Joseph-Octave Plessis

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Plessis en 1806.
Plessis en 1806.

Joseph-Octave Plessis (3 mars 1763 - 4 décembre 1825) était un archevêque catholique de Québec.

Au moment où la Nouvelle-France passait, après une lutte héroïque et désespérée, sous la domination anglaise naissait à Montréal, dans une humble et pieuse famille, un enfant de prédilection que l'Église baptisait sous le nom de Joseph-Octave Plessis. Son père, sieur Joseph Plessis, et sa mère, Louise Ménard, avaient une grande réputation de foi, de vertu et de probité. Ils accueillirent avec joie la naissance de cet enfant dont ils résolurent de faire, à tout prix, un bon chrétien et un bon citoyen. Ils virent bientôt avec bonheur que leurs peines ne seraient pas perdues. Joseph-Octave était doué d'une belle intelligence et du caractère le plus heureux.

Après quelques mois passés dans l'école paroissiale du célèbre père Lucette, il entra à l'école latine que monsieur Curateau ouvrit d'abord à. la Longue-Pointe et continua au château Vaudreuil, dans la ville de Montréal. Cette école devint plus tard le collège de Montréal, où la jeunesse fait sans bruit et sans éclat de si fortes études. Mais à cette époque, l'école de M. Curateau, la principale maison d'éducation de Montréal, avait des proportions très-modestes ; on y enseignait bien les belles-lettres, mais on n'allait pas plus loin ; la rhétorique était la colonne d'Hercule qu'on ne pouvait dépasser. Ceux qui désiraient terminer leurs études étaient forcés d'aller au petit séminaire de Québec.

Or, aller à Québec en ce temps-là n'était pas chose facile et agréable ; on ne s'endormait pas, le soir, à Montréal, à bord d'un de ces palais flottants qui sillonnent le St-Laurent, pour se réveiller à l'ombre du cap Diamant. C'était l'époque paisible où les goélettes et les calèches d'heureuse mémoire se disputaient seules les faveurs publiques. On partait quelquefois de Québec, le vingt-cinq juillet, et on arrivait à Montréal vers le premier septembre, cinq semaines après ; souvent, lorsque les élèves dont les parents demeuraient à Montréal, mettaient le pied sur le seuil de la maison paternelle, leur vacance était finie; ils l'avaient passée en goélette

Bien différente était la voie de terre, dit le savant abbé Ferland, pour les vigoureux gaillards qui préféraient la suivre. Réunis dans la chapelle du séminaire, les voyageurs saluaient par un cantique la protectrice des pèlerins ; puis la bande joyeuse défilait ; elle poussait un cri d'adieu au milieu de la grande cour, et comme une volée d'outardes, se dirigeait vers l'ouest, qui pour elle renfermait la terre promise. Lorsque le jeune Plessis eut appris tout ce que le bon M. Curateau pouvait lui enseigner, il refusa d'aller continuer ses études à Québec et manifesta le désir de rester à la maison paternelle.

Monsieur Joseph Plessis, à qui l'étudiant communiqua son projet, ne voulut point forcer les inclinations de son fils ; mais d'un autre côté, il comprenait qu'il ne fallait pas compromettre l'avenir de ses enfants en se prêtant à leurs fantaisies. Il était père comme on l'était alors, c'est-à-dire le chef de la famille. Tout en se rendant aux justes demandes de son fils, il aurait cru manquer à « son devoir s'il se fût laissé guider par des projets éplié-« mères. C'est bien, Joseph, répondit-il au jeune homme : demain vous quitterez le capot d'écolier ; vous prendrez le tablier et vous descendrez avec moi à la forge. Quand vous voudrez reprendre vos études, vous m'en avertirez. Ce n'était pas précisément la réponse qu'attendait l'écolier ; mais il fallait se soumettre, car, suivant une expression, la parole de son père était une parole de roi.

Le jour suivant, Joseph-Octave Plessis maniait le soufflet et frappait l'enclume ! Les heures semblaient longues au nouvel ouvrier peu accoutumé aux travaux manuels ; en effet, pour un étudiant qui se sentait plus de force dans l’intelligence que dans les poignets, l'épreuve était fort « dure. Néanmoins, pendant toute une semaine, il tint « ferme contre la fatigue du corps et surtout contre l'ennui de l'esprit, qui se trouvait privé de sa nourriture habituelle.

