David ibn Merwan Al-Mukkamas

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David (abû Sulaiman) ibn Merwan al-Mukkamas (ou al-Mukkamis) al-Rakki Al-Shirazi (décédé vers 937), parfois appelé David HaBavli[1], était un philosophe et controversialiste, auteur du premier ouvrage connu de philosophie juive au Moyen Age. Il est, ainsi que l'indique son nom, natif de Rakka, en Mésopotamie.
Harkavy fait dériver al-Mukkamas de l'arabe "ḳammaṣ" (sauter), l'interprétant comme une référence à son changement de foi supposé[2]. Ceci est incertain. Le nom est écrit « אלקומסי (Al-Qumsi) » de l'Al-Tanbih de Masudi[3], ainsi que dans un commentaire karaïte du Lévitique, et dans une copie manuscrite du commentaire de Yefet du même Livre[4], dérivant donc peut-être de la ville de Ḳumis en Tabaristan [5], comme le karaïte Daniel al-Ḳumisi; dans la chronique de Al-Hiti, son nom est également écrit avec un ẓade[6].

Pinsker et Grätz, qui le confondent avec Daniel HaBavli du Caire, le croient musulman converti au karaïsme, étant donné qu'il est cité par des auteurs karaïtes, et appelé « guer ẓedeḳ » par Hadassi. De plus, un chroniqueur karaïte, David al-Hiti, le mentionne comme un Karaïte instruit dans sa chronique des docteurs karaïtes[7].
Harkavy découvre ensuite le Kitab al-Riyaḍ wal-Ḥada'iḳ, du Hakham karaïte Al-Ḳirḳisani, qui écrit que David s'est converti au christianisme, sur base du terme tanaṣṣar (selon la traduction de Leon Nemoy[1]), et du fait qu'il fut élève pendant de nombreuses années d'un médecin et philosophe chrétien réputé, nommé Hana (ou Nānā[1]), avant d'écrire deux livres de polémique contre le christianisme, devenus célèbres. S'il est vrai qu'il a écrit ces livres, il semble cependant plus probable que « tanaṣṣar » signifie simplement qu'il avait de nombreux contacts avec les chrétiens[8], Ḳirḳisani ne mentionnant pas son retour au judaïsme, et aucune source rabbanite ne mentionnant sa conversion.
En réalité, David ibn Merwan Al-Mukkamas était un Juif rabbanite[9], auteur d'un commentaire sur le Sefer Yetzira, dont Juda ben Barzilaï s'inspire pour le sien, publié au XIXe siècle par Halberstam[10].
David ibn Merwan, contemporain plus âgé de Saadia, qu'il aurait, selon Juda ben Barzilaï, connu et instruit, est donc le premier philosophe rabbanite du judaïsme, bien qu'il fût pratiquement inconnu jusqu'à la seconde partie du XIXe siècle. Salomon Munk en doute cependant, argüant du manque d'âpreté avec lequel il fut répondu à ses polémiques philosophiques avec des Karaïtes, contrairement à Saadia Gaon[11]. Il semble toutefois avoir eu une certaine influence sur la pensée juive de son temps, étant cité non seulement par des auteurs karaïtes, mais aussi par des rabbanites, dont Baḥya, Yedaya Bedersi (in Iggeret Hitnaẓẓelout), et Moïse ibn Ezra, ce qui est par ailleurs peu compatible avec sa conversion supposée. Il pourrait avoir été l'intermédiaire auprès des Juifs des interprétations chrétiennes de la Création[1].

Sommaire

[modifier] Œuvres

Outre ses ouvrages de polémique, Ḳirḳissani mentionne deux autres livres de David: Kitab al-Khaliḳah, un commentaire sur le Livre de la Genèse extrait de travaux exégétiques chrétiens, et un commentaire sur l'Ecclésiaste.

En 1898, Harkavy découvre à la Bibliothèque Impériale de St. Pétersbourg le manuscrit de la seconde collection Firkovich n° 4817[12] quinze des vingt chapitres d'un travail philosophique de David, intitulé Ishrun Maḳalat (Vingt Chapitres).
Le sujet de ces quinze chapitres est le suivant:

  1. Les catégories d'Aristote[13]
  2. La Science et la réalité de son existence
  3. La création du monde
  4. La preuve qu'il est composé de substances et accidents
  5. Les propriétés de la substance et de l'accident
  6. Une critique de ceux qui maintiennent l'éternité de la matière
  7. Arguments en faveur de l'existence de Dieu et de Sa création du monde
  8. L'unité de Dieu, avec réfutation des Sabéens, des Dualistes, et des Chrétiens
  9. Les attributs divins
  10. Réfutation de l'anthropomorphisme et des idées chrétiennes
  11. Pourquoi Dieu est devenu notre Seigneur
  12. Démonstration que Dieu nous a créés pour le bien et non pour le mal, et opposition au pessimisme absolu ainsi qu'à l'optimisme absolu
  13. L'utilité de la prophétie et des prophètes
  14. Signes de la prophétie vraie et des vrais prophètes
  15. Commandements obligatoires et prohibitifs.

