Querelle des jobelins et des uranistes

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La duchesse de Longueville, chef des Uranistes.
La duchesse de Longueville, chef des Uranistes.

La querelle des jobelins et des uranistes est une querelle littéraire survenue en 1648.

Dans la société française du XVIIe siècle, le moindre incident était l’occasion de querelles littéraires, ou, comme on disait, de cabales. Celle des Jobelins et des Uranistes (ou Uraniens ou encore Uranins) est l’une des plus fameuses par le bruit qu’elle fit et par ce qu’elle mit d’humeur poétique en mouvement.

Elle eut pour sujet deux sonnets entre lesquels se partagèrent la ville et la cour. L’un était le sonnet d’Uranie, par Voiture et l’autre le sonnet de Job, par Benserade. Les partis prirent leur nom de l’œuvre qui avait leur préférence.

Voici les pièces du procès.

[modifier] Sonnet d’Uranie

Vincent Voiture, auteur du Sonnet d’Uranie
Vincent Voiture, auteur du Sonnet d’Uranie
Il faut finir mes jours en l’amour d’Uranie,
L’absence ni le temps ne m’en sauraient guérir,
Et je ne vois plus rien qui me pût secourir
Ni qui sût rappeler ma liberté bannie.
Dès longtemps je connais sa rigueur infinie ;
Mais, pensant aux beautés pour qui je dois périr,
Je bénis mon martyre et, content de mourir,
Je n’ose murmurer contre sa tyrannie.
Quelquefois ma raison, par de faibles discours,
M’excite à la révolte et me promet secours ;
Mais lorsqu’à mon besoin je me veux servir d’elle,
Après beaucoup de peine et d’efforts impuissants
Elle dit qu’Uranie est seule aimable et belle,
Et m’y rengage plus que ne font tous mes sens.

[modifier] Sonnet de Job

Isaac de Benserade, auteur du Sonnet de Job
Isaac de Benserade, auteur du Sonnet de Job
Job de mille tourments atteint
Vous pendra sa douleur connue,
Et raisonnablement il craint
Que vous n’en soyez point émue.
Vous verrez sa misère nue ;
II s’est lui-même ici dépeint :
Accoutumez-vous à la vue
D’un homme qui souffre et se plaint.
Bien qu’il eût d’extrêmes souffrances,
On voit aller des patiences
Plus loin que la sienne n’alla.
Il souffrit des maux incroyables,
II s’en plaignit, il en parla,...
J’en connais de plus misérables.
Armand de Bourbon-Conti, chef des Jobelins.
Armand de Bourbon-Conti, chef des Jobelins.

La duchesse de Longueville, les marquises de Montausier, de Sablé, les femmes en général, tenaient pour Voiture et Uranie tandis que le parti des Jobelins avait le prince de Conti à sa tête.

Ce fut autour du sonnet de Job qu’il se fit le plus de tapage. Il fit éclore des parodies, des sonnets, des épigrammes. Sarrasin en fit la glose en quatorze stances dont chacune se terminait par un de ses vers. Entraîné dans la mêlée, Corneille fit sur les deux ouvrages en litige une épigramme et un sonnet, d’un éclectisme délicat, trop favorable à l’un et à l’autre. Le sonnet, qu’on a attribué à tort au prince de Conti, se terminait par cette gracieuseté :

Chacun en parle hautement,
Suivant son petit jugement ;
Et s’il faut y mêler le nôtre,
L’un est sans doute mieux rêvé,
Mieux conduit et mieux achevé ;
Mais je voudrais avoir fait l’autre.

Son ardeur contre les Jobelins attira une flatteuse épigramme à Longueville. Madeleine de Scudéry fit le quatrain suivant à son sujet :

À vous dire la vérité
Le destin de Job fut étrange
D’être toujours persécuté,
Tantôt par un démon et tantôt par un ange.

Une malice mit fin à la lutte courtoise entre Jobelins et Uraniens lorsque Mme Roche du Maine, pressée d’exprimer son sentiment sur le débat entre Uranie et Job, fit cette amusante réponse : « J’aime mieux Tobie. » On rit et l’on oublia.

[modifier] Source

  • Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 1102-3