Pavage de Penrose

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Les pavages de Penrose sont, à l'origine, issus de l'imagination du mathématicien et physicien britannique Roger Penrose. Leur singularité est d'être des pavages non périodiques.

Les 17 pavages périodiques du plan étaient connus de longue date quand Roger Penrose s'est intéressé aux pavages non périodiques. Son intention n'était pas d'ouvrir un nouveau champ des mathématiques et de la physique mais seulement de créer un divertissement mathématique. En 1974 il publia, dans le Bulletin of the Institute of Mathematics [1] un article présentant un pavage du plan à l'aide de pentagones, de losanges, de pentagrammes et de portions de pentagramme.

Il est facile de prouver que le plan ne peut être pavé par des pentagones, ce qui interdit des pavages possédant une symétrie d'ordre 5 (invariant par rotation de 2π/5). Les pavages de Penrose ne possèdent donc pas de symétrie d'ordre 5 mais ils possèdent cependant une quasi-symétrie d'ordre 5, c’est-à-dire que le pavage offre "localement" des symétries d'ordre 5. De plus, ces pavages, bien que non périodiques, sont quasi-périodiques : tout motif apparaît régulièrement dans le pavage.

Au début du XXe, on pensait que, pour tout pavage du plan à l'aide d'un nombre fini de formes de pavés, il existait un pavage périodique. Pourtant, dès 1966, Robert Berger a présenté un pavage de 20426 pièces qui ne peut jamais être périodique. L'intérêt des pavages de Penrose est que ce sont des pavages non périodiques qui ne nécessitent que deux types de pièces.

Les pavages de Penrose ne seraient restés qu'un joli divertissement mathématique si, entre-temps, n'avaient été étudiés les quasi-cristaux, pavages quasi-périodiques de l'espace possédant une quasi-symétrie d'ordre 5. En 1984, André Katz et Michel Duneau, qui travaillaient sur les pavages de Penrose, sont tombés sur des images électroniques de ces quasi-cristaux et ont perçu immédiatement l'analogie entre ces images et les pavages qu'ils étudiaient[2]. L'existence des pavages de Penrose permit de rassurer les chercheurs qui étudiaient les quasi-cristaux : ils avaient remarqué que leurs cristaux possédaient presque une symétrie d'ordre 5, ce qui leur semblait impossible dans l'univers des pavages avant de découvrir ceux de Penrose. Ce qui confirme ce que dit Penrose au sujet de ses recherches: "On ne sait jamais quand on perd son temps."

Il existe trois types de pavages de Penrose, chacun comportant une infinité de variantes:

  • Le premier type qu'on appelle P1, utilise comme pièces de base des pentagones, de losanges, de pentagrammes et de portions de pentagramme.
  • Le second type ou P2 a pour pièces de base deux quadrilatères, l'un convexe, l'autre concave, connus comme "cerfs-volants" et fléchettes".
  • Le troisième type, P3, a pour pièces de base deux sortes de losanges, "fins" et "gros".

On s'est aperçu que fléchettes, cerf volants et losanges peuvent tous être construits à partir d'un paire de triangles d'or. Les pièces de P2, "cerfs-volants" et "fléchettes", sont obtenues respectivement par le collage de deux triangles d'or aigus de côtés proportionnels à [1;φ;φ] et par le collage de deux triangles d'or obtus de côtés proportionnels à [1;1;φ]. Celles de P3, les losanges fins et gros, par le collage de deux triangles d'or aigus de côtés proportionnels à [1;φ;φ] et par le collage de deux triangles d'or obtus de côtés proportionnels à [φ;φ;φ²]. Cette série de simplifications permet de considérer les triangles d'or comme prototypes des autres pièces et de dire qu'un type 'zero' précède les autres.


Sommaire

[modifier] Pavage de Penrose avec triangles d'or (pavage de type 0)

Il existe de nombreuses façons de définir un triangle d'or. L'une des plus simples est la suivante :
"Un triangle d'or est un triangle isocèle possédant la propriété (P)\,suivante : pouvoir être découpé en 2 triangles isocèles inégaux et possédant à leur tour la propriété (P)\,"


On peut démontrer qu'il n'existe que deux types de triangles d'or, le type aigu (A) et le type obtus (O). ces deux types de triangles d'or pouvant s'obtenir en découpant un pentagone régulier de la façon suivante :

Chacun de ces types possède un angle \alpha\, de 36 ° (soit \frac{\pi}{5}\,radians). les deux autres angles étant (comme le montre la figure ci-dessus), soit égaux à \alpha\,, soit multiples de \alpha\, (d'un facteur 2 ou 3).


