Adolphe Joseph Thomas Monticelli

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Adolphe Joseph Thomas Monticelli est un peintre français né en 1824 à Marseille et mort en 1886 dans la même ville.

Sommaire

[modifier] Biographie

Monticelli vécut une enfance bas-alpine : "placé" aussitôt né à Ganagobie, dans un milieu typique des mœurs ou pratiques du temps, la nourrice d'Adolphe aurait pu en effet être de ces émigrées gavotes, "descendues" à Marseille faire un peu d'argent en tant que domestique saisonnière ou plus sûrement, comme cela était très courant, trouvée et choisie sur les listes marseillaises de "famille d'accueil" chargées (en générale des Hautes et Basses-Alpes ou d'Ardèche) de s'occuper de ces enfants déclarés de "parents inconnus" (certificat de naissance de Monticelli), désirés ou non, devenus indésirables, accidentels mais bien présents et dont il fallait s'occuper.

[modifier] De la famille d'accueil et de la nourrice d'Adolphe Monticelli

La version communément admise est celle de la biographie d'André M. Alauzen et Pierre Ripert reposant sur une hypothèse qu'aucune archive ne vient corroborer, prétendant que "Mme Roche, née Geneviève Charlotte Antoinette Fabre, en 1815, n'était pas la sœur de lait de Monticelli, mais probablement sa cousine. La sœur de lait d'Adolphe Monticelli fut Julie Derrives, née en mars 1824."

Une Julie Rosalie Derrives née effectivement au village du plateau de Ganagobie le 4 mars 1824, de Jean François Derrives et de Rosalie Girard ; ceux-ci semblent travailler pour le compte d'un certain de Saisieu (Saizieu ou Seziès) Barthélémy d'Aix qui a effectivement dans les années 1810 la quasi totalité du plateau (incluant de fait le cimetière, l'église et sa ferme attenante) ; le seul semblant d'église de l'époque est ce qui reste de la nef de l'abbaye épargnée par la Convention après que l'on ait fait sauter le chevet et le transept en 1794 (de peur que "des blancs" ne puissent y trouver refuge) ; fermée à hauteur de la corde par un mur de fond plat montant droit jusqu'à la voûte, un curé y entretenait, malgré les secousses du temps, la cérémonie des baptêmes, . décès et un minimum d'enseignement religieux, dont le petit Monticelli garda attachement -sinon à la chrétienté, du moins au bon père d'alors-. Dévasté à la révolution donc (il est d'ailleurs quasi-sûr que la mystérieuse "Pierre de Cruis" en provienne), le monastère de Ganagobie ne comptait depuis plus aucun moine (ce n'est qu'à partir des années 1890 que certains relèveront peu à peu l'établissement) et le domaine était Bien du Peuple, découpé en nombre de parcelles.

