Jacques Chardonne

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Jacques Chardonne, de son vrai nom Jacques Boutelleau, né à Barbezieux le 2 janvier 1884 et mort à La Frette-sur-Seine le 29 mai 1968, est un écrivain français.

Il fait partie du Groupe de Barbezieux avec Geneviève Fauconnier, Henri Fauconnier, Maurice Delamain, Jacques Delamain, Germaine Boutelleau sans que ce groupe « géographique » partage les mêmes vues.

Considéré comme un auteur de Droite, il est avec Paul Morand un des pères spirituels de ceux qu'on a appelés « Les Hussards », les écrivains Roger Nimier, Jacques Laurent, Antoine Blondin et Michel Déon.

Sommaire

[modifier] Éléments biographiques

[modifier] Famille

Son père, Georges Boutelleau : d'une famille de négociants de cognac, il était lui-même écrivain. poète amateur, il fut encouragé par François Coppée et par le célèbre écrivain rochefortais Julien Viaud, dit Pierre Loti, qu'il reçut dans sa grande maison patricienne de Barbezieux - dont son fils dira plus tard "Il n'était à l'aise ni dans la vie, ni dans la gloire". Il confiera un jour à son fils : « La littérature, ce n'est pas un métier, c'est un secret ».

Sa mère, quaker d'ascendance américaine, était une des héritières des porcelaines Haviland de Limoges.

Son fils, Gérard (Paris, 27 mai 1911- 2 novembre 1962), également romancier, fut déporté en mars 1943 au camp de Sachshausen à Orianenburg, et libéré grâce à l'intervention du lieutenant Gerhard Heller[1]. Son père dira de cet épisode : « Ce n'était pas rose. Mais ils sont revenus avec fort bonne mine »[2]. À la Libération, Gérard Boutelleau devint rédacteur en chef de l'hebdomadaire "Carrefour", et à ce titre entra en relations avec l'écrivain Jean Paulhan, qui correspondit de 1928 à 1962 avec Chardonne.

[modifier] Avant la Guerre

Après avoir été le secrétaire de l'éditeur Pierre-Victor Stock, en 1921 il racheta cette prestigieuse maison en association avec son ami Maurice Delamain et devint le codirecteur de la "Librairie Stock, Delamain et Boutelleau", devenu propriété du groupe Gallimard.

[modifier] Sous l'Occupation

Culturellement germanophile, il répond à l'invitation de Joseph Goebbels, ministre de la Propagande du Reich, en octobre 1941, avec sept autres écrivains français tels Pierre Drieu La Rochelle Marcel Jouhandeau et Robert Brasillach, et séjournent, alors que leur pays est occupé, en Allemagne pour le Congrès des Écrivains Européens de Weimar, dont il revient enthousiasmé, voire pro-hitlérien.

En 1942, alors que d'autres déclinent prudemment une nouvelle invitation, il accepte de présider un second voyage outre-Rhin, toujours avec Pierre Drieu La Rochelle.

Il écrit alors Chronique privée de l'an 40 (1940) - dont il regretta la parution - et dans diverses revues nazies, comme Deutschland Frankreich.

Le sculpteur allemand Arno Breker, venu exposer ses œuvres à Paris en 1942, dit de lui qu'il « fut toujours ouvert à l'esprit allemand » et qu'il eut le courage « de voir, derrière le soldat qui entrait à Paris, le partenaire de demain ».

[modifier] Après la Guerre

À la Libération, il craignait d'être fusillé pour son engagement vichyste.

Arrêté à Jarnac (comme son éditeur Bernard Grasset dont la maison y était repliée, le 12 septembre 1944, il fut conduit à la prison de Cognac où il resta pendant quelques semaines et côtoya quelques notables compromis et collaborateurs, avant d'être placé en résidence surveillée.

Ses livres furent interdits de vente et de fabrication, mais en mai 1946 il bénéficia d'un non-lieu à la suite des déclarations de son fils et de Paulhan[3].