L'angle \alpha\, est lié au nombre d'or φ par de nombreuses propriétés ; en effet :

  • cos \alpha = sin \frac{3 \alpha }{2} = \frac{\varphi}{2}\, et sin \frac{\alpha}{2} = cos 2\alpha = \frac{1}{2\varphi}\,
  • Les côtés d'un triangle d'or aigu ont des longueurs proportionnelles à [1;φ;φ]
  • Les côtés d'un triangle d'or obtus ont des longueurs proportionnelles à [1;1;φ]


La propriété (P)\, peut être précisée de la façon suivante :

  • Tout triangle d'or aigu (A) de dimensions [1; φ; φ] peut se décomposer (de 4 façons différentes, 2 à 2 symétriques) en 3 triangles : un triangle d'or obtus [1/φ; 1/φ; 1] et deux triangles d'or aigus [1/φ; 1 ;1], ces nouveaux triangles ayant donc, par rapport au triangle d'or générateur, une taille divisée par φ ;
  • Tout triangle d'or obtus (O) de dimensions [1; 1; φ] peut se décomposer (de 2 façons différentes et symétriques) en deux triangles : un triangle d'or aigu [1/φ; 1; 1] et un triangle d'or obtus [1/φ; 1/φ; 1].


 montrant comment on peut, avec des triangles d'or, réaliser un pavage de Penrose de type 0 (6 étapes)(toutefois, l'agrandissement dont il est question dans le texte ci-contre n'a pas été réalisé, afin d'améliorer la visibilité !)
Image:Animation_label.gif montrant comment on peut, avec des triangles d'or, réaliser un pavage de Penrose de type 0 (6 étapes)
(toutefois, l'agrandissement dont il est question dans le texte ci-contre n'a pas été réalisé, afin d'améliorer la visibilité !)
Pavage de Penrose avec des triangles d'or (pavage de type 0)
Pavage de Penrose avec des triangles d'or (pavage de type 0)


Ainsi précisée, la propriété (P)\, peut être utilisée pour construire un pavage de Penrose de type 0. Voici comment :

En découpant un premier triangle d'or (aigu ou obtus, peu importe) et en opérant un agrandissement d'un facteur φ, puis en recommençant l'opération précédente une infinité de fois, on constitue un pavage complet du plan à l'aide des deux types de triangles d'or. Si, à l'étape n° n, on appelle a_{n}\, le nombre de triangles aigus et o_{n}\, le nombre de triangle obtus, on observe les formules de récurrence :

on + 1 = on + an
an + 1 = on + 2an = on + 1 + an

En considérant la suite un définie par

u2n = on
u2n + 1 = an,

on s'aperçoit que cette suite vérifie la relation de récurrence de la suite de Fibonacci

un + 2 = un + 1 + un,

suite dont on sait que le rapport de deux termes consécutifs tend vers le nombre d'or φ. Ainsi la valeur limite du rapport du nombre de triangles obtus et du nombre de triangles aigus est un nombre irrationnel, ce qui entraîne que le pavage obtenu de cette façon ne peut pas être périodique.



[modifier] Pavage avec cerfs-volants et fléchettes (pavage de type 2)

Le pavage précédent a l'avantage de la simplicité mais sa construction n'est pas unique : en effet, chaque découpage d'un triangle peut s'effectuer d'au moins deux façons différentes (symétriques). En outre, ces découpages ne donnent pas une impression de régularité et conduisent donc à des pavages assez peu élégants.


Mais on peut concevoir un autre type de pavage.

Cerf-volant et fléchette
Cerf-volant et fléchette

En réunissant deux triangles d'or aigus ayant pour sommet commun le sommet dont la bissectrice est un axe de symétrie pour les deux autres sommets (sommets correspondants à un angle de 36°), on obtient un "pavé" en forme de cerf-volant. Si on fait la même construction avec deux triangles obtus (sommets correspondants à un angle de 108°), on obtient un "pavé" en forme de fléchette.

On peut alors paver le plan avec ces deux nouveaux "pavés". En effet, si on prend bien soin de ne jamais accoler une flèchette et un cerf-volant en formant un parallélogramme, on peut construire ainsi un pavage non périodique. Il suffit pour cela de nommer les sommets comme indiqué sur la figure ci-dessus et de se fixer pour règle de n'accoler deux sommets que s'ils portent le même nom. Il existe une infinité de pavages du plan de ce type.