Pourquoi, sur quelle source choisir Julie Derrives plutôt que les deux autres enfants nés à Ganagobie en 1824 (Table décennale du 1er juin 1823 au 1er juin 1833), qui sont de plus des Sube, à savoir Sube Rosalie Catherine, née le 10 septembre et Sube Étienne Noël, né le 24 décembre.? Comme sœur de lait, Rosalie Cézarine Sube correspond mieux à l'évolution de choses ; celle si est la fille de Jean André Sube, 24 ans à sa naissance, cultivateur et de Françoise Derrives (la confusion peut venir de là), 28 ans alors, qui serait la nourrice d'Adolphe nouveau-né. Ensuite Henriette Sube peut être un lien plus probant que la simple connaissance supposée entre le couple Derrives/Girard et les Roche/Fabre (de la ferme des Colomblancs où Monticelli revint sa vie durant), entre Ganagobie et Montlaux. Native de Mallefougasse où elle était née le 8 février 1811 (d'André Sube et Marie-Anne Imbert), nous retrouvons Henriette en effet, dés le premier recensement (1836) -après la régularisation des parents naturels d'Adolphe en fin 1835- comme domestique (ou servante selon le recensement) à la très fameuse Ferme de Montlaux, ceci jusqu'à sa mort le 28 août 1880, alors qu'aucun Derrives n'apparaît jamais dans aucun écrit relatif aux Colomblancs ; mais nous garderons la piste la plus probable, i.e. le lien entre André Sube (Ganagobie) et Henriette Sube (Les Colomblancs). De plus la matrice cadastrale de 1825 nous montre que les parcelles appartiennent à plusieurs propriétaires, dont de nombreux Subes dont Antoine Sube, possédant un terrain attenant à la ferme de la partie sud de l'église mais aucun document (à ce jour) n'indique à qui appartenait ni qui occupait la ferme en ces années. Les Sube propriétaires semblent plus à même d'avoir des rapport amicaux avec les autres propriétaires (que des fermiers employés) comme ceux des Colomblancs, ferme qui à l'époque prouvait une certaine aisance financière et un certain rang, en ces populations bas-alpines en général si pauvres. Né rue Longue-des-Capucins, paroisse Saint-Martin, l'acte de baptême (daté du 16 octobre 1824 et selon lequel Monticelli est dit être né "hier", donc le 15 octobre) laisse penser que Monticelli tire son premier prénom de son parrain, Adolphe Rampal, commis aux écritures, sa marraine est Dorine Bouillan (ou Bouillard). Adolphe aurait dut être confié au service de placement le plus proche, à savoir celui de l'Hôtel Dieu (aujourd'hui disparu) ; non seulement le Cahier de placement des enfants en nourrice ou en pension à la campagne fait défaut. mais de plus, est-ce bien là le biais par lequel Adolphe s'est retrouvé à Ganagobie? Bien que l'acte de naissance d'Adolphe mentionne "de parents inconnus" (le père du père d'Adolphe s'opposant au mariage de son fils), le nouveau-né Adolphe né avec sage-femme, à une adresse du lieu de naissance précisée (personnelle), de parents n'attendant apparemment que le jour de légitimiser leur union et reconnaître leur l'enfant, enfant "sortant" dés lors du circuit de placement publique (hospice ou autre) réservé aux enfants véritablement non reconnus à aucun niveau, esseulés (enfants abandonnés, trouvés, etc.) et sa mise en nourrice relèverait d'un placement à titre privé ; l'acte de naissance de Monticelli est en-soi déjà un cas. Comment les parents ont-ils été en contact avec la famille bas-alpine, cela reste pour l'instant en suspend. Les Colomblancs A plus de deux heures de marche au nord-ouest de Ganagobie, cette assez grosse ferme construite en 1793 à trois jets de pierre du vieux Montlaux, de son nom passé Montlaur (aujourd'hui en ruine et vers lequel Les Colomblancs semblent se tourner) fut une chance pour le petit Adolphe: sa racine familiale, son pied-à-terre, son exécutoire. En ce début de siècle, le bâtiment appartient au maire du village, Jean-Pierre Louis Fabre (dont l'adjoint est un certain Étienne Sube) ; . sa femme est Victoire Geneviève Charlotte née Lieutier. En 1832 ils marièrent leur fille Marie Geneviève Charlotte Fabre (âgée de 16 ans) à Jean Joseph Justin Roche (âgé de 20 ans), fils de Rose Rougier et de Joseph Paul Roche, maire de Revest Enfangat, (qui par l'ancienne route au-dessus de la colline dont l'hubac accueille le vieux Montlaur, en est à moins de cinq kilomètres au sud-ouest), village qui jadis voyait ses chemins très souvent boueux d'où sont nom de "Revest Embourbé" (qui deviendra la commune de Revest-St Martin lors de son rattachement avec ce dernier hameau et celui de La Blache) ; c'est en cette ferme, chez la famille Fabre, que leurs enfants, installés après le mariage, rencontrent Henriette (et son fils-par-le-lait) quelques années avant 1835, avant le départ d'Adolphe. L'enfant s'y liera tout d'abord avec le berger de la ferme, Bienvenu Jourdent, de cinq ans plus âgé que lui, avec les autres domestiques puis avec le couple Roche lui-même. Adolphe reviendra toujours, irrégulièrement mais invariablement, parfois d'ailleurs accompagné de membres de sa famille "naturelle marseillaise" -ce qui l'agace quelque peu-, visiter sa nourrice autant que les Roche: elle était là, La vraie famille Monticelli.