Il fallut enfin céder sous le poids de la lassitude et du dégoût ; avec l'assentiment de son père, le jeune Plessis déposa le tablier, reprit l'habit d'écolier, et, dans l'automne de 1780, partit avec son frère pour aller terminer ses études au petit séminaire de Québec.

Le 29 novembre 1786, un beau jeune homme de vingt-trois ans, pieusement agenouillé au pied des autels, se dévouait au service de Dieu et de la religion. Déjà il avait enseigné les belles-lettres et la rhétorique pendant plusieurs années au collège de Montréal avec un grand succès, et il avait été jugé digne d'être le secrétaire de Mgr Briand, qui avait pour lui la plus grande estime. Ses talents et ses vertus lui avaient déjà fait une grande réputation dans le clergé et parmi les fidèles, et le faisaient considérer comme une des gloires futures de l'Église du Canada. Aussi, une foule nombreuse se pressait autour du sanctuaire de la cathédrale pour assister à l'ordination du jeune lévite. On admirait ses traits nobles et distingués, son attitude digne et modeste, sa physionomie remarquable.

Avec quelle joie l'illustre évêque, dont il avait été l'ami, le confident et le digne élève, recevait ses vœux et lui conférait les sublimes pouvoirs du sacerdoce ! Avec quel bonheur il entrevit dans l'avenir tous les bienfaits que cette belle vocation allait procurer au troupeau confié à ses soins ! Il y a dans l'ordination d'un prêtre quelque chose qui élève l'âme et l'impressionne vivement ! Un jeune homme est arrivé au terme de ses études, au but désiré dont la pensée a tant de fois soutenu son courage défaillant ; il lui faut choisir la destinée qui convient le mieux à ses goûts, à ses aptitudes, au développement de ses talents et de ses connaissances; il est sur le seuil de la vie réelle.

Deux routes s'offrent à lui. L'une lui apparaît pleine d'enchantements et de jouissances, jonchée de fleurs, chargée de parfums ; il voit les honneurs, la richesse et la gloire réservés au talent, il entend les applaudissements qui l'accueillent à son passage ; des hommes puissants lui tendent "la main et lui offrent de l'enrôler sous leur drapeau. L'autre est semée de pierres aiguës, bordée de ronces et d'épines ; il ne peut faire un pas sans s'écorcher les pieds ; il entend des cris de douleur : ce sont des femmes en pleurs, des moribonds à la figure cadavérique, au regard éteint, des mendiants couverts de haillons qui lui demandent des secours et des consolations ; il ne voit partout que tombes, emblèmes de tristesse, de désolation et de souffrance.

D'un côté c'est la vie, la liberté, la joie et les plaisirs, la réalisation de tous les rêves qui l'ont bercé depuis son enfance; c'est le printemps avec sa verdure, son soleil, ses fleurs, ses harmonies, sa brise parfumée, ses joyeux murmures. De l'autre coté, c'est l'esclavage du cœur et de la pensée, les humiliations, la contrainte, le sacrifice, la mort à tous les entraînements, à toutes les séductions de la nature ; c'est l'automne avec ses sombres nuages, ses arbres dépouillés, son manteau funèbre, ses frimas et ses tempêtes.

Et ce jeune homme, il est dans toute la vigueur de l'âge, dans le bouillonnement de toutes les passions, l'épanouissement de la jeunesse, de la santé et des sentiments les plus puissants et les plus féconds de l'humanité, dans les exaltations d'une imagination surexcitée par les mirages trompeurs de l'horizon et les séductions de l'inconnu !

Une lutte terrible se livre dans son âme, tout son être est bouleversé. Il prie, se recueille et réfléchit, mesure le temps avec l'éternité, le ciel avec la terre, et un jour, après une lutte pleine d'angoisses, après avoir écarté bien souvent de ses lèvres la coupe du sacrifice, il marche à l'autel, s'y prosterne la face contre terre, et se relève piètre.

À quarante ans, à l'âge du désenchantement et des déceptions, lorsque l'âme fatiguée peut apprécier a leur juste valeur les choses de ce monde, ce sacrifice ne serait pas aussi méritoire ; mais à vingt-trois ans, il est admirable et prouve éloquemment la divinité de la religion qui le produit depuis dix-huit siècles. Ce tableau, qui pourrait paraître chargé dans certains cas, ne l'est pas à l'occasion do Joseph-Octave Plessis. Il n'y a pas de doute que le monde lui aurait assuré l'avenir le plus brillant, et qu'il serait devenu l'égal des Bédard, des Vallières et des Papineau, sinon leur supérieur.