Découpes du cerf volant et de la fléchette
Découpes du cerf volant et de la fléchette

Mais on peut également, comme pour le pavage à l'aide des triangles d'or, définir un algorithme de "construction par découpage" consistant à chaque étape à découper chaque cerf-volant en deux cerfs-volants et deux demi fléchettes et une fléchette en un cerf-volant et deux demi-fléchettes, et en agrandissant d'un facteur φ le résultat obtenu (remarquer que les sommets changent de nom à chaque étape, A devenant B et B devenant A).

La cohérence du procédé est assurée par le fait que les demi-fléchettes ainsi générées s'associent toujours avec leur voisine pour reconstituer une fléchette complète (ce qui assure la disparition des lignes en pointillé visibles sur la figure précédente).

Pavage de Penrose avec cerfs-volants et fléchettes
Pavage de Penrose avec cerfs-volants et fléchettes



La figure obtenue au bout de plusieurs itérations laisse déceler une quasi-symétrie d'ordre 5. Il est facile de prouver que, comme pour les triangles d'or, la proportion entre le nombre de cerfs-volants et celui de fléchettes tend vers le nombre d'or φ, ce qui assure que le pavage ainsi construit n'est pas périodique.

A la différence du premier type de pavage, ici la construction par découpage génère un seul type de pavage de type 2 puisque le découpage des cerfs-volants et des fléchettes ne peut être réalisé que d'une seule façon !



[modifier] Pavage avec des losanges (pavage de type 3)

Assemblage de losanges dans un pavage de Penrose
Assemblage de losanges dans un pavage de Penrose

Il est aussi possible de paver le plan à l'aide de deux figures géométriques simples comme les deux losanges suivants. A condition de les assembler en respectant la couleur et le sens des vecteurs. Ces contraintes d'assemblage assurent que le pavage obtenu ne sera pas périodique. Comme précédemment, il existe une infinité de pavages du plan non périodiques à l'aide de ces deux pièces.


Découpe des losanges
Découpe des losanges

Comme pour les autres types de pavage de Penrose, on peut définir aussi un algorithme de "construction par découpage" : il suffit de découper chaque gros losange en un gros losange, deux demi-losanges fins et deux demi-losange gros, et chaque losange fin en deux demi-losange fins et deux demi-losanges gros. La cohérence du procédé est assurée par le fait que les demi-losanges ainsi générés s'associent toujours avec leur voisin pour reconstituer un losange complet (ce qui assure la disparition des lignes en pointillé visibles sur la figure ci-contre).


Pavage en losanges
Pavage en losanges





La figure obtenue au bout de plusieurs itérations laisse déceler une quasi-symétrie d'ordre 5. Il est facile de prouver que, comme pour les triangles d'or, la proportion entre le nombre de gros losanges et celui de losanges fins tend vers le nombre d'or φ. Ce qui assure que le pavage ainsi construit n'est pas périodique.






[modifier] Pavage dit 'pentagonal' (pavage de type 1)

Pavage pentagonal (P1) tracé en noir  sur fond vert-jaune de pavage du troisième type (P3)
Pavage pentagonal (P1) tracé en noir sur fond vert-jaune de pavage du troisième type (P3)


Le pavage construit autour de pentagones, P1, est en fait le premier découvert par Penrose, qui s'est inspiré d'abord des recherches de Johannes Kepler[3]. Il est bien connu qu' on ne peut couvrir le plan avec des pentagones, mais trois autres pièces suffisent pour combler les interstices, tout en imposant l'ordre apériodique. Ces pièces sont un losange fin, un pentagramme et un 'bateau', qui représente à peu près les 3/5 d'un pentagramme. Pour la construction directe du pavage apériodique il faut aussi distinguer trois sortes de pentagones. Une solution bien plus simple consiste à esquisser des pentagones sur les losanges fins et gros qu'on arrange en pavage de type 3.

On peut retrouver directement le pavage par triangles d'or dans le pavage pentagonal, sans utiliser les losanges. Si l'on assigne aux pointes des pentagones successivement les nombres 1, 3, 5, 2, 4, tous les points qui définissent le pavage P3 seront numérotés. Cela peut être fait d'une manière consistante et non équivoque en tournant à gauche ou à droite selon les cas. Choisissant les points qui portent un même numero, on obtient un pavage de type 'zero'. Le sous-ensemble des points numérotés avec 3 et 4 donne une autre variante de pavage de Penrose, obtenue avec deux pièces connues comme 'papillon' et 'navette'[4].

[modifier] Recouvrement avec des décagones

La mathématicienne allemande Petra Gummelt a prouvé en 1996 qu'un pavage de Penrose pouvait être obtenu en recouvrant le plan uniquement avec des décagones, à condition toutefois que deux types discrets d'empiètement soient permis [5]. Le décagone proposé est décoré avec cinq cerf volants et l'empiètement permis ne change pas la configuration de ces parties coloriées.

