terme en pleine conscience ? Le suicide est dans ce cas un acte qui se présente tout naturellement et qui, étant une victoire de la raison, devrait en toute équité mériter le respect : et il le suscitait, en effet, en ces temps où les chefs de la philosophie grecque et les patriotes romains les plus braves mouraient d'habitude suicidés. Bien moins estimable est au contraire cette manie de se survivre jour après jour à l'aide de médecins anxieusement consultés et de régimes on ne peut plus pénibles, sans force pour se rapprocher vraiment du terme authentique de la vie. — Les religions sont riches en expédients pour éluder la nécessité du suicide : c'est par là qu'elle s'insinue flatteusement chez ceux qui sont épris de la vie. »

[modifier] Albert Camus

L'idée de suicide est le thème central de l'essai d'Albert Camus Le mythe de Sisyphe. Il entame d'ailleurs le livre par « Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide ». Il tente de montrer dans cet essai « la mesure exacte dans laquelle le suicide est une solution à l'absurde ». Cependant, même si le suicide était une manière de résoudre l'absurde, Camus le rejette car selon lui il ne faut pas résoudre l'absurde mais l'affronter, par la révolte, idée qu'il développera plus amplement dans son ouvrage L'Homme révolté.

[modifier] Emil Cioran

Emil Cioran, philosophe roumain grandement inspiré par Nietzsche et Schopenhauer, a beaucoup écrit sur la mort, mais aussi sur le suicide. Il aborde particulièrement le sujet dans une de ses œuvres clefs, De l'inconvénient d'être né.

Cioran considérait que la vie était ridicule, déplorable, une sorte de maladie, une farce. Ainsi, le suicide est une sorte de moyen de rendre la vie supportable. Cioran n'a cependant jamais encouragé le suicide comme solution concrète. Il voyait le suicide plutôt comme une solution abstraite : « Je passe mon temps à conseiller le suicide par écrit et à le déconseiller par la parole. C'est que dans le premier cas il s'agit d'une issue philosophique ; dans le second, d'un être, d'une voix, d'une plainte... »[3]

Il y a, en effet, une immense différence entre la joie qu'apporte l'idée que nous puissions sortir de la vie quand bon nous semblera, et le fait de réellement mettre fin à ses jours. En fait, cette pensée du suicide était pour lui comme une façon de passer au travers de la vie : c'est l'idée du suicide qui rend la vie agréable en nous faisant comprendre que le suicide reste une solution finale au cas où notre vie serait totalement inacceptable. Être enchaîné dans la vie, ne serait-ce pas la pire des cruautés ? De plus, Cioran considérait que de toute façon «ce n’est pas la peine de se tuer puisqu’on se tue toujours trop tard.»[4]

Mais Cioran généralisera en disant que c'est l'idée de la mort qui reste la véritable source de nos impulsions vitales : «Pendant des années, en fait pendant une vie, n'avoir pensé qu'aux derniers moments, pour constater, quand on en approche enfin, que cela aura été inutile, que la pensée de la mort aide à tout, sauf à mourir!»[5]

[modifier] Albert Caraco

Caraco, qui développa un pessimisme plus noir encore que celui de Cioran, estimait que la mort était l'unique but de l'homme :

« Nous tendons à la mort, comme la flèche au but et nous ne le manquons jamais, la mort est notre unique certitude et nous savons toujours que nous allons mourir, n'importe quand et n'importe où, n'importe la manière. Car la vie éternelle est un non-sens, l'éternité n'est pas la vie, la mort est le repos à quoi nous aspirons, vie et mort sont liées, ceux qui demandent autre chose réclament l'impossible et n'obtiendront que la fumée, leur récompense. »[6]

Il se suicidera par pendaison.

[modifier] Notes et références

  1. Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal. Prélude d'une philosophie de l'avenir, 1886. Textes et variantes établis par Giorgio Colli et Massimo Montinari. Traduit de l'allemand par Cornélius Heim. Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais » n° 70, 1971, 264 p., p. 93. Consultables en ligne : la traduction d'Henri Albert - § 157 (loin d'être la meilleure mais libre de droit !) ; mais le mieux, quand cela est possible, est toujours d'aller voir l' original - § 157.
  2. Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain I, 1878. Textes et variantes établis par Giorgio Colli et Massimo Montinari. Traduit de l'allemand par Roberto Rovini. Édition revue par Marc B. de Launay. Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais » n° 77, 1968-1988, 390 p. Voir l' original - § 80 et 88.
  3. Emil Cioran, Œuvres, Paris, Gallimard, 1995, p. 1470
  4. Emil Cioran, De l'inconvenant d'être né, Paris, Gallimard, 1973, p. 43
  5. Emil Cioran, De l'inconvenant d'être né, Paris, Gallimard, 1973, p. 29
  6. Caraco, Bréviaire du chaos, Lausanne, 1999
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