En 1966, ayant adressé son dernier livre paru à Charles de Gaulle, Président de la République, celui-ci,"remettant la politique à sa juste place" (Ginette Guitard-Auviste, op. cit.) le remercia ainsi par lettre manuscrite du 9 avril (archives de l'ex-A.A.J.C.):

« Cher Maître, vos Propos comme ça m'enchantent. J'admire l'ampleur et la désinvolture de votre pensée. Je goûte votre style pur et sans accessoire", dont Chardonne fut ému et fier au point de la montrer à son entourage. »

Le chef de l'Etat fut cependant pour lui une "cible" de choix dans la longue correspondance - inédite mais consultable depuis 2000 à la bibliothèque de Lausanne - qu'il entretint avec Paul Morand de 1952 à 1968, "tout en se montrant (plus) vulnérable aux côtés monarchistes et droitiers du grand homme" (François Dufay, op.cit., p.128), et où, face à l'antisémitisme haineux de Morand, "il joua les philosémites avec des arguments sentant leur antisémitisme, vantant Léon Blum, Raymond Aron, tout en pestant contre les métèques qui envahissent sa banlieue" (idem., p.140).

Sa biographe a assuré que "Chardonne n'a jamais manifesté aucun racisme d'aucune sorte, ni racial (sic) ni social".[4].

En 2004, c'est "en raison de cette attitude condamnable sous l'Occupation"[5] que quelques conseillers régionaux socialistes de Poitou-Charentes estimèrent nécessaire de débaptiser les deux salles de l'hôtel de Région auxquelles son nom avait été donné en 1986, alors que la collectivité était dirigée par le camp politique adverse.

[modifier] Œuvre

Dès son premier livre, L'Epithalame (1921), il se révèle comme un romancier du couple, « ce curieux assemblage de deux êtres, qui ne laisse personne en repos ». Viennent ensuite Les Varais (1929), puis Eva (1930) et Claire (1931). Puis dans L'Amour du Prochain (1932), il offre avec finesse, en romancier et moraliste, des descriptions mélancoliques.

Il a écrit quelque 20 000 lettres. Celles sur papier quadrillé sont sincères, tandis que dans celles sur papier blanc, il mentait. Ses amis connaissaient cette convention.

François Mitterrand né à Jarnac, a exprimé son admiration pour l'écrivain, « autre gloire charentaise et styliste-hobereau[6] ».

Son pseudonyme a pour origine la commune de Chardonne en Suisse où il séjourna et écrivit un certain temps.

[modifier] Citations

« Enfant, j'avais déjà des passions graves. »

« Je n'aimerais pas avoir pour lecteurs des gens dont je ne voudrais pas pour amis. »

« Je m'étonne qu'un romancier ait de l'imagination s'il n'a pas vécu dans une petite ville(...) Peut-être qu'il suffit d'avoir été enfant n'importe où. »

« ce curieux assemblage de deux êtres, qui ne laisse personne en repos.[7] »

« En Charente, le printemps commence aux branches du saule et du bouleau par des flocons d'ouate ou des pendeloques de velours. Sur les coteaux, on taille la vigne, on laboure. Le sol retourné montre sa bigarrure : terre argileuse mêlées de sable où la charrue semble laisser dans les sillons fraîchement ouverts un reflet d'acier, terre calcaire qui paraissent toujours un peu desséchées, terres rougeâtre, terre cendreuses qui pâlissent au soleil avec un ton bleuté, ou bien qui gardent dans l'humidité comme un fond de suie[8]. »

« Mais d'abord, je veux revoir mon pays... Tout d'un coup, la vue est immense et découvre des crêtes crayeuses doucement infléchies, comme modelées, atténuées par un long travail, et, plus loin encore, des ondulations bleues que l'horizon dilue. Les noyers, bouquets de feuillages piqués dans les vignes, les champs et leurs teintes de vieille tapisserie, les peupliers dans les bas-fonds ont je ne sais quoi de grave sous la lumière onctueuse d'octobre. Parmi tant d'aménité on sent poindre le sol de craie et comme la nudité du proche hiver. Rien ne frappe d'abord, même la lumière, dans ce pays sans pittoresque, à la fois verdoyant et un peu désertique, souriant et infiniment triste, où l'homme invisible est si mêlé à la terre. Mais ce n'est pas le sentiment d'une beauté secrète, inventée peu après, qui me plaît c'est la certitude d'une beauté réelle garantie par son dénuement exquis. Elle n'est saisie que par une longue connaissance et une sorte d'amitié.[9] »

« Je suis né dans une petite ville où j'ai vécu longtemps, mais j'ignorais que ce fut une petite ville, une de ces bourgades endormies, qui fait pitié au Parisien quand il les traverse en voiture. Elle me paraissait vaste, bien pourvue et très animée[10]. »

