Berditchev

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  Berditchev, Бердичів, Берди́чев

Drapeau Blason
Géographie
Pays Ukraine
Oblast Jytomyr
Fondation 1430
Coordonnées 49°54′N 28°34′E / 49.9, 28.567
Superficie 35.33 km²
Altitude 270 m
Données démographiques
Population
Densité
86.200 (2003)
2440 hab./km²
Politique
Maire V. K. Mazur
Autres informations
Code postal 13300
Indicatif téléphonique
Plaques d'immatriculation
Site officiel

Berditchev (Бердичев en russe), ou Berditchiv (Бердичів en ukrainien), est une ville ukrainienne située dans l'oblast de Jytomyr, à 44 kilomètres au sud de Jytomyr. En 2001 la population était estimée à 88 000 personnes.

[modifier] Histoire

En 1430, le grand-duc Vytautas de Lituanie prit le contrôle de la région de Kalinik. Un de ses servants, Berditch, fonda un khutor à l'écart.

En 1483, les Tatars de Crimée détruisirent le village. La partition de 1546, entre la Lituanie et la Pologne, fit de la région une propriété du seigneur lituanien Tyshkevitch. En accord avec le traité de Lublin (1569), la Volhynie devint une province de l'union polo-lituanienne.

Le monastère carmélite (construit en 1627), capturé et pillé par Bohdan Khmelnytsky en 1647, fut rénové et de nouveau opérationnel en 1864. La communauté juive y était fort importante, et y était installée depuis plusieurs siècles. Berditchev fut l'un des bastions de la 'Hassidouth naissante. Le cimetière juif couvre une surface énorme, et fait l'objet de grands travaux de restauration actuellement.

En 1846, la ville comptait près de 1893 bâtiments, 69 d'entre eux étaient construits en briques. Elle comptait aussi 11 rues, 80 passages piétions et 4 parcs. Honoré de Balzac visita la ville en 1850 et compara son développement plus ou moins aléatoire à une polka, des bâtiments penchant vers la droite, d'autres vers la gauche.Cette même année, il y épousa la Madame Hanska, six mois avant sa mort.

[modifier] Prison de Berditchev

Aux premiers jours de septembre 1917, suite à « l'affaire Kornilov », Kérensky fit emprisonner à Berditchev les généraux russes impliqués dans la tentative de putsh. Les prisonniers au nombre de 12 étaient : les généraux Dénikine, Elsner, Erdelly, Markov, Orlov, Pavsky, Sélivatchov, Serguievsky, Vannovsky, le lieutenant Kletsando, le prince Krapotkine et un fonctionnaire du ministère de la guerre : Boudilovitch.

Les généraux Sélivatchov, Pavsky et Serguievsky furent bientôt relachés. Le 6 septembre, les autorités annoncèrent au prince Krapotkine qu'aucune faute ne lui était reprochée, il recouvra la liberté le 23.

Le 9 septembre au soir une foule énorme et bruyante fit entendre des cris furieux près de la prison. Peu après, le président et plusieurs membres de la commission d’enquêtes sur l'affaire Kornilov (Chablovsky, Kolokolov, Raoupach et Oukraïntzev), annoncèrent aux prisonniers qu'ils seraient transférés à Bykhov pour y être jugé avec le général Kornilov. Les hurlements de la foule rendant tout interrogatoire impossible, les membres de la commission quittèrent prestement la prison, la foule se dispersa.



Ce récit du général Dénikine est extrait de La Décomposition De L'Armée Et Du Pouvoir, Février-Septembre 1917.



(...) Néanmoins, nous attendions avec impatience l'heure de quitter la prison de Berditchev. Mais notre délivrance était de plus en plus problématique. Le journal du comité du front, méthodiquement, surexcitait les passions de la garnison. Nous savions que tous les comités, à chaque séance, décidaient de nous garder à Berditchev ; on faisait une propagande effrénée parmi les troupes venues de l'arrière ; on organisait des meetings et les sentiments qui s'y manifestaient n'étaient pas débonnaires.

