Utilisateur:Ps4/Séquence 4/CR Peigne cassé

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Séquence 4 Le biographique. L'autobiographie, le rapport entre l'écriture et la vie.
Episode du "peigne cassé" des Confessions de Rousseau
 J'étudiais un jour seul ma leçon dans la chambre contiguë à la cuisine. La servante avait mis 
 sécher à la plaque les peignes de Mlle Lambercier. Quand elle revint les prendre, il s'en trouva 
 un dont tout un côté de dents était brisé. A qui s'en prendre de ce dégât? personne autre que moi 
 n'était entré dans la chambre. On m'interroge: je nie d'avoir touché le peigne.
 
 M. et Mlle Lambercier se réunissent, m'exhortent, me pressent, me menacent; je persiste avec 
 opiniâtreté; mais la conviction était trop forte, elle l'emporta sur toutes mes protestations, 
 quoique ce fût la première fois qu'on m'eût trouvé tant d'audace à mentir. La chose fut prise au 
 sérieux; elle méritait de l'être. La méchanceté, le mensonge, l'obstination, parurent également 
 dignes de punition; mais pour le coup ce ne fut pas par Mlle Lambercier qu'elle me fut infligée. 
 On écrivit à mon oncle Bernard; il vint. Mon pauvre cousin était chargé d'un autre délit, non 
 moins grave; nous fûmes enveloppés dans la même exécution. Elle fut terrible. Quand, cherchant 
 le remède dans le mal même, on eût voulu pour jamais amortir mes sens dépravés, on n'aurait 
 pu mieux s'y prendre. Aussi me laissèrent-ils en repos pour longtemps.
 
 On ne put m'arracher l'aveu qu'on exigeait. Repris à plusieurs fois et mis dans l'état le plus 
 affreux, je fus inébranlable. J'aurais souffert la mort, et j'y étais résolu. Il fallut que la 
 force même cédât au diabolique entêtement d'un enfant, car on n'appela pas autrement ma constance. 
 Enfin je sortis de cette cruelle épreuve en pièces, mais triomphant.
 
 Il y a maintenant près de cinquante ans de cette aventure, et je n'ai pas peur d'être aujourd'hui 
 puni derechef pour le même fait. Eh bien, je déclare à la face du Ciel que j'en étais innocent, 
 que je n'avais ni cassé, ni touché le peigne, que je n'avais pas approché de la plaque, et que je 
 n'y avais pas même songé. Qu'on ne me demande pas comment ce dégât se fit: je l'ignore et ne puis 
 le comprendre; ce que je sais très certainement, c'est que j'en étais innocent.
 
 Qu'on se figure un caractère timide et docile dans la vie ordinaire, mais ardent, fier, indomptable 
 dans les passions; un enfant toujours gouverné par la voix de la raison, toujours traité avec douceur, 
 équité, complaisance, qui n'avait pas même l'idée de l'injustice, et qui, pour la première fois, en 
 éprouve une si terrible de la part précisément des gens qu'il chérit et qu'il respecte le plus. Quel 
 renversement d'idées! quel désordre de sentiments! quel bouleversement dans son cœur, dans sa cervelle, 
 dans tout son petit être intelligent et moral! Je dis qu'on s'imagine tout cela, s'il est possible, 
 car pour moi, je ne me sens pas capable de démêler, de suivre la moindre trace de ce qui se passait 
 alors en moi.
 
 Je n'avais pas encore assez de raison pour sentir combien les apparences me condamnaient, et pour me 
 mettre à la place des autres. Je me tenais à la mienne, et tout ce que je sentais, c'était la rigueur 
 d'un châtiment effroyable pour un crime que je n'avais pas commis. La douleur du corps, quoique vive, 
 m'était peu sensible; je ne sentais que l'indignation, la rage, le désespoir. Mon cousin, dans un cas 
 à peu près semblable, et qu'on avait puni d'une faute involontaire comme d'un acte prémédité, se 
 mettait en fureur à mon exemple, et se montait, pour ainsi dire, à mon unisson. Tous deux dans le même 
 lit nous nous embrassions avec des transports convulsifs, nous étouffions et quand nos jeunes cœurs un 
 peu soulagés pouvaient exhaler leur colère, nous nous levions sur notre séant, et nous nous mettions 
 tous deux à crier cent fois de toute notre force: Carnifex, Carnifex, Carnifex.

Sommaire

[modifier] Analyse (GUIEU)

  • Il commence par parler des circonstances.
  • La narration est faite par l'auteur enfant, les explications par l'auteur adulte.
  • L'utilisation du présent de narration nous indique que l'auteur redevient enfant, qu'il revit vraiment la scène.
  • Il est accusé, on essaye de le faire avouer, sans essayer de le comprendre (injustice).
  • Terme de l'"éxécution terrible" (sentiment de l'enfant & réflexion de l'adulte).
  • L'enfant est seul face à des adultes irresponsables.
  • La façon de raconter n'est pas neutre :
    • Rousseau ne doute pas de son innocence.
    • Opposition terrible entre le bonheur et l'injustice.
    • Les adultes l'ont condamné sur les apparences.
    • "Carnifex" = "bourreau" => châtiment subi

Les adultes sont fautifs et Rousseau est innocent => Rousseau rencontre la vraie vie.

