Utilisateur:Ps4/Séquence 4/CR Ruban volé

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Séquence 4 Le biographique. L'autobiographie, le rapport entre l'écriture et la vie.
L'épisode du "ruban volé" des Confessions de Rousseau
 Que n'ai-je achevé tout ce que j'avais à dire de mon séjour chez Mme de Vercellis ! 
 Mais bien que mon apparente situation demeurât  la même, je ne sortis pas de sa maison comme j'y 
 étais entré. J'en emportai les longs souvenirs du crime et l'insupportable poids des remords dont 
 au bout de quarante ans ma conscience est encore chargée, et dont l'amer sentiment, loin de s'affaiblir, 
 s'irrite à mesure que je vieillis. Qui croirait que la faute d'un enfant pût avoir des suites aussi 
 cruelles ? C'est de ces suites plus que probables que mon cœur ne saurait se consoler. J'ai peut-être 
 fait périr dans l'opprobre et dans la misère une fille aimable, honnête, estimable, 
 et qui sûrement valait beaucoup mieux que moi.
 
 Il est bien difficile que la dissolution d'un ménage n'entraîne un peu de confusion dans la maison, 
 et qu'il ne s'égare bien des choses ; cependant, telle était la fidélité des domestiques et la vigilance 
 de M. et Mme Lorenzini, que rien ne se trouva de manque sur l'inventaire. La seule Mlle Pontal perdit 
 un petit ruban couleur de rose et argent, déjà vieux.
 
 Beaucoup d'autres meilleures choses étaient à ma portée ; ce ruban seul me tenta, je le volai, 
 et comme je ne le cachais guère, on me le trouva bientôt.
 
 On voulut savoir où je l'avais pris. Je me trouble, je balbutie, et enfin je dis, en rougissant, 
 que c'est Marion qui me l'a donné. Marion était une jeune Mauriennoise dont Mme de Vercellis avait 
 fait sa cuisinière, quand, cessant de donner à manger, elle avait renvoyé la sienne, ayant plus besoin 
 de bons bouillons que de ragoûts fins. Non seulement Marion était jolie, mais elle avait une fraîcheur 
 de coloris qu'on ne trouve que dans les montagnes, et surtout un air de modestie et de douceur qui 
 faisait qu'on ne pouvait la voir sans l'aimer ; d'ailleurs bonne fille, sage, et d'une fidélité à toute épreuve.
 
 C'est ce qui surprit quand je la nommai. L'on n'avait guère moins de confiance en moi qu'en elle, 
 et l'on jugea qu'il importait de vérifier lequel était le fripon des deux. On la fit venir ; l'assemblée 
 était nombreuse, le comte de la Roque y était. Elle arrive, on lui montre le ruban, je la charge 
 effrontément ; elle reste interdite, se tait, me jette un regard qui aurait désarmé les démons, et 
 auquel mon barbare cœur résiste. Elle nie enfin avec assurance, mais sans emportement, m'apostrophe, 
 m'exhorte à rentrer en moi-même, à ne pas déshonorer une fille innocente qui ne m'a jamais fait de 
 mal ; et moi, avec une impudence infernale, je confirme ma déclaration, et lui soutiens en face 
 qu'elle m'a donné le ruban. La pauvre fille se mit à pleurer, et ne me dit que ces mots : Ah ! Rousseau, 
 je vous croyais un bon caractère. Vous me rendez bien malheureuse ; mais je ne voudrais pas être à votre place. 
 Voilà tout. Elle continua de se défendre avec autant de simplicité que de fermeté, mais sans se permettre 
 jamais contre moi la moindre invective. Cette modération, comparée à mon ton décidé, lui fit tort. Il 
 ne semblait pas naturel de supposer d'un côté une audace aussi diabolique, et de l'autre une aussi angélique 
 douceur. On ne parut pas se décider absolument, mais les préjugés étaient pour moi. Dans le tracas où l'on 
 était, on ne se donna pas le temps d'approfondir la chose ; et le comte de la Roque, en nous renvoyant 
 tous deux, se contenta de dire que la conscience du coupable vengerait assez l'innocent. 
 Sa prédiction n'a pas été vaine : elle ne cesse pas un seul jour de s'accomplir.

Sommaire

[modifier] Analyse 1

  • Différent de l'épisode du peigne cassé, car cette fois-ci, Rousseau est coupable.
  • A la fin du passage, on le plaint (on accuse les adultes...)

[modifier] Narration

  • "petit ruban" s'oppose aux autres choses meilleures
  • le vol n'est pas mis en valeur, pas édulcoré
  • le rythme ternaire souligne son trouble
  • le portrait de Marion et laudatif, insiste sur la simplicité, la pureté, l'innocence => être de Nature, non pervertit par la société

[modifier] Argumentation

  • opposition caricaturale entre Marion et Rousseau
Marion      |  Rousseau
"ange"      |  "démon" , "barbare"
(idéalisée) |  "impudence infernale"
  • les adultes : "préjugé" et "pas [...] approfondir" => Ils ne tranchent même pas => Ils les punissent tous les deux.

[modifier] Analyse 2

[modifier] Situation du passage

Rousseau s'est convertit à Turin au catholicisme. Il entre au service de Madame de Vercellis qui meurt trois ans plus tard. Il vol alors un ruban qu'on trouve dans ses affaires. Il accuse alors Marion, la cuisinière.