Voyons ce qu'il a été dans l'Église. Lorsque le jeune Plessis fut fait prêtre, Mgr D'Esgly venait de remplacer Mgr Briand comme évêque de Québec et s'était adjoint Mgr Hubert , qu'il chargea spécialement de l'administration diocésaine. Mgr Hubert le choisit pour son secrétaire et ne craignit pas de faire partager à ce jeune prêtre de vingt-trois ans les labeurs et la responsabilité de sa position. On peut dire même que M. Plessis commença dès lors à remplir les fonctions de coadjuteur, tant ses conseils exerçaient d'empire sur les délibérations et les actes de son évêque. En 1792, il fut chargé de remplacer, dans l'importante cure de Québec, M. David-Augustin Hubert, qui venait de se noyer en traversant de Québec à l'île d'Orléans, victime de son zèle apostolique.

En 1797, Mgr Denault, successeur de Mgr Hubert, le nommait son grand-vicaire et annonçait avec bonheur qu'il avait choisi le jeune curé de Québec pour être son coadjuteur. Le clergé et les fidèles applaudirent à ce choix qui assurait à l'Église un chef capable de la gouverner dans les circonstances les plus critiques. Il avait déjà fait ses preuves et donné l'idée de ce qu'il serait en face de la persécution. Aussi le fanatisme protestant, qui commençait à s'agiter, crut devoir protester contre ce choix dangereux pour ses desseins. Le général Prescott, alors gouverneur de la province, finit cependant par se rendre aux vœux de l'opinion publique.

Mais Rome était alors désolée. Pie VI, ayant déplu au grand conquérant qui faisait trembler l'univers, avait été enlevé du Vatican et jeté dans l'exil. La bulle qui ratifiait le choix de l'évêque et de la population du Canada n'arriva qu'en 1800. Le vingt-cinq janvier 1801 fut un jour de joie pour les fidèles de la province de Québec. Joseph-Octave Plessis était sacré évêque en présence du gouverneur, des personnages les plus distingués du pays et d'une foule immense accourue de tous côtés pour assister à cette fête splendide et rehausser le triomphe du prêtre bien-aimé dont le nom était gravé dans tous les cœurs.

En 1806 il montait sur le siège épiscopal de Québec, devenu vacant par la mort de Mgr Denault. Comme tous les hommes providentiels, il arrivait dans le temps où la population française et catholique du Canada avait besoin de fortes têtes et de grands cœurs pour la défendre et la protéger. C'était l'époque où des ennemis puissants travaillaient à ressusciter des projets déjà tramés plus d'une fois contre l'existence d'une nationalité et d'une religion qu'ils détestaient.

La révolution américaine était venue à propos au secours des Canadiens-Français ; en face du soulèvement de ses colonies, l'Angleterre avait compris le danger de mécontenter des hommes dont elle avait besoin pour défendre sa puissance en Amérique. Mais, une fois, le danger disparu, l'oligarchie fanatique qui inspirait le gouvernement du Canada, avait recommencé ses persécutions.

Supprimer les biens des Jésuites et du séminaire de Montréal ; organiser par tout le pays un système exclusif d'éducation protestante ; soumettre la nomination des prêtres, l'érection des paroisses et l'exercice de la religion catholique à la suprématie royale et au bon plaisir des gouverneurs, furent les principaux articles du programme qu'elle chercha à faire triompher en Angleterre. Les Ryland, les Mountain et les Sewell prédisaient que l'exécution de ce programme détruirait, dans l'espace de dix ans, le catholicisme au Canada.

Mgr Plessis prit les rênes du pouvoir ecclésiastique dans ces circonstances difficiles. Il hésita, un instant, en face d'une situation qui lui imposait une si grande responsabilité; mais son courage et son intelligence étaient à la hauteur des événements ; il entreprit la lutte. Elle fut longue, cette lutte, et elle fut rude aussi, sous Craig surtout, ce gouverneur de sinistre mémoire, dont l'administration arbitraire porte dans l'histoire le nom de règne de la terreur.

Pendant que Sir James Henry Craig et la faction qui l'inspirait cherchaient à mettre dans l'esclavage la chambre d'assemblée, faisaient saisir les presses du Canadien et lançaient des mandats d'arrestation contre les Canadiens-Français les plus influents, ils travaillaient avec une égale ardeur à miner l'influence du clergé. Ruses, artifices, séductions, menaces et violences, tout fut mis en œuvre pour vaincre la persistance de l'évêque et lui arracher des concessions.

