Abdelhamid Benachenhou

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Abdelhamid Benachenhou, né le 7 décembre 1907 et décédé le 31 août 1976 à à Tlemcen, fut un historien algérien.

[modifier] Biographie

Pour réduire la résistance de la population algérienne, le système colonial avait mené dès les premières années de son instauration une politique délibérée de paupérisation et de déculturation Même les villes qui avaient une vieille tradition intellectuelle comme Tlemcen où il existait cinq établissements d’enseignement supérieur avant l’occupation coloniale, dont l’immense et célèbre Tachfinia qui faisait face à la grande mosquée ; occupait une partie de la place centrale, et s’étendait sur toute l’assiette foncière de l’ancienne mairie, avaient vu se répandre l’analphabétisme en même temps que la déchéance sociale.

Abdelhamid Benachenhou vit le jour dans une maison modeste du quartier de Qoran Esseghir de l’ancienne médina de Tlemcen(ancienne capitale du Maghreb central dans l’Ouest de l’Algérie) dans une famille durement touchée par l’oppression coloniale, et dont les terres avaient été expropriées au profit de colons ou de l’urbanisation ; cette famille s’était convertie à l’artisanat et au commerce et malgré la dureté des temps sut préserver ses traditions, sa fierté et son attachement aux valeurs musulmanes.

Le père d’Abdelhamid, Si Bouziane, avait choisi le métier de cordonnier qu’il exerçait dans une petite échoppe près de la maison familiale. Lors de l’exode de 1911, la famille décide de partir pour le Maroc, mais elle est obligée de rebrousser chemin à Maghnia.

Le petit Abdelhamid fait cette randonnée, qui était alors une grande aventure, à dos d’âne et il l’évoquait souvent avec fierté car, pour lui, cet exode était un acte de résistance au système colonial triomphant. À l’âge de 8 ans, et après moult délibérations au sein de la famille, qui tenait à se préserver de tout contact culturel avec l’occupant, Abdelhamid fut envoyé à l’école Dessieux, réservée aux enfants «d’indigènes».

Il en sort avec le certificat d’études primaires à l’âge de 15 ans et il est obligé de trouver un travail. Il est recruté comme télégraphiste et il est envoyé dans un petit village de la région d’Aïn Temouchent. Mais il ne reste pas longtemps à cet emploi.

Il avait un goût insatiable pour la lecture et voulait continuer ses études. Comme ni la fortune de ses parents ni la politique du colonisateur ne lui permettaient de poursuivre son ambition, il décida de tenter sa chance au Maroc et de s’inscrire à l’université El-Qaraouyine (fondée en 859) à Fès. Désargenté, il dût faire les deux cent quatre-vingt kilomètres de voyage à pied jusqu’à cette ville avec d’autres compagnons qui avaient le même objectif. Ils eurent à braver non seulement les risques d’une route peu sûre, mais également les dangers de la traversée de la plaine aride de Guercif.

Ayant acquis par ses lectures une bonne connaissance de l’arabe, il réussit à s’inscrire à la célèbre université et à survivre avec la maigre aide matérielle qu’elle offrait aux étudiants venant d’autres pays musulmans. Finalement, après cinq années, il réussit à avoir sa ijaza’, ou licence d’enseignement. Il occupe un poste administratif dans un village du Moyen-Atlas marocain où il apprend le tamazight ; il fait des économies et achète pour sa famille une maisonnette dans le quartier d’El-Kalaa à Tlemcen, que l’administration coloniale avait loti au profit des Algériens «lettrés», mais dont jouirent essentiellement les Kouroughlis pendant les premiers temps, suivant la pratique coloniale de «diviser pour régner». Bien que balloté pendant plusieurs années entre de petits villages perdus dans les montagnes marocaines, Abdelhamid n’en continua pas moins à s’éduquer ; il fit des recherches historiques sur la dynastie almoravide et publia, dès 1935, dans une revue scientifique, intitulée Hesperis, des articles sur les monuments laissés par cette dynastie au Maroc.

