Utilisateur:Astirmays/Méfiance du milieu universitaire envers Wikipédia

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Wikipédia et le monde académique

Depuis sa naissance en janvier 2001, Wikipédia est rapidement devenue l’un des sites les plus fréquentés de l’Internet. Selon alexa.com le domaine wikipedia.org figure parmi les 10 sites les plus populaires du monde[1], dépassant largement d’autres encyclopédies en ligne comme Britannica (4886ième place[2]) ou l’Encyclopédie Larousse (872 170ième place[3]) . Une croissance qui a suscité de vives discussions parmi les universitaires, dont une partie s'interroge notamment sur la qualité des informations apportées. D’où vient cette méfiance ?

Il est réducteur de dire que les articles de Wikipédia sont de qualité inférieure aux articles issus d’autres sources d’information scientifique. Plusieurs recherches ont montré que cet argument ne tient pas[4]. Par ailleurs, Wikipédia peut être considérée comme l’une des sources d’information les plus riches, comptant plus d’articles que n’importe quelle autre encyclopédie. Si la qualité des articles ne peut être la cause de cette méfiance, quelle est-elle?

« Modifier » ; mot magique qui s’affiche sur presque toutes les pages web du domaine Wikipédia. Vous êtes invités à modifier les articles, à ajouter ou supprimer des informations et à corriger des erreurs. « Je voyais que le genre de coopérations qui se développait entre les programmeurs des logiciels à code source libre pouvait aussi fonctionner pour d’autres types de projets », déclara Jimmy Wales, initiateur de Wikipédia dans une interview[5] au New Scientist. Et il avait raison, car le principe de code source libre, appliqué à un projet d’encyclopédie en ligne a certainement porté ses fruits : après un faux départ en 2000 sous le nom de Nupedia, les contributeurs de l’encyclopédie ont produit depuis 2001 plus de 5 millions d’articles dans plus de 200 langues[6].

C’est justement le caractère ouvert de Wikipédia qui est à la base de la méfiance universitaire vis-à-vis de Wikipédia. Ils n’aiment pas ce caractère ouvert, libre et éditable par tous et n’importe qui. Dans les sciences, les écrits des scientifiques sont évalués via différents critères. L’un de ces critères est le contenu de l’article, bien évidemment. Mais le prestige de l’auteur influe également: un article scientifique est également jugé en fonction de la qualité et du prestige des antécédents bibliographiques de son auteur. Par ailleurs les informations dans le monde scientifique sont statiques. Une fois publié, un article scientifique est figé. Les sciences avancent, bien évidemment, mais elles laissent derrière elles une trace d’informations et d’articles qui constituent le sol nourricier d'une production d’encore plus d’articles. Ainsi, tout nouveau papier est publié dans la continuité d'autres articles déjà publiés, et s'y appuie grâce à des références bibliographiques.

Le caractère ouvert de Wikipédia bouscule cette méthode scientifique: d’abord, les informations que l’on y trouve sont en changement permanent. Il est donc impossible de citer un article de Wikipédia sans se rendre compte que les informations pourront changer le lendemain. De plus, l’auteur typique de Wikipédia est justement ce « n’importe qui » dont on vient de parler. Encore pire, ce n’est pas le seul, il y a des centaines, des milliers d'autres contributeurs. Et pour aggraver encore la situation, ces personnes contribuent souvent de façon anonyme ou sous un pseudonyme. Impossible de savoir qui ils sont, de connaître leurs motivations et d'évaluer leur « prestige scientifique », s'il y a lieu.

Il faut toutefois noter que la méthode scientifique a pour principal but de produire des connaissances. Sur Wikipédia, on ne produit rien : on rapporte. Le fait de pouvoir modifier en temps réel les informations permet ainsi de tenir compte des champs de recherche contemporains sans butter sur le revers technique que constitue l'instabilité des théories émergentes et qui forcerait une publication écrite à de nombreuses rééditions, ce qui contraint généralement les encyclopédies soit à être rapidement périssables, soit à laisser ce domaine aux périodiques et à ne se focaliser que sur les connaissances anciennes.

Mais il y a une autre partie à la réponse. Pour la trouver il faut d’abord mieux comprendre le fonctionnement de Wikipédia.

On se rend vite compte du pivot de l’organisation de Wikipédia en la comparant à d’autres sites du top 10 d’Alexa, car une seule similarité saute aux yeux ; à part les deux moteurs de recherche que l’on y trouve (Google et Baidu), tous les sites sont des plates-formes pour de vastes communautés virtuelles. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, ceci est également le cas pour Wikipédia. La naissance d’une communauté wikipédienne est à la base de son fonctionnement. La communauté est même sa raison d’être.

A l’origine de Wikipédia se trouve le souhait de vouloir « refléter de manière aussi exhaustive que possible l'ensemble du savoir humain »[7]. Et pour pouvoir recueillir l’ensemble du savoir humain, il faut que l’ensemble des êtres humains participe. Aussi, toute personne peut-elle contribuer à Wikipédia. Idéal admirable ou rêve irréalisable, dans la pratique le fonctionnement de Wikipédia dépend largement d’un groupe de volontaires à nombre restreint (9903 personnes qui ont fait plus de 10 modifications[8]) qui écrivent et rédigent des articles et veillent à la qualité des informations. Il s’agit ici d’une véritable communauté avec une structure bien organisée et des règles/principes à respecter. Il y a par exemple un comité d’arbitrage « chargé de régler les conflits entre les participants »[9] et des administrateurs qui doivent « exécuter les décisions que la communauté (dont ils font partie) a prises »[10].