Il revint donc "dans l'ambiance de la famille de sa nourrice, à la ferme des Colons Blancs à Montlaux" (A.Alauzen) à chaque fois qu'il le pouvait, par plaisir ou. par nécessité ainsi en 1849, accompagné de sa famille marseillaise, fuyant l'épidémie de choléra qui semait l'épouvante dans la cité phocéenne (drame qu'a si bien rendu le grand Loubon dans son tableau de 1850: L'Emigration pendant le choléra à Marseille, Musée de Montpellier) ; durant ce séjour, il peint les portraits de ces proches -car il est avant tout un grand portraitiste-, celui de sa chère nourrice (œuvre aujourd'hui égarée ou a identifier) et ceux des époux Roche, dans sa première manière, de style bien classique (de par sa formation aubertienne -de copiste- puis parisienne. académique). Ce qui fait tout l'intérêt de ces portraits de jeunesse (il a 25 ans) c'est la formidable évolution stylistique au fil des ans qui s'impose quand on les compare avec les suivants, avec un Monsieur Roche en costume et aux larges rouflaquettes ; Le témoignage de descendant direct de la famille nous rapporte que le portrait de Madame Roche (Marie Geneviève Fabre) fut "enlevé" le matin alors que Marie portait toujours sa coiffe de nuit et qu'elle en voulu toujours au jeune artiste d'avoir tenu à la peindre "au plus naturel" (sans doute longtemps après, lorsque celui-ci eut une certaine aura.. avec la réputation de "peintre à Paris" puis les commandes des églises de Cruis -Jésus et Saint-Jean Baptiste- ou de Ganagobie -Vierge à l'enfant-) ; aussi, la photo du tableau nous la présente à 33 ans donc (l'acte de naissance nous apprend que Marie Geneviève Charlotte -pas d'Antoinette- Fabre est née le avril 1815), avec les traits d'une femme de 40 ans d'aujourd'hui sinon plus, au regard mi-sévère mi-fatigué, au sourire à peine esquissé, contenu. C'est pourtant ce même visage que repris le peintre pour sa Vierge à l'enfant de l'église de Ganagobie (huile sur deux morceaux de toiles cousues à l'horizontale, env.160 x 135, signé en bas à gauche Monticelli 1854, et qui fut accroché longtemps sur le mur nord de la deuxième travée) ; à 30 ans donc, il pose sa Marie devant une colonne dorique, yeux baissés pour donner un tant soit peu quelque douceur maternelle à cette femme qui n'eut jamais d'enfant, réalisant là un hommage à la patronne des Colomblancs que le peintre aima autant que sa nourrice. toujours est-il que, si sa Vierge peu paraître un peu austère, l'enfant (au large front typique) est lui plein de vie et de gaité. Toujours de source directe, Marie Fabre semble bien avoir été une âme forte, au caractère aussi dur que pouvait l'être la vie de l'époque ; n'ayant pas d'enfant, le couple Justin et Marie avait pris Adolphe en affection, mais vieillissant, ils durent en appeler à des parents de Château-Arnoux (famille André) pour qu'une de leurs filles (en l'occurrence Joséphine -nièce de Madame Fabre-, née en 1861) vienne vivre chez eux et qu'à leur mort celle-ci reprenne les Colomblancs. Arrivée vers 1879 ou 1880, elle y sera domestique ; le fait que Joséphine, sans lien avec une branche des Fabre, soit posée en future héritière de la ferme et des biens familiaux, n'a pu que peser sur la considération de Marie Geneviève envers la Jarlandine qui n'en pouvant plus de la sévérité de sa tante, prit un jour son balluchon et quitta les Colomblancs, à pied, s'en retourner à Château-Arnoux ; une fois à la maison natale, son père André, tout aussi dur que la tante Fabre, lui ordonna de repartir sur le champ. comme elle était venue. Ceci dit, en revenant, Joséphine, en plus de gagner une ferme, allait y gagner un mari, en la personne de Frosaty. Curieux parcours que celui de ce Jean-Baptiste Frasati (orthographe du recensement de 1872 où il apparaît pour la première fois, mentionné âgé de 16 ans et né à Marseille). Domestique aux Colomblancs, le recensement de 1896 le mentionne Frosati, neveu (par alliance) de Justin Roche. Enfin, Joséphine est mentionné comme son épouse (recensement de 1906, où le lieu de naissance du chef de ménage-cultivateur Jean-Baptiste devient cette fois Aix-en-Provence -!-).

[modifier] Style

Il fut influencé à la fois par Eugène Delacroix, les œuvres du Louvre et l'atmosphère provençale — plus que par les voyages en Orient qu'il ne fit pas. Les peintres marseillais tels que Brest ou Chataud lui communiquent dans leurs œuvres leurs impressions de voyage, et lui inspirent peut-être ses scènes de harem et ses entrées de mosquées. Sa touche audacieuse, empâtée est proche de celle de Narcisse Diaz ou de Félix Ziem dont il a suivi les cours.