Dans L'Eté à La Maurie[11], il montre un paysan charentais offrant un cognac à un officier allemand et lui disant (texte que Jean Paulhan trouvera "abject" et dont Jean Guéhenno dira « qu'il touche au sublime de la flagornerie. ») :

« J'aimerais mieux vous avoir invité mais... je vous l'offre de bon cœur. »

« Le fond des choses est toujours horrible. »

[modifier] Bibliographie

[modifier] Œuvres de Jacques Chardonne

Les bibliographies de Chardonne et de sa seconde épouse, Camille Belguise (1894-1980), dues à la libraire Caroline C.Tachon, ont été publiées dans le 19e et dernier cahier annuel de "l'Association des Amis de Jacques Chardonne" (A.A.J.C.), dissoute le 25/05/1998, jour du 30e anniversaire de sa mort.

  • L'Epithalame, Paris, librairie Stock et Vienne, Larousse,1921 ; Grasset,1929 ; Ferenczi,1933 ; Albin-Michel,1951 ; S.C. Edit. Rencontre, Lausanne, 1961 ; L.G.F., 1972 ; Albin-Michel, 1987 ;
  • Le Chant du Bienheureux, Librairie Stock, 1927 ; Albin-Michel, 1951 ;
  • Les Varais, dédié à Maurice Delamain, Grasset, 1929 ; Ferenczi et fils, 1932 ; Albin-Michel, 1951 ; Grasset, 1989 ;
  • Eva ou le journal interrompu, dédié à Camille Belguise, sa seconde épouse, Grasset, 1930 ; Ferenczi et fils, 1935 ; Albin- Michel, 1951 ; Gallimard,1983 ;
  • Claire, dédié à Henri Fauconnier, Grasset, 1931 ; Ferenczi et fils, 1936 ; Piazza, 1938 ; Albin-Michel, 1952 ; club du Livre du Mois, 1957 ; Rombaldi, 1975 ; Grasset, 1983 ;
  • L'Amour du Prochain, dédié "à mon fils Gérard", Grasset, 1932 ; La Jeune Parque, 1947 ; Albin-Michel, 1955 ;
  • Les Destinées Sentimentales, Grasset,1934-1936, trilogie :
  • La Femme de Jean Barnery, dédié à Jacques Delamain, 1934 ;
  • Pauline, 1934 ;
  • Porcelaine de Limoges, 1936 ; Grasset, 1947 ; Albin-Michel, 1951, L.G.F., 1984. En 1999, ce roman a été adapté par le cinéaste Olivier Assayas, avec Charles Berling, Isabelle Huppert et Emmanuelle Béart.
  • Romanesques, dédié à Paul Géraldy, Stock, 1937 ; édit. Colbert, et Stock, 1943 ; Albin-Michel, 1954 ; La Table Ronde, 1996 ;
  • Le Bonheur de Barbezieux, dédié à Marcel Arland, Stock, 1938, 1943 ; Monaco, édit. du Rocher, 1947 ; Albin-Michel, 1955 ; Stock, 1980 ;
  • Chronique Privée, dédié "à ma fille France", Stock, 1940 ;
  • Chronique privée de l'an 40, dédié à Maurice Delamain, idem ;
  • Voir la Figure - Réflexions sur ce temps, dédié "à mon ami André Thérive(...)souvenirs de l'année 1941 à Paris", Grasset, 1941 ;
  • L'Amour, c'est beaucoup plus que l'amour, dédié "à Jean Rostand son ami", Stock, 1937, 1941 ; Albin-Michel, 1957, puis 1992 ; ("Rostand, c'est la bonté absolue et dans son plein éclat" - J.C.) ;
  • Attachements - Chronique privée, Stock, 1941, Albin-Michel, 1955 ;
  • Le Ciel de Nieflem, 1943. « qu'il détruit sur le point d'être publié. Il en interdit à jamais toute publication » (Caroline Hoctan - pour Tachon ? - présentation de la correspondance Chardonne/Paulhan, op.cit. p.22). Extraits publiés dans les "cahiers Jacques Chardonne" 2 et 3 ;
  • Chimériques, Monaco, édit. du Rocher, 1948 et 1992 ; Albin-Michel, 1954 ;
  • Vivre à Madère, Grasset, 1953 ; Albin-Michel, 1954 ;
  • Matinales, dédié à André Sabatier, Albin-Michel, 1956 ;
  • Le Ciel dans la fenêtre, dédié à Roger Nimier, Albin-Michel, 1959, La Table Ronde, 1998 ;
  • Femmes - contes choisis et quelques images, dédié à Camille Belguise, Albin-Michel, 1961 ;
  • Détachements, Paris, édit.td -Jean-Paul Caracalla-, 1962 ; Albin-Michel, 1969 ;
  • Demi-jour - suite et fin du Ciel dans la fenêtre, Albin-Michel, 1964 ;
  • Catherine, Albin-Michel, 1964 ;
  • Propos comme ça, Grasset, 1966.
Voyages
  • Le Portugal que j'aime, préface, légendes de Paul Morand, éditions Sun, 1963.
Correspondance