Lorsque Mgr Plessis était arrivé à l'épiscopat, on avait fait des efforts énergiques mais inutiles pour l'empêcher de prêter serment d'allégeance en sa qualité d'évêque catholique de Québec. Le digne prélat ayant pris ce titre plus tard, dans un mandement où il demandait des prières pour le souverain pontife Pie VII, alors prisonnier à Savone, une tempête terrible éclata et on résolut de porter un coup décisif. Le fameux Ryland partit pour l'Angleterre, en 1810 ; muni des instructions du gouverneur et porteur d'un mémoire violent dans lequel, on suggérait de traduire Mgr Plessis devant les tribunaux criminels du pays et on indiquait les moyens d'en finir avec une religion et une nationalité odieuses à la bureaucratie anglaise.

Comme on le sait, on était moins fanatique ou du moins plus prudent en Angleterre ; on loua la loyauté et l'énergie du gouverneur et de sa clique, mais on les pria d'attendre et d'espérer. Les États-Unis devaient être une occasion de salut, en 1812, comme ils l'avaient été en 1776 : on allait avoir besoin des Canadiens français, il fallait nous ménager. Craig était parti, laissant une mémoire détestée et la nationalité qu'il avait voulu détruire plus forte et plus confiante que jamais.

Sir George Prévost était arrivé, chargé d'une mission de paix et de conciliation. Résolu de se gagner les bonnes grâces du clergé, il eut plusieurs entrevues avec Mgr Plessis, lui fit des promesses séduisantes pour l'engager à faire des concessions, et lui demanda un mémoire contenant ses idées et ses principes. L'illustre évêque fit ce mémoire qu'il commença par ces paroles remarquables : « Je suis obligé de déclarer d'avance qu'aucune offre temporelle ne me ferait renoncer à aucune partie de ma juridiction spirituelle. Elle n'est pas à moi ; je la tiens de l’Église comme un dépôt qu'il ne m'est nullement permis de dissiper et dont il faut que je rende compte. »

Les adversaires de Mgr Plessis cherchaient leurs armes et leur force dans les articles du traité de 1763 et de 1774, qui accordaient le libre exercice de la religion sans préjudice aux lois d'Angleterre et à la suprématie royale. S'appuyant sur cette réserve, ils prétendaient que la nomination des prêtres et des évêques appartenait au roi d'Angleterre, et que toute interprétation contraire était une atteinte portée à sa suprématie.

Mgr Plessis revendiqua avec beaucoup de talent et d'énergie les libertés de l'Église catholique ; démontrant que depuis la conquête on avait reconnu la juridiction des évêques catholiques et leurs titres ; que le traité de Paris ayant accordé aux habitants du Canada le libre exercice de leur religion, avait par là même admis l'existence légale des prêtres et des évêques nécessaires à cet exercice, et que l'Église devait être guidée par l'ancien droit, suivant lequel l'évêque était élu par le clergé et confirmé par le métropolitain ou par le pape, sous le bon plaisir du souverain. Mgr Plessis eut bientôt le bonheur de voir ses généreux efforts couronnés de succès.

La guerre avait éclaté entre l'Angleterre et les États-Unis. L'évêque de Québec lança un mandement patriotique et entraînant pour exciter la loyauté et l'esprit guerrier de la population ; les Canadiens-Français prirent les armes avec enthousiasme et contribuèrent par leurs glorieux exploits à repousser l'invasion. L'Angleterre crut qu'après tout, elle, méritait des égards, cette brave population qui venait de verser si généreusement son sang pour elle, et qu'une religion si loyale méritait d'être respectée.

Mgr Plessis recevait bientôt des lettres qui reconnaissaient son titre et sa juridiction d'évêque catholique de Québec, et lui accordaient des appointements de mille louis par année avec un siège dans le conseil législatif; et plus tard, il voyait se réaliser une idée qu'il avait caressée et cherché à faire prévaloir depuis bien des années. Toute l'Amérique anglaise, depuis l'île du Cap Breton jusqu'au territoire du Nord-Ouest, ne formait alors qu'un vaste diocèse soumis à la juridiction de l'évêque de Québec. Démembrer cette vaste contrée et en former plusieurs diocèses lui paraissait une chose nécessaire au progrès de la religion et à la propagation de la foi.