(...) Le Comité du front et le Soviet des députés ouvriers et soldats de Kiev refusèrent d'autoriser notre transfert, malgré tous les raisonnements, toutes les protestations et toutes les instances de Chablovsky et des membres de la commission qui assistaient à la séance. À Mohilev, il y eut conférence à ce sujet entre Kérensky, Chablovsky (qui rentrait à Pétrograd), Jordansky et Batogue. Ils tombèrent d'accord, tous sauf Chablovsky, pour déclarer, sans équivoque, que le front était surexcité, que la foule des soldats s'agitait et exigeait des victimes, et qu'il était nécessaire de donner une issue au courant, fût-ce au prix d'une injustice… Chablovsky sursauta et déclara qu'il ne saurait admettre une attitude pareillement cynique, en matière de droit et de justice.

Cette histoire, je m'en souviens, me stupéfia. Sans parler de la différence des points de vue — en quoi la culpabilité de Kornilov consistait-elle, du moment que le ministre-président admettait lui-même que la fin justifie les moyens, quand il s'agit du salut de l'État ?

Le 14 septembre, en dernière « instance d'appel », il y eut controverse à Pétrograd. Le Comité central finit par se ranger à l'opinion de Chablovsky et envoya à Berditchev une résolution dans ce sens.

C'est ainsi que notre « lynchage » projeté fut évité. Mais les institutions révolutionnaires locales avaient encore un moyen de se débarrasser du « groupe de Berditchev » sans rien risquer – un moyen facile : laisser agir la colère du peuple…

Le bruit avait couru qu'on nous emmènerait le 23, puis on annonça que ce serait pour le 27, à cinq heures du soir, à la gare des voyageurs.

Rien n'était plus facile que de nous faire partir à la dérobée : soit en auto, soit au milieu d'un peloton d'élèves – officiers, soit même en wagon — une ligne à voie étroite aboutissait au corps, de garde : elle allait se greffer sur la voie ordinaire en dehors de la gare et de la ville. Mais ce procédé si simple n'entrait pas dans les vues du commissariat et des comités.

Le général Doukhonine demanda du Grand Quartier Général à l'état-major du front s'il y avait, à Berditchev, des troupes sûres ; il offrait d'envoyer, pour faciliter notre transfert, une escorte spéciale. L'état-major refusa. Le général Volodtchenko, commandant en chef, était parti pour le front la veille, le 26.

On avait, à dessein, attiré l'attention sur notre départ. La chose faisait du bruit. Une atmosphère malsaine d'attente et de curiosité pesait sur la ville.

Kérensky adressa une dépêche au commissariat : « il était assuré du bon sens de la garnison ; celle-ci pouvait élire deux délégués qui accompagneraient les prisonniers ».

Dès le matin, le commissariat fit visiter toutes les unités de la garnison, afin d'obtenir d'elles l'autorisation de nous transférer.

Le Comité avait organisé, pour deux heures de l'après midi, c'est-à-dire trois heures avant notre départ, dans une prairie toute proche de notre prison, une assemblée générale de toute la garnison. Cet immense meeting eut lieu, en effet ; des représentants du commissariat et du comité du front y annoncèrent la décision qu'on avait prise de nous emmener à Bykhov : ils eurent la complaisance de faire savoir à leur auditoire l'heure exacte de notre départ et ils invitèrent la garnison à... se conduire raisonnablement. La réunion dura fort longtemps. Après la clôture, la foule, naturellement, resta compacte. À cinq heures, fiévreuse, elle entourait le corps de garde, d'où l'on percevait, distinctement, un grondement menaçant.

Parmi les officiers du bataillon d'élèves qu'avait envoyé la deuxième école d'officiers de Jitomir et qui était de service ce jour-là, se trouvait le capitaine en second Betling, grand blessé de guerre ; il avait appartenu, avant 1914, au 17ème régiment d'infanterie d'Arkhangelsk, que je commandais alors. Betling demanda à ses chefs de remplacer, à la tête de sa demi-compagnie, l'escorte qui avait été désignée pour conduire les prisonniers à la gare. Nous nous préparâmes et attendîmes, dans le corridor de la prison, une heure, deux heures…

Le meeting continuait. D'innombrables orateurs demandaient que nous fussions immédiatement « lynchés… » Le soldat qu'avait blessé Kletsando poussait des cris hystériques, exigeant la tête du coupable… Les adjoints du commissaire, Kostitsyne et Grigoriev, du haut du perron, essayaient de calmer la foule. Le brave Betling parla aussi à plusieurs reprises, avec véhémence, avec passion. Du reste, nous n'entendions pas ses discours.

