Lotte Reiniger

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Charlotte (Lotte) Reiniger (2 juin 1899 - 19 juin 1981) est une réalisatrice de film d'animation allemande puis britannique.

Sommaire

[modifier] Les Aventures du prince Ahmed

Lotte Reiniger signe avec Les Aventures du prince Ahmed l'un des tout premiers longs métrages d’animation de l’histoire du cinéma. Ce film, entièrement conçu de silhouettes de papier découpé, est un véritable chef-d’œuvre d’enchantement. Inspirées des contes des Mille et une nuits, en particulier Le cheval volant et Aladin et la lampe merveilleuse, les Aventures du Prince Ahmed nous transportent dans un univers magique peuplé de princesses en fuites, d’amours impossibles, de luttes entre les forces du bien et du mal; une des scènes les plus fulgurantes est d’ailleurs la bataille entre la bonne sorcière et le terrible magicien.

Œuvre d’une grande précision technique, le film comporte plus de 300 000 images ; à 24 images secondes, soit 65 minutes de film. On comprend facilement que trois années furent nécessaires de 1923 à 1926 à Lotte Reiniger pour réaliser un pareil exploit de finesse et de souplesse dans le mouvement. À Lotte s’ajoutaient Carl Koch à la prise de vue, Berthold Bartosch aux effets spéciaux et Walter Ruttmann pour les arrière-fonds qui étaient manipulés séparément des personnages.

«Nous utilisions deux négatifs et personne ne peut imaginer la tension dans laquelle nous attendions le résultat du développement[1]

Le film est en noir et blanc, mais il a été teint en trempant le positif dans un bain de couleur. Cette technique de coloration, comme tous les moyens cinématographiques de cette époque, était assez élémentaire.

« Voici une table avec une ouverture au centre qui est couverte par une vitre. Je prends un papier transparent sur lequel sont déposées les poupées qui doivent être très à plat. La caméra filme verticalement. Préalablement nous faisons des essais d’éclairage. Cela est très simple. Les moyens étaient assez rudimentaires et plutôt imaginatifs. »[2]

[modifier] Situation dans l’œuvre de l’artiste

Paul Wegener fut impressionné par les silhouettes que Reiniger faisait de lui et des autres acteurs du théâtre de Max Reinhardt. Il lui proposa de mettre quelques-unes des ses « ombres chinoises » dans un de ses films qu’il préparait avec d’autres jeunes cinéastes d’avant-garde, comme Carl Koch, qui allait devenir le mari de Lotte et avec qui elle allait faire tous ses films. Ce fut le point de départ de ce qui allait diriger sa vie tout entière, faire des films avec des pouvoirs enchanteurs.

Le succès immédiat de ses courts-métrages va convaincre le banquier Louis Hagen de la particularité du travail de Lotte et il lui propose, à elle et ses partenaires de travail, de financer ce qui avait toujours paru comme impossible aux yeux de la créatrice : la production d’un grand film féerique de plus d’une heure avec ses poupées animées. Sans ce soutien financier, le cinéma allemand aurait été privé d’une de ses créations les plus originales. Après la sortie du film en Allemagne, Louis Jouvet le fit projeter à la Comédie des Champs-Élysées. C’est ainsi que de nombreux Parisiens tombèrent eux aussi sous le charme des Aventures du Prince Ahmed qui restera le chef-d’œuvre de la vie de Lotte Reiniger. « Le fantastique et l’irréel étaient créés par l’imagination de l’auteur et sa surprenante capacité de transposition picturale d’effets parfois saisissants. […] On alla jusqu’à dire qu’il s’agissait là de réels chef-d’œuvre d’art et de technique. On pouvait, en tout cas, admirer sans réserve les conceptions artistiques de Lotte Reiniger […] Le film était d’une haute tenue artistique et tenait le spectateur sous le charme constant d’effets curieux […] Son art était surtout apprécié des élites, ce qui ne le diminue en rien, au contraire. »[3]

Elle fit par la suite un autre long-métrage, Les Aventures du Docteur Dolittle, mais sa sortie concordait avec le passage du cinéma muet au cinéma parlé, et le film passa à peu près inaperçu. Elle collabora aussi à une réalisation de son mari, dans laquelle jouaient Berthold Bartosch et Jean Renoir, devenu très proche du couple après la sortie des Aventures du Prince Ahmed en France. Là non plus, le succès populaire ne se fit pas sentir. Malgré ce fait, après la guerre, Lotte Reiniger se remet à faire ce qui avait fait sa réputation : des courts-métrages inspirés de contes, auxquels elle ajoute comme support sonore des œuvres classiques, souvent des pièces de Mozart qu’elle affectionne plus particulièrement.