Déjà il avait, le premier, fait arborer la croix dans ce vaste territoire de la Rivière-Rouge et dans le Haut-Canada comme dans les provinces du golfe, il avait semé les œuvres de son zèle et de son dévouement apostolique.En 1818, le gouvernement anglais cédait à ses instances, «le Saint-Siège était heureux de lui décerner la récompense de ses travaux : l'Église du Canada était définitivement organisée et constituée sur des fondements solides et dignes d'elle.

Mgr Plessis était nommé archevêque de Québec ; les districts de Québec, des Trois-Rivières et de Gaspé étaient placés sous sa juridiction immédiate, et le reste de l'Amérique anglaise formait quatre grandes, divisions dont chacune recevait un évêque suffragant et auxiliaire. On donnait à Mgr MacEachern le Nouveau-Brunswick, les Îles du Prince-Edouard et de la Madeleine ; à Mgr MacDonell, le Haut-Canada; à Mgr Provencher, le territoire du Nord-Ouest, et à Mgr Lartigue, le siège épiscopal de Montréal.

À côté de la grande œuvre de l'émancipation de l'Église du Canada, Mgr Plessis en poursuivait une autre avec non moins de zèle et de succès : c'est celle de l'éducation. Il avait compris que le meilleur moyen d'assurer l'avenir de la religion et de la patrie était de leur préparer des défenseurs instruits et habiles. Les efforts de ceux qui avaient voulu briser les destinées du peuple avaient rendu cette tâche difficile. La chambre d'Assemblée avait, dans un moment d'aveuglement, établi, en 1801, " l'Institution royale," loi inique destinée à anglifier le pays en le couvrant d'écoles protestantes. Les enfants n'y allaient pas, et ils restaient sans éducation.

Fonder des écoles et des collèges et faire disparaître cette loi injuste furent deux des grands objets de sa vie. Il trouva, pour réaliser la première partie de ce programme, des prêtres admirables dont le dévouement et les sacrifices jetèrent à Nicolet et à St-Hyacinthe les fondements de ces deux brillantes maisons d'éducation qui ont fait tant de bien au peuple canadien-français. Lui-même ne recula devant aucun sacrifice ; lorsqu'il trouvait dans une famille pauvre un enfant remarquable, il était heureux de se charger de son éducation. C'est à ce dévouement que l'on quelques-uns des prêtres et des hommes les plus distingués, entre autres l'illustre Vallières.

Il eut plus de difficulté à accomplir l'autre partie de sa tâche. La législature du Bas-Canada avait passé, en 1828, une loi équitable dans le but de favoriser l'établissement d'écoles catholiques, et cette loi avait été réservée à la sanction royale. Mgr Plessis mit tout en œuvre pour la faire adopter par le gouvernement anglais ; ses correspondances avec Lord Bathurst à ce sujet font foi de son habileté et de son énergie.

Il lui fut donné de voir, avant de mourir, le triomphe des idées pour lesquelles il avait lutté pendant quinze ans ; il voyait disparaître, en 1824, cette grande injustice qui obligeait le Bas-Canada de soutenir une institution destinée à l'anglifier ; les fabriques obtenaient le droit de posséder des écoles paroissiales ou communes. Il avait été nommé au conseil législatif en 1817. Il se montra, là comme partout ailleurs, le défenseur ardent des droits religieux et civils de ses compatriotes, et plus d'une fois l'autorité de sa parole fit avorter les projets injustes de cette assemblée de vieillards malfaisants.

L'histoire dit qu'il fut aussi bon Canadien-Français que bon évêque, et que les concessions religieuses qu'on lui fit, afin de lui arracher en retour des concessions politiques, le trouvèrent ferme, inébranlable sous le drapeau des Bédard et des Papineau. Lorsqu'en 1822, l'Angleterre, cédant aux instances des loyaux, voulut imposer sans consultation préalable, le projet d'union avec le Haut-Canada, dont l'objet était l'extinction de la nationalité canadienne-française, quelle fut la voix puissante qui protesta avec plus, de force contre cet acte inique ? Ce fut celle de Mgr Plessis.