Par définition, ce qui caractérise une communauté est sa cohésion et cela est également le cas pour les communautés virtuelles. Les membres d’une communauté partagent plus ou moins les mêmes aspirations. Ainsi les membres de la communauté wikipédienne sont en général des hommes anglophones qui utilisent l’Internet quotidiennement[11]. Ce sont des individus qui s’intéressent en général plus à la technologie qu’à la littérature. Mais s’ils devaient choisir entre l’ancien président Woodrow Wilson ou l’écrivain de science-fiction Isaac Asimov, ils choisiraient ce dernier en se basant sur la longueur des articles consacrés à ces deux personnages[12]. Comme la plupart de ces membres contribuent de façon anonyme ou sous un pseudonyme, il y a un apport énorme quand il est question de sanctionner des comportements indésirables[13]. Cette forme de correction anonyme renforce le sentiment de cohésion du groupe d’un côté et l’identité communautaire d'un autre côté. Mais plus le groupe est soudé, plus il est difficile pour de nouveaux venus de s’y intégrer, de participer. Cette observation est bien illustrée par l’extrait suivant, tiré du site de Wikipédia même :

« Le nouveau venu, au contraire, ne connaît pas vraiment le projet, et encore moins la communauté. Car seule la vie dans le groupe et le partage avec les autres éditeurs permettent de comprendre ses règles, de se faire accepter et de se positionner par rapport aux autres. Avant de pouvoir être pleinement accepté par la communauté, le nouveau venu devra faire montre de bonne volonté et ne pas montrer un comportement dangereux ni pour le projet, ni pour la communauté. »[14]

Il y a ici une contradiction. D’un côté, on a vu que Wikipédia vise à refléter l’ensemble du savoir humain, et invite donc toute personne à contribuer au projet. D'un autre côté, les nouveaux venus dans la communauté wikipédienne doivent d’abord montrer leur bonne volonté afin de pouvoir être acceptés. Voilà le problème qui se trouve à la base de la deuxième partie de notre réponse, car il semble que ce soit ce seuil d’accès qui tende à repousser le milieu universitaire.

Prenons comme exemple le cas de M. Halavais, assistant professeur de communications au Collège de Quinnipiac. Après diverses expériences sur Wikipédia – pas toujours positives d’ailleurs – M. Halavais se décida un jour à contribuer de façon anonyme sur un sujet de son expertise : les théories de communication. Après avoir remis son article, M. Halavais fut étonné de voir avec quelle rapidité la communauté wikipédienne avait divisé, rédigé, corrigé, adapté et même supprimé des parties de son article. « Je crois qu’il n’en reste qu’une petite partie en ligne »[15], déclara M. Halavais.

Il semble que la communauté wikipédienne fonctionne parfois un peu trop bien. De nombreux incidents de vandalisme ont poussé la communauté à traiter tout nouveau venu avec méfiance. Ce dernier doit d’abord faire ses preuves afin d’être accepté. La communauté, elle, projette cette méfiance non seulement sur la personne en question mais aussi sur les nouvelles informations que cette personne apporte.

Les conséquences ? Si l’on peut en croire les paroles de M. Halavais, la relation entre la communauté scientifique et la communauté wikipédienne est mauvaise, au mieux ; « D’autres professeurs à qui j’ai parlé ont eu à peu près les mêmes expériences que moi : après avoir soumis à Wikipédia des articles de leur expertise, ces articles étaient systématiquement découpés par la communauté »[16]. Le résultat : les universitaires choisissent de ne pas participer du tout.

Il parait donc que la réponse à notre question ait deux facettes :

  • Premièrement il y a le caractère ouvert, le changement continu des informations que l’on trouve sur Wikipédia qui contredit en quelque sorte la méthode scientifique qui se trouve à la base de toutes les sciences. Cette forme d’information ouverte, éditable par tous et par n'importe qui inspire la méfiance des universitaires sur la valeur et la fiabilité de ces informations, même si plusieurs recherches ont montré qu’au niveau de la qualité Wikipédia ne semble pas être inférieure à d'autres encyclopédies renommées.
  • En second lieu, le caractère soudé de la communauté wikipédienne semble repousser les scientifiques. Choisir entre d’un côté devoir mériter du respect d’un groupe d’inconnus afin de pouvoir publier un article de son expertise, et d'un autre côté, ne pas du tout publier cet article sur Wikipédia n’est souvent pas trop difficile !

[modifier] Bibliographie

  • Can Wikipedia ever make the grade, Brock Read, Chronicle of Higher Education, 2006, pA31-pA36.
  • Online Communities: infrastructure, realtional cohesion, and sustainability, Mary J Culnan, p7.
  • Gemeinsam Wissen konstruieren: am Beispiel der Wikipedia. Jean-Pol Martin: In: Klebl, Michael, Köck, Michael (Hg.): Projekte und Perspektiven im Studium Digitale. Münster: LIT-Verlag, 2006, 157-164 (Gemeinsam Wissen konstruieren)
  • Can History Be Open Source, Roy Rosenzweig, The Journal of American History, 2006, p118-146.
  • Knowledge to the people, Paul Marks, New Scientist, 2007, Vol. 193, Issue 2589

[modifier] Notes