Enfin, très pâles, très émus, Betling et Kostitsyne vinrent me trouver :

— Qu'ordonnez-vous ? La foule a donné sa parole de ne frapper personne — mais elle exige qu'on vous conduise à pied jusqu'à la gare ; impossible de rien garantir !

Je répondis :

— Marchons !

J'ôtai ma casquette et fis le signe de la croix : « Dieu nous bénisse »

* * *

La foule délirait. Nous avançâmes tous les sept — entourés d'une poignée d'élèves-officiers commandés par Betling qui se tenait à mon côté, le sabre nu à la main — par l'étroit corridor, au milieu d'une marée humaine qui nous pressait de toutes parts. Kostitsyne ouvrait la marche avec une quinzaine de délégués que la garnison avait chargés de nous escorter. La nuit tombait. De temps en temps, le rayon d'un projecteur placé sur une auto blindée coupait les ténèbres où la foule affolée s'agitait. Elle croissait sans cesse et roulait autour de nous en avalanche. L'air retentissait de hurlements assourdissants, de cris frénétiques, de jurons orduriers. Parfois, la voix puissante mais angoissée de Betling couvrait la tempête :

— Camarades, vous avez donné votre parole !... Camarades, vous avez donné votre parole !...

Les braves élèves-officiers, écrasés de tous côtés, opposaient leurs poitrines au flot humain tentant de briser leur mince cordon qui nous entourait. Dans les mares qu'avait formées la pluie de la veille, les soldats puisaient des poignées de boue qu'ils nous jetaient. Nous avions le visage, les yeux, les oreilles plâtrés d'une fange nauséabonde et gluante. Les cailloux volaient. Le général Orlov — un pauvre infirme — eut le visage déchiré. Erdelly fut frappé. Moi aussi, dans le dos et à la tête.

Tout en marchant, nous échangions de brèves réflexions. Je dis à Markov :

— Mon cher professeur, c'est la fin, n'est-ce pas ?

— C'est probable !...

La foule ne voulut pas qu'on allât directement à la gare. Il fallut faire cinq verstes par les rues principales de la ville. La cohue était invraisemblable. À tous les balcons, les curieux s'entassaient ; les femmes agitaient leurs mouchoirs. Là-haut, des voix gutturales braillaient joyeusement :

— Vive la liberté !

La gare était inondée de lumière. Une autre multitude nous y attendait, plusieurs milliers d'hommes. Les deux foules se confondirent en une mer bouillonnante, mugissante. On nous la fit traverser — péniblement. Partout regards haineux, une grêle d'abominables jurons. Enfin, voici le train. Un officier — le fils d'Elsner — sanglote, abattu par une crise de nerfs ; il crie à la foule de vaines menaces ; son ordonnance l'entoure de soins, le calme, lui enlève son revolver. Deux dames sont là, glacées de peur : la mère et la femme de Kletsando, qui sont venues lui dire adieu… Nous attendons une heure, une autre... On ne veut pas nous laisser partir ainsi. On demande un wagon-prison. Il n'y en a pas à la gare. La foule menace les commissaires. Kostitsyne est quelque peu malmené. Voici un wagon de marchandises, tout embrené de crottin — quelle bagatelle ! Nous y montons, sans marchepied. On a peine à y hisser le malheureux Orlov. Les mains, par centaines, cherchent à nous happer, à travers le cordon pressé et résistant des élèves officiers… Il est déjà dix heures du soir… La locomotive s'ébranle. La foule mugit plus fort. Deux coups de feu. Notre train part.

Les bruits s'assourdissent ! Les lumières s'estompent ! Adieu, Berditchev !

[modifier] Bibliographie

Dénikine, Anton Ivanovitch, La Décomposition De L'Armée Et Du Pouvoir, Février-Septembre 1917 (1922)