[modifier] Situation dans le contexte sociohistorique et intellectuel

Après son immense succès d’estime, de nombreux artistes et intellectuels de l’époque saluèrent le travail de Reiniger; parmi eux, Jean Renoir et Bertolt Brecht qui étaient fiers de compter dans les amis du couple Reiniger-Koch. Ses collaborateurs étaient aussi déjà très en vue au moment où ils ont accepté de prendre part à l’aventure du Prince Ahmed, surtout Ruttmann pour ses films expérimentaux abstraits (opus 1 et 11).

Bien que n'étant pas juive, Lotte Reiniger ne plaisait guère aux nazis en raison notamment de sa proximité avec la gauche sous la République de Weimar. Après l'arrivée au pouvoir des nazis et la promulgation des lois sur l’art dit dégénéré, le couple Reiniger-Koch quitta Berlin pour s’établir à Londres en 1936. C’est là qu’elle fonda une société cinématographique, la Fantasia Productions ltd, où elle créa de petits films musicaux d’ombres chinoises.

C’est à cette même période qu’aux États-Unis, Walt Disney créa ses 12 Silly Symphonies qui sont une préfiguration de son film Fantasia et qui connurent un immense succès populaire et financier. L’année suivante, en 1937, il créa Blanche-Neige et les Sept Nains, qu’il qualifiait de premier vrai long-métrage d’animation puisqu’il était en couleur et bénéficiait de la technologie sonore la plus poussée du temps, le Movietone, développé par la RCA. Les succès commerciaux, presque instantanés, des productions de Disney ne peuvent toutefois éclipser le sentiment magique que l’on éprouve devant une œuvre de Reiniger, comme quoi la finesse, l’imagination et la recherche artistique valent autant que la meilleure technologie ou le plus grand budget du monde.

[modifier] Conclusion

Il est difficile de nos jours d’avoir accès aux films de Reiniger, puisque plusieurs de ses bandes maîtresses ont été abîmées ou perdues au cours des deux guerres mondiales. Cependant la pérennité de son œuvre est assurée par certains organismes comme la Cinémathèque québécoise à Montréal et le Goethe-Institut qui se sont associés en 2003 pour faire une grande rétrospective de ses œuvres, ainsi que par l’ONF où elle a dirigé des ateliers sur l’animation et où elle a même produit des films dont Aucassin et Nicolette. Étant pratiquement sans émules même encore aujourd’hui, à l’exception peut être du travail de Michel Ocelot (Princes et princesses, Kirikou et la sorcière, Azur et Asmar), le travail de Lotte Reiniger demeure fascinant et plus actuel que nombre de films des années 1920, ce qui prouve le caractère exceptionnel de cette créatrice sans égale qui demeure un des secrets les mieux gardés de toute l’histoire du cinéma.

[modifier] Filmographie

[modifier] comme réalisateur

[modifier] comme scénariste

[modifier] Notes

  1. Lotte Reiniger à Giannalberto Bendazzi, Le Film d’animation, vol.1, p. 58
  2. Lotte Reiniger à Léo Bonneville, Séquences, n° 81, juillet 1975, p.26
  3. Charles Ford, Femmes Cinéastes, Denoël Gonthier, p. 81

[modifier] Bibliographie

  • Alfred Happ, Lotte Reiniger, Schöpferin einer neuen Silhouettenkunst, Universitätsstadt Tübingen, 2004
  • Pierre Jouvanceau, Le Film de silhouettes, Le Mani, Recco-Genova, Italie, 2004
  • Charles Ford, Femmes cinéastes, ou le triomphe de la volonté, Denoël Gonthier, p. 79 à 84
  • Giannalberto Bendazzi, Film d’animation vol. 1, p. 58 à 61, La Pensée sauvage
  • William Moritz, Animation journal, automne 1996, p. 40
  • Film culture, n° 9, p. 20
  • Cahier du Goethe-Institut sur Lotte Reiniger
  • Marco de Blois, La Revue de la Cinémathèque Québécoise n° 73

[modifier] Voir aussi

[modifier] Lien externe

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