Déclaration de l'indépendance de l'Esprit

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La Déclaration de l'indépendance de l'Esprit est un manifeste rédigé par Romain Rolland et publié dans le quotidien L'Humanité du 26 juin 1919, cosigné notamment par Henri Barbusse, Albert Einstein ou encore Bertrand Russell.

Déclaration publiée dans l'Humanité le 26 juin 1919.
Déclaration publiée dans l'Humanité le 26 juin 1919.

Sommaire

[modifier] Le contexte

[modifier] Intellectuels et scientifiques au sein de l'Union sacrée

Au moment de la déclaration de la Première Guerre mondiale, la grande majorité des intellectuels et des scientifiques des deux camps devaient se joindre à « L'Union sacrée » autour d'une cause estimée juste de part et d'autre. Ainsi, un philosophe comme Henri Bergson ouvrait la séance de l'Académie des sciences morales et politiques du 08 août 1914 par ces mots :

«  [Notre Académie] accomplit un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l'Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l'état sauvage[1].  »

La veille de ce discours, c'est à l'université de la Sorbonne qu'était accueillie, sous la présidence du doyen de la faculté des sciences Paul Appell, une réunion au cours de laquelle les différentes forces politiques du pays (de la S.F.I.O. à l'Action française) devaient officiellement mettre de côté leurs différends afin de s'unir contre l'ennemi commun[2].
Comme l'indique Jean-François Sirinelli dans son histoire des engagements des intellectuels français au cours du XXe siècle, dans le milieu intellectuel également, « c'est l'union sacrée qui domina, union entendue non seulement au sens d'un accord des principales forces politiques, mais aussi d'une convergence d'analyse de la plus grande partie de la communauté nationale[3]. »

Du côté allemand le même état d'esprit est de mise, et le 04 octobre 1914, quatre-vingt treize intellectuels de renommée internationale (dont un physicien de l'envergure de Max Planck) signent un Appel des Intellectuels allemands aux Nations civilisées dans lequel ils affirment soutenir « la juste et noble cause de l'Allemagne. »

[modifier] Romain Rolland « au-dessus de la mêlée »

Icône de détail Article détaillé : Au-dessus de la mêlée (texte).

Au moment de la déclaration de guerre, Romain Rolland est âgé de 48 ans et vit en Suisse, ayant été reconnu inapte au service armé[4]. Durant les premières semaines du conflit, il vibre à l'unisson des communiqués de guerre. Pourtant, écrit-il alors, s'il se réjouit des victoires françaises, les défaites allemandes lui sont « pénibles[5] » et, à la suite d'une rapide évolution intérieure, il publie dans le Journal de Genève des 22 et 23 septembre un texte intitulé Au-dessus de la mêlée, dans lequel, même s'il dénonce « le délire d'orgueil » allemand, il s'en prend surtout au désir de domination qui pousse les nations à s'entre-déchirer[6].

Par la suite, Rolland publie d'autres articles, tendant de plus en plus à dénoncer la guerre, provoquant chaque fois l'ire des intellectuels nationalistes français. Un Henri Massis va jusqu'à écrire un pamphlet contre lui, intitulé Romain Rolland contre la France, publié en 1915, tandis que la presse salue chaque nouvel article par une salve d'articles dirigés contre l'auteur de Jean-Christophe[7]. Cette haine des intellectuels de droite ne s'éteindra pas avec la fin de la guerre et se poursuivra un contraire tout au long des années 1920-1930 contre celui que l'Action française se plaisait à appeler le « Suisse » ou le « métèque », et Massis à qualifier de « femmelin »[8].

[modifier] Le manifeste

Au moment où les anciens belligérants sont réunis pour signer le Traité de Versailles en 1919, Romain Rolland a écrit un nouveau texte, un manifeste, qu'il soumet à l'aprobation des intellectuels du monde entier : la Déclaration de l'indépendance de l'Esprit. Celle-ci est publiée le 26 juin 1919 dans le quotidien socialiste L'Humanité.

Rolland y appelle les intellectuels (les « Travailleurs de l'Esprit »), qui ont été séparés par cinq années de conflit, à retrouver leur « union fraternelle » antérieure en tirant les leçons de la période qui vient de s'achever : le ralliement des artistes et des penseurs aux propagandes nationales a été une trahison de « l'Esprit », parce qu'en agissant ainsi ils ont « enlaidi, avili, abaissé, dégradé la pensée, dont ils étaient les représentants. » Ils se sont faits les serviteurs des « intérêts égoïstes » d'une politique, d'une classe, d'une patrie ou d'un Etat tout au long d'un conflit dont l'Europe sort affaiblie et humiliée.
Aussi les intellectuels de tous les pays doivent-ils dorénavant ne plus s'écarter du rôle qui est en réalité le leur : servir « la seule vérité, libre, sans frontières, sans limites, sans préjugés de race ou de castes. » En effet, les intellectuels ne connaissent pas les peuples, mais « le Peuple de tous les hommes, tous également [leurs] frères », qu'ils doivent éclairer et amener à la compréhension de ce qu'est véritablement l'Esprit.
Cet Esprit ne saurait être mis au service d'aucune cause, parce qu'il « n'est au service de rien », il est « libre, un et multiple, universel. » Les intellectuels sont les serviteurs de l'Esprit, et ils ne sauraient avoir d'autre maître[9].

[modifier] Signataires et réactions

[modifier] Bibliographie

  • Régis Antoine, La Littérature pacifiste et internationaliste française, 1915-1935, L'Harmattan, coll. « Espaces littéraires », Paris, 2002.
  • François Chaubet, Histoire intellectuelle de l'entre-deux guerres, Nouveau monde éditions, Paris, 2006.
  • Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, Fayard, Paris, 1990 (réédition Folio/Histoire, Gallimard, Paris, 1996.)

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. Rapporté par Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, Folio/histoire, p.54.
  2. Jean-Baptiste Duroselle, La Grande Guerre des Français, Perrin, Tempus, Paris, 2002, p.56.
  3. op. cit., p.60.
  4. Régis Antoine, La Littérature pacifiste et internationaliste française, 1915-1935, p.15.
  5. Régis Antoine, op. cit., p.21
  6. R. Antoine, op. cit., p.21.
  7. « Toute la presse française se livrait contre lui à des attaques grossières. Des articles offensants étaient suivis de lettres, le plus souvent anonymes, toutes plus rageuses les unes que les autres. » (témoignage de Tamara Motylova, citépar R. Antoine, op. cit., p.22.)
  8. Cf. R. Antoine, op. cit., pp.20-21.
  9. Les citations du manifeste de Romain Rolland sont extraites de Jean-François Sirinelli, op. cit., pp.62-64.