[modifier] Postérité

En 1909, un monument a été érigé en son nom dans la ville de Marseille. Ce fut le sculpteur Auguste Carli qui réalisa l'œuvre. Elle se tint sur le cours du Chapitre jusqu'au début des années 1970 où les travaux du métro imposèrent de transférer le monument au parc Chanot.

[modifier] Monticelli à Digne - Génèse de la "matière-couleur" monticellienne

Témoignant de l'évolution picturale du peintre, son "Intérieur des Colomblancs" (tableau actuellement dans un musée américain), est très intéressant, à la fois parce qu'il nous permet de confirmer s'il en était besoin son attachement aux Basses-Alpes, mais parce que ce tableau est daté, de 1872, date à laquelle apparait notre Frosati Jean-Baptiste, marseillais (selon le premier recensement où il est mentionné), futur propriétaire de la ferme après les Roche ; le peintre est heureux de revenir depuis sa dernière visite au noël 70 (avant cette visite, il y était revennu en fin 63 lors d'une "montée" à Paris) ; voir les siens, les anciens, les jeunes, la nouvelle bergère, la simplette mais belle "Tchoise" (Françoise Reynier) de 33 ans. Lui a 48 ans, Jean Joseph Justin Roche 60, Marie Geneviève 56 et Henriette a 61 ans. Est-ce elle la vieille femme à la fenêtre? Le style est en mutation ; la photo de l'intérieur actuel nous permet de nous placer dans l'œil de Monticelli (le pétrin n'est plus là mais une horloge franc-comtoise est replacée à l'endroit de l'originale (à l'époque du tableau, la base de celle-ci, trop haute pour le plafond de la pièce, fut enterrée dans le sol en terre battue) ; en haut à droite, fixé au plafond, le garde manger hors de portée des souris et sur la gauche le placard du potager, cette pièce était la cuisine qui, montées deux marches, donnait sur un large salon ajouré sur Lure. Nous pouvons saisir la distance que Monticelli prenait avec ce qu'il voyait (dans sa peinture, la salle semble plus grande qu'en réalité) et avec la peinture-imitation: non pas une distanciation cézannienne (géométrisation des formes, perspectives aléatoires, etc.) mais par son abandon du traitement conventionnel (lisse, aux lignes nettes, "léché", .) pour une picturalité de plus en plus épaisse et lourde, une peinture-matière où la profusion tant de matériaux que de "coups" 'de pinceau) donnent au tableau son aspect brut, de travail de "platrier" qui fait qu'effectivement chez ce peintre il est difficile de parler de l'habituelle "touche" pour signifier sa manière irrégulière de poser la matière-peinture sur le support comme on l'eût fait pour Seurat et ses "points" (touche divisée), Van Gogh et ses lignes courbes, Cézanne et ses traits courts, etc. mais plutôt d'une facture un peu comme Renoir avait son "fondu", Monticelli avait sa "croustillance", sa "malaxation" donnant au toucher ce côté instable, énervé, sauvageon et rebelle même -fusse possible- à la loi du peintre, à sa patte, s'en libérant pour n'être plus que la seule maîtresse de l'œuvre, picturale en soi i.e. la matière colorée.