Cette voix retentit dans toute sa puissance aux oreilles des Lymburner, des Sherbrooke, des Bright et des Poynter, ces amis sincères des Canadiens-Français, pour stimuler leur zèle en notre faveur. Et c'est dans cette circonstance qu'il écrivait à l'hon. Louis-Joseph Papineau, que le Bas-Canada avait député en Angleterre, une lettre d'encouragement -et d'éloges qui les honore tous deux. Plus d'une fois ces deux grands hommes, les deux plus brillantes illustrations de l'époque où ils vécurent, s'entendirent et se prêtèrent un secours mutuel pour faire triompher le Bas-Canada dont ils étaient les chefs reconnus et vénérés. Ils réussirent encore, dans cette occasion, à éloigner du ciel de leur pays le nuage qui le menaçait : puisse la patrie leur en garder une reconnaissance éternelle !

Mais cette vie si belle, si pleine de mérites devait s'user et finir comme tout ce qui est humain. Lorsque le fils de l'humble forgeron de Montréal, devenu l'un des plus grands évêques et des hommes les plus illustres de son pays, fut arrivé à l'âge de soixante et deux ans, Dieu trouva qu'il était temps de lui décerner la récompense de ses travaux et de ses vertus; il l'appela à lui, le quatre décembre mil huit cent vingt-cinq.

La nation désolée s'inclina sur cette tombe auguste ; grands et petits, riches et pauvres vinrent y déposer le tribut de leur douleur et de leur respect ; on aurait dit que le ciel de la patrie, devenu triste et sombre, avait perdu son astre le plus brillant. À Londres comme à Rome, dans les rangs les plus élevés de la société, sur les marches même du trône, on vit éclater les sympathies les plus nobles. Ceux que le grand évêque avaient le plus ardemment combattus pendant sa vie ne purent s'empêcher de joindre leur voix à ce concert unanime d'éloges et d'admiration.

Mgr Plessis n'était pas grand, mais il était gros, robuste et vigoureux; il avait une tête forte et belle, solidement posée sur de larges épaules ; un front élevé, remarquable par la noblesse, l'élégance et la hardiesse des lignes; des yeux magnifiques, au regard vif, distingué et pénétrant qui semblait capable de lire au fond de la mer comme au fond des âmes ; la bouche ferme, un peu soulevée, avait tous les indices de l'énergie et de la bienveillance ; sa physionomie était illuminée des rayons les plus brillants des charmes de lesprit et des qualités du cœur. Son extérieur imposait à tous le respect, la confiance et l'admiration. C'était une noble nature; l'amour de Dieu et de la patrie, la charité, la générosité et la douceur s'y mêlaient à la vivacité, à l'enjouement et à la gaieté la plus attrayante.

Ajoutons à cela un esprit fin, délicat, admirablement cultivé, une mémoire étonnante, un jugement profond, solide comme le roc, une vie pure exclusivement occupée de la gloire de Dieu et du bonheur des autres ;—et l'on comprendra le prestige et l'influence de cet homme, l'amitié et l'admiration qu'il inspirait à ses compatriotes comme aux étrangers. C'était l'idéal de la perfection à laquelle l'homme peut arriver par les splendeurs de l'intelligence unies aux grandeurs de- la véritable vertu et aux fécondes inspirations de la religion bien comprise. Mgr Plessis n'était pas ce qu'on appelle un homme d'imagination et de sentiment ; on ne voit pas dans les sermons ou discours qui nous sont restés de lui ces entraînements et ces mouvements spontanés qui enlèvent un auditoire ; c'était plutôt un homme d'esprit, de bon sens et de jugement, un philosophe, un administrateur remarquable et un diplomate habile.

Les personnages distingués du Canada et d'Angleterre, devant lesquels il plaida pendant tant d'années la cause de ses compatriotes et de son Église, étaient étonnés de la largeur et de la sagacité de ses vues, de la profondeur et de la libéralité de ses convictions et de l'habileté avec laquelle il savait s'emparer de leur sympathie. C'était bien l'homme qu'il fallait pour agir sur ces esprits fiers, subtils et prévenus, pour les forcer de respecter une religion et une nationalité si bien représentées. Tous les gouverneurs qui eurent des rapports avec lui avouaient qu'ils avaient rencontré dans l'évêque Plessis un esprit supérieur et un grand caractère, un homme capable de leur tenir tête.

Sa conversation vive, animée, semée de traits piquants, d'anecdotes plaisantes, était recherchée des hommes d'esprit. Les choses ridicules lui causaient, même dans les circonstances les plus solennelles, des accès de gaieté qu'il ne pouvait réprimer. Plus d'une fois, on l'a vu dans la chaire ou à l'autel, s'arrêter tout court et faire les plus grands efforts pour réprimer une malheureuse envie de rire provoquée par une peinture grotesque, un incident bizarre. Plein de bonté et de déférence pour ses prêtres et les jeunes-ecclésiastiques, il prenait souvent plaisir à les taquiner et à les railler avec une familiarité agréable.

