Emilio Eduardo Massera

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L'Amiral Emilio Eduardo Massera (né à Paraná le 19 octobre 1925) est un militaire argentin. Entre 1976 et 1981 il fit partie avec ses collègues Jorge Rafael Videla et Orlando Ramón Agosti, de la junte militaire qui déposa la présidente Isabel Martínez de Perón et gouverna de facto l'Argentine sous le régime de dictature autodénommée Proceso de Reorganización Nacional. Il est historiquement convaincu d'avoir été un des plus grands responsables tortionnaires de ce régime et criminel contre l'humanité.

Sommaire

[modifier] Carrière militaire

Massera entra à l'École militaire de la Marine en 1942. À sa sortie en 1946, il fut élève de l'Ecole militaire des Amériques et de l' Interamerican Defence College de Washington, où on le forma à la guerre antisubversive. De retour en Argentine, il monta les degrés de la hiérarchie de la Marine. Nommé capitaine de frégate sur l'ARA Libertad, il obtint le grade d'Amiral le 23 août 1974, suite au retrait forcé d'une bonne partie des patrons de la marine argentine dont il fut nommé commandant en chef.

[modifier] Dictature et guerre sale

Le 24 mars 1976, Massera prit la tête avec Videla et Agosti du coup d'état qui destitua la veuve Perón, et dirigea dès lors avec eux le gouvernement national. Ce fut un des principaux promoteurs du plan de guerre sale en Argentine, par lequel la dictature continua la persécution des mouvements révolutionnaires —péronistes ou marxistes —, et aussi de toute forme de dissidence politique. En 1977, l'amiral déclara:

La crise actuelle de l'humanité est due à trois hommes. Vers la fin du XIXe siècle, Marx publia trois tomes du Capital et avec eux mit en doute l'intangibilité de la propriété privée; au début du vingtième siècle, la sphère sacrée intime de l'être humain fut attaquée par Freud, dans son livre L'interprétation des rêves, et… Einstein, en 1905, fit reconnaître la théorie de la relativité, où il met en doute la structure statique et la mort de la matière.
déclaration au journal La Opinión, le 25/11/1977.

L'étouffement de la diffusion des "idées opposées à la civilisation occidentale et chrétienne", provoquée selon lui par cette trilogie d'auteurs juifs, justement, se solda par la disparition de quelques 30.000 personnes de différents niveaux de militance politique, incluant un grand nombre de prêtres et de religieuses tiers-mondistes, malgré quoi les relations de Massera avec l'Église catholique furent toujours excellentes. L'École supérieure de Mécanique de la Marine (ESMA), sous la direction de Massera, fut un des centres clandestins de détention les plus grands du pays, où se pratiquèrent un grand nombre d'horreurs. On y emprisonna sans jugement préalable, on y tortura et assassina des milliers de prisonniers. Un des subordonnés de Massera fut le capitaine Alfredo Astiz, surnommé l'ange blond, qui opéra infiltré dans les organisations de protestation, entre autres les Mères de la Place de Mai.

[modifier] Jugement et condamnation

Massera quitta le gouvernement le 16 septembre 1978, quand le triumvirat du début fut remplacé par un autre dirigé par Roberto Eduardo Viola. Après la fin de la dictature son cas fut étudié par l'organisme chargé de l'instruction sur la guerre sale et la terreur d'État, la CONADEP. Le 22 avril 1985 il fut jugé pour violations des droits humains, assassinats, tortures et privations illégales de liberté, et condamné à la prison à perpétuité et perte de son grade militaire. Cependant, le 29 décembre 1990, il fut grâcié par Carlos Saúl Menem, et récupéra la liberté jusqu'en 1998. Il fut alors à nouveau incarcéré préventivement pour des affaires de séquestration et refus d'identité à des mineurs, durant son gouvernement, et pour avoir donné des ordres de torture, d'exécution, de confinement dans des centres clandestins et de noyade en haute mer de prisonniers vivants. L'ordre émis par la juge María Servini de Cubría se basait sur le fait que l'appropriation de mineurs et les autres charges retenues contre lui sont considérées comme crime contre l'humanité, et sont donc imprescriptibles.

