Latin ecclésiastique

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Chant grégorien
Plain-chant
Latin ecclésiastique - Rythmique grégorienne

♦Précurseurs: Chant messin - Chant mozarabe - Gallican

♦Styles: Psalmodique - Syllabique - Neumatique - Mélismatique

Organum

Neumes
Modalité grégorienne
Répertoire grégorien
Articles sur la musique sacrée

La prononciation du latin utilisée dans le chant grégorien et dans la liturgie romaine n'est pas tout à fait celle du latin classique. Les règles de cette prononciation n'ont été stabilisée que sous Charlemagne, avec l'ars bene loquendi (partie du Trivium Quadrivium qui formalise la grammaire et la prononciation du latin, en particulier la place de l'accent).

Comme l'ont montré les recherches modernes, l'accent du texte latin est à la racine du rythme grégorien. Pour la bonne exécution du chant grégorien, c'est donc l'accent qui est prioritaire. La prononciation ecclésiastique est relativement secondaire (une phonétique classique ne change pas la nature de la mélodie).

Sommaire

[modifier] Phonétique

Prononciation des voyelles
  • A se prononce comme en français (pater)
  • E n'est jamais muet, et se prononce généralement È (Deus)
  • I se prononce comme en français (vidi).
  • O se prononce comme en français (credo).
  • U se prononce OU (Deus).
  • Æ et Œ se prononcent È (aeternae).
  • AI et OU se prononcent en deux syllabes, A-I et O-OU.
  • AU, AY, EU et EI se prononcent d'une seule émission de voix.
Prononciation des consonnes
  • C se prononce K devant une consonne et devant A, O et U (credo). Il sert sinon à marquer diverses qualité du son Ch:
    • SC se prononce Ch (ascendit).
    • C devant les son E et I, il se prononce (T)Ch, c’est-à-dire CH précédé d'un son T très léger (Caecilia = tchétchili-a).
    • CC se prononce T-TCh (avec une pause marquée sur le son T) : ecce
    • XC se prononce KCh (in excitus).
    • CH en revanche se prononce K (cherubim).
  • G devant E et I se prononce DJ (agimus).
  • GN se prononce comme dans agneau (agnus).
  • J a le son de Y et forme diphtongue avec la voyelle suivante (Jesus).
  • M et N s'articulent fortement et ne nasalisent jamais la voyelle précédente (semper, sanctus).
  • S se prononce toujours Ç (Jesus), jamais Z.
  • X se prononce KÇ (exaudi).
  • TI se prononce (t)Ç (un son S précédé d'un son T très léger), sauf derrière les lettres S, X et T (gratia, hostia).
  • Z se prononce DZ (zelus).

Dans les mots mihi, nihil et leurs composés, H se prononce K.

[modifier] Ars bene loquendi

Exemple de style syllabique de type cantilation.
Exemple de style syllabique de type cantilation.

Le chant grégorien montre ce qu'il doit à la pratique primitive de la cantilation, quand la mélodie ne fait que suivre les accents de la phrase en les soulignant. Cette situation est très fréquente dans les antiennes et les pièces syllabiques.

Icône de détail Article détaillé : Rythmique grégorienne.

[modifier] Place de l'accent latin

Les mots latins de plusieurs syllabes s'organisent autour d'une syllabe accentuée.

  • Les monosyllabes ne sont pas accentués (sauf éventuellement en fin de phrase).
  • Dans les mots de deux syllabes, l'accent se trouve sur la première syllabe.
  • Dans les mots de plus de deux syllabes, l'accent se trouve soit sur l'avant dernière syllabe, soit sur la précédente.

La place de l'accent est indiquée dans les livres par un accent aigu. Elle n'est généralement indiquée que pour les mots de trois syllabes ou plus.

Pour déterminer avec certitude la place de l’accent, il faut voir dans un dictionnaire la longueur des syllabes.

  • Si l'avant dernière syllabe (=pénultième) est longue, elle est accentuée (une voyelle double —ae, au, oe— est longue, de même qu'une voyelle devant deux consonnes) ;
  • Si l'avant dernière syllabe est courte, l'accent est sur la précédente (antépénultième).

L'accent peut tomber exceptionnellement sur la dernière syllabe du mot, quand un mot monosyllabique est rejeté en fin de phrase, ou sur un mot hébreu.

[modifier] Types d'accents

Suivant les langues, on peut rencontrer trois types d'accentuation:

  • Un accent de durée (qui allonge la durée de la syllabe),
  • Un accent d'intensité (en émettant la syllabe avec plus de force),
  • Un accent de hauteur (en faisant varier le ton de la voix), que ce soit vers le haut (accent aigu) ou vers le bas (accent grave).
  • En outre, l'attaque des mots ou des incises est souvent marquée par un bref accent d'intensité.

Ces types ne sont pas exclusifs les uns des autres, et «l'accent», pris absolument, accentue en même temps la force, la durée et la hauteur.

Le type de l'accent latin a varié dans le temps, et a parfois superposé des accents de nature différente sur différentes syllabes. Les règles d'accentuation applicables au latin ecclésiastique sont celles de l'époque post-classique, qui ne faisait plus la différence entre voyelles longues et brèves.

L'accent ecclésiastique est avant tout un accent d'intensité, qui peut être accompagné par un petit accent de durée, et par un accent relatif de hauteur si la prosodie d'ensemble le permet.

[modifier] Pratique de la rythmique verbale

L'accentuation du latin donne déjà la musicalité à la langue. L'orateur parfait, disait Cicéron, est celui qui sait exhumer du texte son cantus obscurior: son chant caché, ou chant latent.