Du même séjour de 72 semble provenir L'aire de foulaison, d'où l'on aperçoit le pigeonnier des Colomblancs, ainsi que plusieurs Paysages de Ganagobie (panneaux de bois). C'est lors de son ultime séjours aux Colomblancs et dans les Basses-Alpes qu'il rencontra Joséphine André et qu'il peint encore Le seuil (de 1881 -collec. particulière, anc. collec Bose-) et qui montre une vieille femme dans un fauteuil, Marie Fabre (?), en une pièce différente des Colomblancs (ou une femme d'une autre maison) et l'étonnant Chien de la palette. Retrouvée dans le galetas de la ferme après la mort des Roches, cette plaque de bois (30 x 59) fut reconnue par Josephine André comme la palette du peintre lors de sa dernière venue ; un des chiens de la ferme observant son hôte, fut ainsi croqué après le travail fini, et il est à penser qu'il fut ici le modèle de l'ultime œuvre du maître aux Colomblancs. L'élément canin est une constante dans l'œuvre du peintre, les lévriers, griffons de galantes dames, chiens de chasse racés, le fier pataud de basse-cour, . chienne boiteuse. Caractéristique du style, de la patte/pâte de l'artiste, ce panneau est une rarissime relique monticellienne. Mettez Le chien de la Palette aux pied du Neness (Nestor René enfant, collec. Vidal) et vous aurez là une merveilleux duo du meilleur Monticelli, une pièce unique, au plus fort de son art si novateur (malgré la différence de support, papier marouflé sur carton pour le portrait de Nestor) "compensant" -s'il était possible- la pièce manquante, décisive et paroxysmale de l'œuvre de Monticelli, c'est-à-dire un Autoportrait, œuvre concentrant tout le génie novateur de l'Homme, équivalent de l'Autoportrait de van Gogh de 1890 (celui du Jeu de Paume bien sûr) nous montrant le peintre au plus typique de son être, mature, osseux, froid, au regard d'une intensité agressive quasi-insoutenable..tout en gestualité de contre-arabesques furieuses. Nestor-Adolphe est l'homme-Enfant, jouflu, chaud, aux yeux dessilés et rêveurs en même temps.tout en matérialité d'applications épaisses. Ainsi l'enracinement bas-alpin avait largement relayé le rapport "galeriste (Paul) / artiste (Adolphe)". Toujours aussi ineffable, Monticelli à Digne c'est véritablement la pointe de l'avant-garde moderne déboulant sur une terre de tradition (d'enseignement constantinien ou camoiniste) et on ne peut que rejoindre Étienne Martin dans son désir de (re)voir l'œuvre que fit le maître de notre Grande Fontaine : "Avec sa permission, je restais auprès de lui et, quoique fort jeune, je fus très impressionné par sa facture à large touches, par ses applications de couleur pure et par ses lumineuses simplifications. Ah! que je voudrais revoir ce grand panneau!. Grâce à ses empâtements croustillants, à sa rudesse de matière, il a dû prendre cette belle patine qu'acquièrent, avec les années, toutes les œuvres de Monticelli: "Je peins pour dans trente ans", ne cessait-il de dire. On peut se rendre compte aujourd'hui de la justesse de cette boutade." Étienne adulte reviendra nombre de fois peindre la Grande Fontaine, communiquant là, à travers l'acte pictural, avec l'atypique visiteur de sa jeunesse qui l'avait, malgré leurs différences, tant appréciè, et dont il devint un des tout premiers et plus fervent admirateur (voir son "Procès Monticelli", Anecdotes d'un Paysagiste, Chaspoul 1934). Si Adolphe et Paul se rendent sur le beau motif qu'est La grande Fontaine de digne, construction datant de 1829, de style classique typique Restauration, avec portique à deux faces, chapiteaux d'ordre toscan, larges vasques moussues. le choix de la Grande Fontaine parmi les nombreux sites dignois "à peindre" n'est pas anodin. Paul connaissait la "première" manière de Monticelli ; ce dernier tombe en extase devant cette plantureuse fontaine qu'il voit inévitablement en décor de quelque scène et fête galante de son "passé parisien", c'est-à-dire rococo renaissant. En ce qui concerne cette première manière, précisons ici, qu'à travers sa thématique dominante du fantasque galant, Monticelli ne cherche absolument pas "un antidote au manque d'imagination de la peinture réaliste et académique du XIXe", (il n'est en art ni engagé, ni théoricien -il n'en a que faire de transmettre quoi que se soit des idéaux de Watteau ou de quiconque- et encore moins réactionnaire) mais visualise le monde intérieur d'un être qui refusa de grandir, l'univers d'un petit garçon livré à lui-même, privé de sa mère, ayant gardé de l'enfance un puissant potentiel d'imagination, de rêverie (il est plus que certain qu'aucun jouet, belle image ou autre objet de plaisir propre au monde de l'enfant ne fit partie de ses premières onze années de "fête champêtre" dont il était le seul acteur, hormis peut-être lors du mariage Roche à Montlaux) ; la frivolité d'un certain milieu de Paris fait effectivement "remonter" tout cela ; il y retrouve, dans le monde pictural néo-rococo, tout son propre imaginaire, objet désiré ou qui lui fit défaut et qui l'impressionne tant lors de sa venue à la capitale ; de plus, son humeur nonchalante, légère, pour ne pas dire insouciante, son sens esthétique et son besoin d'union harmonieuse avec la nature se complaisent dans les badinages romantiques d'où sont exclus la réalité (sociale) du monde et ses conflits ; plus que de la nostalgie, ce sont la présence féminine, les paysages avenants, le jeu, l'éclectisme bon reflet de son "éducation" tardive d'autodidacte et disons le, la facilité de vente d'une peinture dont c'est la pleine mode (lorsqu'Adolphe arrive à Paris pour la première fois à 22 ans) qui attirent Adolphe dans cette thématique creuse (il est loin le temps des pionniers du genre). Thématique qu'il gardera sa vie durant mais évoluant vers une toute autre considération: Il n'est en effet guère surprenant que l'insipidité des sujets rococo tardif -en plus de son apprentissage bas-alpin de la matière- n'a pu que pousser Monticelli à passer à autre chose, à aller au-delà du sujet, du sujet-motif puis du motif même (tout comme "l'ex badineur" Diaz qui par le paysage osera l'apparence ostentatoire de la touche), à se laisser aller sur la voie de la picturalité seule, totale. Picturalité qui s'impose peu à peu à tous les éléments habituels du tableaux: femmes en costumes, musiciens, animaux, et décorum "ruine antique", la plupart du temps un non-édifice constitué par une ou deux colonnes avec entablement plus ou moins conséquent. ce qui a du grandement impressionner autant le père que le fils Martin fut la liberté de peindre monticellienne ; inutile de préciser qu'il ne fallait pas chercher à retrouver quelque triglyphes ou autre détail de leur Grande Fontaine, mais c'était bien elle, vibrante, sursautante, brossée et malaxée.