Après avoir quitté Madame de Warens, Rousseau s'est rendu à Turin pour se convertir au catholicisme. Il rencotre Madame Basile puis entre comme laquais au service de Madame de Vercellis. Le passage que nous allons étuider se situe à la fin du livre II : il se place dans l'agitation qui suit le décès de Madame de Vercellis, au moment où chacun pense à la succession et l'ordre de la maison se trouve perturbé. Rousseau profite de la confusion pour dérober le ruban de Mademoiselle de Pontal et accuse Marion, la cuisinière de ce vol. Les deux personnages comparaissent alors devant le tribunal présidé par le comte de la Roque. Pour la deuxième fois, Rousseau évoque une scène où l'innocence est bafouée. Mais cette fois, la faute est sur lui.

[modifier] Observation à la première lecture

  • Renversement de situation par rapport à l'épisode du peigne cassé.
  • Décalage perpétuel: l'inoncente est coupable.
  • attitude des adultes.
  • Un plaidoyer.

[modifier] Etude plus précise du récit

[modifier] Un rythme ternaire

  • Les propositions sont brèves, juxtaposées, propositions asyndétiques qui marquent une succession rapide des actions : "On la fit venir; l'assemblée était nombreuse, le comte de la Roque y était"
  • Le passé simple insiste sur des actions assez précises : "la pauvre fille se mit à pleurer", "on la fit venir"
  • On repère dans le vocabulaire certaines formules qui suggèrent la précipitation : "me jette un regard", "voilà tout", "on ne se donna pas le temps d'appronfondir la chose"

[modifier] le contraste entre les deux personnages

  • Les paroles et les pensées des personnages sont mises en valeur par certains procédés :
  • On s'apperçoit que les paroles des autres personnages sont intégrées au récit et qu'elles apparaîssent à travers le champ lexical du language : "je la charge", "elle nie", "m'apostrophe, m'exhorte", "je confirme ma déclaration", "lui soutient en face", "ne me dit que ces mots", "se défendre", "le ton", "dire", "sa prédiction"
  • Les attitudes et les intonations des personnages sont mentionnées dans des sortes de didascalies : "elle nie [...] avec assurance mais sans emportement", "je la charge effrontément", "un ton décidé", "se défendre avec autant de simplicité que de fermeté", "avec une impudence infernale".
  • confrontation à un public : "l'assemblée était nombreuse". Le contraste entre les deux acteurs est fortement appuyé : Marion qui incarne l'innocence "un regard qui aurait désarmé les démons", "une fille innocente qui ne m'a jamais fait de mal", Rousseau, le démon : "mon barbare coeur", "une audace aussi diabolique", "ma calomnie".
  • Le ton de cette scène est pathétique: "la pauvre fille se mit à pleurer", "ah", "vous me rendez bien malheureuse".
  • Le passage met en relief les caractères des personnages. Elle amplifie également le rôle des apparence ce qui implique une impossible transparence.

[modifier] Impossibilité de la transparence

[modifier] Inversement de situation

  • Le décalage transparaît dans l'attitude des personnages : les propres qualités de Marion (son absence d'indignation) ne jouent pas en sa faveur bien au contraire : "avec assurance mais sans emportement", "elle reste interdite, se tait".
  • Mais pour Rousseau, à l'inverse, est sûr de lui : "je la charge effrontément", "un ton décidé".

[modifier] rôle des adultes non respecté

  • Les adultes sont désignés par le pronom indéfini "on" qui désigne une puissance qui peut écraser les individus. Ce pronom a une connotation négative.
  • "se contenta de dire que la conscience du coupable vengerait assez l'innocent" marque l'échec de la transparence. la décision est prise tropr rapidement
  • En révélant l'incapacité des adultes à déchiffrer certains signes, l'auteur suggère la nécessité d'une clarification.

[modifier] Un plaidoyer

  • Rousseau est fort habile ici : tous les traits par lesquels il s'était chargé sont maintenant repris et se trouvent fournis des justifications de sa conduite et autant de circonstances atténuantes. Paradoxalement, d'accusé, Rousseau passe pour finir au rôle d'accusateur. Il rejette la responsabilité sur autrui, selon un processus qui lui est assez coutumier.
  • A en croire Rousseau, l'excès d'intérêt qu'il portait à Marion le poussait à la charger du vol lorsqu'elle fut présente à ses yeux. Si vraiment quelques penchants le portait vers elle, Marion dut être le dernier objet sur lequel il dut s'excuser. Quel rapport entre avoir songé donner le ruban à Marion et la laisser accuser du larcin ?
  • Il n'en demeure pas moins que pour un individu aussi stupide qu'il se prétend et n'ayant que l'esprit de l'escalier, Jean-Jacques manie passablement l'art de décharger sa responsabilité : toute la faute en définitive incombe à ces grandes personnes raisonnables, habiles, cultivées qui n'ont pas su le prendre, le guider et le délivrer de son aveu ("tout était si facile à arranger"). Et tout s’arrange si facilement avec des si …
  • Pauvre Rousseau, Rousseau l'incompris.

[modifier] Conclusion

Ce passage qui fait écho à celui du peigne cassé marque la fin définitive de l'innocence puisque Rousseau est cette fois coupable. Il met en évidence la faiblesse de la vérité par rapport aux séductions du mensonge dans une société artificielle qui s'en tient aux apparences.

[modifier] Autres extraits étudiés