Le décagone de Gummelt et ses deux types d'empiètement
Le décagone de Gummelt et ses deux types d'empiètement

Il est possible de décomposer le décagone en fléchettes et cerfs volants, réduisant le tableau obtenu en un pavage de Penrose. Le pavage avec des losanges peut être retrouvé directement en gravant un gros losange dans le décagone; les parties laissées en creux seront celles que remplissent les losanges fins. Cette nouvelle facon de procéder a eu un impact considérable sur les conceptions à propos de la formation des quasicristaux.

[modifier] Occurrences

On peut rapporter les occurrences du pavage de Penrose à trois grandes catégories:

  • mathématiques: en fait c'est le seul contexte adéquat pour la considération des pavages de Penrose. Etant des objets non finis, la plupart des assertions à leur sujet n'ont de validité qu'avec preuves à l'appui. L'existence d'un ensemble de 'tuiles' apériodique a été démontrée dans les années 1960 et les cas particuliers réduits à deux pièces ont l'avantage d'être parmi les plus simples possibles. Alain Connes a fait des pavages de Penrose un exemple privilegié pour son géométrie non commutative.
A un niveau plus élementaire on a trouvé de multiples et très étroites relations entre le nombre d'or, les suites de Fibonacci et les pavages de Penrose, ce qui permet de dire que ce sont trois aspects d'un même phenomène.
  • physique: l'interêt des physiciens n'est venu qu'après 1984, quand furent découverts les premiers quasicristaux. Assez vite il a été établi que deux types présentent une quasi-symmetrie d'ordre 5: ceux à structure icosaédrique et ceux à structure simplement décagonale. Dans les deux cas il existe des plans où la disposition des atomes donne un pavage de Penrose. Dans leurs travaux les physiciens ont recours à une méthode générale qui permet d'obtenir des pavages non-périodiques à partir de simples grilles dans des dimensions supérieures à 3.
  • artistique: la valeur esthétique des pavages de Penrose est immédiatement perceptible. On peut supposer que c'est la le même méchanisme psychique qui a amené le developpement des entrelacs et autres ornements semblables. Le rapprochement avec les décorations à symétrie centrale d'ordre 5 ou 10 et a été fait des le début de la vogue quasicristalline.[6]. A la mosquée de Darb-i Imam à Isfahan on observe des motifs qui ont permis d' affirmer que les artisans de l'islam médieval disposaient de tous les élements pour construire un pavage de Penrose [7] . On trouve de motifs faits avec des pentagones et des losanges parmi les esquisses d' Albert Dürer et qui peuvent être mis en connexion avec le travail de Johannes Kepler. Le fragment de pavage qui figure dans Harmonices Mundi peut être prolongé de facon apériodique, ce qui produit un type équivalent à celui de Penrose (P1)[8].Roger Penrose a homologué sa découverte comme 'un jeu de tuiles pour couvrir des surfaces', en précisant que 'l'arrangement qu'elles forment est nécessairement non-périodique, ce qui lui donne un attrait visuel considérable'[9] et a veillé sur l'utilisation commerciale. Des artistes contemporains (Clark Richert, Jos Leys) se sont inspirés de sa trouvaille géniale.

[modifier] Bibliographie

  1. Penrose R., Bull. Inst. Maths. Appl. 10 (1974) 266
  2. Duneau M. and Katz A., Quasiperiodic Patterns, Phys. Rev. Lett. 54, (1985) 2688-91
  3. Kepler J., Harmonices Mundi, 1619, [1]
  4. Lück R., Penrose Sublattices, J. of Non Crystaline Solids 117-8 (90)832-5
  5. P. Gummelt, Geometriae Dedicata 62, 1 (1996)
  6. E. Makovicky (1992), 800-year-old pentagonal tiling from Maragha, Iran, and the new varieties of aperiodic tiling it inspired. In: I. Hargittai, editor: Fivefold Symmetry, pp.67-86. World Scientific, Singapore-London
  7. Lu J., and Steinhardt p., "Decagonal and Quasi-crystalline Tilings in Medieval Islamic Architecture". Science 315 (2007) 1106-1110.
  8. Luck R., Dürer-Kepler-Penrose the devlopment of pentagonal tilings, Mat. Sci. Eng. 294-6 (2000) 263-7
  9. Penrose R., U.S. Patent 4,133,152 "Set of tiles for covering a surface," issued January 9, 1979 (expired)

[modifier] Sources

  • L'aventure des pavages de Penrose Revue tangente et la recherche (avril-mai 2000)