Ne nous fions pas à la valeur de la "belle patine" prétextée par Étienne, celui-ci sachant pertinemment lorsqu'il écrit cela que l'œuvre de Monticelli prend alors, par les critiques, les expositions et le goût des amateurs, toute sa dimension novatrice ; aussi Martin nous apparaît ici pleinement et lucide et conscient de la valeur du temps pour donner sa pleine mesure au génie moderniste de Monticelli ; "génie de croustillance" du hussard de la couleur pure et de la pleine matière, couple fusionnel qu'il adoube de sa brosse-épée, mariage qui le sauva du sort d'un Devéria (Eugène, empêtré et dévalué par ses niaiseries moyennâgeuses) ; génie que ne pourra jamais saisir celui qui ne s'est pas donné la peine d'arpenter, en fin d'été, le flanc sud-est de la Montagne rugueuse de Lure, de découvrir l'atmosphère magique baignant l'Abbaye Notre-Dame puis du jas Roche descendre écouter les mystérieux grouillements de l'Abîme de Cruis (comblé), de sentir craqueler sous ses pas l'automne de ces sous-bois (le bois., le vrai, la matière noble que le peintre préfèrera toujours à la toile et qu'il laissait souvent apparaître en réserve -en un procédé troublant car parallèle mais non identique au non finito martinesque- pour rendre de manière encore plus vivante les troncs, les branches, les amas feuillus. expressionisme du 'noyer-support allié') et de ressentir toutes ses tonalités vert-marron oxydées qui vous parlent du Croumpa jusqu'au D'aquo de mé et au monastère (par l'actuel chemin Monticelli, qui est à quelques variantes prés l'ancien chemin de Montlaux, dédié au peintre par le Père Toussaint Lorenzi, Père connu particulièrement pour son rôle durant la résistance mais aussi par le drame de Lurs, un homme de culture, de principe et à l'âme visionnaire qui "avait commencé à réunir des documents sur le peintre, auquel il envisageait de consacrer une salle vouée à son souvenir, selon le témoignage de Pierre Ripert" (voir Marseille, Revue Municipale, n°51, 1963)

depuis le milieu du plateau ou par le chemin de Forcalquier remontant plein nord le long du bord occidental du plateau, puis le chemin quitte l'éperon rocheux et mène à une fourche, à gauche suivre jusqu'à la Haute-Sautée par la citerne, descendre à la Blondine puis suivre la route par le Sabat et le Vieux Montlaux.jusqu'aux Colomblanc (certains tracés font aussi passer par Serre-Bérenguier puis les Janets), car c'est là qu'erre l'âme profonde de l'artiste, sensitive, terrienne (paysanne, et disons le maintenant:) gavote, tant en mentalité qu'en langage. La langue nourricière du grand Monticelli? Le parler gavot. Le jeune Monticelli? Un gavot.