Affecté à Rabat dans l’administration chérifienne en 1940, il en profita pour parachever ses études supérieures à l’institut d’études marocaines qui était un centre d’études universitaires mis en place par l’administration du protectorat français.

Dès la fin de ses études doctorales, il se mit à enseigner dans cet institut le droit administratif marocain ainsi que l’arabe moderne. Parfaitement bilingue, il se lança, dès la fin des années 1940 dans la rédaction d’ouvrages en arabe comme en français portant aussi bien sur l’histoire que sur le droit et se fit un nom parmi la nouvelle classe intellectuelle marocaine qui commençait à émerger.

Bien qu’enraciné dans la haute société marocaine, il n’en oubliait pas pour autant l’Algérie et les mouvements politiques qui la traversaient. Il fut l’un des premiers membres de l’association des ulémas et écrivit de nombreuses contributions dans El-Bassaïr, la publication de cette association, sous un nom de plume malheureusement oublié.

Il était en contact avec le PPA-MTLD, dans lequel nombre de membres directs ou par alliance de sa famille militaient. Ils avaient même fait l’objet de poursuites judiciaires et d’emprisonnement pour de longues périodes. Il entretenait également de bonnes relations avec l’UDMA et reçut chez lui le regretté Ferhat Abbas en 1948, lors d’une tournée que celui-ci avait effectuée au Maroc.

En 1947, avec l’aide financière d’un riche Algérien, originaire de Taher, le regretté Si Mohammed Khattab, un homme d’un grande générosité qui employait sur ses fermes de le plaine du Gharb, des métayers d’origine algérienne, Abdelhamid créa la fédération des Algériens musulmans du Maroc, officiellement à but «culturel et social», mais qui était en fait une organisation politique destinée à sensibiliser les Algériens aux thèmes nationalistes et à les organiser pour d’éventuelles actions collectives.

L’administration coloniale ne fut pas dupe et fit toutes sortes de tentatives pour casser cette association et créer la division parmi ses membres. Un certain Boniface, contrôleur civil- l’équivalent de l’administrateur des communes mixtes en Algérie- trouva finalement la faille dans un Algérien d’Oudjda, où résidait la plus importante communauté algérienne, et lui fit créer une association parallèle. Cet Algérien, agent de l’administration coloniale, finit par être assassiné par un fidaï marocain. La fédération, bien introduite auprès de l’administration marocaine, joua un rôle essentiel dans l’implantation du FLN au Maroc. Abdelhamid fut également un acteur important dans la lutte du Maroc pour son indépendance ; ami et conseiller de plusieurs personnalités politiques nationalistes marocaines, il contribua à l’armement de l’armée de libération marocaine en faisant détourner de l’armement des mokhaznia, ou supplétifs, au profit de l’armée de libération marocaine.

En reconnaissance de ses services, Abdelhamid fut nommé, dès l’indépendance du Maroc, directeur des affaires générales au ministère de l’Intérieur, en charge des problèmes de sécurité, puis secrétaire général de ce ministère ; le roi Hassan II lui proposa le poste de ministre de l’Intérieur à condition qu’il prenne la nationalité marocaine, mais il déclina cette proposition.

Abdelhamid fut également extrêmement actif dans la guerre de libération nationale ; son domicile à Rabat, 3 bis rue Alfarabi, servit d’asile et de lieu de repos à des dizaines de moujahidine et moujahidate venus de différentes wilayas, mais abrita également des réunions du GPRA.

Plus que cela, il organisa la désertion de soldats algériens en caserne au Maroc et établit un réseau de collecte de fonds au profit du FLN. De plus, au péril de sa vie et de celle de sa famille, accompagné de son épouse, il effectua en Algérie, au profit du CCE comme du GPRA, des missions de liaison, muni d’un faux passeport portant un nom de juif marocain ; l’une de ses missions les plus dangereuses se déroula à Alger en mars 1957 alors que la fameuse bataille y faisait rage ; il rencontra à cette occasion, et dans des conditions dignes d’un roman d’espionnage, le regretté Abdelmalek Temmam, alors dirigeant syndicaliste de l’UGTA naissante.