[modifier] Analyse 2

[modifier] Situation du passage

Pendant son enfance, Rousseau est sous la tutelle de son oncle, car son père a été exilé de Genève à la suite d'un démêlé avec Gauthier. Il est envoyé avec son cousin dans une pension à Bossey. Après avoir raconté la sensualité qu'il ressent dans les fessées de Mademoiselle Lambercier, il raconte dans ce passage l'histoire du peigne brisé.

Le passage que nous allons étudier se situe dans le livre I des Confessions. Après avoir évoqué sa petite enfance, Rousseau décrit son séjour à Bossey chez un pasteur, Monsieur Lambercier. Le bonheur et l'harmonie de ce séjour paradisiaque sont perturbés par deux épisodes marquants : la fessée de Mademoiselle Lambercier où Rousseau découvre à la fois le plaisir et le sentiment de culpabilité attaché à ce plaisir ; l'accusation injuste relative au peigne brisé où il comprend que le sentiment intime de l'innocence ne vaut rient face au verdict des adultes. Ce dernier souvenir est présenté par Rousseau comme un événement capital pour la consitution de sa personnalité.

[modifier] Observation à la première lecture

  • C'est la première injustice subie par Rousseau.
  • Il veut prouver son innocence en essayant de convaincre le lecteur mais sans preuve.
  • Faits objectifs, récit d'ordre judiciaire.
  • Les adultes sont supérieurs.

[modifier] Le récit d'une erreur judiciaire

[modifier] Les étapes

  • Le récit se déroule de manière chronologique : les faits, l'interrogatoire, le procès, le verdict, le châtiment.
  • Observation du champ lexical de la justice : "m'interroge", "délit", "punition", "conviction", "protestation", "infligé", "exécution", "aveu", "innocence", "punis".

[modifier] La victime

  • Les circonstances paraîssent jouer contre l'enfant :
    • Solitude : "personne autre que moi n'était entré dans la chambre", "j'étudiais un jour seul ma leçon"
    • Lieu : "dans la chambre contigüe à la cuisine"
  • Il est pris dans un engrenage :
    • Son attitude s'oppose à celle des adultes : "se nie d'avoir toucher le peigne", "je persiste avec opiniâtreté", "toutes mes protestations". Les adultes ne tiennent pas compte des protestations car ils restent sur leur première idée : "la conviction était trop forte".
    • Pression des adultes sur l'enfant pour qu'il avoue sa culpabilité : "Monsieur et Mademoiselle Lambercier se réunissent, m'exhortent, me pressent, me menacent"
  • Le piège se referme sur l'enfant. Le pronom indéfini "on" évoque un pouvoir arbitraire : "on m'interroge", "on écrivit", "on ne put". Ce pouvoir s'exprime de manière brutale, qu'il compare presque à une séance de torture : "mis dans l'état le plus affreux", "cruelle épreuve en pièces", "m'arracher l'aveu", "repris à plusieurs fois". Les enfants subissent le châtiment : "nous fûmes enveloppés"
  • L'enfant est soumis au jugement des adultes. ILs le voient comme un monstre. Ils sont victimes des apparences et portent un jugement négatif sur l'enfant : "au diabolique entêtement d'un enfant", "l'audace à mentir", "la méchanceté, le mensonge, l'obstination". Au contraire, Rousseau lui insiste sur l'innocence de l'enfant : l'adjectif "innocent" est répété à la fin du texte.
  • L'enchaînement des événements et l'attitude des personnages caractérisent un mécanisme judiciaire que le récit met en relief tantôt de manière sobre tantôt de manière dramatique.

[modifier] L'art du conteur

[modifier] La sobriété du récit

  • Rousseau veut présenter les faits de manière objective.
  • La structure des phrases : il utilise des phrases dans l'ensemble simples. On relève un certain nombre de propositions indépendantes juxtaposées. Il s'agit par exemple d'asyndètes ("on m'interroge : je nie") ou de parataxes ("la chose fut prise au sérieux : elle méritait de l'être").
  • C'est un style dépouillé dans lequel tous les mots ont leur importance ; "elle fut terrible" : un mot uniquement ressort.
  • Présentation chronologique des faits.
  • Indices matériels nombreux pour clarifier le plus possible l'épisode : détails sur les lieux ("la chambre contigüe à la cuisine", "à la plaque"), détails sur l'occupation de l'enfant ("j'étudiais"), détails sur le peigne ("il s'en trouva un dont tout un côté de dents était brisé")
  • Emploi des temps relativement : imparfait pour planter le décor ("j'étudiais") et le passé simple pour les actions brèves ("il s'en trouva un").
  • Tournure impersonnelle qui suggère le caractère inexplicable de l'événement.
  • L'absence de dramatisation équivaut à une apparence d'objectivité suggère l'idée d'un raisonnement clair et pondéré. Tout de fois à propos de l'interrogatoire Rousseau change de ton et son récit joue d'avantage sur les sentiments.