L'appropriation illégitime de biens des disparus, pour laquelle il n'avait pas été jugé en 1985, fut inclus au sommaire. Le cas de Massera donna consistance à de nombreuses actions légales qui amenèrent en 2001 le juge fédéral Gabriel Cavallo à déclarer anticonstitutionnelles les lois du Point final et d' Obéissance due, qui avaient paralysé, durant les 15 années antérieures, les jugements contre des militaires de rang inférieur à celui de colonel, mais coupables d'atrocités .

En 2004, suite à la rupture d'un anévrisme cérébro-vasculaire, il dut entrer à l' Hôpital Militaire de Buenos Aires. Les séquelles de ceci amenèrent à ce que le 17 mars 2005 il fut déclaré incapable pour démence, et les affaires à son encontre furent suspendues. Les demandes d'extradition faites à son encontre par les gouvernements espagnols, français et allemand, sont suspendues pour les mêmes raisons.

[modifier] Massera et la loge P2

Le nom de Massera figurait sur la liste des 963 membres que la police italienne trouva en 1981 en investigant les actions de la loge pseudo-maçonique Propaganda Due, et dont d'autres membres avaient été Juan Perón, José López Rega et de nombreux hommes politiques italiens dont Silvio Berlusconi. La loge, depuis lors déclarée illégale par le gouvernement italien et dissoute depuis lors, était sous la direction de Licio Gelli, un ancien agent de Mussolini pendant la Seconde Guerre mondiale, chargé peu après par la CIA de la maintenance d'un réseau clandestin d'opérations anticommunistes en Europe, le Gladio. Gelli aurait connu Massera grâce à un certain Carlos Alberto Corti, capitaine de la flotte militaire argentine et confident de Massera. Gelli utilisa Massera pour garantir de juteux contrats multimillionnaires en dépenses d'équipements militaires et d'armements de la junte argentine —6.000 millions de dollars américains en deux ans —. Gelli s'assura également ainsi du contrôle d'une partie de la presse grâce à l'achat d'une partie des éditions italiennes Rizzoli et des éditions argentines Editorial Abril. En échange le dit Gelli aurait facilité les relations de Massera avec le Vatican et les États-Unis, et fourni les moyens pour canaliser en lieu sûr à l'étranger l'argent obtenu par la corruption et les malversations du Trésor public (voir références ci-dessous).

[modifier] Massera et Montoneros

Il existe une série de rumeurs (jamais démontrées) selon lesquelles Massera assista à une série de réunions secrètes à Paris avec le leader du groupe guerillero catholique de droite Montoneros, Mario Firmenich. Malgré le fait qu'un grand nombre des victimes du régime faisaient partie de ce groupe, Massera et plusieurs membres des forces armées pensaient que la dirigence du groupe était "récupérable" et "réversible", à cause des racines catholiques de droite des membres de la hiérachie de Montoneros. Ces mêmes racines avaient déjà été évoquées pour expliquer une alliance stratégique et idéologique d'intérêts entre la hiérarchie de Montoneros et le président de facto Juan Carlos Onganía en 1969 lors du meurtre du général Pedro Eugenio Aramburu. Massera croyait qu'il était possible de faire travailler pour lui les membres exilés de Montoneros, dans son projet de devenir une référence d'un grand parti politique de masses. Un hypothétique témoin de ces réunions, la fonctionnaire de l'ambassade argentine à Paris, Elena Holmberg, est rappelée à Buenos Aires par sa hiérarchie. Le 20 décembre 1979, elle est enlevée et son corps est retrouvé quelques jours plus tard dans le port de la ville.

Lors de la "contre-offensive" menée par Montoneros entre 1979 et 1980, dans laquelle il était prévu qu'un nombre important de membres du groupe pénètre dans le pays pour mener une lutte révolutionnaire urbaine contre le régimé militaire, la façon et la rapidité dont presque la totalité de ces membres furent interceptés, capturés, et "disparus" a nourri les théories selon lesquelles Montoneros était parvenu a établir un pacte avec le régime militaire, probablement lors de cette série de réunions avec Massera à Paris.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Références

  1. Buongiorno, Pino, L'Internazionale dal Venerabile Licio dans Andrea Barbieri et. al.; "L'Italia della P2" - publication Milan: Mondadori (1981)
  2. Voir l'article concernant la Loge P2