Ses hautes fonctions dans l’administration marocaine lui permirent de rendre d’immenses services au CCE comme au GPRA, sous toutes formes, de la facilitation des contacts politiques aux entrées de troupes et d’armement, en passant par la fourniture de vrais faux papiers d’identité. Cette activité sur plusieurs fronts n’empêcha pas Abdelhamid de continuer à publier en arabe et en français. Il a écrit prés de 35 ouvrages dont les titres suivants donnent une idée de l’ampleur de sa culture et de ses intérêts intellectuels :

  • Al Bayan Al Muthrib, ou exposé sur le droit administratif marocain ; --
  • Ousoul Al Sahiounia,
  • Akhir Hukkam Gharnata,
  • le Régime des terres au Maghreb,
  • Léon l’Africain,
  • Juba II,
  • Du mandat ou Procuration,
  • Maghreb, histoire et société, l’Islam.
  • Contes et récit du Maroc,
  • Goethe et l’islam,
  • L’État algérien en 1830, -
  • La Dynastie almoravide et son art,
  • Leon l’Africain.

Même la douloureuse maladie qui devait finalement l’emporter n’arrête pas sa plume ; et sur son lit de mort, il achève une histoire en arabe, non publiée, de la ville de Tlemcen.

Ses ouvrages continuent à être cités ; même Marguerite Yourcenar (1903-1987), l’auteur des Nouvelles orientales et des Mémoires d’Hadrien, et membre de l’Académie Française, avait trouvé un certain intérêt dans nombre de ses livres qui ornaient sa bibliothèque personnelle dans sa maison du Maine (États-Unis). Entré en 1964 en Algérie, il prend la direction du Journal officiel, et continue ses activités d’enseignement à l’école nationale d’administration ; il fait des conférences publiques en arabe et en français, contribue fréquemment à la revue El-Djeïch, au quotidien arabe Ecchaâb, de même qu’il anime des émissions à la radio.

Homme de grande culture islamique et auteur d’un ouvrage en français sur l’islam, il est nommé membre du haut conseil islamique, où il prône une religion ouverte sur la modernité et les méthodes scientifiques ; il propose une interprétation du saint Coran fidèle à l’esprit, et proche de la lettre, en particulier dans le domaine économique.

Homme d’une grande tolérance, il se lie d’amitié avec le cardinal Tessier et il a été souvent l’hôte du regretté cardinal Duval ; il donne des conférences dans le séminaire catholique et pratique avec simplicité et sincérité le dialogue des religions et des civilisations avant que cela ne devienne une mode ; il a même été conseiller juridique auprès du tribunal rabbinique de Rabat.

Bien que bon musulman, il n’en était pas moins versé dans le complexe droit civil rabbinique, dont la connaissance pour un musulman n’était, à son avis, ni interdit ni touché de tabou ! Il est emporté en 1976 par une douloureuse maladie alors qu’il était dans la force de l’âge et il a continué jusqu’à son dernier souffle, à apporter sa contribution à la renaissance de la culture algérienne.

Homme modeste, aux qualités morales impeccables, parti avec des handicaps qui auraient découragé plus d’un, il a, durant toute sa vie, fait montre d’un courage, d’une ténacité et d’une persévérance sans faille dans ses entreprises.

Sa contribution immense au renouveau de l’Algérie dans les domaines culturels, sociaux et politique a été reconnue par l’attribution de son nom à un Institu de Technologie de l'Education(formation de professeurs de Collèges ) à Oran. Méritait-il plus ? Ce n’est évidemment pas à ses proches ou à ceux qui l’ont connu personnellement de se prononcer.

Mais l’occasion du centième anniversaire de sa naissance permet au moins de rendre hommage à sa personnalité et de souligner sa place dans l’histoire politique et intellectuelle de l’Algérie, si modeste que puisse paraître sa contribution.

Peut-être qu’au-delà de sa mort, sa vie et son œuvre pourraient-elles constituer des sources d’inspiration pour les générations actuelles et à venir !