Il a écrit quelque 20 000 lettres. Celles sur papier quadrillé sont sincères, tandis que dans celles sur papier blanc, il mentait. Ses amis connaissaient cette convention.

  • Ce que je voulais vous dire aujourd'hui, avant-propos de Paul Morand, Grasset, 1969 ;
  • Lettres à Roger Nimier - 1950-1962, Gallimard, 1984 ;
  • Correspondance Chardonne/Paulhan (1928-1962), préfacée par François Sureau, Stock, 1999. La plupart des lettres de Paulhan n'ont pas été conservées par Chardonne ;
Sur la correspondance avec Morand, cf. Franck Dufay, Chardonne-Morand, Conversation entre deux crocodiles ("Le Point" n°1446 - 2/06/2000) ; ils en interdirent la publication de leur vivant et déposèrent en 1967 à Lausanne plusieurs milliers de lettres, « monument d'abandon et de style sec » encore inédit, et Dialogue de deux crocodiles nostalgiques, propos de F.D. recueillis par Patrick Kéchichian (Le Monde du 23/02/2001) : « un délice d'esprit et de mordant, un des sommets du genre épistolaire ».

[modifier] Biographies et textes sur Jacques Chardonne

  • Claude Elsen, Pour un portrait de Jacques Chardonne suivi de "Mon Jardin", par J.C., avec photographies de Ottoni et de Catherine du Vivier, Plaisir de France n° 204, octobre 1955, pp.39 à43 ;
  • Ginette Guitard-Auviste, Jacques Chardonne ou l'incandescence sous le givre, Olivier Orban, 1983 ;
  • Catalogue de l'exposition "Ecrivains et terre natale, J.C." de la Bibliothèque Centrale de Prêt de la Charente (Confolens, imp. BCP, 4ème trim. 1980);
  • Catalogue de l'exposition J.C. à la B.N, Paris, 17/05/-8/06/1984 avec inventaire de la donation André Bay ;
  • Pol Vandromme, Chardonne, c'est beaucoup plus que Chardonne, Éditions du Rocher, 2003.

[modifier] Archives

Le "fonds Jacques Chardonne" comprenant les manuscrits - autographes et dactylographies - de ses ouvrages et les lettres reçues de lui, a été déposé par son beau-fils André Bay à la B.N.F. à Paris en 1984, le "reste des archives" étant (en 1999) conservé à l'A.A.J.C. à La Frette-sur-Seine (95), commune où il vécut jusqu'à sa mort; cette association, dissoute en 1998, a publié de nombreux inédits dans ses 19 cahiers annuels, dont celui du centenaire de sa naissance (1984).

[modifier] Notes

  1. Chargé des rapports avec les éditeurs français, il publia ses souvenirs sous le titre Un Allemand à Paris, Seuil, 1981.
  2. Lettre de janvier 1949 à Maurice Bardèche citée dans la présentation de sa correspondance avec Jean Paulhan op.cit., p.23.
  3. Cf. sa lettre du 5.12.1945 - archives de l'ex-A.A.J.C.
  4. Lettre du 11.01.1987, archives privées.
  5. Vincent Buche, La seconde mort de Jacques Chardonne, La Nouvelle République des 31.07 et 1.08.2004
  6. Source : Michel Boujut, Le jeune homme en colère, 1998, p.88.
  7. L'Épithalame, 1921.
  8. Dans L'amour, c'est beaucoup plus que l'amour, 1937.
  9. Dans Le bonheur de Barbezieux, 1938
  10. Dans Le bonheur de Barbezieux, 1938
  11. Ce texte parut dans La Nouvelle Revue Française, n°322 de décembre 1940.
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