Démarche qui vous permettra "d'entrer" dans Le chercheur de Champignons (collec. particulière), Le Poulailler (collec. particulière), Charette à l'âne (Cailleux-Pris), La Porcherie (A. Vidal), etc. et de comprendre que quand Monticelli peint des paysages d'ailleurs, de Salon, Romainville, ou Marseille., c'est à travers son regard et son cœur gavot qu'il l'exprime. et que nombre de ses panneaux que l'on intitule "Étude" par manque d'identification (dit clairement: de lisibilité) du sujet, sont en fait des œuvres achevées, signées, dans le "style-aboutissement" d'un apprentissage exclusivement naturel, brut, . bas-alpin. Il semble bien qu'André Alauzen (grand critique marseillais) soit quelque peu expéditif (pour ne pas dire caricatural) lorsque ("reprenant" Guinand, cousin du peintre) il décrète que Monticelli était "totalement inculte" une fois ramené à Marseille (sous entendu après onze années passées chez les sauvages des Basses-Alpes et qu'il s'en soit fallu de peu qu'il n'y ait été crétinisé à vie.) ; en fait de vide culturel, Adolphe connaît tout, absolument tout: les plantes, les arbres, les champignons, les animaux domestiques, le gibier, les insectes, les roches, les argiles, les terres, les cycles lunaires et leur importance ("je viens de la lune"), les aléas du temps, l'origine et la signification de chaque bruit, chaque son, etc. etc. et il est -avec Martel- le peintre ayant eu le rapport le plus intime avec son environnement naturel, le plus connaisseur des choses de Mère Nature ; élevés gavots, l'un et l'autre se désinterressent du quand-dira-t-on et déclinent clairement toute ambition, toute réussite sociale. ils vivent simplement leur fatalité d'artiste sans autre préoccupation aucune. mais la vivent totalement. Idem lorsqu'André prétend que le peintre a appris les interactions de sa chimie des couleurs "en copiant les Rembrant" et que sa façon de faire chanter les bruns dans ses portraits a été "empruntée à Fragonard". Oui "les dés ont été jetés", ceux de la picturalité monticellienne (en tant que matière) qui naîtra de cette incubation bas-alpine, bien avant ceux de la formation picturale (ligne, règles stylistiques.) avec les cours de peintures à l'atelier de Félix Ziem, car c'est ici que tout est dit pour un grand pan de l'œuvre Monticellienne dans ce qu'elle véhicule -pour l'époque- d'incroyablement rude, par un traitement épais tel, qu'il se place à la limite du "primaire" (premier, pour utiliser un terme à la mode), du racé, des pulsions originelles émanant d'une force vitale inapprivoisée (gitane) et encore moins théorisée ou intellectualisée, bref, dans tout ce que son lourd travail porte d'instinctif, de manuel (donc de gestuel ; gestualité débridée éclabousse la robe de Madame Pascal dont toute la partie inférieure hurle 150 avant l'explosion des Pollock)

, "d'arraché" à la finesse surfaite, artificielle (qu'elle fusse du théâtre, du rococo attardé, de Paris, du portrait officiel, etc.), de fruste ; SA "frustalité", de jeunesse retrouvée et sublimée par une picturalité (devrais-je dire une "matièralité") où la couleur "organise tout en force" (Alauzen), où il retrouve l'expression brute des matières (colorées), des bruits, des couleurs (matières) de la nature, l'immédiateté du dialogue avec celle-ci, , son passé heureux dans ses Basses-Alpes, le bonheur simple mais intense dans ce rapport, ce contact physique avec les choses naturelles, auquel la régularisation (mariage) de ses parents l'arracha. et dont il gardera à jamais mélancolie, bien plus que des paillettes de la comédie parisienne. Mélancolie des jeux d'enfants, des histoires inventées, des rôles joués dans le vieux village dominant ce vaste espace plus ou moins circulaire qui fut le riche Plan agricole dont le dernier autochtone serait aujourd'hui le berger Elie Giraud. ; l'étendue des ruines actuelles laissent imaginer leur solennité verticale au temps d'Adolphe, temps où il n'a pu (lui l'analphabète, compensant son vide éducationnel par la découverte sur le terrain, actionnant son intelligence par le bricolage enfantin, l'expérimentation au service des scenari qu'il se créer, lisant le monde dans les éclaboussures d'un sueio ou dans quelque potion de sa composition.) échapper à la tradition orale locale (disparue à jamais avec l'exode, l'abandon puis la mort du vieux village), et où il n'a pu que laisser libre cours à ses rêveries lorsqu'il écoutait raconter les fables et légendes liées au seigneur du lieu, le troubadour Pons de Montlaur (jusqu'à la première moitié du XIXe -à l'exemple de l'acte de mariage du fils Roche en février 1832-, Montlaux s'écrivait Montlaur ; Montlaurs sur la carte de Cassini où d'ailleurs apparaît déjà Le Colomblanc), Montlaur avec sa place du Balairé, et habitué des fêtes courtoises qui se tenaient, par delà le Bois du Roy, à la cour forcalquiérenne où notre jeune Esperdut d'Adolphe se serait bien vu lui aussi ravir la Marguerite.