Le révérend M. Mignault, ancien curé de Chambly, dont tout le monde garde un si bon souvenir, avait été son secrétaire. Lorsqu'il fut obligé de faire son premier sermon, à la cathédrale de Québec, il exprima à Mgr Plessis son anxiété. " Marche, marche, lui dit l'évêque, dis-toi en montant que tu es le moins fin de la bande." Le jeune prêtre monta dans la chaire et s'acquitta de sa tâche avec succès : Eh ! bien, lui dit Monseigneur après le sermon, le diable a-t-il trouvé moyen de te dire que tu étais le plus fin ? "

Versé dans la littérature, l'histoire et la philosophie, il avait l'esprit orné des plus riches connaissances et son heureuse mémoire lui rappelait les pages qui l'avaient le plus frappé dix et vingt ans après qu'il les avait lues. Il n'y a qu'une chose qu'il ne put jamais apprendre parfaitement, malgré ses efforts, c'est l'anglais. Il prenait plaisir à raconter lui-même ce qui lui était arrivé un jour.

Une irlandaise était venue le consulter et lui avait exposé son affaire avec la faconde et l'entrain qui caractérisent les enfants de la verte Erin, les femmes surtout. Mgr Plessis lui répondit en anglais, et il y avait déjà plusieurs minutes qu'il parlait, lorsque la pauvre femme lui dit, toute confuse, qu'elle ne comprenait pas le français.

Combien de pages il me faudrait maintenant pour rendre un digne hommage à ses vertus sacerdotales, à son zèle admirable pour le salut des âmes et à ses généreux efforts pour faire fleurir dans sa patrie bien-aimée la foi et les vertus qui font la force et la grandeur des nations, pour dire avec quel soin il travailla afin d'atteindre ce but sublime, à donner à ses prêtres la sagesse et le dévouement qu'il possédait lui-même à un si haut degré !

Pour donner une idée de la douce influence qu'il devait exercer sur son clergé, on ne peut mieux faire que de citer une belle parole qu'on peut regarder comme l'expression des sentiments du pays tout entier. « Si j'avais offensé cet homme-là », disait un jour M. Painchaud, fondateur du collège St-Anne, « je consentirais à me traîner sur les genoux, depuis mon presbytère jusqu'à Québec, pour lui demander pardon ».

La vie de Monseigneur Plessis est pleine de grands enseignements. À ceux qui nient ou méconnaissent les services rendus par la religion au Canada, elle offre un sujet de méditations profitables, et au clergé lui-même, elle présente des exemples salutaires de prudence, d'énergie et de patriotisme. Elle a réalisé, cette vie sublime, le problème difficile de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César, et à la patrie ce qui est à la patrie. Mgr Plessis aura le mérite éternel d'avoir conduit sûrement la barque qui portait les destinées de l'Église du Canada, au plus fort de la tempête, lorsqu'une main trop nerveuse ou inexpérimentée aurait pu la jeter sur les écueils, et d'avoir ouvert au catholicisme dans l'Amérique du Nord, ces vastes horizons qu'il parcourt si glorieusement. Il aura aussi l'honneur d'avoir compris que la mission civilisatrice de la Nouvelle-France devait se poursuivre, comme autrefois, par l'alliance et la protection mutuelle de la religion et de la patrie, de la foi et du patriotisme, et que plus la confiance du peuple dans son clergé est grande, plus la conduite de celui-ci doit être sage, prudente et nationale. Instruit par l'expérience des siècles, il savait, sans doute, que le jour où le peuple canadien regretterait d'avoir misses destinées entre les mains de ses prêtres, serait un jour fatal pour son pays et la religion.

Il a indiqué au clergé catholique la voie lumineuse qu'il doit suivre pour conserver et propager dans un pays où l'indépendance de la pensée est si grande et l'erreur si facile, une religion d'amour et de charité sortie des entrailles d'un Dieu et fécondée dans le sang des martyrs. Aussi, tant que le clergé marchera à la lumière de cette grande existence, la croix plantée sur les bords du Saint-Laurent par Jacques Cartier sera le signe de salut et le plus glorieux symbole de la nationalité canadienne-française.

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