[modifier] Dramatisation du récit

  • Relevé des procédés qui rendent le récit vivant et émouvant :
  • Il utilise le présent de narration qui actualise le passé et renforce la vigueur du souvenir : "On m'interroge : je nie"
  • Utilisation des rythmes quaternaire et ternaire : il a recours au procédé d'accumulation pour créer un rythme précipité : "se réunissent, m'exhortent, me pressent, me menacent" ; "la méchanceté, le mensonge, l'obstination" (gradation qui insiste sur la nature pervertie de l'enfant)
  • Procédé de l'exagération : "J'aurais souffert la mort"
  • Il utilise un vocabulaire expressif en insistant sur la souffrance de l'enfant : "terrible", "l'état le plus affreux" (superlatifs), "cette cruelle épreuve".
  • Dans le second paragraphe, il utilise le point de vue de l'enfant dans le but d'émouvoir le lecteur.
  • L'analyse de ce récit qui trouve sa force à la fois dans la sobriété et dans le sentiment nous amène à nous interroger sur le narrateur. Est-ce l'enfant d'alors, le vieil homme encore ému ou l'écrivain persécuté instruisant son procès ?

[modifier] La reconstruction autobiographique

[modifier] Le regard de l'adulte

  • Ce regard de l'adulte apparaît assez clairement dans le troisième paragraphe à travers des indices :
  • On trouve des locutions temporelles qui font référence au présent dans l'écriture : "il y a maintenant presque 50 ans", "aujourd'hui".
  • Il utilise le présent pour faire référence à l'époque à laquelle il écrit : "je déclare", "me demande pas".
  • Il utilise un ton officiel et des tournures qui font référence à la confession : "je déclare à la face du Ciel", le fait de commencer une phrase par la locution "que" suivie du subjonctif : "Qu'on ne me demande pas"
  • Le regard de l'adulte apparaît également dans toute la mise en scène du passage où l'enfant est décrit comme martyre et héros : "en pièces mais triomphant", "j'aurais souffert la mort et j'y étais résolu". Expressions hyperboliques qui renforcent le courage de l'enfant.
  • Toute cette mise en scène ne peut être que le résultat du temps, du recul avec lequel le narrateur se penche sur son passé en même temps que l'embellissement du souvenir.

[modifier] Une scène fondamentale

  • Parallèle entre cette scène et le pacte référentiel, du préambule de l'oeuvre par la référence à Dieu et par le ton utilisé paar l'auteur. C'est une scène importante parce qu'elle met en jeu des valeurs morales importantes auxquelles Roussseau est attaché. "Je n'ai pas peur d'être aujourd'hui puni pour le même fait".
  • Le sentiment de l'injustice ; impossibilité de prouver son innocence. Ce sentiment domine le texte avec lequel se combine cette impossibilité : "Qu'on ne me demande pas comment ce dégât se fit : je l'ignore et ne puis le comprendre" ; le fait d'appelr le Ciel ; répétition du mot innocence.
  • Cette scène révèle surtout à Rousseau que les apparences priment sur la réalité qu'il y a un décalage entre apparence et réalité : il ne suffit pas d'être innocent pour être cru innocent.
  • Starobinski a étudié les Confessions en profondeur et analyse cette scène : il utilise le symbole du voile pour montrer que Rousseau est opaque pour les autres alors qu'avant il était transparent : il y a une opposition entre cette scène et tout ce qui précède. C'est la fin du paradis car Rousseau n'arrive plus à ce faire comprendre par les autres : "Le paradis, c'était la transparence réciproque des consciences" (Starobinski)

[modifier] Conclusion

Cette scène est capitale car elle marque la découverte de l'injustice et provoque l'écroulement des certitudes enfantines ainsi que l'exil hors du paradis. En effet l'innocence est bafouée et la vérité voilée. La communication totale et confiante n'est plus possible. D'un point de vue autobiographique, ce texte exprime le regard de l'adulte sur un souvenir d'enfance et confère au lecteur un rôle de juré que le narrateur doit persuader de son innocence.

[modifier] Autres extraits étudiés

  • Incipit : Incipit
  • Livre II : La rencontre avec Madame de Warens de "j'arrive enfin" à "j'irai causer avec vous"
  • Livre II : L'anecdote du ruban volé de "que n'ai-je achevé tout ce que j'avais à dire" à "elle ne cesse pas un jour de s'accomplir"