Les concrétions naturelles en blocs qui ont servit à l'édification du vieux Montlaur n'ont pu manquer d'observer longuement notre futur malaxeur de la matière de couleur en essayant d'en arracher les coquillages fossiles incrustés (les "cadeaux" des terrains secondaires et tertaires: empreintes végétales, pentacrines, cidaris et mollusques ont du être les seuls vrais -mais ô combien précieux- "jouets" d'Adolphe) ; on en trouve encore dans les amas des ruines étalées de ce village qui -au temps où ses deux places vibraient encore d'une riche vie moyenâgeuse- dû avoir fier allure et s'enorgueillir d'avoir un chatelain troubadour qui chanta la beauté de ses femmes encore plus aimable que ces Dames de Forcalquier et l'amour de son cadre naturel.

En fait, la négligence (déconsidération qui ne dit pas son nom) est permanente sur l'influence de la nature bas-alpine du sud Montagne de Lure dans la matièralité monticellienne ; un exemple d'une œuvre mondialement connue, l'huile sur bois de la Collection Tanimoto (Tokyo): un homme, de dos, seul, , sur la crête d'un piton rocheux vue en forte contre-plongée et où seul un gros pin semble avoir pu prendre racine. le marcheur paraît passer au flanc opposé à celui vu par le spectateur, le laissant seul lui-même à s'interroger sur la signification profonde de cette œuvre au traitement caractéristique du meilleur Monticelli. Sans plus rentrer dans l'analyse de cette œuvre maîtresse où s'impose un génie créateur libéré, instinctif et primal, venons en au(x) titre(s): tantôt appelé L'arbre, tantôt Le Rocher (que certains veulent situer vers Saint-Pons au sud-ouest de la chaîne de la Sainte-Baume) ou encore Le Peintre et son destin . le sujet-prétexte original est en fait une pointe rocheuse du plateau de Ganagobie (deux lieux précis correspondent très bien au tableau: le premier au tout début du Chemin de Monticelli, l'autre, plus probable, à l'est, sur le rebord aujourd'hui envahit de chêne verts, le bloc où se tenait l'arbre, un gros pin d'Alep, s'étant effondré, comme s'effondre progressivement par morceau parois du plateau). Datant du dernier séjour d'Adolphe dans ses chères Basses-Alpes, Adolphe se serait peint en cette œuvre concentrant toute l'âme de la terre qui lui avait révélé la matière, SA Terre, montagneuse, cette roche burdigalienne, dépouillée, pauvre (bien éloigné de la forêt ombragée et luxuriante de Saint-Pons), où l'isolement est le origine et fin, racines auxquelles il semble maintenant faire ses adieux, rapportant avec lui à Marseille ce précieux panneau de bois (44,6 x 34,8 cm). Bien que la relation avec Ganagobie se trouve fort heureusement dans certaines éditions sous le titre Rocher à Ganagobie, cette dilution généralisée (par la majorité des ouvrages) de la marque intrinsèquement bas-alpine se répète ainsi comme dans nombre d'œuvres de "nature pure" qu'on nomme chichement Étude de ceci, Étude de cela, alors que tout y est. toutes ses "études" d'enfant de la terre, du matériau pictural brut, livré en sa totalité. de la boue colorée, des pigments de son terroir. qui vont l'amener par une autre voie que celle de Cézanne, aux portes du non-figuratif, . de l'Abstrait. Monticelli, Cézanne, qui par l'expression totalement libérée de leur moi (sensations, matière-couleur), devinrent les deux précurseurs mondiaux de l'abstraction en peinture à l'huile ; deux provençaux.

[modifier] Source

Extrait de "l'École Dignoise, Gavoté, problématique bas-alpine à travers Monticelli et Cézanne", thèse de Francis Blaise (ISBN 2-9526911-0-1) EAN: 97829526911 09

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