David, comme Saadia, et contrairement à Isaac Israeli dont il était également contemporain, semble avoir, avec Joseph al-Basir et Al-Ḳirḳisani, pratiqué la version juive du Kalâm motazilite, particulièrement dans son chapitre sur les attributs de Dieu, dans lequel il affirme que ces attributs, bien que l'on en parle à la manière d'attributs humains, ne peuvent leur être comparés, car rien ne Lui vient par les sens comme c'est le cas de l'homme. La « vie » de Dieu est une part de Son « être, » et le fait d'assumer qu'Il a des attributs ne peut en aucun cas affecter Son unité. La « qualité » ne peut être postulée à propos de la Déité. Dans son chapitre sur l'unité, s'interrogeant sur les différentes significations que l'on peut donner à l'« Un, » il n'utilisa pas tant les classifications d'Aristote que les opinions de la théologie chrétienne; cependant, à l'instar de nombreux philosophes du Kalam, qui n'hésitent pas à puiser à différentes sources selon les besoins de leur démonstration, c'est aux quatre questions d'Aristote qu'il recourt pour prouver l'existence de Dieu[1]. Dans son dixième chapitre, sur la rétribution, David écrit que la récompense et le châtiment sont éternels dans le monde à venir; ce chapitre présente de nombreux points communs avec Saadia, les deux puisant à la même source[14].

[modifier] Autres travaux

David cite deux de ses travaux aujourd'hui disparus: le Kitab fi al-Budud et le Kitab fi 'Arḍ al-Maḳalat 'ala al-Manṭiḳ, sur les catégories.
Dans un passage, il raconte avoir tenu une disputation philosophique à Damas avec un savant musulman, Shabib al-Baṣri[15].
Un fragment d'une autre œuvre, le Kitab al-Tauḥid, sur l'unité de Dieu, a été découvert dans une gueniza, et publié par E. N. Adler et I. Broydé[16].

David ibn Merwan al-Mukkamas ne laisse rien transparaître de sa judéité dans ses travaux philosophiques. Contrairement à Saadia, Baḥya, et d'autres philosophes juifs, il ne cite jamais la Bible, mais uniquement des philosophes grecs et arabes. Il est possible que ceci soit la cause de son oubli par les Juifs.

[modifier] Références

  1. abcde Colette Sirat, A history of Jewish philosophy in the Middle Ages, pp.17-18, Cambridge University Press, 2000, ISBN 0521397278
  2. Grätz, Gesch., trad. hébraïque, iii.498
  3. ed. De Goeje, p. 113
  4. Jew. Quart. Rev. viii.681
  5. Yaḳut, iv.203
  6. Jew. Quart. Rev. ix.432
  7. Publiée par Margoliouth, Jew. Quart. Rev. ix.432
  8. Dan Cohn-Sherbok l'interprète toutefois comme une volonté, temporaire, de se convertir — Medieval Jewish Philosophy, An Introduction, p.33, Routledge 1996, ISBN 0700704140
  9. Isidore Lœb, Revue des études juives, p. 215, 1882
  10. Meḳiẓe Nirdamim, 1885
  11. S. Munk, Mélanges de Philosophie Juive Et Arabe, p. 476, éd. J. Gamber, 1927
  12. Colette Sirat, A history of Jewish philosophy in the Middle Ages, pp.17-18
  13. David est le premier auteur juif à mentionner nommément AristoteJew. Quart. Rev. 13, p. 450
  14. Schreiner, Der Kalam, p. 25
  15. Sur ce philosophe, voir http://www.jstor.org/pss/601655
  16. Jew. Quart Rev., 13, p.52 et suivantes

Cet article comprend du texte provenant de la Jewish Encyclopedia de 1901–1906, une publication tombée dans le domaine public., qui cite comme bibliographie:

  • Fürst, in Literaturblatt des Orients, viii.617, 642;
  • Gabriel Polak, Halikot Ḳedem, pp. 69 et seq.;
  • Pinsker, Liḳḳuṭe Ḳadmoniyyot, ii.17 et seq.;
  • Grätz, Gesch. v.285;
  • A. Harkavy, Le-Ḳorot ha-Kittot be-Yisrael', in Grätz, Gesch. iii.498 et seq. (Hebr. transl.);
  • idem, in Voskhod, Sept., 1898;
  • Samuel Poznanski, in Jew. Quart. Rev. xiii.328;
  • Steinschneider, in Jew. Quart. Rev. xi.606, xiii.450;
  • idem, Hebr. Uebers. p. 378;
  • Kaufmann, Attributenlehre, Index, passim.

[modifier] Liens externes

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