Dans les textes déclamés, les accents sont marqués, toutes choses par ailleurs, par:

  • Une intensité plus forte;
  • Une hauteur généralement plus aiguë (mais qui se plie à la prosodie d'ensemble);
  • En revanche, une durée non modulée, sans aller jusqu'à être brève (cependant, l'accent peut tomber sur une syllabe longue, qui marque alors sa longueur naturelle).

Inversement, les finales sont marquées par:

  • Une intensité plus faible;
  • Une chute dans la hauteur, qui tend vers le grave (sauf quand la prosodie d'ensemble l'exige).

De leur côté, les incises sont marquées par:

  • Une chute préparatoire de la hauteur et de la vitesse;
  • Un "trou" dans la succession des temps d'appuis (la césure);
  • Une reprise marquant l'attaque par une syllabe brève mais franche, donc légèrement accentuée en intensité (>).

Enfin, la durée des syllabes est plus ou moins allongée, pour trouver un moyen terme entre trois exigences esthétiques contradictoires: l'isochronie des temps syllabique, la périodicité des temps accentués, et l'adaptation à la prosodie d'ensemble.

Ces règles sont à la base du style psalmodique. C'est la raison pour laquelle les choeurs pratiquant le chant grégorien sont souvent invités à scander le texte latin avant de le chanter, pour bien se pénétrer de la musicalité intrinsèque (mélodique et rythmique) de la phrase.

Ces règles ne sont pas absolue, mais doivent ensuite s'adapter aux exigences de la prosodie d'ensemble: place du mot dans l'incise, et place de l'incise dans la phrase. A titre d'illustration, on peut étudier la prosodie du pater en grégorien, qui ne fait pratiquement que noter ce que serait une élocution un peu musicale du texte.

Déconditionnement

Pour l'interprète francophone, une bonne restitution d'un texte latin exige un effort, et un déconditionnement par rapport au réflexe "gaulois" qui tend à placer systématiquement un accent sur les syllabes finales, et à en remonter la hauteur vers l'aigu quand il s'agit d'une fin d'incise. C'est une prosodie correcte en français, mais incorrecte pour le latin, et qui conduit à une interprétation défectueuse pour le chant grégorien.

Dans les assemblées qui pratiquent le latin liturgique, on entend en effet souvent une accentuation "gauloise" (qui au mieux rappelle l'accent provençal):

R/. Dómine, non sum dignus (/), ut intres sub tectum meum (/) : Sed tantum dic verbo (/), et sanábitur (/) ánima (/) mea (\).

Une accentuation rythmiquement et musicalement conforme au latin exigerait en revanche un accent de type italien:

R/. Dómine, non sum dignus (\), ut intres sub tectum meum (\) (-) : Sed tantum dic verbo (\), et sabitur ánima mea (\).

[modifier] La Parole liturgique

[modifier] Passage du langage au Sacré

Le passage de la parole au chant est le signe d'une sacralisation du discours. La présence d'un chant montre la présence d'une intentionnalité consciente particulière, ce qui est la condition principale pour ouvrir un espace de spiritualité.

[modifier] Déclamation

La déclamation est une première étape de cette sacralisation du langage. L'emphase et l'accentuation du rythme forment une altération consciente et délibérée de l'énonciation, utilisée comme signe de la spiritualisation. La déclamation donne donc déjà au langage une nature transcendante, qui convient par conséquent aux lectures non chantées. Cependant, même si la déclamation est déjà un art, elle n'est pas nettement perçue par l'auditeur. Elle ne le fait donc pas participer à cet exercice spirituel.

[modifier] Cantillation

La deuxième étape vers le chant est la cantillation, qui consiste en une déclamation marquée, et augmentée d'une musicalisation de la voix. Cette musicalisation consiste à donner à la voix les harmoniques riches utilisées dans le chant, et à jouer consciemment sur la hauteur de la voix, sans toutefois fixer la voix par rapport à une note précise.

Dans la cantillation, l'utilisation d'une technique vocale est clairement ressentie par l'auditeur, qui peut donc percevoir le caractère explicitement sacré de la cérémonie. En revanche, sans référence à une hauteur précise, la cantillation est nécessairement le fait d'un exécutant unique, en dehors duquel elle n'a pas d'existence. Si l'auditeur peut percevoir le sacré de la cantillation, il est donc implicitement écarté de l'accès au domaine sacré lui-même, dont l'exécutant est l'intercesseur unique.

[modifier] Chant recto tono

La psalmodie la plus élémentaire s'ouvre à la troisième étape, celle du chant recto tono. Le son émis — de nature physique et objective — se cristallise alors en note musicale — de nature abstraite et subjective, qui a une existence propre, indépendante de l'exécutant. Ce passage à l'abstrait a une double signification spirituelle.

  • D'une part, le langage entre en contact avec quelque chose d'atemporel, qui participe donc à la nature éternelle du divin, et peut par conséquent représenter le fil conducteur de la prière vers Dieu.
  • D'autre part, tous les auditeurs peuvent communier à cette montée vers le sacré, par le seul fait qu'ils deviennent conscient de la note elle-même, au-delà du son par lequel elle se manifeste physiquement.

[modifier] Mise en avant de la dimension spirituelle

Le chant grégorien n'atteint son but spirituel que s'il parvient à évoquer cette dimension abstraite, et à se détacher du son physique destiné à l'évoquer. De ce point de vue, la principale qualité demandée à l'exécutant est donc de s'effacer et savoir se faire oublier, une fois que la sphère sacrée a été correctement évoquée par le chant. L'interprétation ne doit jamais être brillante ou personnalisée, sans être pour autant mièvre ou fade, elle doit viser l'essentiel, qui est de déplacer l'esprit ailleurs.